Le Dictionnaire des Antiquités Grecques et Romaines de Daremberg et Saglio

Article LIBRI

LIBRI. Nom générique de documents écrits formant collection et constituant les archives de corporations diverses, qui conservaient ainsi leurs traditions rituelles, leurs règlements et leur jurisprudence; ou même archives d'IJtat, destinées à servir de mémorial et de guides aux magistrats'. Quand on veut délimiter la matière susceptible d'être rangée sous cette rubrique, on s'aperçoit qu'elle fuse et s'échappe sous des noms divers, auxquels il faut renvoyer pour les recherches et définitions de détail. Nous nous servirons de ce mot comme d'une étiquette historiquement constatée pour eirconserire le sujet, borné ainsi aux documents de langue latine ou mentionnés par les auteurs latins sous le titre de libri, suivi d'un qualificatif. Il convient d'éliminer tout d'abord les sources mal connues, archives sacerdotales ou civiques, citées de temps à autre sous le nom de â toypxvxi, âvaypaaz), ë-typ tpaf, 7eapa7.1'ly(r0122, listes de rois, de magistrats, de prêtres, de vainqueurs aux jeux panhelléniques, dont les logographes et chronographes grecs sont censés s'être servis pour restituer la préhistoire. On assure gn'Iiellanicus de Mitylène fonda une chronologie universelle sur les âvaypawxl des prêtresses de Héra à Argos ( `Hccn(leç), listes qui remontaient, parait-il, ,jusqu'à l'mkiste Argos, dont la petite-fille Callithoé aurait été la première prêtresse de I-lêra, Héraclide en avait trouvé l'original ou la copie (âvaypur-i,) à Sicyone', et Thucydide les cite pour établir des synchronismes'. Charon de Lampsaque avait utilisé de même les listes de magistrats de sa ville natale'. Les listes des vainqueurs aux jeux panhelléniques étaient aussi d'un grand secours : c'est sur celle des 'O),o1.rtovixat qu'l ratosthène fonda sa chronologie. Dans les documents latins répondant à la définition donnée plus haut, on reconnaît à première vue deux catégories : les livres sacerdotaux et les livres concernant les magistrats. Ces deux catégories ont été visées dans nous reste à voir s'il est possible de tracer une ligne de démarcation qui sépare les libri des listes et chroniques, règlements et statuts, recueils de procédure et de décisions, classés sous d'autres dénominations. Nous n'avons pour faire ce triage que des textes sommaires qu'il est aisé de mettre en contradiction entre eux et dont il faut récuser arbitrairement un bon nombre pour asseoir une classification sur le reliquat non moins arbitrairement accepté. En fait, on établit ordinairement cette classification a priori, sur le sens connu des mots conzmentarii, annales, fasti : on répartit entre ces rubriques les documents supposés annalistiques et chronologiques, les actes et décrets accumulés par la pratique des collèges sacerdotaux, et on attribue aux libri exclusivement le caractère de rituels pour les prêtres, de guides pratiques pour les magistrats, comme si les annales n'étaient pas des libri annales et les libri ntagistratuutn des documents chronologiques. La simple énumération des documents qualifiés libri remplacera avec avantage des discussions oiseuses, Bien que les livres sacerdotaux aient dü être plus anciens que les autres, nous commencerons par la partie la moins encombrée, par les tibia magistratuurn. L Tite Live, à la date de 4U av. J.-C., enregistre des noms de consuls qui ne se trouvent neque in annalibus LIU 1236 L1B priscis neglce in libris magistratuurn, mais que Licinius Macer certifie avoir rencontrés in linteis libris ad )lonetae 1. Voici donc des libri niagistralaum qui, tout en étant de contenu annalistique, sont distingués à la fois des annales 2 et des libri lintei. Plus loin, à propos d'un cas analogue, afférent à l'année 438, le même Tite Live mentionne l'opinion du même annaliste, conforme aux reteres annales et fondée sur les nza,gistratuum libri, quos linteos in aede repositos )lonetae )lacer Licinius rital identideni auctore.s3. La distinction entre les libri magistratuunl et les lintei, suggérée par le texte précédent, est effacée par celui-ci. Ces libri lintei sont cités à diverses reprises par Tite Lire, à des dates comprises entre 444 et 431 av. J.-C., évidemment parce qu'il trouve ces références dans Licinius Macer. Remarquons en passant que ces listes de magistrats relataient même le nom d'un praefeclus annonce, qui aurait été institué par plébiscite4, ce qui est singulier ; et que, chose non moins étrange, Macer et Tubero invoquaient également les libri lintei " à l'appui d'opinions opposées sur les noms des consuls de l'année 431. On a assez et trop disserté sur la question de savoir si ces libri lintei étaient des extraits des annales pontificales. s'ils avaient été ou non détruits par l'incendie de Rome en 390, s'ils avaient été reconstitués ou avaient servi à reconstituer les annales, et si on doit les reconnaître dans ces magistraluum (asti ou libri que l'on rencontre encore cà et là dans Tite Live. Toute donnée positive manque pour départager ces fastidieuses discussions 8. L'épithète de lintei ne désigne que la matière, et non pas le contenu : elle aurait pu s'appliquer aussi bien, probablement, à d'autres documents archaïques. On entend parler d'un vieux rituel samnite d'un rituel d'Anagniat0, et même de livres sibyllins", écrits sur toile de lin. Faut-il classer parmi les libri magistrat 7111117, au sens de guides professionnels, les libri censorii 12 dans lesquels se trouvait l'expression favisae Capitolinae ? La mention de ces récipients souterrains conviendrait mieux à un inventaire des biens des temples, à des tabulae censoriae, qu'à des libri et même à des « commentaires » ou archives privées des familles censoriales rCOMMENTABU]. II. La confusion entre rubriques variées et arbitraires va apparaitre, rebelle à tout classement, dans les déno minations des livres sacerdotaux (libri sacerdotm P. I?.13). Laissons de côté les termes génériques de libri sacrorunt 1M, libri sacri 11, iopal (1(6),ot 16, icoai ulaval 17 ou reportons-les à la masse principale, aux livres pontificaux. 1° Livres pontificaux. Ceux-ci, abstraction faite des parties qualifiées expressément Annales (libri) ou Comnzentarii, sont appelés libri pontificum", pmiti/iciilA, pontificales 2e, scripta pontificum" 'Cè(v itpo(pasTàv22, 2nonumenta pontificuni28. C'est sur ces titres vagues et applicables à tous les documents pontificaux que les érudits modernes prétendent étayer des classifications précises, analytiques au point de distinguer, par exemple, entre libri pontificum et libri pontificii ou pontificales. Ils savent où placer le rituel primitif, les lois royales, les décisions qui ont fixé les cas litigieux, les formules diverses, comme les Indigitamenta et les actions de la toi, les fastes ou calendrier, celui-ci associé ou non aux annales, celles-ci distinctes ou non soit de l'album pontificum, soit des libri lintei. D'autres, par contre, estiment que, depuis les lois dites « royales », les pontifes n'ont rédigé officiellement que des Commentaires, d'où ont été extraits ensuite, par des pontifes érudits, agissant en leur privé nom, des recueils systématisés, qui sont bien des « livres de pontifes », mais non pas des archives du collège pontifical. La même théorie peut être appliquée aux libri augurales (voir ciaprès), et même à plus forte raison, le droit augural intéressant de très près les hommes politiques 24. On peut aller plus loin encore et constater qu'il n'était pas nécessaire d'être pontife ou augure pour écrire des livres dits pontificaux ou auguraux. Une étude sommaire comme celle-ci ne comporte pas l'historiographie de questions aussi controversées "'. Les divergences et incompatibilités des systèmes proposés démontrent assez bien que les compartiments tracés chevauchent les uns sur les autres. Quand Horace écrit Pontificum libros, le scoliaste ne sait s'il songe aux annales ou au droit pontiftcal2G. Si les pontificii ou pontificales libri attestaient que l'appel au peuple existait du temps des rois 27, ces libri pouvaient être indifféremment des annales, des commentaires, ou des recueils de formules rituelles où figurait la formule de l'anquisitio 28. On se demande ce que pouvaient bien être les pontifirale.s libri «indiquant» 156 LIB 1237 LIB que Picus était un augure et avait chez lui un pivert lui révélant l'avenir', ou rattachant les frères Arvales à Acca Larentia2. A quoi voit-on que le commentarium sacrorum d'où Verrius Flaccus extrait une prescription rituelle 3 et de vieux mots liturgiques 4 n'était pas un rituel et ne faisait pas partie des libri? 2° Livres auguraux ''. Aussi vaine est la prétention de distinguer entre les Commentaires auguraux et les libri augurum 6 ou libri augurales La mention de l'appel au peuple sous les rois figurait aussi dans les libri augurales 8, parce que la procédure de l'anquisitio, comme on le voit par Varron', intéressait la pratique des auspices. De même la mention du magister populi" ou dictateur, nommé après consultation des auspices. Ces additions au rituel de Romulus ou de Nuina devaient être enregistrées dans les décisions, c'est-à-dire les Commentaires, du collège, et il est probable que ceux qui les citent les trouvaient non pas dans les archives, mais dans des augurales libri rédigés à l'usage du public. Varron a négligé de nous dire à quelle espèce de livres auguraux il a emprunté la formule de l'inauguration de l'arx du Capitole" On ne trouve aucune mention d'archives qualifiées libri pour le collège des Fétiaux 'FETIALES, bien que le jus filiale eût une importance comparable à celle du droitpontifical ou du droit augural et qu'il passàt pour avoir été importé à l'état de tradition écritei2. Tite Live n'indique pas où il a emprunté les formules qu'il insère dans son récit'', et Aulu-Gelle se contente de transcrire les textes fournis par Cincius 1i, Nous ne sommes pas mieux renseignés sur les documents qui ont permis de reconstituer au temps d'Auguste les rites des Luperques [LUPEsci] et des frères Arvales [ABVALES ri,. li ne nous reste plus à enregistrer, en fait de « livres sacerdotaux » à l'usage de collèges romains, que les livres des Saliens et les livres sibyllins. 3° Livres des Saliens. Du rituel des Saliens, désigné assez rarement comme libri Saliorum 16, la partie la plus connue et la plus souvent citée était la cantate chantée et dansée par les deux confréries du Palatin et de la Colline V. (rarmen Saliare17, carmina Saliariaf8, Saliorum carmina "). Nous devons réserver pour un article spécial [sAlu tout ce qui concerne la composition de cette litanie, dans laquelle furent insérés de temps à autre, par sénatus-consulte, des noms de princes divinisés 20. 1° Livres sibyllins. L'histoire compliquée de ces labri sibyllini a été et sera suffisamment élucidée dans les articles consacrés à leurs interprètes [DuusvmI, DECEMVIRI, Remarquons seulement que, si les prophéties sibyllines en général sont désignées par des vocables divers (carmina, responsa, fata, Oéorf.XTa, ypr1ayo(), les livres officiels confiés à la garde des XV viri S. F. se distinguent de tous autres précisément par ce titre de libri sibyllini. C'est le terme qu'emploie Tite Live toutes les fois qu'il est question de consultations officielles, sauf dans les périphrases oratoires'', et souvent même il l'abrège en libri tout court, ces documents étant les a livres » par excellence. Denys d'Halicarnasse appelle aussi (3uêXouç les originaux vendus à Tarquin 22, et Tacite lui-même, si appliqué à rajeunir le vocabulaire, n'ose pas employer d'autre synonyme que libri Sibullae pour désigner les livres restitués avec des carmina cosmopolites23. Ce scrupule de l'usage ne nous aide guère à dégager les livres sibyllins de la combinaison qui les incorpore aux libri fatales, ceux-ci, en dépit d'une dénomination aussi vague, paraissant appartenir aux traditions des haruspices. Il est certain que les livres sibyllins passaient pour contenir les destinées (fata) de Rome24; que Tite Live les appelle libri fatales 2', et que, là où il fait consulter les libri", l'épithète absente peut être aussi bien fatales que Sibyllini. On nous dit, d'autre part, qu'un haruspice véïen enseigna aux Romains la manière de prendre Véies, secret puisé dans « les livres fatals et la science étrusque 27 », et Varron disait avoir trouvé Etruseis libris fatalibus des spéculations sur la durée de la vie humaine en générale8. On a conclu de là que les haruspices avaient des livres sacerdotaux ainsi appelés, oit étaient consignées des vues générales sur les LIB 1238 -LIB échéances à venir [5AECULUM), et que chaque ville toscane avait aussi ses libri fatales. En outrant ce raisonnement déjà aventureux, on en vient à soutenir que Rome s'était en cela conformée à la mode étrusque et que les livres sibyllins venus de Cumes avaient dû s'incorporer à des libri fatales préexistants, composés de prophéties indigènes, de sorte que les libri Sibyllin in'auraient étéqu'une partie des libri fatales romains, partie prise abusivement pour le tout Toutes ces conjectures aboutissent àgrossir encore le legs mal connu des traditions toscanes 2. 4° Livres des haruspices. Les multiples aspects de la compétence des devins toscans [HARUSPICES) et la prétention qu'ils avaient de conserver une science révélée par Tagès supposent toute une « littérature » sacerdotale. On rencontre en effet de nombreuses allusions à des écrits désignés par des titres divers, les uns génériques, comme Etrusci ou Etruscorum ou Tagetici libri, libelli, scripta, litterae, carmina, ou de. sens indéterminé, comme rituales, fatales, reconditi, Acheruntici, et d'autres plus précis, comme haruspicini ou artis haruspicinae libri, fulgurales libri, ostentaria. Le triage et le contenu probable de ces documents, avec les références aux mentions qui nous les font connaître, ont été suffisamment indiqués dans l'article HARUSPICES, et il n'y a pas lieu de revenir ici sur un sujet qui ne s'est pas