Le Dictionnaire des Antiquités Grecques et Romaines de Daremberg et Saglio

LATRUNCULI

L ATRUNCULI. Latroncules, jeu de combinaisons en usage chez les Romains ; il se jouait avec des pions sur une tablette divisée par des lignes. Les Grecs connurent de très bonne heure un jeu oïl l'on faisait manoeuvrer des pions (rtETT0(, 4i ot) ; c'était la 7tETTE(a. Palamède passait pour l'avoir inventé aussi bien que le jeu de dés, ru3ot [TESSERA], tandis que l'armée grecque était retenue à Aulis par les vents contraires ; dans Euripide, nous voyons ce héros engager une partie avec Protésilas 2. Cependant, même chez les Grecs, on a quelquefois attribué l'origine de laeu'7TE(a aux Égyptiens', tradition qui semble confirmée par un assez grand nombre de monuments 4. Quoi qu'il en soit, il en est déjà question dans l'Odyssée ; Homère montre les prétendants jouant à la pettie devant la demeure de Pénélope 5. Il y avait deux manières d'y jouer. Dans la première (7CETTâ 7tEVT€ypap.u04) 6, « chacun des deux adversaires, dit Pollux, a cinq pions sur cinq lignes, et des cinq lignes en partant de chaque côté (i(vtirco9Ev), la ligne du milieu s'appelle ligne sacrée (itpx ,psN.p.,j). Par comparaison avec le joueur qui pousse le pion à partir de cet endroit, on dit en guise de proverbe : il pousse le pion de la ligne sacrée ». Ce jeu est mentionné dans des auteurs grecs de la meilleure époque 7 ; malheureusement, le texte de Pollux comporte des interprétations assez différentes, et ceux qu'on peut en rapprocher s ne suffisent pas à l'éclaircir. « Pousser le pion de la ligne sacrée », c'était évidemment, en cas d'extrême nécessité, employer les grands moyens, « jouer son dernier atout» . Mais chacun des joueurs avait-il cinq lignes et faut-il y ajouter la ligne sacrée, ce qui ferait onze, ou bien, au contraire n'y en avait-il en tout que cinq pour les deux, LAT 993 LAT y compris la ligne sacrée? Le, jeu se composait-il uniquement de lignes parallèles, ou celles-ci étaient-elles coupées par d'autres? Les solutions qu'on a essayé de donner à ces diverses questions ne sont que de pures hypothèses'. Autant qu'on en peut juger, cette forme de la pettie aurait quelque ressemblance avec la marelle [Luso L'autre se jouait avec un plus grand nombre de pions, soixante à ce qu'on suppose 2. On se servait, dit Pollux, d'un tableau (7r),tvllov) comprenant des cases (xa')pnç) limitées par des lignes ; le tableau s'appelait la Ville (IIo).ts), et chacun des pions un chien (xôowv) 3. Les pions étaient partagés suivant leur couleur en deux camps de trente chacun. Pour prendre (âvatpeiv) un pion, il fallait pions de la couleur opposée, de manière à lui couper la retraite (ieroTixux lot). D'autres auteurs appellent ce même jeu les Villes (IléÀnts), chacune des cases du tableau représentant pour eux une ville différente '. Les manoeuvres auxquelles se livrait le joueur pour avancer pas assurer un avantage saire, ont donné naissance dans le langage à des comparaisons, à des proverbes, qui témoignent de la popularité de ce jeu La victoire était d'autant plus honorable qu'on avait sacrifié moins de pions pour l'obtenir'. Le jeu passait pour difficile et ceux qui s'y distinguaient par une supériorité manifeste étaient rares Suétone avait traité de la pettie dans son ouvrage sur /es Jeux des Grecs'. La figure 1366 représente un groupe de terre cuite trouvé à Athènes ; un homme et une femme, assis l'un en face de l'autre, ont sur leurs genoux une tablette de jeu chargée de pions. Il semble qu'à la suite d'un coup douteux la femme a interrompu la partie pour faire une observation à son adversaire ; à l'arrière-plan, on voit un personnage dont la grosse tête aux traits grotesques a une expression comique. La figure 4367 reproduit la disposition des pions sur la tablette ; on remarquera que les uns sont posés sur les lignes qui limitent les cases, les autres à l'intérieur de ces cases ; C indique la place de l'homme, B celle de la femme. Il y a en tout douze pions et quarante-deux cases. On peut considérer comme vraisemblable que la partie engagée est une partie de Ville; cependant ces détails, ii faut bien le reconnaître, ne correspondent qu'imparfaitement aux données des textes 9. Les vases peints nous offrent aussi quelquefois des scènes analogues ; deux guerriers assis face à face ont les yeux fixés sur des pions de couleurs différentes, et l'un d'eux, le doigt tendu, semble chercher celui qu'il va faire mouvoir ; on a donné à ces deux personnages, d'après le texte d'Euripide 10, les noms de Palamède et de Protésilas, ou encore ceux d'Achille et d'Ajax, par comparaison avec d'autres vases où se trouve repré senté le jeu de dés [TESSERA] ", ou plutôt une consultation du sort au moyen de cailloux ou de dés [DIVINATIO, p.301, fig. 2479]. On admet généralement que les latrunculi des Romains ont un rapport étroit avec la ecTTe(X des Grecs. Ce jeu se jouait aussi sur une tablette (tabula latruncularia)12. On faisait pour cet usage des tablettes à deux fins, qui pouvaient se retourner comme nos damiers ; sur une face on jouait aux latroncules, sur l'autre au jeu de dés appelé DLODEClx SCRIPTA 13. Les pions (naines, calculi)1« portaient le nom particulier de latrones, latrunculi , d'où est venu celui du jeu lui-même ; à l'origine, le latro n'était pas autre chose qu'un soldat (miles) 16, mais un soldat mercenaire"; c'est qu'en effet dans ce jeu savant, comme dans la II6).ts des Grecs, tout rappelait l'art des batailles et des sièges. La tablette était divisée en cases par des lignes qui se coupaient à angles droits" ; nous ne connaissons pas le nombre des cases; on conjecture, par analogie avec la Hh)ets, que les pions devaient être au nombre de soixante en tout, soit trente pions dans chaque camp. On les distinguait par la couleur 12; d'ordinaire ils étaient blancs dans un camp et noirs dans l'autre. Quoique sans doute ils fussent le plus ordinairement en pierre, on en faisait aussi en verre 20, et même en pierres précieuses21. Comme dans la pettie. il fallait, pour qu'un pion fût en prise, qu'il se trouvât enfermé entre deux pions de l'adversaire 22 sans pouvoir se dégager(exire) -23 on disait alors qu'il était ligatus, alligatus, obligatus 2«. Le joueur dont tous les pions étaient bloqués et qui ne pouvait plus en remuer un seul était redactus ad incitas (caltes) 25. Les bons joueurs étaient ceux à qui il restait encore un grand nombre de pions après L_1T 994 LÂT leur victoire '. Le vainqueur était proclamé imperator 2. Comme on le voit par cet exposé, les latroncules aussi bien que la pettie diffèrent de notre jeu de darnes en un point essentiel. à savoir la manoeuvre des pions. La pettie et leslatroneules sont-ils identiques à notre jeu d'échecs'? Il ne semble pas qu'on puisse le prétendre pour la pettie, si les textes nous disent bien tout le nécessaire; car ce qui caractérise les échecs, c'est que les pièces se partagent en plusieurs catégories qui se distinguent par leur forme, et dont chacune a sa marche propre ; à notre connaissance, il n'y avait rien de tel dans la pettie ; jusqu'à preuve du contraire, Ies pions ou chiens (xuveç) devaient tous être semblables les uns aux autres3. Faut-il en dire autant des latroncules ? Quelques auteurs modernes ont admis leur identité avec les échecs. Sans discuter ici tous les arguments invoqués en faveur de cette thèse nous ferons simplement remarquer qu'à certains égards ce jeu semble au moins se rapprocher de nos échecs ; il admettait probablement des combinaisons qui ne se retrouvent pas dans la pettie. A côté des latrones,les anciens mentionnent ce qu'ils appellent des mandrae 5, d'où quelques savants ont été conduits à penser que les pions, dans chaque camp, se divisaient en deux catégories, les uns jouant le rôle d'officiers, les autres celui de simples soldats G. Mais le sens ordinaire du mot mandra paraît mal se prêter à cette interprétation : N.âvipa désigne en général une étable, une écurie, un lieu clos propre à garder les animaux domestiques, et par suite l'ensemble des animaux enfermés dans ce lieu '. On peut donc tout au plus l'entendre ici d'une file de pions alignés sur les cases ; mais la distinction qu'on a essayé d'établir entre les pions ainsi désignés et les latrones est tout à fait hypothétique et hasardeuse 9. Nous trouvons sur les latroncules des détails curieux dans un poème anonyme du temps de Néron, où est décrite en termes ingénieux la tactique d'un joueur habile; c'est dans le sujet notre principale source ; malheureusement, ce texte est pour nous plein d'obscurités 10. Mais nous devons à Isidore de Séville un renseignement précieux; c'est que parmi les pions les uns, comme les simples soldats (ordinarii), ne pouvaient marcher que dans le rang, droit devant eux ; les autres, au contraire, avaient une marche plus libre, et probablement, par opposition aux premiers, une marche oblique: oCalmai part im ordine lnoventur, partim nage; ideo alios ordinarios, alios vagos appellant". » Ceci supposerait que dans un même camp les pions ordinarii et les vagi se distinguaient les uns des autres par la forme. Nous aurions donc affaire là à un jeu plus savant que la pettie et qui en serait un perfectionnement. Mais il ne s'ensuit pas qu'il doive être identifié avec les échecs modernes 12 ; en tout état de cause, il est téméraire de pousser plus loin l'induction et de prétendre retrouver les règles perdues 13. C'est peut-être dans les jeux en usage chez les Orientaux qu'on pourrait le mieux s'éclairer sur la pettie et les latroncules 13 Une améthyste ayant appartenu au duc de Luynes (fig. 4368) nous montre deux personnages en train de jouer à l'un de ces jeux; deux autres, debout à côté d'eux, les guident de leurs conseils''. On a quelquefois recueilli dans les fouilles des pions qui ont dû être employés à cet usage ; tels sont ceux que représentent les figures 4369 et 4370. Les trois premiers sont en pierre ; ils font partie d'une série trouvée dans une tombe romaine de Cumes 16. L'autre est en os et provient d'Halicarnasse 1i. Enfin, on a recueilli dans une fouille près de Pérouse des pions hémisphériques en verre, semblables à ceux de la figure 4369 ; il y en avait de bleus, de jaunes et de blancs, en tout huit centseize10. Cette division en trois couleurs a suggéré à M. Tilley une théorie nouvelle ; il suppose que sous le nom de calculi inciti on désignait une troisième catégorie de pions, dont le rôle particulier, à côté des ordinarii et des vagi, aurait été de ne pouvoir jamais bouger ; ils auraient représenté le camp, la garnison sédentaire par opposition aux troupes mobilesf9. On a soutenu non sans vraisemblance que les médaillons de l'empire romain, connus sous le nom de CONTORNIATI NUMMI, n'étaient pas autre chose que des pions ayant servi à quelque ne jeu de table ,,»). Les Grecs ont eu un goût très vif pour ces sortes de jeux. Comme les prétendants de Pénélope 21, les oisifs se réunissaient souvent en plein air pour y jouer ; c'était un plaisir savant, apprécié surtout des vieillards22 ; à Co LAU revue les formes de la laudatio qui touchent de plus près à l'histoire des moeurs et des institutions'. 1. Vers le temps d'Alexandre, l'usage s'introduisit dans les jeux publics de la Grèce, de faire une place à l'éloquence d'apparat au milieu des mymvEç 2.9331x0), c'està-dire des concours de poésie et de musique [Lum '. De tout temps il y avait eu un prix spécial pour le poète qui chantait avec le plus de talent la divinité ou le héros en l'honneur de qui se célébrait la fête locale 6 ; évidemment c'est encore l'hymne [uvMNus; que les inscriptions agonistiques de l'époque postérieure appellent iyxow2.tov Es1xov. Mais à côté de cette épreuve est mentionné dans certaines villes un autre Eyxiiu.tov 9 ; quelques savants après Boeckh entendaient par là un hymne lyrique, qui aurait fait suite à l'hymne en vers épiques '. La question a été tranchée par la découverte d'inscriptions nouvelles qui mentionnent formellement, outre l'éloge épique, un éloge en prose Le nom de l'éyxu2.toyp4oç couronné vient après ceux du trompette et du héraut ; c'est lui qui ouvre la série des concours littéraires. Sous l'Empire, cet usage se répandit dans toutes les provinces de langue grecque ; il y eut alors un prix spécial pour l'éloge en prose dans beaucoup de fêtes publiques ° ; à Athènes, nous voyons des éphèbes, vers la fin du n° siècle, remporter ee prix jusqu'à sept fois dans une seule année10. En Italie, ce furent sans doute les jeux grecs de Naples qui en donnèrent le premier exemple sous Auguste 11, Une couronne fut proposée pour la laudatio dans l'ayon 7lausicus, fondé àRome par Néron, enl'an60i2 ; enfin, en 96, Domitien en institua une nouvelle, la plus glorieuse de toutes, lorsqu'il ouvrit les concours quinquennaux du Capitole'"; là le sujet traditionnel était l'éloge de Jupiter Capitolin 14, L'éloge de l'empereur fut souvent aussi le thème de ces joutes oratoires'`. Quintilien, d'après les rhéteurs grecs, a tracé les règles du genre 16 ; plusieurs discours d'Aelius Aristide nous en offrent des échantillons 17. II. Laudatio jadicialis. C'était chez les Romains une coutume très ancienne 1" que dans les procès l'accusé fût admis, après les plaidoiries des avocats, à produire des apologistes(laudatores), distincts des témoins à décharge, qui venaient faire valoir à la barre tous les arguments qu'ils croyaient de nature à bien disposer le tribunal en sa faveur ; quelquefois même des lettres de recommandation, adressées aux juges, pouvaient être lues en séance et tenir lieu de ces discours 19. Il est clair que la laudatio judicialis 90 devait porter beaucoup moins sur les faits de la 1ÀU 995 rinthe, il y avait sous la citadelle, près de la fontaine Pirène, un endroit oit ils se donnaient volontiers rendezvous 1, C'était aussi la distraction des criminels dans Ies prisons 2, des soldats en campagne 3. Plutarque, qui interdit aux philosophes les jeux de hasard', leur recommande, s'ils sont exilés, de cultiver la pettie comme très propre à charmer leur ennui '. Lucien, dans la journée de l'homme de loisir, place la pettie avant le bain, « quand l'ombre du cadran est de six pieds' ». L'antiquité vantait pour leur habileté Diodore de Mégalopolis, Théodore et Léon de Mitylène, tous trois inconnus d'ailleurs 7. Chez les Romains, on a cité parmi les joueurs qui ont marqué dans l'histoire le stoicien Julius Canus, une des victimes de Caligula ", et C. Calpurnius Piso, condamné à mort pour avoir pris part à un complot contre Néron ; il était si fort aux latroncules qu'on accourait de tous côtés pour le voir jouer Ajoutons-y deux contemporains de Martial, qu'il appelle Novius et Publius i0. Proculus, qui disputa quelque temps le pouvoir à Probus (280 ap. J.-C.), venait de gagner dix parties de suite, lorsqu'on eut l'idée d'en faire un véritable inlperator". On a trouvé l'épitaphe d'un affranchi, habitant d'Auch, qui est qualifié de professeur de calligraphie, doctor librarius, et de latroncules, et lusor latrunculorum. Ce personnage, qui a vécu probablement au i'° siècle, occupait un rang assez élevé dans sa cité ; il y était curator civium romano