LAUDATIO (' E7cutvoç, Éyx~2.tov). Discours élogieux, apo
logie, panégyrique. Faire l'histoire de l'éloge chez les anciens serait faire l'histoire de l'éloquence épidictique, c'est-à-dire de l'éloquence d'apparat tout entière. Ce genre oratoire se développa toujours davantage au cours des siècles, au fur et à mesure que l'éloquence politique perdait de son importance et de sa dignité. Sous l'Empire, il n'y eut point de solennité ou de réjouissance publique qui ne comportât quelque discours en l'honneur du prince et de sa famille ; le Panégyrique de Trajan par Pline le Jeune et le recueil des Panegyrici veteres sont les principaux monuments de cette éloquence déclamatoire. Il y eut alors de tous côtés un véritable débordement de rhétorique officielle. Pour que les enfants fussent un jour en mesure d'y prendre part avec succès, on les exerçait de bonne heure dans les écoles à composer des éloges de pe?sonnages célèbres ; c'était un des principaux exercices auxquels présidait le grammairien'. Sans entrer ici dans des questions qui sont du domaine de l'histoire littéraire', nous nous bornerons à passer en
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cause que sur les circonstances accessoires, sur le caractère, les antécédents et la moralité de l'accusé. Au temps de Cicéron, nous voyons des personnages importants user de ce moyen de défense : M. Caelius Rufus étant accusé de brigue, la ville de Pouzzoles envoie à Rome une députation pour intercéder dans sa cause 1; Cadix rend le même service à L. Cornelius Balbus, le jour où il se voit contester le droit de cité romaine 2. Les magistrats qui avaient eu une part dans le gouvernement des provinces ne manquaient pas non plus d'invoquer le secours de la laudatio, lorsqu'en sortant de leur charge ils étaient inculpés de concussion: M. Aemilius Scaurus, ancien gouverneur de Sardaigne, pour lequel avaient plaidé six avocats, entre autres Cicéron et Hortensius, fit faire ensuite son apologie par dix personnes; neuf étaient des consulaires ; la dixième était son frère; la plupart exposèrent leur opinion par écrit
Cicéron assure que ce chiffre de dix personnes était exigé en pareil cas, sinon par une loi, du moins par une coutume presque aussi forte, et que les accusés qui ne pouvaient produire dix laudatores faisaient mieux pour leur honneur de n'en produire aucun '. Mais cette affirmation évidemment exagérée ne doit s'entendre que des procès retentissants, dans lesquels se jouait la destinée de quelque puissant personnage. Ce qui arrivait le plus fréquemment, c'est que le gouverneur menacé cherchait à recruter lui-même des apologistes parmi ses anciens administrés ; il demandait aux principales villes d'envoyer des députations dont le témoignage pût être opposé à celui de ses adversaires ; Verrès ne trouva en Sicile 3 que la seule Messine qui voulait bien se charger de ce rôle. Si toutes se récusaient, il y avait encore une ressource: L. Valerius Flaccus, repoussé par les villes de l'Asie, son ancienne province, fit appel à celles de l'Achaïe, qui l'avaient connu légat à une époque antérieure, et à Marseille, où il avait été questeur
Cette coutume offrait l'avantage que le magistrat romain, toujours exposé à rendre des comptes, avait un intérêt personnel à traiter les provinciaux avec équité et douceur; mais il en résulta aussi de graves abus : les gouverneurs faibles ou corrompus achetaient par des complaisances les éloges dont ils pouvaient avoir besoin ; ils s'y prenaient longtemps à l'avance et intriguaient, pendant la durée même de leur charge, pour s'assurer des témoignages d'estime et de reconnaissance. Inquiétés ou non, ils priaient les villes, par provision, d'envoyer à Rome des citoyens notables pour célébrer leurs mérites dans le sénat; une fois sortis de la province, ils pressaient leur successeur de favoriser ces délégations ' ; de là des marchandages avilissants, et aussi, pour les provinciaux, des dépenses qui grevaient queIquefois lourdement leur budget. Le mal s'accrut encore lorsque le système des assemblées provinciales eut été, au début de l'Empire, réorganisé et généralisé. Alors on vit les gouverneurs s'agiter pour se faire délivrer régulièrement par les concilia, à l'expiration de leur charge,
les attestations élogieuses que leurs prédécesseurs, sous la République, avaient sollicitées des autorités municipales 8. Pour remédier en quelque manière à ces abus, Auguste (li ap. J.-C.) « défendit aux provinciaux de rendre des décrets honorifiques à l'égard d'aucun de leurs gouverneurs, soit durant le temps de ses fonctions, soit dans l'espace de soixante jours après son départe o
En 62, le sénat se montra plus sévère encore : un Crétois, à qui sa fortune donnait une grande influence, s'était vanté de disposer entièrement des suffrages de ses compatriotes ; à lui seul, il était maître, disait-il, de faire accorder ou refuser aux proconsuls les remerciements de la Crète. Paetus Thrasea saisit cette occasion pour se plaindre de la situation humiliante que cette coutume créait aux magistrats romains dans les provinces. Le sénat interdit d'une manière générale aux concilia ces manifestations honorifiques et les députations qui auraient pour objet de les porter à sa connaissance ; c'était revenir à l'ancienne coutume : la laudatio ne devait plus être autorisée que devant les tribunaux en faveur des magistrats contre qui avait été portée une accusation en forme 10. Mais les moeurs furent plus fortes que les lois; les villes et les provinces continuèrent comme par le passé à voter des éloges aux gouverneurs sortants ; nous savons même que certains empereurs les considéraient comme des titres à l'avancement, quand ils en avaient reconnu la sincérité On en vint bientôt à les prodiguer, au-dessous du gouverneur, à des personnages de moindre importance, pour peu qu'ils eussent rendu quelques services dans l'administration provinciale 19.
III. Il est possible qu'on ait appliqué le nom de laudatio aux félicitations que le général adressait, en présence des troupes, aux soldats qui s'étaient signalés par leur belle conduite ; c'était l'équivalent de notre citation à l'ordre f 3.
IV. Laudatio funebris. Chez aucun peuple l'éloge funèbre n'a eu une fortune plus durable et n'a tenu une plus large place dans la vie nationale que chez les Romains. En Grèce, au temps de l'indépendance, c'était un hommage collectif, qu'un orateur désigné par l'État rendait une fois l'an aux soldats morts pour la patrie [Et'ITAP lA]. A Rome, au contraire, tout personnage qui s'était distingué par son mérite était loué in div iduellement en public au moment même où l'on portait ses restes au tombeau". Polybe, en décrivant cette coutume étrangère à sa nation1°, en a mieux que personne dégagé l'esprit et il a rendu très fidèlement aussi le sentiment des Grecs qui comme lui savaient la comprendre : « Un seul exemple, dit-il, suffira à montrer avec quel soin Rome forme ses citoyens à tout sacrifier pour se faire un nom illustre dans leur patrie. Lorsqu'un homme considérable meurt, on porte en grande pompe, après la cérémonie funèbre, son corps à la tribune, sur le Forum; là on le dresse tout droit, de façon que tous puissent le voir, plus rarement on le couche. Alors, en présence du peuple entier rassemblé alentour, son fils, s'il en a un qui soit en âge et qui se trouve à Rome, sinon quelqu'un de ses
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parents, monte à la tribune pour rappeler les vertus du mort, les choses qu'il a accomplies durantsavie. Qu'arrivet-il? Les assistants, qui se rappellent et remettent, ainsi sous leurs yeux tout ce qu'il a fait (je ne dis pas ici seulement ceux qui ont pris part aux mêmes actions, mais ceux-là mêmes qui y ont été étrangers), sont tellement émus à ce souvenir que le deuil d'une famille semble devenir un deuil public,.. L'orateur qui fait l'éloge du mort prononce, lorsqu'il est terminé, celui des ancêtres dont les statues assistent à la cérémonie et raconte leurs exploits et leur vie en commençant par le plus ancien. De cette manière, la renommée des citoyens vertueux se renouvelle sans cesse, la gloire des grandes actions devient immortelle, le nom de ceux qui ont bien mérité de leur patrie est répété par toutes les bouches et transmis à la postérité. Mais, ce qui vaut mieux encore, la jeunesse est vivement sollicitée ainsi à tout braver pour l'intérêt commun, dans l'espoir d'atteindre cette gloire qui s'attache aux bons citoyens'. »
Il est probable que dans les temps les plus reculés, lorsque les funérailles se célébraient de nuit [FUNUS, p. 1390], la coutume de l'éloge funèbre n'était pas encore en vigueur 2, ou du moins on peut admettre qu'il fut d'abord prononcé â l'intérieur de la famille. Suivant quelques historiens, Valerius Publicola aurait dès l'an 509 av. J.-C. rendu cet hommage en public à la mémoire de Brutus, son ancien collègue dans le consulat ; mais on a des raisons de considérer cette tradition comme fabuleuse 3. En tout cas, il est certain que le consul M. Fabius Vibullinus prononça en 480 devant le peuple l'éloge de son frère Quintus et par la même occasion celui de son propre collègue C. Manlius Cincinnatus, tous deux morts à l'ennemi 1. Depuis, il n'y eut guère de personnage marquant dans les grandes familles de Rome qui ne reçût le même honneur ; à la fin de la République, on notait-comme des exceptions ceux qui en étaient privés 1. A l'origine, les patriciens seuls durent y avoir droit ; car il se rattache, comme le jus imaginum, atout un ensemble de traditions essentiellement aristocratiques, qui avaient pour but d'assurer et de perpétuer à travers les siècles la cohésion de la gens ; nous ne savons pas à quelle époque les familles plébéiennes furent admises à en jouir. Les impubères étant portés de nuit au tombeau a, on ne pouvait leur consacrer un éloge funèbre. Q. Lutatius Catulus, consul en 102, fit celui de sa mère Popilia; ce serait, d'après Cicéron la première fois qu'on aurait rendu cet hommage en public à une femme ; son témoignage est sur ce point en désaccord avec d'autres' ; mais il paraît plus digne de créance. Les exemples se multiplièrent et il y en eut d'illustres.
L'orateur était toujours un des plus proches parents du défunt, son fils, son, gendre, son frère, son père, son beau-père ou son neveu; plusieurs femmes connues
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dans l'histoire furent louées par leur mari 9. Un orateur étranger à la famille n'était chargé de la laudatio à titre privé que dans le cas où le plus proche parent avait un empêchement légitime 10. Cependant, les empereurs semblent s'en être quelquefois arrogé le droit, par exception, pour honorer une famille amie ". Il va de soi que personne ne pouvait remplir cette tâche pieuse, s'il n'était pas dans les conditions exigées par la loi pour prendre la parole devant le peuple; par conséquent, elle ne pouvait être confiée ni à une femme ni à un enfant, qui n'avait pas encore pris la toge virile. Pourtant, en 51, nous voyons Octave, âgé de onze ans, louer sa grand'mère Julia pro eoncione 17, et bientôt après il se produit encore des faits semblables, mais seulement dans la maison Julienne ", On s'est même demandé si l'orateur ne devait pas être magistrat pour avoir le droit de s'adresser à la concio funebris [FUNUS] ; rien ne prouve cependant que cette condition fût nécessaire dans les funérailles célébrées à titre privé.
L'éloge funèbre était prononcé au forum du haut de la tribune, le corps du défunt étant exposé et même dressé sur les Rostres anciens (rostra vetera)1o. Certains personnages de la famille impériale furent honorés en outre d'un second éloge ; en pareil cas, les deux orateurs s'entendaient probablement pour se partager le sujet, et le second choisissait pour y prendre la parole d'autres monuments, tels que les Rosira Julia, le temple de Jules César, le Cirque Flaminius, etc. ". li a dû arriver aussi quelquefois que les vertus ou les mérites de citoyens récemment décédés fussent l'objet d'éloges publics dans l'enceinte du sénat de Rome 17 ou des sénats municipaux 18, à l'occasion des honneurs qu'on demandait pour perpétuer leur mémoire.
Lorsque Ies funérailles étaient célébrées aux frais de l'État ou aux frais d'un municipe, la laudatio était confiée, non plus à un parent du défunt, mais à un magistrat désigné expressément pour cette tâche par un sénatusconsulte ou par un décret des décurions 19. Il n'est pas certain cependant que le funus publicuon comportât toujours et nécessairement ce genre d'hommage°°. La presque totalité des inscriptions où il est mentionné sont des inscriptions d'Espagne 21 ; on en connaît une, qui a été découverte à Tanger 22. Cependant, on ne peut douter que cet usage ait été aussi en vigueur dans la ville de Rome 23. Nous savons que Tacite, étant consul, fut chargé par le sénat de prononcer l'éloge funèbre de L. Verginius Rufus, personnage éminent, qui avait refusé deux fois l'empire 24. En Espagne, cet honneur est accordé parfois à des femmes 25, et il arrive aussi que plusieurs éloges funèbres soient consacrés à un seul et même personnage par des municipes différents 28
Lorsqu'un officier mourait à l'armée, une laudatio pouvait être prononcée devant sa dépouille au nom de la
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troupe où il commandait, et même au nom de plusieurs troupes qui connaissaient ses services '.
Les familles de Rome qui avaient donné à la République un grand nombre de magistrats et de personnages remarquables conservaient pieusement dans leurs archives domestiques la suite des éloges de leurs membres défunts. Cette catégorie de documents, précieuse pour l'histoire des premiers siècles de la République, fut mise à profit par les annalistes; mais de bonne heure elle leur devint suspecte; déjà Caelius Antipater s'en défiait'. Cicéron et Tite-Live en ont dit la raison : c'est que la vanité des familles s'y était donné libre carrière, au point même d'altérer les faits 3. Ce fut sans doute vers la fin du 1110 siècle avant notre ère que l'on commença à publier les éloges funèbres des contemporains au fur et à mesure qu'ils étaient composés ; le plus ancien dont il soit fait mention, comme d'un ouvrage connu par des copies, est celui que Fabius Cunctator prononça en l'honneur de son fils entre 207 et 203; on l'avait encore au temps de Plutarque 4. Vers la fin de la République, on voit s'introduire l'usage de publier des biographies de personnages contemporains, écrites plus ou moins longtemps après leur mort comme un hommage destiné à remplacer l'éloge funèbre, lorsque, pour des raisons diverses, il n'avait pu être prononcé devant leur dépouille: tel fut l'Éloge de Caton d'Utique par Cicéron
De même, s'il est inexact de dire que l'Agricola de Tacite est proprement une laudatio funebris 6, on peut admettre qu'il donne une idée du genre, d'où ces biographies tirent probablement leur origine.
Quoique Cicéron ait donné sur la composition des éloges en général des préceptes qui pouvaient trouver leur application dans l'éloge funèbre ', il ne semble pas avoir eu beaucoup d'estime pour ce genre d'éloquence, ni même avoir aperçu le parti que l'on en peut tirer 8. La principale cause de ce dédain est dans l'abus qu'en avaient fait les familles puissantes de Rome ; nous savons que l'éloge des ancêtres en était un des thèmes obligatoires et qu'il y tenait une large place ; l'orateur, à propos de chaque décès, commençait toujours par récapituler les laudationes antérieures de la même famille
et c'était une des raisons pour lesquelles on les conservait si soigneusement; de là dans ces morceaux d'apparat une convention et une monotonie qui leur nuisaient
beaucoup aux yeux des véritables orateurs. On s'explique ainsi qu'ils aient pu paraître aussi peu susceptibles d'art que dangereux pour la vérité historique 70.
Outre les fragments d'éloges funèbres cités par les auteurs latins, nous en avons conservé quelques-uns dans les inscriptions; quelquefois, en effet, les familles ont tenu à faire graver le texte de ces discours sur le tombeau même des personnes qui en avaient été l'objet''. Parmi les plus intéressants, nous mentionnerons seulement l'éloge de Murdia, qui date du temps d'Auguste 12, celui de Turia, prononcé par son mari, le consul Q. Lucretius Vespillo, entre l'an 7 et l'an 1 av. J.-C. 13, celui de Matidie par son gendre, l'empereur Hadrien (an 119)14.
L'usage romain constamment respecté, quoique n'ayant produit aucune oeuvre éclatante, eut pour effet de développer chez les Grecs, par imitation, le goût du ),dyog E1CtT4t0ç ou irrtxrilntof ; sous l'Empire, ils composèrent à leur tour des éloges funèbres pour honorer individuellement des personnes qui s'étaient recommandées par divers genres de mérites. Quelques-tins de ceux qui nous sont parvenus ont été réellement prononcés ; les autres ne sont que des exercices d'école f 5. Au iv' siècle apparaissent dans l'Église les premières oraisons funèbres
inspirées du sentiment chrétien '6. GEORGES LAFAYE.