Le Dictionnaire des Antiquités Grecques et Romaines de Daremberg et Saglio

Article JURGIUM

JURGIUM. Ce mot de la vieille langue latine, signifie une brouille entre voisins ou entre parents, qui a pour effet de les conduire devant le magistrat. Cette signification du mot jurgiurn est conforme au sens étymologique : Jurgo vient de juri ago (agere ayant le sens de pousser 1), jus désignant le lieu où siège le magistrat [Jus]. 90 JUR 714 JUR Le fait qui motive le jurgium est d'importance secondaire; il n'est pas de nature à déterminer l'état d'hostilité qui, à l'époque antique, est l'état normal des plaideurs et qui est caractérisé par le mot lis. Jurgium et lis liane habent distantiam : jurgium levior res est, si quidem inter benivolos aut propinquos dissensio vel concertatio jurgium dicitur, inter inimicos dissensio lis appellatur 1. Pour apprécier la portée de cette distinction, il suffit de se rappeler que dans l'action de la loi par serment qui, d'après Gaius 2, formait le droit commun, les plaideurs procédaient en matière réelle à un combat simulé 3 ; il en était de même dans l'interdit uti possidetis : en cas de conflit entre deux prétendants à la possession qui n'ont ni l'un ni l'autre la détention matérielle, il était d'usage de se rendre sur le fonds litigieux pour s'y livrer à un combat simulé (deductio quae moribus fit) afin de motiver de cette manière l'intervention du magistrat'. Les jurgia sont plusieurs fois rapprochés des lites par les auteurs littéraires qui signalent un trait commun aux uns et aux autres : jurgia et lites étaient exclus les jours de fête; on devait faire trêve à toute espèce de contesta La distinction des jurgia et des lites implique l'existence de deux sortes de procès. Ceux qui donnent lieu aux lites seront indiqués au mot ms. Recherchons ici ce que les textes nous apprennent sur les jurgia. La loi des Douze Tables contenait les mots : Si jurgant. Cicéron exprime à ce propos son admiration pour l'eau re des décemvirs : Admiror nec rerum solsrm, sed verborum elegantiam, et après avoir rappelé la distinction traditionnelle entre lis et jurgium, il dit : Jurgare igitur lex putat inter se vicinos, non litigare 0. Dans un autre passage', il parle d'une procédure spéciale, celle de l'arbitrage, établie par les décemvirs en cas de contestation sur les limites de deux propriétés. Tous les éditeurs en ont conclu que tel était l'un des cas visés par les mots si jurgant 8 : la controversia de finibus donnait lieu à l'action de la loi per arbitri postulationeni 9. Il y a un second cas où la loi des Douze Tables avait établi un arbitrium legitimum pour une contestation entre voisins : lorsque le propriétaire d'un fonds rural a fait des travaux qui modifient d'une manière préjudiciable le cours naturel de l'eau qui s'écoule sur•un fonds inférieur. L'action portait le noua d'action aquae pluviae arcendae 10 L'arbitre invitait le défendeur à rétablir les lieux dans leur état antérieur, faute de quoi il le condamnait à payer une indemnité pour le dommage futur". Les autres arbitria legitima consacrés par les Douze Tables sont étrangers aux rapports entre voisins : c'est d'abord l'arbitrium lites aestimandae 12 qui a lieu en cas de falsa vindicia [vINDICIA], lorsque dans l'action de la loi par serment le sacramentum de l'une des parties a été déclaré injuste13 I.sACRA3IENTIIïrr]. Cette hypothèse rentre dans la notion du jurgium : il s'agit d'une difficulté qui divise deux personnes entre lesquelles l'état d'hostilité a pris fin. Ensuite la loi des Douze Tables mentionne un cas de dissensio inter propinques : c'est l'action en partage d'une hérédité (familiae erciscundae) qui, d'après Cicéron 1', donnait lieu à une arbitri postulatio 15 La distinction des jurgia et des lites telle qu'elle vient d'être précisée est aujourd'hui généralement acceptées Elle a cependant été présentée par un auteur sous un jour différent. On a soutenu que, dès le temps des actions de la loi, les jurgia étaient les procès pour lesquels le magistrat nommait un juge ou un arbitre en vertu de sa juridiction, tandis que les lites étaient les procès où l'on agissait en vertu de la loi. A côté du domaine de la legis actio, il y aurait eu celui de la jurisdicl io ; le premier comprendrait les matières réglées par la loi ou par la coutume; le second, les matières pour lesquelles le magistrat crée le droit, celles où il est l'organe vivant du droit (vira vox juris) 17. Cette manière de voir est restée isolée: elle est en opposition avec ce que l'on sait sur la procédure antique. L'action, à cette époque, naît exclusivement de la loi. On ne connaît aucun exemple de l'introduction d'une action proprement dite par le droit coutumier ou par la jurisprudence ia. Le droit coutumier, a fait observer R. von Ihering, n'est mentionné qu'une seule fois, à l'occasion de la pignons capio donnée aux soldats relativement à certains droits, et cette dérogation au principe parait d'autant moins importante qu'il ne s'agit pas là d'une action proprement dite, mais seulement de l'extension d'une legis actio extra-judiciaire déjà existante. On ne saurait donc admettre que les jurgia donnent lieu à une procédure différente de celle des actions de la loi, dépendant de la jurisdictio et non de la legis actio19. Aux derniers siècles de la République, lorsque la procédure formulaire commença à s'introduire, les contestations entre amis et voisins, en dehors des cas prévus par la loi, motivèrent parfois un arbitrium honorarium 20. Ce furent sans doute aussi des jurgia, bien qu'il n'y ait pas de texte qui signale ici l'emploi de cette expression. La distinction des jurgia et des lites n'a pas survécu à la suppression des actions de la loi. Sous le système de procédure par formules, tout procès donne lieu à un rapport obligatoire entreles parties : on a complètement renoncé au simulacre d'un combat manifestant l'état de guerre entre les plaideurs. Le mot jurgium s'est conservé cependant dans la langue du droit. On le trouve plusieurs fois dans les écrits de Papis Men. Au livre Il de ses Réponses, il l'emploie pour désigner un débat entre frères au sujet du partage de l'hérédité paternelle 21. Ce texte confirme l'assertion précédemment émise et d'après laquelle l'action familiae erciscundae JUR 715 JUR fut l'un des arbitria consacrés par la loi des Douze Tables. Ailleurs, Papinien se sert du mot jurgium pour exprimer un dissentiment entre époux, une brouille qui ne va pas jusqu'au divorce'. [ci le jurgium n'a pas pour résultat de conduire les parties devant le magistrat; le mariage n'est pas dissous comme en cas de divorce. De là une différence signalée par Papinien entre le jurgium et le divortium : si, pour se réconcilier avec sa femme, le mari promet de rendre la dot, la promesse est nulle2, car les donations sont prohibées entre époux. S'il y avait eu divorce, les conjoints réconciliés pourraient valablement modifier les conventions dotales faites lors du premier mariage, car dans l'intervalle ils ont recouvré la capacité de se faire des donations. Au Bas-Empire, le mot jurgium a perdu sa signification première. Dans la constitution de Valentinien et Valens sur les avocats de Rome, il a le sens général de procès '; dans une constitution de Justinien, il désigne un désaccord entre jurisconsultes sur une question de