Le Dictionnaire des Antiquités Grecques et Romaines de Daremberg et Saglio

Article LERNAIA

LERNAIA (Aopvata). Mystères célébrés à Lerne en l'honneur de Déméter Lernaia'. On les a souvent comparés à ceux d'1 leusis, sur lesquels ils semblent en effet s'être modelés, au moins à partir d'une certaine époque mais le culte de Lerne avait, à ses origines, une physionomie locale et particulière. Pausanias nous apprend que la tradition attribuait à Philamrnon l'établissement de ces mystères. Toutefois les paroles que l'on prononçait pendant les cérémonies lui semblent d'une origine plus récente. De plus, certaines formules sacrées, mêlées de prose et de vers, et que l'on avait gravées sur une plaque d'orichalque en forme de coeur, étaient en dialecte dorien Pausanias en conclut également qu'elles ne sauraient remonter jusqu'au poète thrace Philammbn, l'introducteur supposé de ce culte 2. Nous savons encore par lui que pour la célébration des mystères, les Argiens allaient anciennement emprunter du feu au sanctuaire d'Artémis Ilopsulz sur le montlirathis, près du Pellène, en Arcadie' preuve d'une relation étroite entre les deux cultes, mais que nous ne savons comment expliquer. Deux divinités paraissent avoir tenu le rôle principal dans ces mystères : Déméter et Dionysos. Toutes deux y avaient leurs images sacrées dans un bois de platanes qui s'étendait jusqu'à la mer, Déméter y était invoquée sous l'épithète de 11p6cup,va Il convient de rappeler que Prosymna est également le nom d'une des trois nymphes LER 1103 LES qui élevèrent Héra, et qui ne sont manifestement que des formes représentatives de la déesse, car Héra porte ellemême cette épithète de Hpdauvvx'. II serait hasardeux d'en conclure qu'elle avait sa place dans les mystères 2 ; mais on doit noter tout au moins que la légended'Io, la prêtresse d'lléra, était, entre autres contrées, localisée à Lerne3. Nous avons, malgré les réticences de Pausanias', des renseignements un peu plus circonstanciés sur le caractère du Dionysos Lernéen et sur le culte qui lui est rendu. C'est à Lerne, à travers le petit lac d'Alcyonia, qui passait pour être sans fond, qu'il était descendu aux Enfers pour y chercher sa mère Sémélé Dans ce voyage, il avait été guidé par un personnage du nom de Prosymnos, qui lui aurait rendu ce service en retour d'une complaisance honteuse'. On remarquera ce nom de Prosymnos, qui est précisémentl'épithète de Déméter ; ce personnage pourrait être aussi bien la personnification d'un surnom primitif de Dionysos : par ou se marquerait la parenté primitive des deux divinités lernéennes Mais Dionysos est en outre conçu, à Lerne, comme résidant réellement aux Enfers, dans le monde des esprits. Cette croyance se fait jour dans un des rites des mystères. Aux cérémonies nocturnes qui revenaient chaque année', on évoquait le dieu du sein des eaux au moyen de trompettes cachées dans des thyrses, après avoir jeté dans le lac un agneau destiné au a portier » d'Hadès 3. Ce rite, qui a son analogue à Rios en Bithynie dans le culte d'Hylas, traduit la croyance en un dieu mort, cherché, pleuré, finalement rappelé à la vie 10. Puis un mythe s'était formé pour expliquer la présence de Dionysos dans le monde infernal à cet endroit. On racontait que le dieu, arrivant dans la contrée avec son escorte de femmes, avait été vaincu par Persée et précipité par lui dans la source Alcyonia". D'après quelques textes, on jetait dans le même lac des offrandes purificatoires" : étaient-elles destinées aux âmes des morts" ? avaient-elles pour objet de purifier le pays de l'attentat commis contre Dionysos ? ou bien étaient-elles motivées par un autre crime, qui avait eu pour théâtre les bords du même lac, le meurtre des fils d'zEgyptos par les DANAIDES? Nous ne savons. Dans le même bois de platanes, Dionysos avait un autre sanctuaire avec sa statue assise : il y était adoré sous le nom de y'aés v , c'est-à-dire de Sauveur 14. Il y a une relation évidente entre ce culte et les mystères, le surnom de Saotès se rapportant, comme il est vraisemblable, au salut des âmes16. Enfin IACCUOS, dont on constate également la présence à Lerne 16, doit être très probablement identifié avec Dionysos Saotès" : l'introduction de ce nouveau vocable serait un des traits où se reconnaîtrait l'imitation des mystères éleusiniens ". A Déméter ProsymnaetàDionysos-Iacchosest associée Coré dans le culte des mystères. On montrait près de Lerne l'endroit même où Coré avait été enlevée par Pluton ". La dédicace d'un autel mentionne un ôxlcC eoÿ hê 'ré de Lerne 20. On tonnait par un autre texte un hiérophante de Déo et de Coré 2i. Enfin, dans une inscription datant du Ive siècle de notre ère, une pieuse Romaine, Aconia Paulina, énumérant les différents cultes auxquels elle s'est affiliée, nomme celui de Lerne 2': cette inscription a pour nous le double intérêt de réunir les trois noms de la triade adorée dans les mystères, Liber, Cérès et Coré, et de nous montrer ce culte survivant jusqu'aux derniers temps du paganisme. Outre les rapports de Lerne avec Eleusis, il faut signaler ceux qu'elle paraît avoir entretenus avec un autre sanctuaire mystique, celui de Déméter Mua(x, aux portes d'Argos 23. On a trouvé en effet, au sanctuaire lernéen de Déméter, un bas-relief votif qui se rapporte précisément à ces derniers mystères, et qui représente la déesse, avec Mysios, le fondateur mythique de son culte, et son épouse Chrysanthis24 Nous avons rappelé que Lerne était la scène de la tragique histoire des Danaïdes. On sait que, sous l'influence de l'orphisme, le supplice des Danaïdes fut conçu, dans certains mystères, comme la peine des non initiés (INFERI, p. 500, et n. 14-18; cf. p. .'108•. Il est naturel d'imaginer que ce trait se retrouvait en particulier dans le credo de Lerne''-' ; mais nous n'en avons pas la preuve