Le Dictionnaire des Antiquités Grecques et Romaines de Daremberg et Saglio

Article LIBERATIO

LIBERATIO. I. Aux premiers siècles de Rome, la liberntio est un acte solennel destiné à constater qu'un débiteur a donné satisfaction à son créancier et n'est plus obligé envers lui. A cette époque, le paiement ne suffit pas : le débiteur reste obligé tant qu'il n'est pas libéré 1. L'emploi d'une solennité se justifie par une règle ainsi formulée par les jurisconsultes classiques : pour éteindre un droit, il faut observer des formes analogues à celles qui ont servi à le faire naître, et procéder en sens inverse 2. La solennité requise pour la libération d'un débiteur s'accomplit de trois manières : per aes et libram, verbis ou litteris. L'emploi de l'une de ces trois formes dépend de la nature de l'obligation. 1° La libération per aes et libram exige deux conditions : a) Une déclaration verbale faite par le débiteur en présence d'au moins cinq témoins citoyens romains et pubères et d'un libripens [LIBIuPENS]. Les termes de cette déclaration ont été conservés par Gaius : Quod ego tibi tot milibus condenlnatus sum, me ee nomine a te solvo liberoque floc acre aeneaque libra. Hanc tibi libram primant postrenlamque expendo lege jure obligatus'. Le débiteur constate solennellement qu'il est solutus et liberatus, et qu'il a pesé, de la première à la dernière, les livres de métal qu'il avait promis de payer. ) La pesée de la somme remise à titre de paiement. La pesée, réelle à l'origine, devint fictive lorsqu'on fit usage de la monnaie" et qu'on appliqua ce mode de libération à des choses qui n'étaient pas susceptibles d'être évaluées d'après leur poids. Dès lors, l'emploi de l'airain et de la balance n'eut lieu que pour la forme La libération per aes et libram est nécessaire pour toute obligation impliquant une damnatio. La damnatio confère en effet au créancier un pouvoir analogue à celui d'un maître : elle donne lieu à la manus injectio 6 [MANUS INJECTIO]. On ne peut s'y soustraire que par un mode solennel, celui qui était usité dans l'ancienne Rome pour placer un acte sous la garantie de l'État'. Les obligations impliquant une damnatio sont celles qui résultent du nexum 3 [NExuM], du legs per damnationem, lorsqu'il a pour objet des choses qui se comptent ou qui se pèsent, ou même qui se mesurent, d'après certains jurisconsultes °. Ce sont aussi les obligations qui résultent de la loi 10, d'une déclaration des pontifes en cas d'inaccomplissement d'un voeu' 1 [voTI'MI, d'une condamnation au civil ou au criminel72. 2° La libération verbis est d'une époque plus récente. Elle consiste en une interrogation suivie d'une réponse concordante. Le débiteur demande au créancier : Quod ego tibi promisi, /iabesne acceptant 9 Le créancier répond : Habeo C'est une acceptilation [ACCEPTILATIO, t. I, p. 57]. Au troisième siècle de notre ère, on admet des formules équivalentes en latin ou en grec : Accepta lacis decem Facio 1". -'"Fzets ne(v) tôaa; "Eyw ÀnLbv'". Ce mode de libération est spécial aux obligations formées par stipulation f6. On l'a employé, non sans hésitation, pour l'obligation résultant du jusjurandum liberti 17 ; quant à celle qui résulte d'une lotis dictio, il n'y en a pas de preuve certaine f8. On pouvait d'ailleurs appliquer l'acceptilation à toute espèce d'obligation, en ayant soin de la transformer au préalable en une obligation verbale, par une stipulation novatoire 13 [NovATlo]. L'acceptilation est un actus legitiuaus qui ne comporte aucune modalité expresse 20. On discuta la question de savoir si la libération par acceptilation pourrait être partielle2l. L'acceptilation exige la présence des parties 22; LlB 1193 LIB elle ne peut être faite par mandataire' : le créancier et le débiteur doivent y prendre part en personne, pourvu qu'ils soient capables. Seul le débiteur peut être remplacé par une des personnes placées sous sa puissance 2, car la libération est un acte qui rend sa condition meilleure. La pratique avait d'ailleurs imaginé un moyen de se dispenser de la présence de l'une des parties : on avait recours à une novation 3. 30 La libération litteris est spéciale aux obligations formées par l'écriture '•. L'existence de ce mode de libération est certaine', mais on a peu de détails sur la forme à observer. Gains n'en parle pas; de son temps, l'expensilatio n'avait qu'une application restreinte 6. Il n'en est pas davantage question dans les compilations de ,Justinien : l'e.rpensilatio n'était plus en usage Seul un passage de Pline le Jeune donne une indication importante sur l'acceptilation littérale : il en signale une application en matière de remise de dette et prouve qu'il y avait, conformément au principe ci-dessus énoncé, concordance entre la forme suivie pour la libération du débiteur et celle qui était observée pour créer l'obligation. Pline engage Calvina à accepter la succession de son père sans se préoccuper des créanciers. Il a désintéressé les plus pressés, et, en ce qui le concerne, il l'informe qu'elle n'a rien à craindre : il lui fait, à. titre gracieux, remise de tout ce que son père lui devait. Ne te verbi, n'agis quant rebats horter, quidquid mihi pater tuus debuit, acceptum tibi ferri jubeo e. On retrouve ici l'inscription sur le codex recepa et expensi [CODEX. ACCEPTI ET EXPENSI, t. II, p. 1267] et le jussus du créancier, correspondant au jussus donné par le débiteur pour la formation de l'obligation'. II. Aux derniers siècles de la République, on voit apparaitre des modes non solennels de libération du débiteur : tel le contrarias consensus pour les obligations formées par le seul consentement des parties 10, et surtout le paiement soLETio] qui devint, peu à peu, le mode régulier d'extinction de toute espèce d'obligation ; ce fut la re.eolutio naturalis, par opposition à la resolutio civilis jusqu'alors exigée". Dès lors, le mot liberatio prit un sens large équivalent à celui de solutio : Liberationis verbum eamdent vint habet quant solutionis '2. Solutionis verbum pertinet ad omnent liberationenl quo quo modo factum, magisque ad substantiatu obligationis nefertur quant ad nuntorum solutionem. f3. III. Indépendamment de ces modes de libération, il en est d'autres qui ont lieu soit avec l'assentiment du créancier (novation [NOVATIO], dation en paiement [soLETIO], pacte de remise [PACTUSI], transaction), soit sans sa volonté (décès du débiteur pour les obligations intransmissibles, capitis deminutio [CAPET, t. II. p. 912], confusion, compensation [COMPENsATIO], concours de deux causes lucratives, perte de la chose due pour les obligations de corps certain, déchéance du créancier, expiration d'un certain délai [LEx FERIA, de sponsu] "). Ces modes de libération n'ont pas tous la même efficacité : les uns libèrent le débiteur ipso jure et peuvent être invoqués par toute personne intéressée ; les autres fournissent seulement au débiteur, ou à certaines personnes déterminées, le moyen d'écarter la poursuite du créancier par une exception. Au temps de la procédure formulaire, le juge n'était pas autorisé à tenir compte des modes de libération exe'eptionis ope, si l'on n'avait eu soin de faire insérer par le préteur une clause spéciale dans la formule. Dans les actions de bonne foi, cette précaution était inutile. Le paiement, la novation, l'acceptilationlibèrent le débiteur ipso jure. Le pacte de remise le libère exceptionis ope'', sauf dans les deux cas prévus par la loi des Douze Tables (vol et injure) 16. On trouve souvent dans les textes juridiques relatifs aux testaments des clauses par lesquelles un créancier lègue à son débiteur sa libération (legatum liberationis) '7. Ce legs ne procurait pas directement au débiteur sa libération, car le legs n'a pas été reconnu comme un mode d'extinction des obligations. Mais il conférait au débiteur, soit une exception pour repousser la demande que l'héritier formerait contre lui au mépris du testament, soit une action pour exiger de l'héritier la remise régulière de sa dette'". IV. Par extension, le mot libération sert à désigner l'extinction d'un droit autre que le droit de créance : liberatio pignons servitutis patriae potestatis 2' tutelae 22. f I i0OUARD CUQ.