LAC. l'x)sa, lait. L'usage du lait et de ses produits [BUTSRL'M, CASEL'sj remonte vraisemblablement aux plus anciens âges de l'humanité. Au témoignage des auteurs anciens, le lait constitue l'un des principaux éléments de la nourriture des peuples primitifs oudontle mode d'existence se rapproche de celui de ces peuples. Polyphème, chez IIomère ', est un pasteur, et s'il ne dédaigne pas le vin, le lait est la boisson dont il accompagne ordinairement ses repas, sanglants ou non. Son antre est une véritable laiterie, pleine de pots, de seaux, etc. Il emploie
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surtout le lait des chèvres et celui des brebis. Au temps de Théocrite, la nourriture des pâtres siciliens, anthropophagie à part, est la même 1, Dans le monde grec homérique, maitres et pasteurs se nourrissent également de lait de brebis 2. Il en est de même en d'autres régions. Les Suèves, d'après César, vivent surtout de lait et de petit bétail 3. Partout le lait de la brebis et celui de la chèvre paraissent plus communément en usage que le lait de vache. On ne dédaignait pas celui de plusieurs autres animaux. On tirait parti du lait d'ânesse, surtout en médecine, comme il sera dit plus loin. Le lait de jument est le plus substantiel de tous, au dire de Varron 4. Le même écrivain se contredit du reste ailleurs lorsqu'il place en première ligne le lait de brebis, puis celui de chèvre 5. Il se rencontre presque ici avec la science moderne qui donne le premier rang au lait de chèvre et le second au lait de brebis, le lait de la vache ne venant qu'en troisième lieu, puis ceux de la femme, de l'ânesse et de la jument
En Thrace, les llippêmolgues consommaient le lait de leurs cavales '. Plus tard, dans les mêmes contrées, on voit encore les Gélons boire du lait mêlé de sang de cheval 8. Le lait de truie était employé en médecine 9, mais l'usage habituel de cet aliment passait pour communiquer une sorte de lèpre 10. A Rome, le lait de chamelle, mêlé de trois parties d'eau, passait pour une boisson très agréable 11. Le lait d'ânesse, en raison de son épaisseur, servait parfois en guise de présure pour faire cailler les autres laits 12. En Italie, alors que les raffinements de la bonne chère faisaient sans doute dédaigner aux riches le lait dans son état naturel, au moins comme aliment habituel, il reste au contraire, avec le fromage, la principale ressource des paysans n. Toute maison rustique ayant de l'aisance en était pourvue abondamment, comme de miel et de quelques autres denrées 1#. Il importe de marquer ici qu'il est beaucoup plus fréquemment question dans les auteurs anciens de lait de chèvre et de brebis que de lait de vache. Ceux qui ont écrit sur l'agronomie traitent presque toujours du gros bétail au point de vue du labourage et de la reproduction. Il est vrai qu'ils ne parlent pas non plus de l'engraissement en vue de la boucherie, d'où il serait absurde de conclure que les anciens ne mangeaient pointla chair du bœuf et delavache.
Nous savons qu'en Italie on considérait comme les meilleures laitières les vaches des Alpes que les habitants appelaient cerne 1°. Notons qu'ici encore on les considère surtout comme nourrices, car non seulement on leur faisait nourrir leurs veaux, mais on leur en amenait qu'elles n'avaient pas portés. Virgile recommande que le lait des vaches soit de préférence réservé aux veaux et ne remplisse pas la laiterie, « comme chez nos pères », ajoute-t-il, ce qui indique à la fois l'usage et la restriction 16. Comme laitière, en raison de l'abondance de sa production, il préfère la chèvre à la brebis l'. L'édit de Dioclétien, de son côté, nementionne que le lait de brebis. On voit, d'après ce qui précède, qu'il n'y a pas lieu d'en inférer, avec M. Waddington, un argument en faveur de la destination particulière de cet édit aux provinces orientales de l'Empire 18.
Les agronomes latins donnent des instructions détaillées sur la production du lait et les conditions nécessaires pour en obtenir d'une bonne qualité. Cette qualité, dit Varron, dépend de trois conditions : la nourriture donnée aux animaux ; l'orge, la paille, et en général, tout fourrage sec, pourvu qu'il soit substantiel, donne du lait nourrissant ; ensuite il importe que le bétail soit sain et bien portant ; enfin l'époque où l'on trait n'est pas indifférente. Le meilleur est le premier tiré du pis, et quand il y a déjà quelque temps que la bête a mis bas. Celui que l'on a trait avant ce moment, appelé colostra, est mis à part. C'était à Rome un objet de friandise 19. On recommandait aussi de garder pour faire le fromage le lait tiré le matin ou vers midi, tandis que le lait tiré le soir était dès le point du jour porté à la ville dans des pots d'airain 20 D'après l'Édit de Dioclétien, le lait se vendait, ainsi que le fromage frais, dans les mêmes marchés que les fruits et les légumes 21, tandis que le fromage salé était débité au marché des salaisons 22. Le prix de ce lait nous parait fort élevé, car il est fixé à huit deniers le sextarius italique, ce qui équivaudrait à 49 centimes les 54 centilitres 23. Mais les savants sont loin d'être d'accord sur la valeur du denier au temps de Dioclétien 24. Encore suivons-nous l'évaluation la moins élevée, qui est ici à coup sûr la moins invraisemblable.
Une certaine partie du lait recueilli revenait au propriétaire. Cela est vrai au moins pour l'époque où vivait Caton. Dans le contrat de louage d'un troupeau de brebis, on insérait cette clause que la moitié du lait tiré les jours de fête, avec une urne en plus, lui appartiendrait 23.
Le lait n'était pas seulement, consommé pur. Les Grecs le trouvaient plus doux quand de la farine y était mêlée 2'. A Rome, les gourmets le faisaient bouillir avec des cailloux de mer 27. On conservait le lait par divers moyens. Virgile recommande de faire deux parts du lait recueilli. L'une sera utilisée immédiatement, l'autre sera salée pour l'hiver 28. Il est difficile de croire que le procédé fût aussi sommaire qu'il l'indique. On appelait oxygala une autre préparation. Selon Pline, l'oxygala était simplement la partie caillée du lait à laquelle on ajoutait un peu de sel, ou encore un peu de lait aigre qu'on ajoutait au lait récent pour le faire aigrir. Le lait ainsi aigri passait pour fortifier l'estomac 29. Columelle donne de l'oxygala une recette infiniment plus compliquée. Dans un vase de terre propre, on verse du lait de brebis très frais dans lequel on fait nager de petits bouquets de menthe, d'oignons, d'origan, de coriandre. Cinq jours après, on vide le petit-lait, puis, au bout de trois jours, on jette les bottes d'assaisonnement. On ajoute un peu de thym et d'origan secs, puis on mêle des poireaux, suivant telle quantité que l'on juge à propos. On les hache, on mêle le lait avec soin et après trois jours on vide encore le petitlait. Puis on sale, et on bouche le pot pour ne l'ouvrir que lorsqu'on veut y puiser 30. La recette varie d'ailleurs en ses détails suivant le goût de chacun. Galien mentionne d'autres laitages analogues : l'â 6yiÀa, sur lequel on n'a pas d'autres renseignements ; la melca, qui était un breuvage composé d'une manière analogue à l'oxygala.
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On le donnait comme fortifiant et c'était en été un rafraichissement apprécié. On pouvait le servir glacé '. On mêlait aussi le lait avec de la farine, du miel et des fruits pour faire une sorte d'entremets appelé lactarium opus. Le pâtissier qui confectionnait ce mets était dit lactarius 2.
En certains cas, le lait était donné comme aliment à des animaux. Les chiens de bergers buvaient du petitlait où l'on avait fait tremper de la farine d'orge Si leur mère venait à manquer de lait, on nourrissait les
petits chiens avec du lait de chèvre Oppien recommande que les jeunes chiens de chasse ne sucent jamais le lait d'une chèvre ou d'une brebis, même d'une chienne domestique, ce qui leur ôterait tout courage. Il vaut mieux les nourrir avec le lait d'une biche, ou d'une louve, ou d'une lionne apprivoisée' ! Xénophon est d'un avis contraire. Les jeunes chiens doivent être, selon lui, laissés à leur mère, qu'aucun autre animal ne saurait
remplacer avec avantage Mêlé avec de la farine de millet grillé, on l'administrait aux vaches qui n'avaient pas assez de lait, pour leur en faire produire davantage. Ici encore, l'auteur qui préconise ce moyen se place au point de vue de la nourriture du veau 7.
Les anciens connaissaient la composition du lait s. Les propriétés curatives de cette substance n'avaient pas échappé à leur attention. Tous ceux qui ont écrit sur la médecine, Dioscoride, Ilippocrate, Arétée, Galien, Coelius Amelianus, Alexandre de Tralles, Amatus Lusitanus, etc., ont traité, avec plus ou moins de détails, des effets du lait dans les maladies 9. On faisait chaque jour, avant le repas, boire du lait d'ânesse aux enfants qui avaient besoin d'un fortifiant 10. Les Grecs employaient le lait, pris en grande quantité, comme purgatif. Le lait de cavale passait pour le plus efficace ; puis venaient les laits d'ânesse, de vache et de chèvre ". On en usait sous forme de breuvage, de clystères12, d'injection dans la matrice 13, de gargarismes, chauds ou tièdes, dans les maux de gorge inflammatoires, et en ce cas le lait de chèvre bouilli avec des mauves et une pincée de sel était préféré 1*. On endormait les enfants avec du lait tiède mêlé de suc de pavot'. Dans les maux de dents, on bassinait les gencives avec du lait S6. D'une manière générale, le lait était très employé en breuvage pour toute sorte d'ulcération, contre la phtisie, la consomption, la goutte, etc. f7. Au contraire, on le déconseillait dans les affections telles que les maux de tête, du foie, de la rate, dans les fièvres aiguës, etc., à moins qu'on ne voulût purger le malade 18. On l'administrait tantôt pur, tantôt coupé d'eau'", ou d'eau et de vin L0, mêlé de farine21, d'un vin astringent 29, d'hydromel 23, etc.
Les Grecs et les Romains pratiquaient de véritables cures de lait. Dans les cas de lèpre, de paralysie, d'épilepsie, d'hypocondrie, etc., on faisait prendre au malade un breuvage appelé schiston. On l'obtenait en faisant bouillir du lait de chèvre que l'on agitait avec des branches de figuier fraîchement cueillies. On y ajoutait
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un cyathe de vin miellé par hémine de lait. Puis, quand le sérum était isolé par refroidissement, on faisait cuire le liquide jusqu'à réduction d'un tiers. On en buvait chaque jour et, après avoir bu, il était recommandé de prendre de l'exercice 2,.. C'est, on le voit, un traitement suivi. On faisait aussi des cures de lait de jument. Chaque matin, pendant quarante ou quarante-cinq jours, on en buvait trois tasses 2". D'autres fois, on suivait le même régime avec du lait provenant d'une vache noire 20, sans doute parce que l'animal de ce poil passait pour plus vigoureux. Ce traitement s'appliquait spécialement aux phtisiques. Dans certains cas, on avait recours au lait de femme 97. Les Romains faisaient des cures du lait provenant des excellents pâturages du Lactarius Mons, près de Stabies, en Campanie26. Enfin le lait était reconnu comme l'antidote des empoisonnements par la ciguë, la colchique, et autres plantes vénéneuses. On se servait avec succès du lait d'ânesse dans les cas d'empoisonnement par la céruse, le soufre, le vifargent, etc. 29. Il semble que le lait soit entré aussi dans la composition de certains philtres. C'est ainsi qu'aux fètes de la Fortune virile, les femmes absorbaient un breuvage fait de lait, de suc de pavots broyés et de miel 30.
On sait combien les femmes romaines usaient et abusaient des fards et cosmétiques de toutes sortes. Il n'est donc pas surprenant qu'elles se soient avisées des ressources spéciales que leur offrait le lait. Certaines femmes, au dire de Pline, se frottaient le visage de lait d'ânesse sept cents fois par jour, pour effacer ou prévenir les rides, et, afin que l'on ne traite pas de fantaisiste un nombre si prodigieux, il a soin d'ajouter qu'elles l'observaient scrupuleusement31. D'autres s'en baignaient complètement, et Poppée, femme de Néron, tramait partout à sa suite un troupeau de cinq cents ânesses nourrices, dans le lait desquelles elle plongeait tout son corps, croyant donner ainsi à sa peau plus de souplesse 32.
Le lait était souvent employé dans les sacrifices. C'est d'abord, avec d'autres petits présents du méme genre, le don le plus ordinaire des pauvres gens et des paysans, parce que l'offrande d'autres victimes eût dépassé leurs ressources 33. Les anciens Romains en offraient à Silvain, en même temps qu'ils sacrifiaient un porc à la Terre 3'°. Dans l'Énéide, on voit le héros et ses compagnons offrir deux libations devin, deux de lait, et deux de sang, suivant le rite, écrit Virgile, sur le tombeau d'Anchise u. Ils répandent de même sur la tombe de Polydore du lait et du sang 36. Théocrite nous montre un berger offrant du lait aux Nymphes, un autre à Pan ° i.
Ailleurs Cérès, au printemps 9", Phébus 19, reçoivent le même hommage. A Rome, à la fête des PALII.1A, après avoir offert en sacrifices expiatoires à Palès, entre autres aliments, du lait qu'on venait de traire et tiède encore, les paysans buvaient du lait, puis du vin, dans un vase en bois 4°. Enfin, près du figuier Ruminai, on faisait è la déesse Rumina, pour les enfants en bas âge, des sacri
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(lices 0e le lait tenait la place du vin'. A Athènes, une fête de la grande déesse tirait son nom, ya)cà ;a, de ce qu'on y mangeait la gala,xia, c'est-à-dire une bouillie d'orge et de lait Parmi ces prodiges que les anciens relevaient avec une curiosité superstitieuse, on signale des pluies de lait'.
Des seactarü de lait et d'autres denrées étaient, dans la Morne primitive, donnés en récompense aux soldats
Il existait à Rome, dans le forum Olitorium, qui était le marché aux légumes. une colonne appelée colanina tact-aria', devant laquelle on amenait les enfants qui devaient être nourris avec du lait (farte alendos). Faut-il, avec le commentateur de Festus, interpréter cette dénomination en ce sens qu'on y exposait, pour les abandonner, les enfants en bas àge? Le détail fourni par l'Édit de Dioclétien, à savoir que le lait, confondu dans le texte de l'Édit parmi les fruits et les légumes, se vendait au même marché, et d'autre part le fait que nous avons signalé des cures de lait ordonnées aux enfants débiles, nous conduisent plutôt à croire que les enfants Jacte alendos étaient amenés là pour boire le lait tout frais arrivé de la campagne. ANDRÉ BAUDa1LLAaT.