Le Dictionnaire des Antiquités Grecques et Romaines de Daremberg et Saglio

Article LEMURES

LEMURES. Esprits des morts dans la religion romaine, apparentés aux MANES et aux LARVAE, moins proches de la nature divine que les premiers, de caractère moins terrifiant que les secondes, mais partageant avec celles-ci le pouvoir de revenir sur la terre à certains jours et de tourmenter les vivants'. Leur nom même n'a jamais été expliqué d'une manière satisfaisante ; les lettrés en avaient pris occasion pour les rattacher à la légende de Remus tué par son frère Romulus et pour interpréter Lemares par Rentures, parce que l'ombre de Remus serait venue tourmenter Acca Larentia et Faustulus après le meurtre 2. Romulus, pour l'apaiser, aurait institué les Lena/ria, fête analogue à celle des Parentalia [FERALIA], avec cette différence que celle-là n'avait aucun caractère public et qu'elle se célébrait au sein de chaque famille, en l'honneur des morts qui lui appartenaient en propre 3. Elle était fixée aux 9, 11 et 13 mai; pieds nus et vêtements flottants ', le père se levait à minuit, faisait claquer le pouce contre les doigts, afin (l'empêcher les fantômes de lui apparaître ; puis, après s'être purifié, jetait derrière lui des fèves noires en répétant neuf fois : Je jette ces fèves et pat" elles je nie rachète, moi et les miens ; on supposait que les ombres suivaient sans être vues et ramassaient les fèves. Le père se purifiait à nouveau, faisait résonner un vase d'airain 5 et prononçait, neuf fois encore, la formule de conjuration: Naines de la famille, sortez! La signification funèbre du nombre neuf se retrouve dans le sacrifice appelé novetndiale qui terminait la période des neuf jours suivant chaque décès, période durant laquelle la maison restait souillée par la morte. Quant aux fèves, elles figurent également dans les lustrations mortuaires des Grecs' ; chez les Romains, elles sont employées encore dans les Feralia et les vivants en jetaient sur les sépultures pour se garantir contre l'action funeste des ombres 3 ; la vieille femme qui chez Ovide conjure Tacita, personnification du silence de la tombe, roule dans sa bouche sept fèves noires9. Les fèves étaient employées à titre de remède contre les striges ou vampires, dans les cérémonies que l'on accomplissait aux Calendes de juin en l'honneur de la déesse Cama; l'importance de cette pratique a même fait donner à ces Calendes le qualificatif populaire de fabariae10. On peut remarquer d'autre part que le flamine de Jupiter ne devait ni toucher des fèves ni même en prononcer le nom"; c'est qu'on les disait ou issues du sang humain, ou incarnant l'âme des hommes, et la philosophie pythagoricienne donnait à ce sujet la réplique aux superstitions du vulgaire 12 [FABA]. Le rachat par les fèves aux Lenturia des vivants auprès des morts, dans chaquefarnille, s'explique à la lumière de ces croyances et de ces pratiques. Ajoutons que les trais jours durant lesquels on les célèbre sont néfastes comme ceux des Feralia en février; les temples sont fermés et les mariages interdits". Ovide cite un proverbe caractéristique : Il n'y a que des malheureuses (matas) qui se marient en mai ; ce qui prouve que l'action funeste des ombres s'étendait dans l'opinion au mois tout entier 71. Faut-il expliquer par une tradition du paganisme romain la vive répugnance des populations rurales, en Poitou notamment, pour les mariages contractés en mai? La coïncidence en tout cas mérite d'être notée. Un latiniste contemporain a essayé de démontrer, en se fondant sur la transformation de l'écriture cursive des Romains en capitales lapidaires", que le Chant des Frères Arvales, généralement considéré comme une invocation aux divinités champêtres des Lares, des Semones et de Mars, n'est pas autre chose que le vieux chant Lémural reproduit par Ovide dans le tableau qu'il trace des Lemuria ; ce chant débutant par une formule LEV 1101 LEO de caractère rituel : Lamemulia acceperunt, qui n'a pu encore être expliquée, l'auteur propose de lire « lernuralia » et d'entendre par là' : ce dont on se sert pour conjurer les Lemures ; or lemuralia n'a jamais signifié que la fête des Lemures. Cette objection, sans compter beaucoup d'autres soulevées par l'interprétation en question, suffit pour que nous l'écartions, J. A. HILn.