Le Dictionnaire des Antiquités Grecques et Romaines de Daremberg et Saglio

KOTTABOS

ISOTTABOS (KorraGo;). Cottabe, jeu d'adresse en usage chez les Grecs; il consistait à lancer, après boire, quelques gouttes de liquide restées au fond de la coupe, de manière à atteindre, sans qu'il s'en perdit une seule, un but fixé par les convives. Le nom de xclTrczgoç servait à désigner non seulement le jeu lui-même, mais le but proposé au joueur' ; on l'appelait encore xoT roc eiov 2. Le liquide, quel qu'il fût, prenait le nom de ),l'r ou ),aTx r rl 3 ; jouer au cottabe se disait xoTTaKi riv4. Ce jeu, originaire de Sicile 6, s'introduisit en Grèce au commencement du vie siècle avant notre ère, et, après avoir joui d'une grande faveur 6, il passa complètement de' mode dans les premières années du III° 7; il a donc été pratiqué pendant plus de trois cents ans. Aussi, quoiqu'il soit facile à comprendre dans ses traits essentiels, certaines questions qui s'y rattachent prêtent encore à la discussion; les grammairiens et les scoliastes, qui en ont parlé à une époque où il était tombé en désuétude, ont certainement commis des méprises, et donné pour des réalités des hypothèses de leur invention. Le principal mérite de M. Boehm, qui s'est livré récemment sur ce sujet à une investigation critique, a été de distinguer d'une part les témoignages contemporains, de l'autre ceux qui datent de l'époque alexandrine ou de l'époque romaine '. 1° Il est probable qu'à l'origine le cottabe n'était pas autre chose qu'une forme de la libation; à l'exemple de ce qui se faisait dans les sacrifices, on jetait à terre une petite portion de son vin, lorsqu'on voulait honorer une personne amie ; c'était une manière de lui rendre hommage et de l'associer à ses plaisirs. Cette coutume, née dans la gaieté des festins, prit particulièrement un caractère érotique; le buveur dédiait cette sorte de libation à la personne dont il recherchait les faveurs 9 ; mais il ne visait aucun but. On ne saurait expliquer autrement que des convives, lançant le cottabe, tournent la tête du côté opposé, comme on le voit sur certaines peintures de vases. Ces représentations sont souvent accompagnées de légendes, dont la signification galante n'est pas douteuse. La figure 43041 reproduit une peinture de vase, signée du nom d'Euphronios, actuellement à Saint-Pétersbourg : une femme entièrement nue est étendue sur un lit de table; son nom, EE,.txpx, se lit dans le champ; avec l'index de la main gauche, levée en l'air, elle tient l'anse d'une coupe ; en même temps, elle tourne la tête en arrière, en adressant ces mots àun personnage absent: «Jelance celle ci en ton honneur, Léagros : Tl'i r vis )oaTxeru, Aiaypm 10 l I1 est certain que le eottabe primitif, conçu comme une simple libation, a subsisté à côté du jeu proprement dit jusqu'au moment où celui-ci est passé de mode". 2° Ce jeu lui-même pouvait d'abord se jouer d'une façon très simple : on choisissait comme but un vase quelconque, placé à une distance convenue : un mortier (OuEta), un plat O,Ea,fenl), une cuvette O)ouTiip, nous-P(acv), un bassin pour les bains de pieds (^`oizv17tTŸio) étaient aussi bien propres à cet usage; on posait le récipient à terre ou sur la table au milieu des convives et il devenait la cible des araymç. C'était là le xdTTaeioçiv XExâv-r112. Pour ajouter un peu à la difficulté et pour augmenter l'intérêt du jeu, le vase ayant été rempli d'eau, on mettait à la surface une ou plusieurs petites soucoupes de terre cuite (ô;uôatpa); alors il fallait viser ces pièces légères surnageant dans le plat et y lancer son vin assez adroitement pour les couler à fond; le prix était attribué à celui qui en avait coulé le plus (xdrTctGoç St' ô;uU?sni) 13. On voit souvent dans les peintures de vases des convives jouant au cottabe; étendus sur des lits, le bras gauche appuyé sur des coussins, ils tiennent en l'air avec la main droite des coupes de formes diverses; on peut supposer qu'ils en lancent le contenu dans le plat qui leur sert de but et que l'artiste n'a pas représenté, parce que cet ustensile, étant placé à une certaine distance sur le devant de la scène, est censé échapper aux regards du spectateur". 3° Il est plus délicat d'expliquer dans tous ses détails KOT 867 KOT le xdrragos xxraxrdç. Pour y jouer, il fallait avoir à sa disposition une longue verge ou tige de métal, dressée verticalement comme un fût de candélabre, et terminée par une pointe mince : c'était la Fâ6ôo; xorra 6ix-h ; sur lapointe était posé dans un équilibre instable un petit pla lait que le joueur ln culbutât en y lançant le résidu de sa coupe 1. Voilà le jeu réduit à ses éléments essentiels. Pour le bien comprendre, il faut commencer par écarter, comme l'a fait M. Boehm, les témoignages de basse époque, qui ne reposent que sur des confusions de mots ou sur des textes interprétés à contresens 2. Ce sont encore les monuments figurés, et notamment les vases peints, qui nous fournissent les indices les plus sûrs; la Fxûâoç xorraGtxrl y est souvent représentée; c'est, suivant une comparaison qui remonte à l'antiquité même, une sorte de candélabre (),uzv(ov), ayant au moins la batteur d'un homme. La figure 4305 3 montre cet objet placé entre les lits sur lesquels les joueurs sont couchés. L'attitude et les joues gonflées de l'un d'eux sembleraient s'accorder avec le texte, rejeté par M. Boehm, des scholiastes : selon eux, on remplissait quelquefois sa bouche d'eau ou de vin pour en diriger un jet sur le petit plateau (aadarty;); dans la figure 43061, on voit une bacchante poser sur la pointe de la ézgSo le petit plateau qui servira de cible aux joueurs ; deux satyres la regardent; tous deux ont l'index de la main droite passé dans l'anse d'une coupe, avec laquelle ils vont lancer le cottabe. La rzgôo;, à en juger par les monuments, semble s'être composée ordinairement de deux parties : la base, plus épaisse, affectant parfois la forme d'un trépied, et le fût, qui s'engageait dans la base, et que l'on pouvait monter ou baisser à volonté, suivant le besoin, d'où son nom de xaraxrd; Au point oit le fût entre dans la base apparaît un plateau circulaire, beaucoup plus large que la 7r)tZQrty; du sommet; il devait être percé d'un trou au milieu, de façon à livrer passage au fût, comme la bobèche d'un flambeau; on distingue très nettement cet objet dans notre figure 1303. La question est de savoir comment il se nommait et à quoi il servait. Cette question a été renouvelée, il y a quelques années, par la découverte d'un appareil en bronze, de fabrication étrusque, dans lequel on a cru pouvoir reconnaître un exemplaire authentique de la rxgiôo; xorraG,tx•él ; l'attention des savants a été alors ramenée sur d'autres appareils semblables, conservés depuis plus longtemps dans les musées et qu'on avait pris pour des candélabres. La série actuellement connue comprend sept numéros, sans compter quelques fragments détachés qui peuvent s'y rapporter; la plupart de ces monuments proviennent des environs de Pérouse 6. L'appareil reproduit dans la figure 4307 se compose d'une tige de bronze, mesurant 1°1,75 de haut; à l'extrémité supérieure est fixée une figurine représentant un homme nu, dont le corps pose tout entier sur la jambe gauche; la droite est levée en l'air par un geste violent, comme s'il dansait ou s'il cherchait à garder son équilibre compromis; la main droite, également levée en l'air, tient un objet indistinct de forme conique. Vers le tiers de la hauteur de la tige, on voit IiOT 868 KOT un disque de Om,223 de diamètre, tout à fait semblable à cette sorte de bobèche que nous avons signalée dans les cottabes des vases peints ; ce disque joue librement autour de la tige; il est arrêté en dessous par un bourrelet fixe. Dans la même fouille, on a exhumé, à côté de l'appareil, un disque plus petit (Om,093 de diamètre); on y a reconnu généralement la 7r), ,rty;, qui, posée sur la main droite de la figurine, devait servir de cible aux joueurs'. Jusqu'ici nous avons évité à dessein de parler d'une troisième pièce mentionnée par les auteurs anciens à côté de la px6ôos et de la :uazcrtyÿ : c'est le !J.-ri;2. Tout est resté longtemps mystérieux dans les témoignages qui le concernent. Manès, chez les Grecs, était un nom propre souvent porté par des esclaves. Les anciens nous disent que dans le jeu du cottabe le disque, culbuté par le vin du joueur, devait tomber sur le v.v ;ç, de telle façon que le choc produisit un son retentissant, qui était considéré comme le signe d'un coup heureux ; les modernes en ont conclu que le ;,Axvr,; devait être une ligure d'esclave 3, placée au-dessous du disque, et cette opinion a paru confirmée par les cottabes en bronze trouvés en Étrurie; dans notre figure 11307, le personnage qui se dresse au sommet de la tige ne serait autre que le g.ivr,ç. M. Boehm a opposé à ses devanciers des objections très fortes : quand le disque était culbuté, il pouvait arriver bien souvent que dans sa chute il ne touchât pas du tout la figurine ; le coup en était-il moins heureux? Si même il la touchait en passant, il est douteux que le choc produisît un son facile à percevoir. Enfin, si cette figurine était une partie essentielle de l'appareil, pourquoi n'est-elle pas représentée sur les cottabes des vases peints? Il est probable qu'elle n'est ici, comme on l'observe aussi sur des candélabres, qu'un pur ornement. Mais alors quelle est, dans le cottabe, la pièce appelée par les anciens tl.vr,ç? C'est, répond M. Boehm, le disque inférieur, ce que nous avons appelé par comparaison la bobèche; en effet, plusieurs textes an Fig. 4307. ciens dèfinissent le (IZv ç « une sorte de coupe»'; cet ustensile (levait servir à des usages très variés dansla vie domestique : percé d'un trou et enfilé sur la tige du cottabe sans y être fixé, il (levait rendre un son clair quand la 7i),ic-riy,;venait le frapper en tombant. Pour lancer le vin sur le cottabe avec chance de succès, il fallait se conformer à certains principes enseignés par l'expérience; le bon joueur ne faisait pas un effort violent du bras tout entier, il donnait simplement une légère secousse du poignet (lui' yxu),riç), en repliant la main en dedans (auvrn-pa(itlt,wr 'ii) -/Etpl)5. Et même, comme le dit Athénée, il ne suffisait pas, dans ce jeu de société, de toucher le but; il fallait encore s'y prendre avec grâce; le bon ton exigeait que l'on unît dans ses gestes la souplesse à la précision ; c'était par là surtout qu'on excitait l'admiration des connaisseurs. Le coude gauche appuyé sur un coussin, le convive, couché près de la table, se soulevait à demi, et il saisissait légèrement une des anses de sa coupe avec l'index de la main droite, en arrondissant les autres doigts « à la manière des joueurs de flûte » (aûariTtxùç) 6. Dans cette attitude, il pouvait espérer lancer son vin « moelleusement » (i'7), de manière à se faire applaudir 7. Le cottabe se jouait généralement après le repas; à l'époque de sa plus grande vogue, il formait l'accompagnement à peu près obligatoire des festins qui réunissaient la société légère ; au moment où commençait la partie, il arrivait souvent que les têtes étaient déjà fort échauffées; les joueurs n'avaient pas toujours le sangfroid nécessaire pour bien viser et pour toucher juste, ce qui devait mettre le comble à la gaieté de l'assistance. Aussi le cottabe est-il devenu un des symboles de l'ivresse 8, et c'est ce qui explique qu'il soit représenté sur un assez grand nombre de monuments relatifs au culte de Dionysos'. Des réunions privées, ce jeu passa dans les lieux publics, que fréquentaient les oisifs, par exemple dans les établissements de bains10 A l'origine, comme on l'a vu, le cottabe dut être une libation qu'on dédiait volontiers à une personne aimée; par suite, il prit de bonne heure un sens érotique" Lorsqu'il fut devenu aussi un jeu, on imagina d'en tirer des présages sur des aventures galantes : suivant que le joueur gagnait ou perdait la partie, il se croyait destiné à réussir ou à échouer auprès de l'objet aimé 12. On proposait comme prix (zo-crI(l ov) des oeufs, des pommes, des gâteaux de farine (?cu(irtu.oû;) ou de sésame (cr,exu.s ), des friandises de toute espèce, des objets de toilette, tels que des sandales (xprehç), un collier (4p.nç), des bandelettes (:atv(at), on bien encore une coupe (xdtiu),oç), un ballon (atpapa), etc.13, à moins qu'on ne préférât à tout cela un baiser''. On devine aisément la faveur dont ce jeu devait jouir dans les réunions joyeuses auxquelles assistaient les courtisanes. Aussi le cottabe n'avait-il pas moins de rapport avec Aphrodite qu'avec Dionysos; le myrte, attribut de cette déesse, était la décoration ordinaire des lieux où s'assemblaient les joueurs, et même KRI 869 IiRI des accessoires qui leur servaient de but '. On alla jusqu'à construire tout exprès pour leur usage des salles circulaires, où, placés en rond autour du but, ils se trouvaient dans des conditions d'égalité parfaite2. En 1867, O. Jahn a décrit une quarantaine de monuments antiques relatifs au cottabe; on en tonnait aujourd'hui plus de cent. Ce sont en très grande majorité des vases peints, qui datent du Ire et du ive siècle avant notre IioTYLÈ, IiOTYLISIZOS [coTYLA].