JUTURNA. Divinité du Latium, dont le culte fut de bonne heure transféré à Rome; elle était préposée aux sources d'eau vive et son action sur la santé et sur la prospérité faisait interpréter son nom parle verbe juvare 1. Mais l'étymologie n'est pas seule à le rattacher à Diulurna ; une inscription sur un cratère archaïque lui donne en effet ce nom et Mommsen a prouvé que la vraie leçon des manuscrits de Cicéron et de Morus est non pas Juturna, mais Diuturna 2. Elle est donc une personnification de l'eau intarissable qui jaillit du sol ; Varron la mettait au nombre des nymphes et des dieux qu'il appelait proprii ou cuti' ; Virgile, qui lui a donné un rôle dans la conclusion de son Enéide, rappelle qu'elle préside aux sources et aux cours d'eau retentissants4. La légende latine en a fait l'épouse de Janus et la mère de Foutus e ; ses amours avec Jupiter sont d'invention récente et sentent l'hellénisme e.
Le culte de Juturna parait être originaire de Lavinium, le centre religieux des peuples latins ; là il était en rapport avec celui du fleuve Numicius, qui est lui-mème inséparable de la religion de Vesta et des PENATES '. Juturna y est le nom d'une source qui aboutissait au Numicius, source où toutes les peuplades de race latine venaient puiser pour les usages religieux; d'où la coutume à Rome même, dans les temps postérieurs, d'en employer l'eau pour les sacrifices offerts au nom de l'État tout entier 8. Les qualités de cette source furent par l'imagination transportées à la nymphe qui en resta la personnification : la source était frigida, cruda, seretla°, ce qui dans la légende aboutit à faire de Juturna une vierge sévère et digne, qui devient à son corps défendant l'amante de Jupiter et reçoit en échange, avec l'immortalité, l'empire des eaux vives. Comme elle a résisté au dieu, elle garde l'amitié de Junon et prend place dans la religion du couple divin célébré sur le mont Albain ; l'usage de boire de l'eau fraîche aux calendes de Juin, consacrées àJunon, rappellerait, selonElausen, cesrapports'0.
Les voyageurs archéologues ont cru retrouver la source Juturna dans le logo di Trullo qui, au voisinage du Numicius, s'écoule dans la mer par un ruisseau du même nom " ; mais il existe sur l'emplacement d'Albe, auprès du Monte-Savelli, un lago di Giuturna qui prouve pour sa part que la religion de Juturna émigra de Lavinium vers Albe, comme un des éléments essentiels de la nationalité latine 12. Plus tard elle fut transportée à Rome même, sous une forme analogue ; le nom de Juturna fut en effet donné à une source située au bas de la pente nord du Palatin, entre le temple des Castores et celui de
Vesta roumi, p. 1290]. La légende rapportait que les Dios cures, apportant la nouvelle de la victoire du lac Régine, y avaient fait boire leurs chevaux 13; delà, le nomdeJuturna passa au temple qu'éleva Lutatius Catulus, vers la fin de la première guerre punique 14, non loin des Scepta, sur le Champ de Mars, au point terminal de l'A qua Virgo, ainsi appelée sans doute à cause de la déesse qui prit l'aqueduc sous sa protection. Ce temple fut restauré l'an 2 ap. J.-C.; il était voisin de l'Aedes Nympharum, qui touchait ellemême à la Porta Pontinalis, redevable de son nom à Pontus, fils de Juturna et de Janus 15. La dédicace de ce temple concordait avec la fète annuelle en l'honneur de Juturna, célébrée le 1l ,janvier. Nardini a cru en retrouver l'emplacement dans l'église actuelle de S. Maria in Aquiro 16. l.'rontin nous apprend qu'à la tète de l'Aqua Virgo s'élevait une chapelle où la Vierge Juturna que l'auteur ne nomme pas) était représentée. montrant avec une baguette, à des soldats qui cherchaient à boire, une veine d'eau potable''.
La légende de Juturna, dont Ovide nous restitue la forme populaire'", ne pouvait manquer de se confondre avec celle d'1Jnée et des origines troyennes de Rome. Virgile fait de la Nymphe une soeur de Turnus 19, ce qui paraît reposer sur la ressemblance des noms ; la majesté presque tragique dont le poète l'a revêtue, tout en gardant les données de la fable locale, fait honneur à sa science autant qu'à son goût. Après Auguste, Juturna disparaît, ou peu s'en faut, de la littérature ; Stace seul, en souvenir de Virgile, fait de la source comme une représentation réduite de la patrie romaine 20. Dans le culte, Juturna survit, gràce à deux fêtes annuelles dont l'une nous est signalée par les auteurs sans figurer dans les calendriers, dont l'autre, garantie par les calendriers, est passée sous silence dans la littérature.
La première est à proprement parler la fête des Juturnalia, instituée, suivant toute vraisemblance, lors de la dédicace du temple élevé sur le Champ de Mars par Lutatius Catulus; elle tombait le 11 janvier et était célébrée surtout par le collège des Fontani, ouvriers employés à la construction et à l'entretien des aqueducs et des fontaines21. Klausen suppose que les aquilegi, ceux qui, à l'aide des procédés empruntés à la divination étrusque, découvraient les sources avant de les faire capter, y prenaient part 22 ; nous voyons pal. Ovide que la construction de l'Aqua Virgo par Agrippa en l'an 19 av. J.-C. eut pour effet de remettre cette fête en honneur. La seconde fête où Juturna a un rôle est celle des VoLCANALIA, célébrée le 23 août au cirque Flaminius 23 ; c'est encore au
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temple du Champ de Mars que la déesse avec les Nymphes recevait des honneurs spéciaux pour les secours qu'elle procurait en cas d'incendie; on y invoquait
le sanctuaire était contigu à celui de la source Juturna sur le forum. Une inscription nous apprend que cette fête fut remise en honneur par Domitien, sans doute en souvenir du grand incendie sous Néron 1 ; il n'est plus question de Juturna à partir de ce temps, sa personnalité se confondant avec le groupe des Nymphes [rom, JANUS,