Le Dictionnaire des Antiquités Grecques et Romaines de Daremberg et Saglio

JUNONES

JUNONES. Employé au pluriel, le nom de la déesse Juno correspond à deux idées différentes dont l'une trouvera son explication au mot M.'rncs ; l'autre fait de Juno 'équivalent féminin du mot GEMUS. Si le Genius est la force divine qui engendre et qui assure la perpétuité de la race, la Juno estla tutela pariendi, l'influence idéale qui, pour chaque femme en particulier, préside à la conception et à la naissance, envisagées dans les conditions spéciales que la nature fait à la femme' ; c'est-à-dire que le Genius est le principe de la génération agissante, la Juno celui de la réceptivité passive avec ses conséquences physiologiques et morales. Sous une forme personnelle, elle aboutit à multiplier la divinité de Lucina et à créer autant de Junones qu'il y a de femmes appelées à enfantera. Tout ce que nous avons dit du Genius s'applique donc à ces Junones, avec cette différence que la suprématie du sexe masculin se traduit par toutes les variétés possibles dans l'application du mot Genius, tandis que les emplois du mot Juno sont fort restreints La Juno représente-la personnalité féminine, tantôt dans son expression idéale, tantôt dans un être distinct et supérieur qui a la garde de la femme et qui préside à sa destinée". Comme le Genius, elle est appelée natalis, commence son action le jour de sa naissance et l'exerce jusqu'à la mort'. Les femmes jurent par leur Junon comme les hommes par leur Génie; à la lutin elles attribuent le bonheur ou le malheur de leur existence 3. La Juno leur survit comme le Genius survit à l'homme et continue d'être honorée ou invoquée sur les tombes 6 Il y a même des cas, mais très rares, oit Juno ne s'applique plus à la personne humaine, niais à une collectivité ou à un accident topographique, en tant que tutela loci 7. Enfin Juno, avec ce sens, sert à dédoubler l'être d'une divinité féminine, à exprimer le principe supérieur qui la constitue. Le Genius par excellence étant celui de Jupiter en personne, un pendant lui est fourni par le Genius Junonis, appelé Juno tout court" Toutefois, dans la religion primitive de l'Italie, ainsi que l'a démontré Reiffersclleid 3, ce n'est pas au génie de Jupiter qu'elle s'oppose, mais à Hercule en tant que Genius Jovialis. Junon et Hercule deviennent ainsi les dieux spéciaux de toute union conjugale ; le muudde la ceinture virginale dénouée par le mari est appelé modus Ilerculeanus'° ; en le détachant dans la chambre nuptiale, le mari demande au dieu d'être heureux en enfants comme il l'a été lui-même, et la femme voue sa ceinture à Junon. Dans les familles patriciennes, après la naissance d'un enfant, on dressait dans l'atrium, auprès du lectus genialis, un lit à Junon, une table à Hercule". En vertu de la même croyance, les femmes étaient exclues du culte d'Hercule à l'ara maxima, elles ne juraient ni par le Genius, ni par Hercule, mais parla Juno personnelle12. A ces témoignages, M. Peter a apporté une confirmation tirée d'un certain nombre de monuments figurés qui, mal expliqués jusqu'à présent, deviennent dès lors très clairs'". Le plus ancien est un miroir étrusque (fig. 1190), d'un dessin grossier, qui représente, non la réconciliation de Junon et d'hercule suivant la tradition hellénique, comme on l'a cru à tort, mais leur union mystique à laquelle Jupiter préside ". Il faut interpréter de même les JUN 1191 JUP figures d'un pied de candélabre à trois faces, provenant de Pérouse et dont deux faces ont émigré à Munich'. Junon, dans le costume et avec les attributs de Lanuvina Sospila [cALCEUB, fig 10231. y fait pendant à IIercule avec la massue et la peau du lion ; celui-ci repré sente le Genius Jovialis, principe de virilité, et Juno le principe de la fécondité heureuse : Vénus, qui fournit la troisième figure, incarne l'idée d'autour dans le mariage. Ainsi encore s'explique un anneau nuptial (fig. 11191) sur lequel Junon et Hercule, costumés de même, rejoignent les mains par-dessus leurs têtes opposées, tenant l'une la hasta caelibaris, l'autre la massue au sens symbolique2. D'autres manifestations de la croyance à l'intervention du Genius Jovialis et de la Juno personnelle pour la conclusion des mariages, sont à chercher dans les bronzes étrusques oit les deux divinités font mine de se combattre, l'une avec la massue, l'autre avec le fer de lance a. L'attitude combattive n'est qu'apparente et ne s'expliquerait par rien dans la légende; ces monuments sont significatifs si, avec M. Peter, on les interprète comme nous avons fait du candélabre de Pérouse et du miroir étrus que. Dans ces scènes, il arrive que Minerve est substituée à Junon et que cette union a pour fruit le héros Tagès A Rome même, le culte de Juno Sororia parait issu des mêmes idées 6. Ce culte y était fort ancien; on le célébrait aux calendes d'octobre en y rattachant le souvenir du combat des Voraces contre les Curiaces avec le meurtre de Camille par son frère. L'autel de Junon était auprès du colosse de Néron' et faisait face à un autel de Janus Curiatius dont le vocable, comme celui de Juno Curitis, semble en rapport avec l'institution des Curies 7, Sur les deux autels était appuyée une poutre disposée comme le joug sous lequel on faisait passer les vaincus .IL'GCM]. Janus joue vis-à-vis de Junon le rôle qui, dans la tradition étrusque, est dévolu à hercule ; il représente le Genius Jovialis. Pour interpréter d'une manière satisfaisante le vocable de Sororia donné àJunon, il nous faudrait sur le mariage primitif de home et la condition spéciale des soeurs des renseignements qui font défaut; elle y figurait à coup sûr en qualité de génie protecteur$; dans le cas spécial, elle représente la Juno de Camille, à laquelle, en raison du meurtre, on offre des expiations. J. A. IhLD.