Le Dictionnaire des Antiquités Grecques et Romaines de Daremberg et Saglio

LABYRINTHUS

LABYRINTHES (Aaàéaavlcç). Un pharaon de la Xllc dynastie, Amenemhat III, avait fait élever à l'est du lac Moeris une immense construction qui était à la fois son palais et son tombeau : après sa mort, il fut enseveli au centre des bâtiments sous une pyramide de briques revêtue de pierres sculptées. Les édifices et les voies qui s'enchevêtraient autour de ce centre, où l'on voyait, outre le tombeau du roi, douze grandes salles hypostyles, formaient un dédale inextricable pour quiconque s'y aventurait sans guide : c'étaient des milliers de petites chambres, toutes carrées, toutes recouvertes d'un seul bloc de pierre, reliées les unes aux autres par des couloirs étroits, les unes souterraines, les autres au-dessus du sol. Le tout formait comme une cité à part, tin massif quadrangulaire d'environ deux cents mètres de ong sur cent soixante-dix de large; la façade sur le Moeris était tout entière d'un calcaire blanc comme le Marbres. L'aspect en était grandiose et original. Il frappa d'étonnement et d'admiration Hérodote qui écrivit : « Si l'on rassemblait tous les édifices et toutes les constructions des Grecs, on les trouverait inférieurs comme travail et comme dépense à ce Labyrinthe 2. » Il estima même que ce monument surpassait en beauté les Pyramides. On lui fit visiter les chambres supérieures, toutes ornées d'un grand nombre de sculptures ; dans les chambres souterraines, qu'on ne montrait pas, étaient enfermés, disait-on, les sarcophages et des crocodiles sacrés des rois fondateurs du Labyrinthe. Une mission allemande croit avoir retrouvé, de nos jours, ce majestueux édifice'. Bien que cette découverte ait été contestée elle parait définitivement démontrée par de récents travaux C'est sur cette donnée purement égyptienne que les Grecs ont, à leur tour, édifié le légendaire Labyrinthe de Crète, qui, d'après Pline n'aurait été que la centième partie du labyrinthe égyptien, et qui pourtant finit par éclipser dans la mémoire des hommes le seul et véritable prototype. Construit par Dédale, sur l'ordre de Minos [DAEDALUS], près de la ville de Cnossos, ce labyrinthe, perdu dans les profondeurs de la terre, aurait servi de repaire au Minotaure qui se nourrissait de chair humaine; on sait après quelle série d'aventures le grand héros attique, Thésée, conduit à travers les détours du chemin par le fil d'Ariane, parvint jusqu'au monstre et le tua [MIN oTAURUS, THESEUS]. 0n dit que pour fêter cette heureuse délivrance, il institua avec les jeunes gens etles jeunes filles sauvés par lui une danse qui resta rituelle à Délos [GÉRANos], et qui reproduisait dans ses mouvements de farandole les crochets multiples des sentiers du Labyrinthe' La filiation avec l'édifice égyptien est certaine : le mot grec lui-même est dérivé d'une racine égyptienne, désignant le Temple de Rabonnit'. Non seulement le plagiat est flagrant, mais on a même pu se demander si le labyrinthe de Crète a existé autrement que dans l'imagination des Grecs. Les études les plus récentes aboutissent sur ce point à une conclusion négative 9 : même ceux qui cherchent à pallier le mensonge poétique des anciens, reconnaissent que le labyrinthe crétois pourrait tout au plus être représenté par une grotte profonde, remplie de cavités et de couloirs tortueux, creusée dans les flancs d'une montagne, aux environs de Gortyne (et non de Cnossos qui est spécifié par la majorité des auteurs anciens), ayant servi autrefois de carrière d'où l'on extrayait des pierrest0. Peut-être ces « latomies », comme celles de Syracuse, avaient-elles, en quelque occasion, renfermé des prisonniers de guerre qui y seraient morts de faim, et cette circonstance aurait donné naissance au mythe des jeunes gens livrés en proie au monstrueux habitant de cette caverne. Mais on fait remarquer 11 que ni Homère, ni Hésiode, ni Hérodote ne parlent du labyrinthe crétois. Hérodote surtout devrait y faire au moins une allusion, en décrivant si attentivement celui d'Égypte. Les auteurs grecs d'époque romaine qui le mentionnent, comme Diodore 1V, Apollodore ", Plutarque 1«, donnent d'ailleurs à leur récit un caractère de mythe attique, et non pas proprement crétois. Diodore u dit bien qu'il en subsistait encore des restes de son temps ; ruais ce texte même a été contesté et corrigé, de telle sorte que certains historiens en tirent l'assertion tout opposée" tr-.2\1' ItÀ13 883 LAC La réalité historique du plus célèbre des Labyrinthes reste donc tout à fait douteuse. Mais la légende n'en est pas moins ancienne et elle a dü prendre naissance assez tôt en Grèce, Preller a eu tort de croire que l'on doit seulement à. des mythographes de l'époque romaine l'idée d'associer l'histoire du Minotaure au mythe du Labyrinthe'. Nous ne pouvons pas douter aujourd'hui que les Grecs n'aient les premiers et de bonne heure combiné ces deux éléments de la fable crétoise. Un très ancien vase attique, datant au moins du début du vie siècle, montre, derrière Thésée en lutte avec le Minotaure, Ariane, tenant dans ses mains le peloton de fil qui a guidé le héros à travers les détours de sa route ténébreuse 2. Sur une autre peinture céramique, du ve siècle, on voit Thésée traînant le corps du monstre expirant en dehors d'un édifice figuré par un portique auquel est accolée une bande d'ornements en forme de méandre compliqué (fig. 4315) qui, par un symbole ingénieux, rappelle la structure intérieure du Labyrinthe'. Le même ornement apparaît sur des monnaies autonomes de Cnossos ayant au droit le Minotaure 4. Sur d'autres monnaies (fig. A316), le labyrinthe est représenté seul 3: les formes en sont variées'. Signalons encore, parmi les monuments de ]'époqua ancienne, une curieuse peinture de vase étrusque oit, dans une scène encore mal expliquée, apparaît un des-lin de labyrinthe A. l'époque romaine, les monuments sont plus nom breux encore : graffite de Pompéi avec l'inscription : habitatlllillotaztl'us (hg. 44317)8, mosaïque de Brindisi ", mosaïque dePribourgenSuisse10,mosaïque dePompéi 1, pierres gravées, etc.t2. Les témoignages des auteurs deviennent aussi plus précis et plus abondants, à mesure que tous les détails de la légende sont mieux fixés dans l'imagination populaire ". Outre le Labyrinthe de Crète, les auteurs mentionnent ailleurs des constructions du même genre. On cite en particulier celui de Lemnos (de Samos suivant d'autres), qui aurait été construit par les célèbres artistes Ithoekos et Théodoros" On en signale d'autres en Grèce, e Nauplie, en Sicile, en Italie". Il semble que, dans la réalité, aucun de ces prétendus labyrinthes n'aient eu plus de droit que celui de Crète à prendre place dan; l'histoire. Pline donne aussi le même nom au tombeau de Porsenna'', construit à Clusium d'Etrurie, à cause de la multiplicité des cachettes et des détours aménagés dans l'intérieur du tumulus pour dépister les recherches. Mais c'est, dans ce sens, un simple abus de mot et une métaphore semblable à celle qui a passé dans le langage moderne ". E. POTTIER.