Le Dictionnaire des Antiquités Grecques et Romaines de Daremberg et Saglio

LATERES

LATERES. Les Romains donnaient le nom de lateres aux lingots de métal précieux non monnayé, qui avaient généralement la forme de briques ou de tuiles et qu'on conservait soit dans f'aerarium de l'État, soit dans les trésors des temples, soit enfin dans la réserve des hôtels monétaires. C'est le sens que Varron applique à ce mot, quand il dit : lateres argentei atque aurei primum ronflati raque in aerarium conditi 1. Pline dit que Jules César, lors de sa première entrée dans Rome, pendant la guerre civile qui porte son nom, tira du trésor public quinze mille livres en tuiles d'or et trente-cinq mille en tuiles d'argent (ex aerario protulit laterum aureorum XV M., argenteorum XXXV) 2. Avant l'invention de la monnaie, dans toutes les civilisations, l'usage des lingots métalliques ou lateres est le mode de paiement qu'on trouve le plus répandu dans les opérations commerciales ; on pèse les lingots, ou bien l'autorité publique les fait tailler d'un poids déterminé qu'ellgarantit par l'apposition de son estampille sur les lingots eux-mêmes. Dans l'Égypte pharaonique, où la monnaie fut toujours inconnue, les métaux précieux, l'or, l'electrum, l'argent étaient échangés souvent en lingots ayant la forme de briques, de barres ou de plaques, obtenues par la fusion ou un travail de métallurgie. Des bas-reliefs et des peintures de l'ancienne Égypte nous montrent les marchands occupés au pesage de ces lingots à l'aide de la balance 3. Il en était de même en Chaldée et en Assyrie ; le Musée du Louvre possède des tablettes d'or, d'argent, de cuivre, de plomb et d'antimoine couvertes d'inscriptions cunéiformes, qui avaient été déposées, à titre d'offrandes religieuses, dans les fondations du palais de Khorsabad : elles sont, pour nous, des spécimens des lingots échangés dans le commerce pour les paiements, ou apportés comme redevances par les peuples tributaires du roi d'Assyrie'. Dans le livre de Josué, il est parlé d'une langue d'or pesant h0 sicles t nous pourrions multiplier les exemples de lingots de métal précieux ayant la forme de barres, de tuiles, de plaques plus ou moins épaisses qui se transmettaient en paiement, dans les anciennes civilisations de l'Orient classique. Aujourd'hui encore, chez les peuples de l'Extrême-Orient, en Chine notamment, des plaques et des tuiles métalliques remplacent la monnaie, et l'on peut voir au Musée de l'Hôtel des Monnaies, à Paris, d'énormes briques rectangulaires d'or et d'argent, estampillées au nom de divers souverains de l'Annam, qui furent trouvées au palais de llué lors de la prise de cette ville par les Francais en 1886 Chez les Grecs de la civilisation homérique et mycénienne, l'usage des lingots comme instrument le plus ordinaire des échanges est non moins bien constaté que pour l'Orient. Schliemann a recueilli, dans le grand trésor d'Hissarlilo, des lingots d'argent en forme de lames, qui ne peuvent guère avoir été appropriés à autre chose qu'à l'usage monétaire; il y avait aussi dans le même trésor des lingots d'or etd'electrum, parfois unis, parfois percés de trous ou ornés de dents régulières qui servaient peut-être à apprécier la valeur de ces lingots sans qu'on eût nécessairement recours à la balancez. Après l'invention de la monnaie au vue siècle, les lingots affinés, préparés pour la frappe monétaire et gardés en réserve dans les ateliers pour être monnayés au fur et à mesure des besoins, continuèrent à recevoir la forme de lingots allongés, ou de briques. Ilérodote raconte que le roi de Perse faisait fondre les métaux provenant du tribut ou des impôts ; il les gardait dans son trésor à l'état de lingots, et a lorsqu'il a besoin d'argent, il fait frapper la somme qui lui est nécessaire » 8. Polybe appelle ces briques d'or et d'argent, rc1,:vo7 ~çueai xat a.oyuoaï °..Dans les inventaires du trésor du temple d'Apollon, à Délos, les lingots d'or et d'argent provenant de la fonte de débris d'offrandes, de couronnes brisées, d'ustensiles hors d'usage, reçoivent le nom de y6u.atra. L'inventaire d'Hypsoclès enregistre quinze yt.ip.ara d'or pesant ensemble 1600 drachmes, et vingtdeux z6N.a-ra d'argent 10. Parmi les offrandes en métal précieux faites au sanctuaire de Delphes par le roi de Lydie Gygès, il y avait des briques d'or et d'argent qu'on appela des Gygéades (yuyé..ôat) du nom du donateur" : on a cru à tort que les Gygéades étaient de véritables monnaies12. Crésus, qui pourtant avait déjà sa monnaie, envoya aussi des briques de métal précieux à. la Pythie delphique : « Sur l'ordre de Crésus, dit Hérodote, on fondit une immense quantité d'or, dont on fit au marteau des demi-briques d'une palme d'épaisseur, longues, les plus grandes de six palmes, les moindres de trois ; il s'en trouva cent, dont quarante d'or pur, chacune du poids d'un talent et demi, les autres LAT 955 LAT d'or blanc (electrum) pesant chacune doux talents 1. s' Longtemps après que l'usage de la monnaie eût été partout répandu dans le monde hellénique, Sparte continuait, par tradition, à se servir de lingots de fer comme intermédiaire des échanges. Ces lingots, connus sous le cun une mine éginétique ; pour en transporter six seulement, c'est-à.-dire environ 436 kilogrammes, il fallait un chariot attelé de deux boeufs 3. Dans le reste du monde hellénique, on continua longtemps de voir circuler, à côté des monnaies véritables, de vieux lingots monétaires, analogues au pélanor ; on les appelait, suivant leurs formes, pastilles (ci8ofe, 'POoi8Eç) ou pastille métallique est encore mentionné dans les comptes des trésoriers du temple d'Athéna, à Athènes, au ve siècle 3. Quand Epaminondas mourut, il était si pauvre qu'on ne trouva dans sa maison, pour toute fortune, qu'un vieil èEa(exoç en fer6, qui, sans doute, devait avoir un caractère superstitieux ou talismanique, car au temps d'Epaminondas la monnaie était depuis plusieurs siècles universellement répandue. Lorsque Phidon fit frapper les premières monnaies à Égine, il retira de la circulation les vieilles broches de fer qui avaient servi de monnaie jusque-là, et il en consacra un certain nombre d'exemplaires en ex-voto dans le sanctuaire de Iléra, à Argos. Au temps d'Aristote, on voyait encore dans le temple, avec l'inscription dédicatoire de Phidon, ces anciens ôés),(cxot qui, ayant revêtu un caractère religieux, étaient l'objet de la vénération autant que de la curiosité de tous C'est du mot è6Eadç que, dans le système monétaire de Phidon, fut formé le terme d'obole, la sixième partie de la drachme, sans doute parce que l'obole d'argent avait la même valeur que l'ancienne broche de fer [OBOLUS]. Dans l'Italie centrale, avant l'invention de la monnaie, nous constatons les mêmes usages qu'en Grèce : seulement, au lieu du fer, ce sont des lateres de cuivre qui sont dans la circulation, comme étalons de valeur. Il nous en est parvenu des spécimens qui ont la forme de tiges ou barres rectangulaires ou allongées, portant en saillie, sur l'une de leurs faces, des lignes parallèles régulièrement espacées, séparées parfois par des points ou globules; d'autres de ces saumons de cuivre sont ornés d'une ligne qui en parcourt toute la longueur et à laquelle viennent se souder, comme à un axe central, des lignes transversales et plus petites : l'ensemble de cette décoration ressemble assez bien à une arête de poisson'. Ces emblèmes rudimentaires dispensaient, dans la plupart des cas, de recourir à la balance : on se contentait de compter les points ou les lignes en saillie sur la sur face des lingots. Avec le temps, la forme de ces lateres primitifs se perfectionne; leurs côtés sont ornés de divers symboles, tels que croissants adossés, fleurons, étoile, dauphin, fer de lance, et parfois des points ou globules dont le nombre est en rapport avec le poids plus ou moins élevé des lingots. On arrive ainsi graduellement à la lourde monnaie de bronze, lacs signature, dont la tradition romaine attribuait l'invention à Servius Tullius 9. Il est des lingots de lacs sit/nutum qui ont la forme de tuiles rectangulaires portant un type sur leurs deux faces (boeuf, sanglier, poussins, trident, Pégase, etc.) et pesant parfois jusqu'à cinq livres romaines (1650 grammes). Aussi, pour transporter ces lourdes briques, monnaie primitive des Romains et des Étrusques, Tite Live dit qu'on était obligé de se servir de chariots : (te.s grave plaustris quidam ad aerariumconvclrentes i0 Quand on voulait de la monnaie divisionnaire, il fallait casser à l'aide du marteau des morceaux de ces pavés, et il nous est parvenu des fragments de quadrussis ou de quincussis dont on ne saurait attribuer le fractionnement au hasard ou à un accident quelconque. Comme en Grèce encore, après l'introduction de la monnaie d'argent à Rome, en 269 av. J.-C., les anciens lateres de cuivre, démonétisés, furent offerts en ex-voto dans les temples et aux sources des fleuves, où nous les retrouvons aujourd'hui accumulés en nombre parfois très considérable. Sous la République et sous l'Empire, les généraux victorieux ont souvent rapporté dans l'aerariuén de l'État d'énormes quantités de matières d'or et d'argent qu'on transformait en lingots et qui venaient augmenter la réserve publique". En outre, à côté de la monnaie, les lateres d'or et d'argent n'ont jamais cessé d'être en usage dans les gros paiements entre particuliers ou officiels ; on les appréciait à l'aide de la pierre de touche et de hi balance, même pour les versements faits dans les caisses publiques`. Ainsi, à l'époque de Dioclétien, nous voyons que l'or est vendu sous deux formes dans le commerce, Ev en barres et le Xloai; Ev i)oaotiti(votç est l'or monnayé 12. Dans les ateliers monétaires, l'or et l'argent, affinés et amenés au degré de pureté admis pour les monnaies, étaient encore à la fin de l'Empire conservés en barres avant de subir l'opération de la frappe. On a trouvé en 1887, dans le comté de Iiaromszeker, en Transylvanie, dans le voisinage de l'atelier monétaire romain de Sirmium, des lingots d'or à 980/1000 préparés pour la frappe et estampillés sur leur face principale, non seulement des effigies impériales qui en fixent la date au temps de Valentinien III, mais des contremarques des contrôleurs (probatores) et autres officiers chargés de vérifier le poids et l'affinage. Les plus lourds de ces lingots attei LAT 956 LAT gnent 521 grammes'. Des leteres d'argent analogues ont été aussi découverts en 1888 à INeudorff, près Fichte, et sont conservés au Musée de Ilanovre'. L'explication des estampilles dont ces lingots d'or et d'argent sont, revêtus nous éclaire sur certains points demeurés longtemps obscurs de l'histoire monétaire de la fin de l'Em LATERNARIUS1 ou LANTERNARIUS2. L'esclave qui la nuit précédait son maître en portant une laterna ou lanterna 3. LdFIFUN1IA. L'histoire des latifundia pendant la République se confond avec celle des lois agraires [ACRARIAE LECES. On n'a donc à étudier ici que les latifundia, les grands domaines sous l'Empire romain. Faisons d'abord remarquer qu'on a singulièrement exagéré l'extension des latifundia. A la fin de la République, les lois agraires, les fondations de colonies, dues aux triumvirs, à César, à Auguste, avaient reconstitué dans une certaine mesure la petite propriété. C'est ce que démontrent les écrits des Gromatici 1. Il y est souvent question des agelli, des partieulae2; Frontin parle d'une foule de petits propriétaires, densitas possessorein, en particulier dans la Campanie 3 ; le liber coloniarum ne décrit pas de grands domaines; le texte de Pline le Jeune' sur l'état de l'agriculture dans la Cisalpine, près de Côme, indique plutôt la petite propriété que la grande. Caton et Varron donnaient des chiffres de 100, 200, 300 arpents pour des domaines ruraux; c'était la moyenne propriété, qui comportait de 12 à 18 esclaves', c'est à peu près encore celle que décrit Horace', dont l'agellus avait un vilicus, 5 fermiers et 8 esclaves. D'après une inscription de l'époque de Trajan, un aqueduc de 5 950 pas traversait, sur les agri Ferentiensium (Viterbe), 11 propriétés ; elles ne devaient pas avoir des dimensions considérables. Les Tables alimentaires fournissent des résultats du même genre', surtout si nous admettons, avec Mommsen, que le prix moyen de l'arpent était alors de 1000 sesterces A Bénévent, les domaines simples, les fundi, sont estimés de 60000 à 30000 sesterces, quelques-uns de 100000 à 60000, un seul dépasse 100 000 sesterces; les noms des fundi indiquent qu'il y avait au début 90 propriétaires ; or, à l'époque de Trajan, il y a environ 60 propriétaires qui ont engagé leurs biens; sur ce chiffre, il y en a 16 dont on n'a que les noms; 2 ont en propriété foncière le cens équestre, 9 sont compris entre 100 000 et 400 000 sesterces, les autres sont au-dessous de 100 000 sesterces; il n'y a que 2 propriétaires de latifundia : un qui a 4 fundi avec 25 saltus, d'une valeur de 451 000 sesterces, l'autre qui a 11 fundi valant 501 000 sesterces; la petite propriété résiste donc ici vigoureusement à la grande. A Veleia et Plaisance, les résultats sont moins clairs ; les lundi simples ont eu à l'origine une très faible valeur, et il faut distinguer les terres arables et les saltus. Pour les terres arables, 3 fonds seulement dépassent 100000 sesterces; 16 sont compris entre 60000 et 100000; 41 entre 30 et 60000; 31 sont au-dessous de 30000; il y a plusieurs latifundia qui comprennent 2, 3, 4, 5 ou 6 fonds, mais le plus considérable ne vaut que 200 000 sesterces. Quant aux saltus de cette région, dont la composition parait très ancienne, ils forment surtout des latifundia ;11 groupes atteignent ou dépassent 200 000 sesterces, 2 dépassent le cens sénatorial d'un million de sesterces; mais, tandis qu'à Bénévent, chez les Ligures, un capital de 401 800 sesterces est réparti entre 66 propriétaires emprunteurs, à Veleia le capital de 1 044000 sesterces n'est réparti qu'entre 52 propriétaires ; presque la moitié a des propriétés au-dessous de 100 000 sesterces, 16 ont de 100000 à 400 000 sesterces; un cinquième a le cens équestre, trois dépassent le cens sénatorial. On voit que ce sont les saltus qui forment la masse des latifundia. La petite propriété n'a pas disparu, mais elle est plus fortement atteinte qu'à Bénévent, sans doute parce que la plaine du Pô attirait plus les capitaux que les montagnes de l'Italie du Sud 10. La race des petits propriétaires, minée par les causes qu'on va voir, se refaisait constamment par les affranchissements, par les établissements de vétérans, par les concessions de terres sur les domaines impériaux. Au Bas-Empire, elle résiste encore au poids des impôts, aux crises monétaires, aux guerres civiles. Les textes juridiques citent à chaque instant les petits propriétaires (inediocres)" ; ils distinguent des colons ordinaires ceux qui ont leurs terres propres 12 ; l'histoire du régime municipal est l'histoire même des moyens propriétaires; et, encore au-dessous des décurions, il y a ceux qui, n'ayant pas au moins 23 jugera, ne sont pas en règle générale appelés à la curie". Les empereurs protègent de toutes leurs forces les petits propriétaires contre les grands, en créent de nouveaux dans les villages libres d'Orient, les métrocomies sur les terres désertes des particuliers et du fisc''. En Italie, sous Ise Ostrogoths, Cassiodore parle encore fréquemment des petits propriétaires (launziles, nzediocres, mi nores) 1G. Il n'en est pas moins vrai que la grande propriété, fortement atteinte en Italie à la fin de la République, par les lois agraires, par les confiscations, par les dépossessions opérées en masse pendant les guerres civiles, n'avait pas tardé à reconquérir du terrain pour les mêmes raisons que précédemment. La passion de la terre, cette (. cupido agros continuandi », dont parle Tite Live avait de nouveau sévi ; les capitalistes romains et italiens avaient recommencé à étendre leurs possessiones; il y avait toujours des terres disponibles dans ces colonies LAT 957 LVT de vétérans fondées par les triumvirs, César et Auguste, et qui n'avaient qu'une existence éphémère'; dès le début, il y avait eu dans ces colonies des fundi excepti, des loca reliefa qui avaient été réservés à de grands personnages et formèrent immédiatement de grands domaines"; les terres laissées vacantes, les subseeiea, ou réservées aux cités, comme les saltus, les pescuo, furent en grande partie usurpées par les possessores 3, et naturellement par les plus riches d'entre eux ; il est souvent question dans les textes juridiques de l'invasion des terres publiques des cités ; une des attributions des curateurs fut de les revendiquer 4. Il y a eu évidemment en Italie d'autres modes de formation des grands domaines : les acquisitions à l'amiable ou par contrainte, les défrichements de saltus. Il y a donc une sérieuse part de vérité dans les plaintes de la littérature classique sur l'extension des latifundia. Pline l'Ancien dit que les latifundia ont perdu l'Italie et commencent à perdre les provinces Tacite parle des villae qui s'étendent à l'infini 6; Sénèque de domaines aussi vastes que des royaumes 1; Pétrone décrit, sans doute avec quelque exagération, les immenses propriétés de Trimalcion 8. Il y a des doléances et des descriptions analogues dans Tite Live, Salluste, Virgile, Horace, Lucain, Juvénal, Perse, Apulée, Valère Maxime, dans les Déclamations attribuées à Quintilien Les Tables alimentaires nous ont montré que la petite propriété avait perdu du terrain au profit de la grande. Un seul propriétaire a réuni jusqu'à 10 ou 12 fundi entre ses mains. Les jurisconsultes signalent souvent des réunions analogues i0. Pline le Jeune achète une terre 3 millions de sesterces ; la description d'un autre domaine qu'il a donné à sa ville natale et qu'elle afferme 30 000 sesterces donne également l'idée d'une grande propriété". Aux grands domaines privés s'ajoutent ceux des villes, et surtout les domaines fiscaux et impériaux dont on va voir l'extension. Les régions où paraît prédominer la grande propriété sont : le Latium, l'Ombrie, l'Étrurie, le Samniurn, le Picenum, la Campanie et toute l'Italie du Sud. Les mêmes causes qu'en Italie ont dû agir dans les provinces pour constituer la grande propriété; mais nous n'avons de renseignements précis que pour quelques pays. Dans la Gaule, par exemple, a dû constamment régner la grande propriété. Dès César, la puissance de la classe équestre, la servitude de la plèbe rurale, l'existence d'une classe de clients et de redevances foncières 12 (tributa), ne s'expliquent que par la prédominance de la grande propriété 13. Elle se développa naturellement encore sous l'Empire. Ausone appelle villula, llerediolunt, un domaine de V. 1 050 arpents"; les domaines décrits ait ve siècle par Sidoine Apollinaire paraissent être de grande étendue 17. Un peu plus tard, à une époque de crise, sous Clovis, une villa est encore vendue 5000 livres pesant d'argent f6; on peut également utiliser les chartes mérovingiennes; les villae que ces chartes mentionnent ont une étendue fort variable, mais beaucoup correspondent à des communes rurales actuelles et ont dû par conséquent avoir une surface assez considérable 17. En Sicile aussi, a dû régner de tout temps la grande propriété ; à l'époque de Cicéron, le territoire d'une des plus grandes cités, rager Leontinus, appartenait à si propriétaires16. Ces conditions n'ont guère dû se modifier dans la suite. L'Afrique a été de tout temps la terre classique de la grande propriété. Il est probable qu'à la fin de la République une partie de rager publicus y avait été usurpée par les particuliers. Sous l'Empire, ils y possèdent, comme on va le voir, des domaines immenses u. Enfin, dans tout le monde romain, surtout en Asie, en Égypte, en Afrique, les terres fiscales et impériales augmentent le nombre des latifundia. La concentration de la terre s'accroît encore au Bas-Empire avec la toute-puissance de l'aristocratie sénatoriale, et les transformations économiques et sociales. Les grands domaines peuvent se ramener à deux catégories principales : les latifundia et les saltus. Le mot latifundia, assez rarement employé20, n'est pas une expression technique ; le mot propre est lati fundi ; c'est une terre limitée, dont la superficie dépasse l'unité de culture ordinaire". Mais, dans la pratique, les latifundia se présentent sous deux formes : on a soit des domaines d'un seul tenant, soit un certain nombre de fundi, de villae, isolés sur le terrain, mais appartenant à un seul propriétaire. Les Tables alimentaires offrent des exemples des deux formes; une suite de noms en anus, portés par les différents fundi qui ont été réunis, désigne une propriété de la seconde forme. Les riches devaient s'efforcer de constituer par des acquisitions successives des domaines de la première forme; mais néanmoins la plupart des latifundia devaient se composer de propriétés isolées. C'est ce qu'indiquent pour le Haut et le Bas-Empire de nombreux textes relatifs aux propriétés soit privées, soit impériales 2", et il en est encore ainsi après les invasions et à l'époque mérovingienne23. Le grand domaine comprend donc généralement un certain nombre de fundi, mais il s'appelle aussi fundus, en Égypte oie(z 24 ; surtout au Bas-Empire, on trouve encore les expressions : ager"3, villa, qui désigne d'abord la maison du maitre, puis le domaine entier26; praedium27 ou praedia, mot qu'il faut sous 121 LAT 958 LAT entendre devant beaucoup de noms de lieux terminés en ana 1 ; possessio, domus, surtout pour les domaines impériaux et sénatoriaux 2 ; les mots grecs correspondants, yo»iov, x-rviit-a ou xtirletç T'ÔrCi , oixoç' dès le Haut-Empire, on trouve le mot grec a6yxT-g6tg 0 ; le mot latin correspondant massa (sous-entendu fundorum) n'apparaît en Occident que beaucoup plus tard, mais devient d'un usage très fréquent'. Le mot saltus signifie à l'origine des bois ou des prairies « silvae et pastiones »8 ; dans les Tables alimentaires et au Digeste 9, le saltus s'oppose au fondus ; c'est le territoire montueux, d'exploitation difficile, par rapport à la terre arable ; mais peu à peu le saltus a fini par désigner aussi le grand domaine en général, surtout en Orient10, Les assignations avaient porté au début surtout sur les terres arables; les pascua et les saltus avaient été en général livrés à l'occupation (possessio) ; ils se trouvaient en dehors du territoire de chaque cité et avaient ordinairement une étendue considérable ; c'est pour cette raison que des lots assignés, de grande étendue, par exemple de 25 centuriae ou 5 000jugera, portent quelquefois le nom de saltus 11 Les saltus étaient donc en droit primitivement des domaines de l'État; celui-ci en a gardé un certain nombre et on les retrouve dans le domaine impérial ou public ; d'autres ont été occupés et mis en valeur par des particuliers. Il y en avait relativement peu en Italie. Ils se trouvaient surtout dans les provinces. Columellef2 décrit ces immenses saltus dont les puissants propriétaires ne peuvent même pas faire le tour à cheval et dont ils laissent la moitié en friche. C'est sur ces espaces que, d'après Frontin, les propriétaires possèdent toute une population de paysans 13. La patrie des saltus était par excellence l'Afrique. D'après Pline l'Ancien i4, six propriétaires dont Néron confisqua les biens possédaient au début du ter siècle la moitié de l'Afrique. On a vu le texte de saint Cyprien sur l'extension des saltus africains. Il y en avait en particulier de nombreux dans les vallées du Bagradas (Medjerdah) et de ses affluents ; l'inscription d'Ain-Ouassel mentionne les cinq saltus impériaux : Blandianus, Udensis, Lamianus, Domitianus, Thusdritanus 13 ; celle de Souk-el-Khmis le saltus Burunitanus 1s ; celle d'llenchir-Metticli le fundus villae Magnae Variani, voisin d'autres praedia 17; l'empereur avait encore le saltus Philomusianus, une partie du saltus Massipianus et celui qu'indique l'inscription de Gazr-Mezuar 18. Les grands domaines sont publics ou privés. Voyons le mode de formation et les principales catégories des domaines publics pendant le Haut-Empire 19. L On peut distinguer : les terres publiques proprement dites qui forment deux groupes : A. Les terres du peuple romain. Une revision générale en avait été faite par Auguste aux règlements duquel se réfèrent souvent les empereurs suivants90; les benefzcia accordés par les empereurs se rapportent en grande partie à ces fundi populi romani 21. Les lois agraires n'en avaient laissé subsister qu'une faible étendue". Claude revendique pour lui les terres publiques des environs de Trente ; il reprend dans la Cyrénaïque des terres usurpées par des particuliers 2'3 ; Vespasien et Titus continuent cette opération 94. Ils avaient vendu tous les subseciva d'Italie, mais Domitien les rendit définitivement aux propriétaires dépossédés 25. Les Tables alimentaires montrent, encore des possessions du peuple sous Trajan en Italie. 11 y en avait aussi en Espagne, en Judée, en Dalmatie2°. Au nIe siècle, il y a encore un procurateur pour les res populi per tr[actum] utriu.sque Numidiae21 et un procurator vectigalium populi Romani quae sunt citra l'admit", que Mommsen29 rattache aux saltus Galliani mentionnés par Pline dans la huitième région 30 ; il y a aussi les vectigalia populi romani gallicana 31 On a de plus beaucoup de briques avec la marque « ex praediis populi romani ». Mais le peuple n'est plus propriétaire de ces terres que de nom ; surtout dans les provinces, elles passent de bonne heure sous l'administration des agents impériaux ; à partir d'Hadrien, les jurisconsultes ne parlent plus que de loca fiscalia, de fundi fiscales 32. Disons immédiatement que ces domaines sont affermés à des mancipes, des conductores agrorum publicorum qui sous-louent à de petits fermiers 23 ; il y avait des publicani pour les pascua de la Cyrénaïque 34 B. Les terres du fisc 3û. Elles comprennent : les débris des terres publiques dans les provinces impériales ; les bona vacantia et caduca, soit dans les provinces impériales, soit aussi, au moins dès Marc Aurèle, dans les provinces sénatoriales 38; les terres achetées avec l'excédent des revenus fiscaux"; une partie des biens confisqués ; les terres réservées au fisc dans les provinces d'acquisition récente, Afrique, Pannonie, Dacie 38, Germanie, Bretagne, Cappadoce, etc. II. Le patrimonium principis 39 Dès AugusteQ0, pour distinguer des terres du fisc les terres possédées en propre par les empereurs, apparaît le patrimonium principis. Malgré les donations que font les empereurs ", il acquiert immédiatement une extension considérable. Ses principales sources d'accroissement sont : le patrimoine de LAT 959 LAT chaque nouvel empereur, y compris Auguste' ; les héritages et les legs, volontaires ou forcés, laissés au prince soit comme prince, soit comme patrons; les biens des condamnés, répartis entre l'aerarium, le fisc et le patrimoine 3. Tant que la gens Julia Claudia occupa l'empire, ce patrimoine se transmit régulièrement, gardant son caractère privé; mais la famille des Flaviens acquit avec l'empire le patrimoine de ses prédécesseurs 4 ; il en fut ainsi sous les familles suivantes ; le patrimoine d'Hadrien passa à Marc Aurèle', celui de Marc Aurèle et de Pertinax à Septime Sévère Cette transmission devint une règle juridique et le patrimoine se transforma en fait en une seconde catégorie de biens de la couronne. tout en restant en droit un trésor privé. C'est là ce qui explique les précautions prises par plusieurs empereurs pour assurer à leurs enfants ou à des parents une partie de leur fortune privée 3. III. Septime Sévère créas, en lui donnant les mêmes droits et privilèges que le fisc, sous le nom de reg ou ratio privata, une nouvelle catégorie de biens de la couronne, composée surtout, au début, des grandes confiscations qu'avaient amenées les défaites de Pescennius Niger et d'Albinus10. On eut ainsi d'un côté le fisc et le patrimoine, qui étaient' presque confondus, de l'autre la ratio privata au profit de laquelle le patrimoine perdit un certain nombre de domaines" et quelques revenus, par exemple les héritages laissés au prince qui furent administrés pendant quelque temps par un nouveau procurator hereditatium patrimonii privai, puis par le procurator rationis privatae 12 IV. Les impératrices, princes et princesses de la famille impériale, eurent aussi leur patrimoine 13 Agrippine avait une fortune presque aussi considérable que celle de l'empereur 16 ; Livie avait hérité de tout un district de la province de Judée qui rapportait par an 60 talents ". Elle avait des domaines à Thyatira de Lydie, où il y avait une areaLiviana f 0. Les briques avec des marques de fabrique nous font connaître des domaines d'Antonia, femme de Drusus; de Messaline, d'Agrippine, de Poppaea Sabina, d'Octavie, de Domitia, de Flavia Domitilla; de Plotina, femme de Trajan; de Marciana, sa seeur; de Boconia Procilla, grand'mère, et d'Arria Fadilla, mère d'Antonin; de Matidia la jeune ; de DomitiaLucilla, mère de Marc-Aurèle ; deFaustina, sa femme; d'AureliaSabina, sa fille Quelques-uns de ces biens appartenaient en commun au prince et à son épouse1°. Jusqu'à Septime Sévère, ces domaines furent administrés par des procurateurs, avec le caractère de propriétés privées 19; mais après la création de la ratio privata, la ratio Augustae devint aussi un service public pourvu de tous les privilèges du fisc et considéré comme une branche de la ratio privata 20. Nous indiquerons les principaux domaines impériaux, en faisant remarquer qu'il est souvent difficile de distinguer les différentes catégories 21 . La ratio privata avait des biens dans la Germanie, la Belgique, la Bithynie, le Pont, la Paphlagonie, la Cappadoce ; mais nous ne les connaissons pas dans le détail 22. On verra ses domaines d'Italie et d'Afrique à propos des fonctionnaires qui les régissent. Le patrimonium avait en Italie les villae ou praetoria d'Albanum, Antium, Alsium, Baiae, Caieta, Capreae, Circei, Lanuvium, Formii, Lorium, Misenum, Ostia, Praeneste, Puteoli, Tarracina, Pausilippus, Sublaqueum, Tibur, Tusculum ; la villa Gordianorum, la villa Quintiliorum23, d'autres villae de nom inconnue` ; les terres indiquées dans les Tables alimentaires par la mention adfine Caesare nostro 20; lessaltus Caesaris 31, peut-être identiques aux saltus Carminianenses de l'Apulie et de la Calabre, passés au Bas-Empire dans la ratio privata", et à ces pâturages de la même région dont une inscription de 168 fait supposer l'existence 28 ; une quantité d'autres fundi ou praedia, par exemple le fundus Albanus 29, le saltus Domitianus, les praedia Luciliana, les praedia Galliana30, J[aeciana, Statoniensia 3t, Peducanea et Romaniana 32; les domaines d'Istrie 33, le fundus Antonianus près de Rome, le fundus ad Vada Sabatia en Ligurie 31, les terres dont l'existence est indiquée par des briques estampillées 33. On verra plus loin les domaines d'Afrique. Dans le sud-ouest de la Phrygie 36, un groupe important comprenait dans la vallée du Lysisles domaines d'Ormelos, d'Alastos, de Cibyra, de Phylakaion, de Tymbrianassos, de Bindaion, de Dipotamon, de Docimium, le saltus de la vallée de Tembrogios 37. Enfin il y a beaucoup de domaines dontl'attribution n'est pas indiquée, par exemple des praedia de Sicile 38 et les nombreux domaines (praedia, massae, fundi) d'Italie, de Sicile, d'Afrique, de Grèce, d'Égypte, de Syrie, qui furent donnés par Constantin aux différentes églises de Rome et de l'Italie 39. Le domaine d'Égypte a une importance particulière'. Abstraction faite des biens des temples, il comprend deux parties : les terres fiscales, l'ancienne y-1 (3aalÀtx , LAT 960 LAT qui relevait sous les Ptolémées du itotxr,'r-gç et qui est administrée sous l'Empire par le préfet d'Égypte et ses procurateurs 1 ; le domaine privé des empereurs, aéyoç oûctarcç, ou xuptxx6,^, ou xuptsxsi tii-titpot, ou Yrllptxoi aôyol2' la distinction subsiste encore après Dioclétien; à côté du rationalis Aegypti, il y a le magister privatarum Aeggpti3, et encore sous Justinien il y ales deux caisses, yevtr. et iltxr, 4. Le domaine privé était alimenté surtout par les héritages, les bona damnatorum, les bona caduca, vacantia 6. La y~ oûetaxz comprenait un certain nombre d'oéc(xt qui correspondent en petit aux saltus d'Afrique et dont les noms indiquent souventl'origine; on en connaît qui provenaient par exemple de Mécène, de Petronius, le troisième préfet d'Égypte, de Sénèque, de Germanicus Dans l'administration des domaines au Haut-Empire, nous avons à distinguer l'administration centrale et l'administration provinciale. Voyons d'abord l'administration centrale. 1° Dans l'Italie et les provinces sénatoriales, les terres du populus sont certainement dès Auguste sous la direction de l'a rationibus et de ses subordonnés ; d'ailleurs, dès Hadrien, l'administration s'en confond presque avec celle des terres fiscales. 2° Les terres fiscales ont les mêmes chefs 3° A la tête du service du patrimoine, il n'y a sans doute jusqu'à Claude que des affranchis a. Claude constitue le service central; c'est un de ses affranchis qui est le premier procurator Augusti a patrimonio 3. Nous en connaissons ensuite un certain nombre jusqu'à Hadrieni0. Ils ont une situation élevée, réunissent le patrimoine et les hereditates; à partir d'Iladrien, sans doute à la suite de ses réformes relatives au patrimoine et encore plus après la création de la ratio privata par Sévère, les procuratores patrimonii, tous chevaliers, ont une situation inférieure ; leur compétence a peut-être été réduite à l'Italie 11 4° A la tête de la ratio privata, Sévère met le procurator rationis privatae, personnage important, assimilé de suite au directeur du fisc, et trecenarius12; au début du BasEmpire, il s'appellera magister rei suinmae privatae [RATIO PRIvATA 73. 5° En Égypte, à la tête du patrimoine, il y a l'ancien b 7rsbç T~ ilto1 )4(, des Ptolémées, l'idiologus 14, qui a sous ses ordres les procuratores patrimonii (E7rirpoaot)locaux15, d'abord affranchis,plus tard chevaliers. Passons à l'administration provinciale 13. 1° Pour le fisc, chaque domaine a son procurateur sous la direction du procurateur provincial17 ; mais nous avons ici peu de renseignements. 2° Pour le patrimoine, en Italie, chaque villa impériale a sa ratio, c'est-à-dire son budget, sa caisse, son personnel de dispensatores, de tabularii, de commentarienses 18. Dans le voisinage de Rome, les domaines relèvent sans doute de la direction centrale; Mus, n" 8, 63, 199, 560. 2 Urk. Berl. Mus. n°' 1, 8, 84, 277 ; C. i. gr. 4957, 1. 13, 15. 3 C. i. 1. 3, 17-18; Athanas..4pol. ad Const. e. 10. p. 747 ; cf. Wileken, Abh. d. Berl. Akad. 1886, p. 39-40, Doc. 1, 1, 21. 6 Urk. Berl. Mus. n" 181, 650, 104, 160, 441 ; voir la liste des domaines connus dans Rostowzew, Loc. cit. p. 565-567. 7 Dig. 43, 8, 2, § 4. 8 Muratori, 900, 3 ; C. i. 1. 6, 3962 ; voir Lécrivain, Loc. cit. p. 42-50 ; Hirschfcld, Loc. cit. p. 41-18 ; Rostowzew, 11, 5028; 6, 8499, 8500, 798, 31863; l'lin. Ep. 1, 17; 5,8; 8, 12; Dessau, Prosop. 2, p. 429, n° 41 ; Notizie dei scavi, 1897, p. 191. Mais les personnages cités au C. i. 1. 10. 1740, 6657, sont plutôt des procurateurs provinciaux. 11 Dessau, Loc. cit. 1389, 1454; C. i. 1. 14, 2922; 6, 8498. 12 Wilmanns, 1208, 1295 ; Bita Macrini, 2, 7; Dio Case. 18, 30. 13 C. i. 1. 8, 822, 12315 ; 6, 1630; Ruseb. Hist. eccles. 8, 11; Edict. Constant. (Haenel, Corpus Ieg. p. 191); Rev. arch. 1894, n° 53, p. 411 14 Slrab. Loc. cit. ; Urk. Berl. Mus. n° 106 ; voir Ruggiero, Dizionario plus loin, il y pour chaque groupe de domaines un procurator patrimonii, souvent appelé simplement procurator Augusti 10. Dans les provinces autres que l'Égypte, nous connaissons un procurateur pour la Bithynie, le Pont et la Paphlagonie, un autre pour la Belgique et les deux Germanies 20. En Afrique, les provinces paraissent être divisées chacune en plusieurs circonscriptions appelées tractus ; ainsi l'Afrique proconsulaire comprend les tractus de Carthage 21, d'Hadrumète 22 et de Leptis Minor '3; la Numidie ceux d'Ilippo et de Theveste24. Chaque tractus a son procurator, généralement de rang équestre 27. On connaît le procurator patrimonii tractus Carthaginiensis et le procurator patrimonii per regionem Leptitanam 26. D'autres procura tores tractus relèvent sans doute aussi du patrimoine plutôt que du fisc. Le tractus s'appelle aussi praedia saltuum, diocaesis, regio, provincia 27. Nous connaissons le personnel du bureau du procurator tractus Cartllaginiensis"a, les officia les : tabularii, adjutores tabularii, adjutores a commentariis, librarii, notarii, praecones, agrimensores, chorographi, cursores, pedisequi, medici; les plus intéressants sont les procuratores et les dispensatores regionis; la regio paraît être en général une subdivision du' tractus, la réunion de plusieurs saltus; elle a son budget (mensa) avec son personnel (adjutor, dispensator, vilicus) 29. 3° La ratio privata comprend en Italie différents groupes de domaines dont le nom générique paraît avoir été regio 30. Ces régions, pourvues chacune d'un procurateur, ne correspondent pas aux régions ordinaires de l'Italie ; on connaît les groupes suivants : regio Ariminensium; Tuscia et Picenum; Salaria Tiburtina Valeria Tuscia ; Flaminia Umbria Picenum; Flaminia Aemilia Liguria ; regio Padana Vercellensium Ravennatium31. Dans les provinces, on connaît un procurateur pour la Belgique et les deux Germanies, un pour la Mauritanie Césarienne 32, un per regionem Tripolitanam33; il y en avait sans doute un pour la Mauretania Siti fensis 34. Quelquefois un même fonctionnaire est procurateur de la res privata et du patrimoine". On peut rattacher à la res privata des groupes de domaines pour lesquels il y eut provisoirement des chefs spéciaux; ainsi sous Sévère, après la confiscation des biens de Plautien, le procurator ad bona Plautiani ; au m° siècle av. J.-C., le procurator ad bona cogenda in Africa, le procurator ad bona damnatorum 36. Au-dessous de tous ces fonctionnaires, il y a pour chaque saltus un procurateur dont on verra le rôle. Nous arrivons au Bas-Empire. Il y a pour les domaines impériaux les mêmes sources d'accroissement que précédemment. Signalons surtout : l'obligation fréquente pour Die Grundherrschaften, p. 6075; Bis, Loc. cil. p. 3, 4, 5, 55-63, 65, 66, 77-78 ; Lécrivain, Loc. cit. p. 42-50; Birschfeld, Loc. cit. p. 41.-48. 17 C. i. 1. 14, 49, 200, 202, 204, 205, 304, 2259, 2261, 2426, 2131, 2861, 2856,3567, 3698, 3920, 3635-37; 11, 2706, 3549, 3738, 3762, 6667; 10, 1730, 1731, 8179. 18 C. i. 1. 9, 334; 10, 1740. 19 C. i. 1. 10, 1775; 5, 12, 37, 38, 39, 41, 42, 43. 20 Wilmanns, 1293. -21 C. i. 1. 6, 8608; 8, 1578, 11103, 14763, 17899, 17900.-°-2 Wilmanns, 2223; C. i. 1. 8, 7039, 11341, 11174. 23 C. i. 1. 8, 16542, 10543. 241bid. 6, 790; 8, 5351, 7053, 11048; 11, 176. Ces deux tractus sont tantôt réunis, tantôt séparés. 26 Wilmanns, 2223; C. i. 1. 8, 10570. 26 C. i. 1. 8, 11105, 11341, 17899. 21 Wilmanns, 2223; C. i. 1. 8, 5351, 11311, 11174, 16542; 6, 790, 28 C. i. 1. 8, 12590-132144; 30 Schulten, Ibid. p. 65. 31 Wilmanns, 1291; C. i. 1. 3, 1461; 8, 822; 5, 2385; C. i. gr. 6771,32 C. i. 1. 3, 1456, 33 Ibid. 8, 16512. M. Ibid. 8, 8812. 3'G Ibid. 8, 16542, 11105, 16543. 30 Ibid. 3, 1464, 6575; Wilmanns, 1278, 1291. LAT 961 le fisc de se charger des terres vacantes et abandonnées', les donations aux princes 2, les confiscations des biens des villes et des temples, celles qui suivent les guerres civiles 3 ; d'autre part, le domaine s'amoindrit par les concessions de terres aux barbares etauxvétérans.parlesdonations aux favoris, aux délateurs'" et surtout aux églises. Malgré l'obscurité des textes, on peut distinguer' trois grandes classes de domaines : la res privata ou les biens de la couronne, les fundipatrimoniales,ladontasdivina. A. Res privata'. Elle reçoit la plus grande partie des biens des condamnés, des bona vacantia, caduca, des biens des temples et des villes. Elle a sans doute absorbé les anciennes terres fiscales Nous connaissons ses domaines d'Occident par les titres des fonctionnaires. Pour l'Orient, on sait seulement qu'elle avait des domaines dans les diocèses d'Orient, du Pont et d'Asie, en Égypte et en Arabie, avec des rationales rei privatae et des procuratores saltuum 3. A sa tête il y ale rationalis rei privatae s qui devient vers 340 le contes rei privatae10; il dirige le trésor et le domaine de la couronne, jusqu'à Anastase la majeure partie des fundi patrimoniales, et jusqu'à Justinien une partie de ladomus divina. 11 a sous sa juridiction en seconde instance les habitants des domaines''. Pour la partie qui nous occupe, il a sous lui : 1° Les magistri, plus tard rationales rei privatae ou rerum privatarum72; pour l'Occident, il en a neuf13 dont les districts, correspondant aux diocèses, sont : l'Illyricum 14, l'Italie, Rome et les régions suburbicaires, la Sicile, l'Afrique, l'Espagne, la Gaule, la Bretagne, les cinq provinces (c'est-à-dire le sud de la Gaule); ils ont la juridiction sur leur off/dm et en première instance sur les habitants des domaines, et aussi, du moins dès 383, dans les procès où la res privata est partie, avec appel au cornes rei privatae''. Les employés de leur officium s'appellent catholiciani ou Caesariani id. Ils n'ont pas de caisse propre ; la perception des revenus des domaines a été confiée tantôt aux agents du gouverneur, tantôt aux rationales et aux procuratores rei privatae, sous le contrôle de palatini, canonicarii, compulsores, détachés par le cornes rei privatae"; pour l'encaissement de ces revenus, il y a à côté du gouverneur un bureau avec un numerarius (plus tard tabularius, tractator) et un susceptor ou arcarius et au-dessous d'eux des receveurs (susceptores) locaux. L'argent est probablement envoyé ensuite à la caisse centrale de la res privata" . 2° Les procurateurs attachés aux neuf districts suivants" : Savie, Dalmatie, Apulie et Calabre (ou saltus LAT Carrninianenses), Mauritanie Sitifienne, Sicile, Italie, Rome, et les urbicariae regiones rerum Juliani 20, Sequanica et prima Germania. Il est probable 21 que quelques-uns de ces procurateurs étaient rattachés directement au cornes rei privatae et que certaines régions, telles que la Sicile, l'Italie, Rome, avaient à la fois un rationalis et un procurateur. 3' Il y a sans doute encore des procurateurs analogues aux anciens procuratores tractus. 4° Les chefs de chaque domaine, les anciens procuratores saltus, procuratores rei privatae, rei dominicae, dontorum, possessionum 22, en grec Eir,:Tço7rot 23, maintenant en général de naissance libre. On peut rattacher à la res privata certains groupes de domaines dont les chefs ne relèvent que du contes rei privatae, par exemple : le contes Gildoniaci patrimonii qui administre depuis 403 les biens confisqués de Gildon et de ses complices24 ; le rationalis per Urbern Romani et suburbicarias regiones curn parte Faustinae, sans doute chef de l'ancien patrimoine d'Antonin, passé à sa fille, puis au fisc 2'. B. Le sacrum patrintonium28. Ce sont les fundi patrimoniales, appelés aussi, à cause du mode d'exploitation, fundi empli yteutici et qui comprennent également les fundi salluenses d'Orient23 et les fundi limitrophi [LIMITANEAE TERRAE]. Il y en avait dans toutes les provinces de l'Italie, en Sicile, Sardaigne, Dalmatie, Espagne et surtout en Afrique 20 Pour l'Orient, nous en connaissons dans les diocèses d'Asie, de Pont, d'Orient, dans les provinces de Phénicie, Liban, Mésopotamie, Osrhoène, Arabie30. On sait peu de chose sur leur administration; on connaît un praefectus fundorunt patrimonialium d'Afrique 3'. Il est probable que la plupart de ces terres relevèrent de la res privata 32 jusqu'à Anastase qui créa un tonies patrimonii spécial, de même rang que les deux autres comtes, chefs des finances ".Vers la même époque apparaît en Italie un coules patrimonii qui subsiste chez les Ostrogoths et administre la domus divina" . C. La dontus divina 38. Elle se sépare de la res privata dans la deuxième moitié du ive siècle ap. J.-C. Des biens de cette sorte, anciens domaines sacrés et royaux, désignés surtout par le mot dontus, apparaissent en Cappadoce en 379, sous la direction d'un contes dontorum, qui relève du praepositus sacré cubiculi 36 ; en 390, on trouve aussi en Afrique des domus de ce genre, sous un contes dontorum, rattaché à la res privata37. Dans les autres provinces, la dontus divina n'apparaît que plus tard. Une Novelle de Marcien de 450 distingue la domus dominica LAT 962 --LAT de la res pri tata 1. Mais c'est seulement au vis siècle pour l'Orient que nous avons des renseignements importants. La domus divina a des biens dans presque tout l'Orient surtout dans la Cappadoce on, les domaines, appelés aussi praedia tamiaca, forment 13 oix)at (donrus) ayant chacune un énl-rpoitoç (procurator) sous la direction d'un cornes domorum, vir spectabilis 3. Pour remédier aux tiraillements qui se produisaient entre les autorités ordinaires et les autorités domaniales, aux usurpations des grands et aux souffrances des colons, Justinien réorganisa en 530 les domaines de Cappadoce ; il remplaça le coules domorum par un proconsul qui réunissait tous les pouvoirs, mais avec deux officia distincts, et qui administrait aussi les autres praedia tamiaca de la région du Pont'. D'autre part, il mit à la tête des autres domaines d'Orient, qui avaient relevé jusque-là du cornes rei privatae, deux curatores dominiaae domus, réduits plus tard à un seul'. On peut rattacher à la domus divina les biens des impératrices et des princes et princesses. Les impératrices ont en Cappadoce des domaines qui relèvent du praepositus sacri cubiculi, et qui sont administrés par le coules donlorunl, plus tard sous Justinien parle curator divinae domus Serenissimae Augustae 6. Les domaines des princes et princesses constituent une sorte de service public, sous la direction du cornes rei privatae, plus tard du curator divinae domus'. Étudions maintenant l'organisation intérieure et l'exploitation des grands domaines privés et publics. Mettons d'abord en relief ce fait qu'après l'empereur les plus grands propriétaires fonciers sont les membres de l'ordre sénatorial qui fournit les principaux fonctionnaires impériaux. C'est prouvé par toute l'histoire du Haut et surtout du Bas-Empires, par celle du haut moyen âge. C'est ce que Fustel de Coulanges a démontré de la manière la plus probante'. La richesse mobilière était insignifiante ; le sol était de plus en plus la source principale de la richesse. Au début du moyen âge, le mot senator est synonyme de riche propriétaire foncier10. D'après les inscriptions, la plupart des saltus d'Afrique appartiennent à des familles sénatoriales". Il en est de même dans la Gaule et dans les autres parties de l'Empire L2. Les grandes familles du Bas-Empire possèdent des domaines d'une étendue colossale et elles les conservent encore en Italie sous les Ostrogoths 13. D'après Olympiodore, au v° siècle, beaucoup de familles nobles avaient encore un revenu annuel de 40 centenarii d'or (4000 livres : 288 000 solidi) et ce revenu devait provenir presque uniquement de leurs terres " Ajoutons qu'au Bas-Empire, contrairement à la règle suivie sous le HautEmpire'", les sénateurs disposent comme fermiers, par les baux emphytéotiques, de la majeure partie des terres impériales f6 et qu'ils y exercent ainsi à peu près les mêmes pouvoirs que les procurateurs. Les membres des curies des grandes villes avaient aussi des possessions foncières considérables 17. Le domaine comprend essentiellement deux parties, l'habitation du maître et les demeures des colons. A. L'habitation du maître. Donnons-en seulement ici les traits principaux en renvoyant pour la partie technique à l'article VILLA. Elle s'appelle villa et aussi d'assez bonne heure praetorium 18. D'après Columelle, elle a des appartements d'été et des appartements d'hiver, de grandes salles de bains, de longues galeries19. Pline le Jeune décrit deux de ces palais2'. Dans Sidoine Apollinaire21, la villa Avitacus est précédée d'une longue avenue; elle comprend des thermes, l'appartement des femmes, de longs portiques, une galerie qui sert de promenoir, trois salles à manger, une salle de repos. Des mosaïques d'Afrique nous montrent plus nettement ces châteaux de l'époque romaine 22. On en trouve les vestiges dans toutes les parties du monde romain23 Au Bas-Empire, beaucoup de ces châteaux furent fortifiés contre les pillages de toutes sortes; en Afrique en particulier, certains domaines constituent de vrais camps retranchés 24. Les propriétaires de l'époque impériale habitaient-ils ces châteaux la plus grande partie de leur vie ou seulement l'été? Il faut distiinguer les époques. A l'époque de Columelle 23, les propriétaires italiens habitent généralement la ville; les renseignements fournis par Pline le Jeune sont peu précis26; mais au Bas-Empire les textes de Symmaque, d'Ausone, de Sidoine Apollinaire, de Paulin de Pella et de Cassiodore 27 montrent plutôt l'aristocratie romaine comme une classe rurale; l'histoire politique et sociale du sénat romain fournit la même conclusion pour cette époque28. A côté de l'habitation du maître, de la villa urbana, il y avait, autour d'une large cour (cllors), les bâtiments destinés à l'exploitation du domaine, que Columelle divise en deux parties : la pars fructuaria (granges, celliers, greniers) et la pars ou villa rustica qui comprenait les logements des esclaves (les cellae et l'ergastulum), les étables, les remises des instruments de culture. On a la description de la villa ru.stica dans Caton, Varron, Columelle, Vitruve 29, et des LAT 963 LAT représentations sur les mosaïques d'Afrique [VILLA). B. Les demeures des colons (casae, casulae)' étaient soit isolées, soit plus généralement, et surtout en Afrique, groupées en petits villages, vici 2 ou, quand ils sont fortifiés, castella 3. Ces vici (en grec xo nst) qui ont souvent donné leurs noms aux saluts 5, n'ont pas d'orga nisation municipale, comme les subdivisions des cités ; cependant, sur les terres impériales, ils paraissent avoir eu des institutions rudimentaires ; il est question par exemple de décurions, de magister; le saltus Sumeloeennensis, dans les apri decumates de Germanie, a un ordo d ; dans la Phrygie, les colons forment plusieurs groupes appelés xolvov, et il y a un xo.?ap5oç ; en Égypte, chaque groupe a des 7cpoEa2wtieç 8. On trouve mairie sur des saltus privés, en Afrique, un defenswi 2, un magister Au Bas-Empire, on trouve partout des praefecti, des praepositi (en grec 7roo7vovieç), des primates possessionum 11. Il y a sur les domaines toutes les choses nécessaires à la vie, des temples, des bains publics, des boutiques (tabernae), des marchands (negotiatores) 12. Le domaine peut avoir, comme la cité, son marché spécial, ses nundinae ; aux deux premiers siècles, c'est le sénat, mais dès la fin du He siècle c'est l'empereur seul qui autorise les grands propriétaires à établir un marché sur leurs terres 13. Pour l'Afrique, on a deux inscriptions qui autorisent des propriétaires de la classe sénatoriale à avoir un marché deux jours par mois 14. La création d'un marché peut amener naturellement la création d'un virus, d'un centre pour la région voisine lü Le domaine a des limites. Les latifundia, formés de fundi, ont naturellement les limites mêmes de ces fundi. Les saltus sont séparés par des bornes du territoire de la cité ; il est souvent question dans les Gromatici des controverses qui surgissent à ce sujet entre les cités et les saltus 16 On a les inscriptions de bornes qui délimitaient en Afrique, en Phrygie, des domaines soit impériaux 17, soit privés10 ; les subseciva du fondus Villae hlagnae Variani, laissés en dehors de l'assignation, indiquent également une ancienne délimitation 19. On a pu employer la méthode des agri eolonici, per centurias 20, et aussi d'autres procédés. Vespasien, par exemple, fit limiter les terres publiques de la Cyrénaïque avec des mesures égyptiennes 21, Les domaines impériaux étaient délimités soit par leurs administrateurs, soit par le gouverneur de la province. En Phrygie, il y a des gardiens des limites (o,oou)axEç) 22. D'ailleurs, les opérations du cens ont dii amener partout peu à peu une limitation quelconque des terres cultivées. On peut le conclure de ce fait, que l'usage du bornage, avec les anciennes méthodes romaines, persiste après les invasions et à l'époque mérovingienne 23, comme le montrent l'édit de Théodoric, les lois Salique et Ripuaire, les lois des Wisigoths, des Burgondes, des Lombards, des Bavarois et beaucoup de chartes et de diplômes 25. Un propriétaire particulier pouvait certainement donner un règlement général, une tex à son domaine 26 ; mais nous n'en avons d'exemples que pour les domaines impériaux'. Cette tex, appelée aussi forma, généralement affichée, divisée en chapitres 28, comme les lois municipales, avec lesquelles elle présente beaucoup d'analogies, règle toute l'exploitation du saltus. Hadrien avait dit réorganiser les domaines impériaux 22; on a sans doute une partie de ses règlements dans cette tex Hadriana, appliquée à plusieurs saluts de la vallée du Bagradas 30. La les donnée sur l'ordre de Trajan, en 116 ou 917, par deux de ses procurateurs au pendus Villae Magnat, Variani, est une véritable tex data 31. Elle se réfère souvent à une loi antérieure, à une lex Manciana 32 que nous ne connaissons pas autrement ; on a conjecturé 33 que c'était une loi agraire de la fin de la République qui aurait réglé les rapports entre les propriétaires et les colons, à l'époque oit l'État avait aliéné la majeure partie de l'aller publieus d'Afrique ; ce n'est Ià qu'une hypothèse. Une Novelle de Justinien n parle d'une loi (l,é7c0ç) donnée aux domaines de Cappadoce par Nicétas, préfet du prétoire ou praepositus saeri cubiculi. Quelle est la situation légale des grands domaines par rapport à la cité et à l'État? Il faut distinguer d'un côté le Ilaut et le Bas-Empire, de l'autre les latifundia ordinaires, et les saltus impériaux et privés. Les saltus paraissent avoir été laissés légalement en dehors du territoire des cités ; ils avaient avec elles des contestations au sujet des limites37; les géographes Ptolémée et Pline mentionnent les saltus à côté et en dehors des cités 36 ; il y a souvent la même distinction dans des textes du Bas-Empire3 Les oûaiat d'Égypte ont la même situation. Les saltus sont donc exemptés de la juridiction et des charges municipales. Quant aux latifundia, les textes les représentent LAT 964 LAT en général comme situés in territorio dune cité déterminée, et ce n'est pas là une simple indication topographique' ; les latifundia impériaux sont exemptés de la juridiction et des charges municipales', mais les latifundia privésy sontlégalement soumis, et c'est seulement au Bas-Empire qu'ils acquièrent en fait l'autonomie et les privilèges qu'on va voir. A l'égard de l'État, le grand domaine, même impérial, rentre dans le droit commun ; il est soumis à l'autorité des magistrats ; le gouverneur de la province peut toujours y entrer pour rechercher les criminels ; il reste encore au Bas-Empire le juge légal des hommes qui l habitent. Quant aux charges, si le domaine impérial échappe aux munera extraordinaria, sordida, aux superindictiones, il paie l'impôt foncier ; au Haut-Empire, c'est prouvé pour l'Égypte' et probable pour les autres pays ; au Bas-Empire, la res privata es[peu t-être exempte de l'impôt foncier à l'époque de Constantin' ; mais vers 383, et peut-être même plus tôt, dès 343, elle parait le payer et il en est ainsi jusqu'à l'époque de Justinien 6. Elle paie certainement aussi l'annona 6. Le patrimonium a été de tout temps soumis aux impôts ordinaires et à l'annona, sauf temporairement sous Valentinien III t Nous sommes moins bien renseignés sur les charges des colons des domaines impériaux ; ils paraissent payer la capitation sur le patrimoine, mais non sur la res prie rata 8 ; sur toutes ces terres, les marchands paient la patente, la lustralis collatio 9. Les domaines privés paient légalement l'impôt foncier et les impôts accessoires10 sauf les privilèges qu'on verra. C'est au Bas-Empire qu'on voit se développer, parallèlement avec l'affaiblissement de l'autorité publique, l'autonomie des grands domaines impériaux et sénatoriaux. Examinons les deux points principaux, l'impôt et la justice. Les domaines sénatoriaux sont en principe dispensés des ?munera municipaux " ; ils supportent les impôts sénatoriaux, le folks ]SENATUS], l'impôt foncier, l'annona et les charges annexes, par exemple la capitation des colons et, au moins à partir du Iv° siècle, le logement des soldats (liospitium, metatum),la fourniture des conscrits (tirones) 12. Les colons qui les cultivent supportent-ils les munera municipaux ? Il n'y a pas de texte décisif; c'est cependant probable. Les domaines sénatoriaux ont en outre le bénéfice de toutes les immunités collectives accordées aux sénateurs, de la dispense des munera sordida, extraordinaria, riliora18. En 361, Constance exempte de la patente commerciale (lustralis col-latin) les hommes et les fermiers des sénateurs pour la vente des produits récoltés sur leurs domaines 1' ; et on voit que beaucoup de marchands s'établissaient clandestinement sur les terres des grands pour ne pas payer la patente''. En 361, Constance crée en outre pour les terres sénatoriales un cadastre spécial. Cette mesure fait partie d'un ensemble de lois portées en faveur du sénat des deux capitales : les terres sénatoriales forment maintenant dans chaque cité un groupe dont l'impôt doit ètre levé à tour de rôle par chaque sénateur; l'impôt foncier des sénateurs est absolument séparé de celui des décurions ; il est fixé directement par l'empereur, réparti par le gouverneur et un nouveau magistrat, le defensor senatus, et versé aux agents de l'État par les intendants des sénateurs 1e. Ce système était tellement favorable au sénat qu'en 397 il devait encore au trésor la moitié de sa contribution foncière. Arcadius et Honorius durent alors en rendre la perception aux décurions "; dans la suite, nous ne savons quel système prévalut ; une Novelle de Majorien réserve aux gouverneurs le droit de poursuivre les intendants des sénateurs pour le paiement de l'impôt1e. Pour le recrutement militaire, les propriétaires envoient leurs acteurs et procurateurs au lieu où se tient l'agent impérial 79. On voit de quels énormes privilèges jouit la propriété sénatoriale en matière d'impôts ; et ils sont encore augmentés en fait par la toute-puissance des sénateurs ; les codes le prouvent à chaque ligne ; dans le régime de l'adjectio, les sénateurs trouvent le moyen de faire retomber sur les décurions l'impôt des parties stériles de leurs terres ; les répartiteurs des impôts, comtes, Iionorati (anciens fonctionnaires), sont tous de la classe sénatoriale ; ils font retomber la plus grosse part de l'impôt sur les décurions et les petits propriétaires20. Les témoignages de Salien confirment les plaintes incessantes des empereurs à ce su jet". On s'explique ainsi l'extension prodigieuse que prend le patrocinium Passons à la justice 22. A. Domaines impériaux. P Pendant le Haut-Empire, les procuratores saltus ont naturellement une juridiction ; l'inscription du saltus Burunitanus montre l'usage et l'abus du droit de coercitio sur les hommes du domaine ; ils se plaignent que le procurateur les ait fait saisir et même battre de verges par des soldats, quoique plusieurs d'entre eux fussent citoyens romains'". La lex metalli Vipascensis donne au procurateur de la mine, domaine fiscal, le jus mulcta.e ; c'était peut-être contraire au droit, puisqu'encore au m° siècle un rescrit de Sévère Alexandre refuse aux procurateurs en général ce jus mulctae 2â ; mais ils ont sans contestation les droits de police ; ils disposent de la force armée, des postes militaires ; ils peuvent expulser des domaines les gens dangereux 29. Légalement, ils n'ont ni la juridiction criminelle dans les affaires importantes, ni la juridiction civile. Mais dans la pratique ils exercent les pouvoirs les plus arbitraires ; c'est ce que prouvent justement les constitutions qui leur défendent de rendre la justice au criminel24. Sous Maximin, en Afrique, un procurateur peut, malgré le proconsul, proscrire et faire tuer de nombreux colons28. à° Au Bas-Empire, nous trouvons un accroissement important du pouvoir des procu LAT 965 LAT rateurs; les hommes du domaine sont toujours justiciables du juge ordinaire au criminel ; mais dès 3à8 c'est en présence de l'administrateur du domaine qu'ils doivent être jugés ; d'après une loi de Valentinien Ief, c'est le rationalis qui doit faire comparaître les colons et les fermiers du domaine devant le juge ordinaire'. Une loi de Valentinien II défend aux agents du juge ordinaire d'entrer dans le domaine pour amener en justice les délinquants2. C'est pour la levée des redevances le rationalis rei privatae, pour les autres délits les actores dominici qui doivent seuls les amener et les défendre devant le tribunal. Arcadius et Honorius abrogèrent cette loi, mais sans succès, puisqu'elle figure encore au code de Justinien. Ce régime se rapproche déjà de l'immunité franque. Au civil, c'est le juge ordinaire qui doit juger les gens du domaine, mais ici encore en présence d'un de leurs chefs, probablement du rationalis '. En outre, dès l'époque de Constantin, le juge ordinaire doit soumettre au contes rei privatae tout ce qui touche aux intérêts domaniaux; bien plus, une loi de 349 donne, mais peutêtre par exception, au rationalis summae rei une certaine juridiction civile à l'égard des colons du patrimoine; et une loi de 383 donne dans ces mêmes affaires une juridiction de première instance aux nationales rei privatae'. En somme, il est probable que les fonctionnaires du domaine ont fini par juger les affaires peu importantes; et c'est en leur présence que les autres étaient jugées par les juges ordinaires. Une loi de 442 donne pour juge exclusif aux colons de la domus divina de Cappadoce, le cornes domorum avec appel au praepositus sacri cubiculi 1. B. Domaines privés. Les sénateurs et leurs agents qui n'ont pas en droit la juridiction finissent par la conquérir au moins partiellement. C'est là un des traits les plus caractéristiques, et ce sera une des plus graves conséquences de l'autonomie des grands domaines. Il est interdit aux juges de séjourner et de tenir leurs audiences dans les propriétés privées'. Ce sont les procurateurs et les chefs de villages (primates po.s.sessionum) qu'on somme d'abord de livrer et d'amener les malfaiteurs; c'est seulement quand ils refusent qu'on emploie des soldats '. Dès l'époque de Marc Aurèle, la loi qui permettait d'aller chercher les esclaves fugitifs sur les terres du fisc et des sénateurs parait prouver qu'ils y trouvaient souvent asile, et c'est confirmé par d'autres textes 8. Saint Augustin met les autorités des domaines au même rang que celles des cités' ; dans la querelle des Donatistes, en Afrique, on demande la protection (tuitio) des chefs des domaines, comme celle des magistrats municipaux, pour les églises orthodoxes 10, En Orient, à certaines époques, les lois confient la police aux actores et aux procurateurs". Léon etAnthemius en Orient, Valentinien III en Afrique défendent d'entretenir V: des troupes d'esclaves armés, de soldats privés, Isauriens, bucellarii et autres sur les propriétés 72. De nombreuses Iois de Léon et de Justinien défendent aux propriétaires de détourner de l'armée pour leur service les soldats réguliers, souvent avec la connivence des officiers 13. Justinien place les intendants des grands presque au rang des magistrats inférieurs et leur reproche de piller, à la tête de bandes armées, toutes les terres même impériales''°. Malgré les lois de toutes les époques jusqu'à celle de Théodoric'', ily a des prisons privées (carceres privati) pour les délinquants, et les jurisconsultes y font peut-être allusion dès le n' siècle en signalant parmi les causes de restitutio in integrunt la détention par des brigands, des pirates ou des potentiores's. Le grand propriétaire exerce en fait une véritable domination sur les habitants de ses terres, ses ltomines". D'abord il joue vraiment à leur égard le rôle d'un judex privatus. Sidoine Apollinaire nous dépeint un sénateur qui règle la condition de ses hommes « non dominio sed judicio »18. Il a toujours des ergastula pour ses esclaves 19 ; il peut punir même de mort les délits qu'ils commettent à son égard, pourvu qu'il y ait un motif légal, une causa legibus cognita20; il arrange souvent lui-même à l'amiable les délits dont ils se rendent coupables à l'égard de tierces personnes" ; il agit de même à l'égard de ses affranchis 2', et de ses colons; il peut punir ces derniers pour certains délits, en particulier pour le crime d'hérésie23; saint Augustin reproche à un propriétaire et évêque donatiste d'avoir rebaptisé en bloc les 80 colons d'un domaine emphytéotique". Les plaintes de Salvien sur l'esclavage des colons sont confirmées par les faits qu'on va voir et par les texteslégislatifs28. Enfin, nous pouvons suivre, depuis Constance jusque sous Justinien et plus tard ", la pratique du patrocinium (icpoer«a(a) 27. C'est la protection soit d'un grand propriétaire, soit d'un fonctionnaire, militaire ou civil, ou administrateur de biens impériaux 28; appliquée à une communauté, à un village, elle tient du patronat municipal; appliquée aux individus, elle constitue une vraie clientèle, établie soit simplement en fait, soit par un vrai contrat; dans ce dernier cas, le client cède sa terre, par donation ou par vente, et la reprend grevée d'une redevance ; sa propriété s'est ainsi transformée en une sorte de tenure dont on ne saisit pas nettement le caractère. Salvien exagère en nous représentant ces clients réduits à la situation de colons"; c'est plutôt une condition qui tient du précaire et de la recommandation. En tout cas, un des résultats principaux du patrocinium était de soustraire le protégé au paiement de l'impôt : c'est pour cette raison qu'on lui a fait une guerre acharnée mais infructueuse '° ; il se maintient tant en Orient qu'en Occident pour se transformer au moyen âge. En Orient, d'après une loi de Zénon, les colons de certains sénateurs ne peuvent comparaître 122 LAT 966 -LAT en justice que par l'intermédiaire de leurs maîtres Une Novelle de Justinien reconnaît aux sénateurs propriétaires qui ont leur demeure à Constantinople une véritable juridiction sur les gens de leurs terres". Cette juridiction territoriale, née du désordre universel, de l'impuissance du gouvernement, du besoin de protection que ressentent les petits, favorisée par les privilèges des sénateurs, étend considérablement le pouvoir du propriétaire sur les classes agricoles, c'est-à-dire la masse de la population. C'est une des bases principales de cette puissance des grands, des 'intentes, qui apparaît dès le Haut-Empire, mais qui est un des traits caractéristiques du Bas-Empire 3. La protection des grands soustrait les criminels aux poursuites, les contribuables au paiement de l'impôt, les débiteurs aux revendications des créanciers, donne le succès dans les procès, même contre le fisc Ils arrachent, par la force, les ventes, les transactions, les donations, bravent les juges, usurpent les terres des petits propriétaires, des veuves, des orphelins, des cités, du fisc et de l'liglise, exercent l'usure 5. La lutte contre les grands est la recommandation invariable de toutes les lois adressées aux gouverneurs depuis Constantin jusqu'à Justinien. Il y a trois catégories de personnes, ditJustinien 6, qui font échec àl'autorité publique, les ducs militaires, les administrateurs des domaines impériaux, les chefs des grandes maisons. On trouve la même situation en Italie sous les Ostrogoths 7. Abus de la prise de gage (pignoratio), résistance à la justice, au fisc, attentats à la propriété, à la paix publique, usage des prisons particulières, tels sont les principaux griefs qu'on relève encore à la charge de la noblesse italienne 8. Les saltus ont eu souvent au Bas-Empire leurs églises, leurs prêtres et même leurs évêques, surtout dans l'Afrique. Les Donatistes eurent des évêques dans des villae et des fundi". Une partie des noms de lieux mentionnés dans les listes épiscopales de l'Afrique comme sièges d'évêchés paraît être des noms de domaines 70. On en trouve aussi ailleurs. A l'époque du pape Grégoire le Grandl1,ilyavait des évêques dans des domaines pontificaux, dans des massae de la Sicile ou du midi de l'Italie; l'episcopus Carmeienensis est évidemment l'évêque du saltus carminianensis 12. Dans la Gaule, une partie des églises rurales des vici a dû être établie dans des vici de grands domaines13. Une loi d'Arcadius et d'Honorius parle de fondations d'églises par les propriétaires 14. Nous arrivons à l'exploitation des terres : chaque domaine public ou privé a son administrateur, dont le nom générique est procurator 15 (en grec Ec(Tpoaoç)16 ; il s'appelle aussi praefectus, praepositus, curator et au Bas-Empire vice-dominos 17. Le procurateur privé, mandataire du maître 18, est le plus souvent un esclave 19 ; le procurator saltus impérial est généralement un affranchi"; il contrôle les gens du domaine et les fermiers ; il dirige l'exploitation, avec son bureau (tabularium) 21. On a déjà vu l'importance de son rôle. Au-dessous du procurateur, il y a le régisseur, vilicus, le plus souvent esclave" ; factor (en grec 7tpa ç cŒTEuTriç) 23 ou les actores, presque toujours esclaves, chargés de la discipline 24 ; le saltuarius, souvent esclave, paraît plutôt être un employé inférieur qu'un vilicus". Voyons d'abord le Haut-Empire. 1° L'exploitation directe de tout le domaine par le propriétaire, ou en régie par un procurateur ou un vilicus, est rare ; cependant il y en a des exemples 26; c'était le cas des jardins impériaux d'Engaddi en Judée 21. On utilise alors la familia rustica qui, par opposition à la familia urbana, comprend les esclaves attachés à la culture du domaine, l'instrumentum fundi [sERVUS] 28. Disons seulement ici que la familia rustica était très nombreuse; les esclaves, groupés en services (officia, ministeria) qui avaient chacun leur magister operum, étaient répartis en groupes de dix (decuriae), ayant chacun un decurio ou monitor; quelques hommes avaient des emplois de confiance, tels que le cellarius (sommelier), le dispensator (économe) "9; on connaît aussi des gardiens (custodes, 7caparfu),axîTat) 30 A la tête de la familia était le vilicus. A côté de cette exploitation, on voit apparaître sous le Haut-Empire la tenure servile. Les propriétaires avaient dû comprendre qu'au lieu de faire travailler les esclaves en troupe, le plus souvent enchaînés 31, ils avaient intérêt à leur confier de petits lots de terre isolément, à charge de les cultiver moyennant une redevance. L'institution du pécule, surtout quand il consistait en animaux laissés à l'esclave avec le droit de les faire paître sur la terre du maître32, avait dû aussi faciliter cette pratique. En tout cas, cette tenure servile apparaît nettement chez les jurisconsultes des u° et in° siècles 33. Cette pratique, qui faisait de l'esclave une sorte de fermier, un quasi LAT 967 LAT colonus', a dû se généraliser; c'est l'origine des servi casarii du Bas-Empire 2. 2° Le mode le plus fréquent est la mise à ferme du domaine, entier ou en partie [LOCATIO CoNDCCTIO]. La partie que se réserve le propriétaire est exploitée comme on vient de le voir. La mise à ferme a lieu, pour les terres privées, selon les règles habituelles ; pour les terres publiques, on suit sans doute à peu près les mêmes procédés qu'autrefois ; sous la République, le censeur affermait les terres de l'État sur le Forum, aux enchères publiques, sub hasta, et avec le ministère d'un praeco; l'adjudicataire donnait à la fois comme garantie de ses obligations des cautions (praedes) et des praedia, des biens qu'il engageait à l'État [PUBLICANI] 3. A l'époque impériale,ce sont sans doute, suivant les cas, les chefs de l'aerarium Saturni ou les directeurs des services impériaux, les caisses impériales, qui procèdent aux adjudications sur les propositions des procurateurs locaux 4. Les fermiers fournissent toujours des garanties personnelles et des garanties réelles 3. La pratique habituelle" et légale est toujours le bail à. court terme, quinquennal, pour toutes les catégories de terres'. Hygin signale cependant des baux de 100 ans et plus pour des terres de l'État et des cités Pour l'État, nous n'avons pas d'exemple précis. Quant aux cités, il est certain qu'au moins dès le début de l'Empire leurs terres ont été régulièrement l'objet de baux perpétuels et héréditaires sous le nom d'agri vectigales; le tenancier et les héritiers ne pouvaient être dépossédés tant qu'ils payaient le vectigal; les jurisconsultes se demandèrent si ce droit constituait une vente ou un louage et se prononcèrent pour le louage'. Sur des tablettes de Pompéi, ce droit s'appelle aussi avitunt et patritum L0. Cette tenure a eu une grande importance et les compilateurs de l'époque de Justinien ont pu l'assimiler, en négligeant les différences, au bail emphytéotique ". D'autre part, le bail de cinq ans pouvait devenir un bail de longue durée par l'emploi de la tacite reconduction ; l'inscription du saltus Burunitanus montre qu'elle était habituelle sur les saltus d'Afrique à l'époque de Commode 12 ; des rescrits impériaux défendent aux chefs des domaines de retenir de force les fermiers au bout des cinq ans 13 ; dès 68 av. J.-C., un préfet d'Égypte réprimait la coutume qui s'était introduite d'obliger les fermiers à affermer les vectigalia ou les terres du domaine ". Cette pratique de la tacite reconduction, volontaire ou obligatoire, va contribuer à faire naître d'un côté les tenures perpétuelles, de l'autre le colonat du Bas-Empire. Une constitution de Gordien, de 239, peut faire croire que des particuliers donnaient aussi des terres àéail perpétuel s Il y a deux catégories de fermiers, de conductores ou coloni (en grec lit1alo1Ta(10), les petits et les grands. Les petits fermiers libres ont été très nombreux à l'époque impériale ; ils ont remplacé dans une certaine mesure les petits propriétaires " ; leur redevance consiste soit dans une somme d'argent, soit dans une part des fruits ; le colonat partiaire, qui existait déjà sous la République et qui sera la règle au Bas-Empire 15, est une pratique légale pendant le Haut-Empire 19, moins usuelle cependant que le fermage à prix d'argent. On a prétendu découvrir le petit fermage dans les agri decumates de Germanie; de petits fermiers y auraient cultivé de petites parcelles, moyennant la redevance du dixième de la récolte 20 ; cette hypothèse n'a pas de fondement; ces terres avaient plutôt été abandonnées aux occupants. Sur les grands domaines, surtout publics, c'est le grand fermage qui a prédominé sous l'Empire comme sous la République. Quel a été le rôle du grand fermier? C'est une question très controversée. A notre avise', la terre affermée au grand fermier comprend deux parts : la part disponible et les petites tenures ; il afferme donc à la fois la part disponible et les redevances que doivent les possesseurs des petites tenures, les coloni: c'est prouvé par plusieurs inscriptions d'Afrique qui montrent des locations de vectigalia, c'est-à-dire de redevances des colons 22, de quintae, redevances du cinquième 23. En Italie, à l'époque de Marc Aurèle 24, les fermiers qui ont affermé le bétail et les pàtres de l'empereur dans la Sabine ont sans doute aussi affermé les redevances 2" ; les documents d'Égypte prouvent aussi que les grands fermiers afferment les redevances (ix?dpta) des petits fermiers, des ystepyo( Sr)i.datot 28. C'est ce qui explique l'opposition constante que nous rencontrons sur les grands domaines entre le grand fermier, le conductor, d'un côté, et les culent de l'autre. Le conductor exploite d'une part la portion disponible, soit personnellement, soit par un vilicus" ou un ache, en payant au propriétaire (fisc ou particulier) une redevance fixe, appelée en Égypte cpdpoÇ a té'rŒxTGÇ26 ; d'autre part, les colons sont à son égard tantôt des sous-fermiers, comme en Égypte, tantôt des tenanciers permanents dont la redevance a été fixée une fois pour toutes ; ils lui doivent généralement, outre la redevance, des corvées qu'on va voir, des operae qui correspondent aux corvées que les habitants devaient ailleurs aux cités". Naturellement, par rapport aux colons ce conductor est un puissant personnage ; il dispose de gros capitaux pour l'exploitation de cet immense domaine; il devient, lui aussi, en fait, fermier perpétuel, par le renouvellement LAT e968 LAT périodique de son bail' ; il a presque l'importance du procurateur impérial qui est souvent don complice; c'est ainsi qu'il peut maltraiter, exploiter les colons. Nous renvoyons pour l'histoire générale du colonat à l'article coLOMS. Indiquons seulement ici les traits particuliers du colonat sur les grands domaines, surtout d'Afrique. Les colons doivent des corvées au propriétaire ou au conductor pour l'entretien et l'exploitation de la part disponible. Sur le saltus Burunitanus, ils doivent par an deux journées de labour, deux de sarclage et deux de moisson2; à Gazr-Mezuar quatre journées de chacune de ces trois catégories 3 ; dans l'inscription d'Henchir-Mettich, il est probable qu'ils doivent les corvées du saltus Burunitanus 4. On peut sans doute faire rentrer dans les operae les travaux faits par les colons pour l'entretien du domaine, la construction de bâtiments, de forts 3. En Afrique, la redevance est toujours, comme autrefois pour les agri occupatorii de la République, une quotepart des fruits, partes fructuum, partes ayrariae La proportion n'est pas indiquée pour le saltus Burunitanus ; les colons protestent seulement contre l'augmentation arbitraire de la redevance par le conductor ou le procurateur ; dans l'inscription d'Aïn-Ouassel 7, c'est le tiers des fruits (tertias partes) ; il y a une centesinaa fructuum qu'on ne sait comment expliquer dans une autre inscription ". Dans l'inscription d'HenchirMettich°, ils doivent, d'après la lex tllanciana, le tiers des fruits pour le blé, l'orge, le vin et l'huile ; le quart (ou le cinquième) pour les fèves ; pour le miel, un setier par ruche ou par vase à mie] '° ; tous ces produits doivent être livrés sans déchet, c'est-à-dire les céréales au sortir de l'aire, les fèves écossées, le vin au sortir de la cuve, le miel extrait des rayons, le produit des oliviers sous forme d'huile. Il y a quelques autres dispositions spéciales; le colon qui a plus de cinq ruches doit sans doute fournir une part un peu plus élevée. Une autre clause prévient la fraude qui consisterait à transporter hors du fondus des ruches, des essaims et des vases à miel pour les mettre ailleurs dans un champ dit octonarius; en ce cas, tous les objets transportés sont confisqués au profit du fondus". Un paragraphe mutilé est consacré aux figues sèches (ficus aridae); le passage relatif au bétail est altéré13; pour chaque tête de bétail qui nait (ou qui paît?) sur la terre, les colons doivent payer une redevance ; si des portions du sol sont consacrées à la culture de la vesce, il y a une disposition spéciale, mais dont le texte a disparu en partie'. Les colons doivent toutes leurs redevances in assern13, c'est-à-dire sans doute non pas solidairement, mais en bloc, à tout le domaine, de telle sorte que le montant, invariable, soit réparti entre les copropriétaires ou leurs fermiers, proportionnellement à leur droit. Une clause s'occupe des dommages causés aux récoltes; il est probable que la peine était répartie entre le conductor et le calotins au prorata de leur intérêt1G L'inscription d'Henchir-Mettich17autorise les colons du domaine à défricher les subseciva, c'est-à-dire les parcelles laissées en dehors des limites officielles du domaine, soit parce qu'elles étaient incultes ou trop accidentées, soit parce que la surface en était inférieure à une centurie ; elles pouvaient donc être situées aux extrémités du domaine ou y former des enclaves'". On a donc accordé ici aux colons un droit analogue à l'omis patio de la République ; en échange, ils doivent immédiatement comme redevance la part de fruits fixée par la lex !llanciana; d'après un passage altéré de l'inscription, ce sont les colons eux-mêmes qui paraissent déclarer arbitratu suo le produit total de la récolte et le partage se fait d'après cette déclaration. A ces conditions, ils ont sur ces terres l'usus proprios : ces mots paraissent désigner non pas seulement une servitude d'usage, mais bien une propriété de fait analogue à celle qu'avaient sous la République les possessores de Payer publicus13. En second lieu, ce même règlement d'Henchir-Mettich et celui d'AïnOuassel accordent aux colons pour les nouvelles cultures et les défrichements des avantages qu'on va voir à propos de l'emphytéose. Le règlement d'Henchir-Mettich 20 prévoit le cas où un lot de terre cultivé serait abandonné par le colon et décrit la procédure des denuntiationes à suivre avant d'arriver à la déchéance du colon ; mais le passage est très mutilé. Il faut peut-être distinguer deux cas; s'il y a eu sur le champ délaissé des améliorations importantes, des constructions de bâtiments, le colon garde pendant deux ans après l'abandon son' droit de culture (jus colendi) ; si le champ a été simplement cultivé, le conductor ou le vilicus annonce la première et la deuxième année l'abandon du champ et, s'il ne se présente aucun colon nouveau, doit le faire exploiter. En Égypte, d'après un papyrus de l'an I7 ap. J.-C., les colons ne gardent que le tiers des fruits et versent les deux tiers comme redevance2'. Les colons des grands domaines privés et impériaux sont toujours libres en droit : ils peuvent quitter le domaine à l'expiration du bail, ou à leur guise si, comme sur certains saltus d'Afrique, ils cultivent en vertu de la simple occupatio en acceptant les règlements. Ils ne sont pas encore des serfs de la glèbe 22 ; en Égypte, ils restent libres jusqu'au vie siècle23. Mais les propriétaires avaient intérèt à s'assurer des fermiers à demeure. Dès le ter siècle, LAT 969 LAT la fixité de la tenure apparait comme une nécessité économique. Columelle recommande déjà d'avoir sur sa terre des coloni indipenne, parce que le changement de fermiers est une cause de ruine'. Les fermiers euxmêmes avaient intérêt à rester sur le domaine. D'autre part, beaucoup de fermiers, besogneux, endettés, n'auraient pu quitter la ferme sans laisser leur matériel, sans donner caution ; ils se résignaient à rester indéfiniment sur la même propriété 2. C'est de ces fermiers attachés au sol par leurs dettes qu'il est question, dès l'époque républicaine, dans Varron plus tard dans Columelle dans César pour toutes les provinces du monde romain. Les inscriptions signalent aussi fréquemment des fermiers qui ont cultivé leur ferme pendant très longtemps La pratique attachait donc de plus en plus le cultivateur au sol; le fermage se transformait en colonat. C'est surtout sur les grands domaines impériaux que nous saisissons cette transformation. Les colons n'y sont plus considérés en fait comme des fermiers libres, mais comme les hommes de l'empereur, coloni domini nostri', plebs fundie, rustici tenues, mediocritas nostra°; ils s'intitulent rustici toi, vernulae et alumni saltuum tuorum70, c'est-à-dire serviteurs nés sur le domaine ; quoiqu'ils soient molestés par les procurateurs et le conductor, il ne leur vient pas à l'idée de quitter le domaine ; ils n'invoquent que le règlement d'Iladrien, la forme perpetua 11 Au Bas-Empire, l'État n'aura plus qu'à proclamer l'attachement obligatoire et indissoluble au sol. D'autres documents nous renseignent sur les misères des colons. Une inscription de Phrygie renferme une supplique adressée entre 244 et 247 à Philippe par les colons d'un saltus ; ils se plaignent des vexations que leur font subir les agents du fisc (I£ateaptavoi), les soldats qui traversent le domaine et les puissants (isvxc'at)". D'après un décret de Gordien, les gens du village de Skaptoparénè en Phrygie se plaignent egalement des pillages des soldats l3. A l'époque de Justinien, les Novelles signalent encore les pillages des gouverneurs, des grands propriétaires, tyrans féodaux, des soldats de passage ou des garnisons et même des agents de police ruraux ()cge-coDGéx'cat, 13toxo)05rat), surtout dans l'Asie Mineure14. Un rescrit de Justin I°° et de Justinien (vers 527) a pour but de protéger les terres et les hommes (colons, adscripticii, curatores et conductores) contre les soldats de passage et les agents de police 15. La répression de ces fléaux fut un des principaux soucis du règne de Justinien ; elle amena en particulier la grande réforme de 535, la réunion des pouvoirs civil et militaire dans plusieurs provinces d'Asie, la création de comtes en Phrygie, Galatie, Isaurie et Arménie, de préteurs en Pisidie, Lycaonie Lycie et Paphlagonie, d'un proconsul en Cappadoce i". C'est cette misérable situation des colons qui expliqué qu'au Bas-Empire il y ait eu en Occident tant de révoltes agraires, en particulier celle des Bagaudes en Gaule", celle des Girconcelliones d'Afrique, bandes d'esclaves révoltés, de débiteurs insolvables, de propriétaires ruinés par le fisc, et surtout de colons sortis des cellae des grands domaines 13 L'inscription d'Ilenchir-Mettich mentionne à côté des colons les stipendiarii et les inquilini. Le passage relatif à ces stipendiarii, qui sont astreints à des redevances envers le domaine, est trop mutilé pour fournir une conclusion certaine10. Le passage relatif aux inquilini est également très mutilé" ; on voit seulement qu'ils doivent déclarer leurs noms dans un certain délai aux régisseurs ou aux grands fermiers ; au Bas-Empire, les inquilini sont rapprochés, mais cependant distingués des colons; ils ne paraissent pas être assujettis au soli plusieurs textes les mentionnent comme des ouvriers non agricoles du domaine, patres, jardiniers22 ; il est difficile de préciser davantage. On trouve aussi au Bas-Empire des negotiatores qui paient sans doute une redevance". Nous avons peu de renseignements sur la tenure d'affranchi24. Nous savons qu'il y avait beaucoup d'affranchis dans les campagnes, qü'au Bas-Empire ils fournissaient une partie des soldats23. Il est probable qu'ils ont suivi le sort et les transformations du colonat 20 Nous arrivons au Bas-Empire. Les particuliers continuent à employer àpeu près les mêmes formes d'exploitation, notamment le bail à court terme. On trouve toujours d'un côté les accores ou les procuratores qui dirigent les esclaves et les colons, de l'autre les conductores libres 97, Une charte du ve siècle montre la toute-puissance de deux conductores sur les adores, et les conductores massarum28. L'emphytéose a peut-être été employée en Occident dès la fin du Ive ou le v' siècle"; en tout cas, en Orient, elle est d'un usage courant à partir du ve siècle 30. Sur les domaines impériaux, le caractère général des tenures est la concession au preneur d'un droit perpétuel et héréditaire. On trouve cinq formes principales d'exploitation : 1' L'exploitation en régie, de moins en moins fréquente; elle est appliquée aux palais impériaux, aux haras, à quelques domaines31. Dans ce cas, les différents cultivateurs, esclaves, colons, sont régis par des adores (les anciens vilici) ou des procuratores, qui sont quelquefois esclaves, mais qui sont pris le plus souvent parmi les officiales 32. Il est souvent difficile de distinguer cette exploitation du fermage, car factor peut jouer un rôle même là où il y a un conductor. LAT 970 LAT 2° Le fermage à court terme, peu fréquent et qui est sans doute toujours de cinq ans'. 3e Le jus perpetuum 2, droit de jouissancé concédé sur un fondus perpetuarius ou privati juuis, perpétuellement et héréditairement, moyennant le paiement d'une redevance annuelle (pensio, canon) ; le fermier s'appelle perpetuarius. Cette tenure, distincte au début de l'emphytéose 3, et qui est toujours une location, est employée pour la res privata, les fundi patrimoniales et les terres des cités 4. Elle a donc remplacé le jus in agro vectigali du Haut-Empire, ou plutôt c'est ce droit qui a été appliqué sous un nom nouveau aux domaines impériaux. Le perpetuarius a un droit héréditaire, peut l'aliéner de toutes manières entre vifs; mais, n'étant pas le propriétaire, il ne peut affranchir les esclaves du domaine 5; mais dès la fin du ve siècle, en tout cas à l'époque de Justinien, ce droit s'est confondu avec l'emphytéose 6. 4° Le jus privatum salvo canone. C'est une aliénation à prix d'argent et où l'acquéreur doit en outre une rente fixe, perpétuelle (canon), plus petite que dans le jus perpetuum. L'acheteur est donc propriétaire, peut aliéner le domaine, le transmettre à ses héritiers, en affranchir les esclaves. Cette vente n'a guère été employée que pour les fundi patrimoniales et sans doute en cas de nécessité urgente, car plusieurs empereurs révoquent des concessions de ce genre ou les interdisent pour l'avenir'. On peut rapprocher de ce jus privatum salvo canone les agni privati vectigalesque de l'époque républicaine. Justinien interdit aux églises des ventes de ce genre qui constituaient un droit appelé vtapotxtxiv 8. 5° L'emphytéose. Nous renvoyons à l'article Es1rHVTEUSIS. Ajoutons seulement les renseignements que fournissent les inscriptions et quelques textes sur les origines de ce contrat. Plusieurs passages de l'inscription d'Henchir-Mettich se rapportent aux avantages accordés aux colons qui ont fait des plantations nouvelles de figuiers, de vignes et d'oliviers, ou qui ont défriché des terres. Voici les principales dispositions : pour les figueries nouvelles, les colons disposent en totalité des cinq premières récoltes ; ils ne doivent que pour la suite la redevance légale; pour les vignobles nouveaux ou constitués à la place de vieilles vignes épuisées, ils disposent des deux premières vendanges ; pour les olivettes créées de toutes pièces, des dix premières récoltes ; pour les olivettes obtenues par la greffe d'oliviers sauvages, des cinq premières récoltes seulement On a vu ce qui était relatif au défrichement des subseciva et des terres incultes. On a donc ici, quoiqu'il n'y ait pas de contrat formel, quelques-uns des traits qu'aura plus tard l'emphytéose, c'est-à-dire l'amélioration d'une terre par le preneur et l'exemption de toute redevance pendant un certain temps. Ce droit conféré aux colons est-il déjà perpétuel et héréditaire? On a vu qu'en fait ils sont attachés au sol; d'autre part, ce fait même qu'ils peuvent engager leur droit pour la sûreté d'une créance, par l'emploi de la /iducia, paraît irnpliquer aussi un droit héréditaire qui se rapproche du droit de l'emphytéote10. La déchéance du droit des colons au bout de deux ans d'interruption de culture est encore une des règles de l'emphytéose classique ". Dans l'inscription d'Aïn-Ouassel, la loi d'Hadrien, appliquée de nouveau sous Sévère, s'occupe des terres qui n'ont pas été cultivées (rudes agni) ou qui, délaissées par le conductor, sont en jachère depuis dix ans '2. Elle accorde aux colons qui voudraient les occuper sans contrat les avantages suivants : ils paient comme redevance le tiers de la récolte de céréales ; ils sont exempts de redevance pour les fruits des arbres fruitiers, s'ils en ont planté, pendant sept ans ; pour les oliviers, plantés ou greffés, pendant dix ans ; au bout de ces périodes, ils doivent la redevance habituelle du tiers des fruits, et encore ils peuvent déduire du partage des poma la quantité nécessaire à leur consommation propre. Un passage mutilé paraît prouver que la redevance en céréales sera payée au conductor pendant cinq ans et ensuite au fisc 13. En outre, les colons acquièrent sur ces terres un droit de jouissance perpétuelle et héréditaire (jus possidendi ac fruendi heredique suo relinquendi) ; nous avons donc ici deux des caractères essentiels de l'emphytéose, l'exemption de redevance pendant quelques années, la jouissance perpétuelle et héréditaire. Nous ne savons pas si l'occupant peut céder son droit. C'est donc à la fois une propriété analogue à l'occupatio de la République et une tenure emphytéotique sans contrat. A la fin du u° siècle, Pertinax accorde à ceux qui voudront le droit d'occuper les terres abandonnées et en friche, de toutes les catégories, de tous les pays et de les garder, comme s'ils en étaient les maîtres, avec l'exemption de tout impôt et de toute redevance pendant dix ans'0. C'est donc le même régime que dans la loi d'Hadrien. Avec Aurélien (270-275) commencent la législation sur les terres abandonnées, sur les agni deserti, et le régime de l'adjectio ; il charge les décurions de ces cités de l'entretien de ces terres, en les exemptant d'impôt pendant trois ans '°. Les empereurs appliquent donc aux terres incultes des particuliers les mêmes mesures qu'à leurs domaines. Elles aboutissent naturellement à la tenure emphytéotique. Elles offrent des analogies avec l'emphytéose grecque de la même époque, telle qu'on la voit dans l'inscription de Thisbé, de Béotie, qui est du ne ou du m° siècle ap. J.-C.18; c'est un règlement pro mulgué conformément aux anciennes pratiques du droit grec par le proconsul d'Achaïe sur le fermage des terres publiques de Thisbé ; la demande de prise à ferme (M),fov) doit être adressée aux magistrats municipaux; le fermier ne devra aucune redevance pendant les cinq premières années à la condition qu'il mette le sol en culture ; ensuite, à la condition de payer la redevance annuelle (popos), il aura sur cette terre un droit de jouissance héréditaire; il pourra en disposer soit entre vifs soit par testament, mais uniquement en faveur d'un LAT 971 LAT citoyen de Thisbé. On trouve ici les traits caractéristiques de l'emphytéose : le (ltèè),(ov (libellus) 1, l'obligation de cultiver, l'exemption de la redevance pendant cinq ans, le retour au propriétaire (commissural en cas d'inexécution des engagements. L'emphytéose a certainement une origine grecque, mais on voit que l'administration impériale établissait dès le ut siècle au profit de ses colons un droit analogue à l'emphytéose. Il n'est pas étonnant qu'elle ait pris l'extension qu'on connaît au Bas-Empire. Elle était mieux appropriée que le jus perpetuum à la culture des agri deserti et même des terres fertiles 2 du domaine impérial. Il n'y a plus guère que de grands fermiers : sénateurs, fonctionnaires avec lesquels les administrateurs des domaines ont souvent à lutter et qui essaient d'usurper les pouvoirs judiciaires 4 ; quelquefois des décurions et des curies entières 5. Plusieurs personnes peuvent s'associer pour prendre une grande ferme 6. A côté du fermier, il y a le procurator, chargé de la gestion des comptes et de la surveillance. Au Ive siècle, c'est généralement le gouverneur, au ve siècle les fonctionnaires de la res privata qui procèdent à la location des domaines par voie d'enchères publiques et reçoivent, sans doute en les faisant enregistrer devant les curies, les cautions et les garanties réelles des fermiers. Le fermage est générale ment payé en argent, quelquefois en blé La ferme comprend comme précédemment deux parties, la partie disponible et les tenures des colons; pour la partie disponible, le conductor peut amener son bétail, ses esclaves, et il a encore droit, d'après le règlement, la forma, à des services des colons; c'est pour cette raison qu'il y a toujours des contestations, par exemple pour la jouissance des eaux, entre le fermier et les colons 8. Une partie des esclaves a obtenu des tenures qui les assimilent à des colons ; ce sont des servi casati ou casarii e. On peut utiliser pour l'étude des grands domaines à la fin de l'Empire les renseignements que nous fournissent sur les domaines de l'Église les lettres du pape Grégoire le Grand12. Chaque circonscription domaniale (patrimonium), composée de plusieurs fundi, saltus, massae, est administrée par un recoor qui lève les redevances, gouverne les colons, choisit les conductores, avec l'aide d'actionarii, de notarii, de defensores, exerce les droits de police, juge les petites affaires ; les petits cultivateurs (patrimoniales, rustici), soit esclaves, soit colons, doivent à l'État l'impôt foncier, le service militaire, restent soumis à la juridiction générale du gouverneur, paient à l'Église comme redevance une quantité déterminée de mesures de blé, des taxes secondaires (pensiones) qui consistent le plus souvent en argent, des corvées (angariae) pour le propriétaire ou le fermier, et un droit de formariage". Il y a deux catégories de fermiers, les conductores et les emphytéotes. Chaque conductor afferme un groupe de terres appelé conduma ; ce personnage, souvent colon, quelquefois même esclave, a pour attribution essentielle de lever sur les cultivateurs toutes les redevances dues soit àl'Église, soit à l'État, et dont il a pris la perception par un bail à court terme, en engageant ses biens" A-t-il un autre rôle? Le fait qu'il touche pour lui-même certaines redevances peut faire croire qu'il est en même temps fermier d'une partie du sol 13. L'emphytéose est régie d'après le droit de Justinien. L'emphytéote est un grand personnage; il prend la terre sub specie libelloruln, libellario nontine; une seule lettre de Grégoire le Grand parle de la durée de l'emphytéose qui est de trente ans'`; mais dans les lettres des papes postérieurs on trouve des durées très variables, quelquefois la