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LUCUS ("Aaaos). --Sénèque écrivait à Lucilius : a Ces bois sacrés, peuplés d'arbres antiques d'une hauteur inusitée, oit les rameaux épais, superposés à l'infini, dérobent la vue du ciel, la puissance de la forêt et son mystère, te trouble que répand en nous cette ombre profonde qui se prolonge dans les lointains, tout cela ne fait-il pas mitre l'idée que là réside un dieu ? » Cette pensée de Sénèque est encore précisée par Pline : a Non moins que les statues divines oft resplendissent l'or et l'ivoire, nous adorons les bois sacrés, et, dans ces bois, le silence même... 2 » Lucrèce met les bois au nombre des choses propres à inspirer l'idée de la divinité''. Ce n'est pas, il est vrai, dans les textes de ces auteurs, appartenant n
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une époque sceptique et civilisée, qu'il faut chercher le témoignage historique de l'origine du cuite des bois ; mais leur esprit était traditionnellement pénétré des antiques croyances aux forces de la nature divinisées. Le milieu où ils vivaient, les formes extérieures du culte, les survivances des anciens usages les y maintenaient; aussi les passages que nous venons de citer sont bien l'expression fidèle des sentiments qui, à une époque ancienne, certainement antérieure aux temps historiques, portèrent l'homme à adorer les bois. Dans les plus lointaines légendes mythologiques, l'arbre, isolé ou groupé, apparaît presque comme un ancêtre des divinités à forme humaine ; il n'est guère de dieu ou de déesse dont la personnalité ne soit accolée à un arbre, comme par une identification postérieure à un culte primitif. De même qu'il doit le feu à Prométhée, l'homme doit à un dieu bienfaisant le don de chaque arbre utile. Et aussi une idée religieuse s'attachait aux arbres dont les dimensions exagérées, la forme extraordinaire frappaient les imagi
Mais si, à l'origine, la profondeur des bois silencieux et sombres évoquait naturellement l'idée de divinités toujours entourées de terreur et de mystère, plus tard, quand les dieux s'humanisèrent, les bois sacrés devinrent, autour des temples, des jardins et des parcs ornés de fleurs, de statues et d'oeuvres d'art, arrosés par des eaux vives. De leur antique horreur religieuse, il ne resta trace que dans les légendes, dans les récits des poètes et des littérateurs, qui continuèrent à les qualifier, le plus souvent injustement, nigri', atri2, vetusta religione truces8, caligantes nigra formidine". Nombreuses aussi sont les allusions à leurs antiques origines : ils sont vetusti 3, vetustate sacri relligione patrum sacri ' ; Virgile attribue aux Pélages leur consécration 8, et Stace a trouvé cette jolie expression : venerabile... lucorurn senium 9. Ils sont appelés vocales 10 parce que, parfois, ils rendent des oracles", et aussi parce que, dans les temps antiques, des voix menaçantes 12 ou prophétiques 13 se sont fait entendre de leurs profondeurs: ... vox quoque per lucos audita silentes ingens" C'est du bois de Vesta qu'une voix surhumaine annonça à M. Caecilius la prochaine arrivée des Gaulois". Lucain 4G et Sénèque le Tragique '° nous ont laissé des peintures où les bois sacrés revivent pleins d'horreur; la description par Pomponius Mela18 des bois sacrés et des antres voisins de Corccus, en Cilicie, ne le cède en rien à celles des poètes.
Il est naturel que, ayant de si antiques origines, le culte des bois apparaisse dans les souvenirs les plus lointains que nous aient conservés la mythologie et l'histoire. Il était pratiqué par les peuples appartenant aux civilisations anciennes, antérieures aux époques classiques 19. Le monde grec et le monde romain, les seuls dont nous
ayons à nous occuper ici, étaient couverts de bois sacrés; l'imagination des poètes en mettait au delà des Indes, à l'extrême Orient, là où le soleil sort des flots 26, et à l'extrême 0ccident21. L'Égypte avait des bois sacrés à Bubastis22 et à Memphis 29 ; à Acanthus, le bois d'Osiris 24 ; un bois d'Apollon dans l'île flottante de Chemmis "-5, et le bois de Persée 26 ; un autre bois d'Apollon à Abydos 27 ; le temple de Jupiter Hammon s'élevait au milieu de bois sacrés 28.
Entre Bérythus et Sidon, en Phénicie, le Tamyras baignait un bois d'Esculape 29. Près de Daphné en Syrie, un bois servant d'asyle entourait le temple d'Apollon et de Diane30. Les bois de Corcyus en Cilicie étaient célèbres 31. Latone avait son bois sacré à Patara de Lycie32, Jupiter Pronaios à Labranda 33 et Vénus à Cnide" en Carie. L'Ionie était particulièrement riche en bois sacrés : là étaient, près de Colophon et sur le territoire de Milet, les célèbres oracles et les bois d'Apollon Clarios'S et d'Apollon Didyméen 36 ; le bois d'Ortygie, renommé par la naissance d'Apollon et de Diane, enfants de Latone", au pied d'un olivier qui n'était pas encore mort au temps de Tacite38; le bois de Pluton et de Proserpine, près d'Acharaca39 et, à Chalcides, le bois consacré à Alexandre le Grand". A Grynium, en Mysie, on voyait, à côté du temple, le bois d'Apollon'" ; en Troade, les bois de ce même dieu avec les noms de Smintheus 42 et de Tymbraeus 43, le bois de Diane Astyrine" et le bois d'Hector "G. Le mont Ida, sur les limites de la Troade et de la Phrygie, était ombragé par les bois de Cybèle" et d'Apollon"7. Sur les côtes du Pont, un bois était consacré aux Amazones "; dans la Colchide, illustrée par l'expédition des Argonautes, se trouvait le bois consacré à Mars qui avait recélé la toison d'or43. En Arménie aussi 56 et jusque dans l'Inde G", les bois sacrés étaient en honneur, et Bacchus', Satyre, Pan et Silène 53 y avaient les leurs.
Si, traversant le Pont Euxin, nous passons en Europe, nous rencontrons, en Thrace, dans la partie la plus reculée de cette région, un bois consacré à Bacchus où des prodiges annoncèrent la grandeur d'Auguste 54, et, à Ismare, un bois d'Apollon 5G. Cette forme du culte existe chez tous les peuples de la Grèce : en Épire, Apollon a des bois à Actium 56 et à Nicopolis "7. A la même contrée appartenaient les arbres prophétiques de la forêt de Dodone". En Thessalie étaient les bois de Jupiter sur l'Oeta "9 et les bois sacrés de la vallée de Tempé" ; en Locride, chez les Myonenses, le bois des dieux M~t?(ytol G', de Vénus à Oeanthea près fNaupacte62 et le bois Aeaneus en l'honneur d'Ajax" ; en Phocide, un bois sacré gardait le tombeau de Néoptolème, à Delphes"; près de Drymée, au croisement de deux routes était un bois d'Apollon". Nul peuple de la Grèce n'avait autant de bois sacrés que les Béotiens : bois de Diane", de Mercuref7, des Cabires6B et de Diane, près de Platée, là
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où elle fut surprise par Actéon' ; de Neptune, près Onchestus 2, de Cupidon à Leuctres 3, d'Apollon Délios près de Tanagra' ; près d'Alalcomène, un bois de vieux chênes, le plus grand de la Béotie ; bois sacrés de Cérès et de Proserpine'', de Bacchus', d'Iolaus 8, près de Thèbes ; de Cérès à Anthédon 9; des nymphes" et de Diane à Cyrtone", des Muses sur l'Hélicon', de Trophonius à Lébadéet3. L'Attique avait un bois de Minerve 1't à Athènes ; des bois consacrés au héros Laclos" et à Hercule 'G ; le bois d'Anagyre 17, et, à Colone, le bois des Euménides". A Mégare se voyait un bois de Jupiter Olympien"; sur le territoire de Corinthe, des bois de Neptune 20, de Vénus et de Junon"; sur le territoire de Sicyone, les bois de Pyrée consacrés à Cérès Prostaia et à Proserpine 22, des Euménides 23, d'Esculape "`; à Phlius, le bois de Ganymède ou d'Ilébé21. En Argolide, un bois sacré de cyprès entourait le temple de Jupiter Néméen 26, et le souvenir du lion de Némée était encore conservé par le bois consacré au berger Molorque27; un bois était dédié au héros éponyme de la région 28, à Esculape" etàDiane chasseresse à Epidaure 3°, aux Grâces près d'Hermione n, à Ilippolyte à Trézène", à Cérès à Lerne, là où Pluton descendit, avec Proserpine, dans les enfers". Près de Patras", Aegium ", Pellène 36, Mysaeos 3", villes d'Achaïe, étaient des bois d'Apollon et de Vénus, de Junon, de Diane Sospita, de Cérès. Dans la même contrée, à Pharae, le Pierus baignait un bois de platanes tellement gigantesques que leurs troncs rongés par le temps étaient habitables' et dans l'Ilomarium, bois sacré de Jupiter, la ligue achéenne se réunissait39. Parmi les bois sacrés du Lycée 40, en Arcadie, le plus ancien, sans doute, était celui de Pan41 ; Apollon avait son bois dans les mêmes montagnes`", ainsi que Vénus à Trophaea'3, Diane à Condylée ", Cérès à MégalopoIis", Cérès et Proserpine dans la même ville 48, Neptune à Tricolonn. Encore en Arcadie, un bois sacré dominait le Mégaron où l'on célébrait les mystères de Cérès 48 ; à Psophis, un bois sacré de Cyprès abritait la tombe d'Alcméonet une source et un bois sacré étaient voisins du temple de Cérès à Phigalie S0. L'Elide possédait à Olympie l"'AÀTtÇ, fameux bois sacré de Jupiter" ; à Pylos un bois de Cérès6", un bois de Neptune au bord de la mer à Samicum x3, en divers lieux des bois sacrés de Dianes', d'Ioneus" et d'Eurycydeus. 66 Toute la région des bouches de l'Alphée était couverte de bois sacrés, ornés de fleurs et d'eaux vives 1'. Nous trouvons en Messénie les bois de Lycus08, d'Apollon Carneus près de Phares 59 et le bois Carnasius
Sur le promontoire de Taenare, en Laconie, on honorait plusieurs bois sacrés 61, entre autres celui de Neptunet2 et, dans le même pays, les bois de Jupiter Scotitès G3, d'Apollon près Sparte 6', de Bacchus °', de Mars à Géronthres 66
Dans les îles d'Asie Mineure et de Grèce, aussi bien que sur le continent, les bois sacrés étaient en honneur. Vénus qui, de Cypre, s'appelait hunpt;, y avait les bois célèbres de Paphos G7 et d'Idalie 08 ; près d'Arsinoé, dans la même île, était un bois de Jupiter B0. Latone avait un bois à Rhodes 70, Esculape à Cos l', Junon à Samos i2, Apollon à Chios 13, Neptune à Ténos ", Cybèle la et Jupiter 16 en Crète sur l'Ida, les Nymphes à Ithaque", Minerve dans file fabuleuse des Phéaciens78.
Si, pour aller de Grèce en Italie, nous passons par la Sicile, nous rencontrons dans cette île des bois sacrés de Minerve 70, de Mars 80, de Vénus S1, le bois gardien du tombeau d'Anchise82, celui où Pluton ravit Proserpine h3
et, sur les bords du fleuve Acis, le bois orné des dépouilles des géants, trophée de la victoire des dieux 84.
Dans la péninsule, le Bruttium avait les bois sacrés de Sila8', à Crotone le bois de Junon Lacinia86, à Temesa le bois de Politès, compagnon d'Ulysse 87, la Lucanie le bois de Palinure 88, l'Apulie un bois à Lucérie 69, la Campanie le bois de la triple Hécate, près Cumes", le fucus sucer Dei; idiorum "', le bois de Junon à Nucérie J2, et, à la frontière du Latium, sur les bords du fleuve Liris, près Minturnes, le bois de Marica 93 ; l'Ombrie, un bois à Spolète 14 et, près du mont Fiscellus, le bois de Vacuna 9',
Le Latium et Rome étaient fertiles en bois sacrés à la plupart desquels se rattachaient des légendes relatives aux origines du peuple romain. Ce sont les bois de Feronia 96, de Circé 97, de Pilumnus près Ardée 98, de Jupiter Indigète03, de Junon Sospita à Lanuvium100, (le Diana Nemorensis 101de Mars près d'AIbe 102, de Ferentina où se réunirent les peuples latins103, de Diane à Anagniai°'', de Diane encore près de Tusculum'", et, près de la frontière du Latium, au pays des Marses, sur les bords du lac Fucinum, le bois d'Angitia106 Rentrant dans le Latium, nous trouvons, àTibure, le bois de Tiburtusf07 et, entre Tiburo et Borne, les bois de la déesse ou nymphe Albula f08, dans lesquels, vers le sud, était l'oracle de Faunus
Les bois sacrés de Rome se rattachent presque tous aux origines de cette ville ou aux époques légendaires de son histoire; quelques-uns n'ont existé que dans les fielions des poètes ; la plupart de ceux qui ont eu une existence réelle avaient disparu au temps de l'Empire. Ces bois sacrés étaient certainement des débris des anciennes
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forêts au milieu desquelles Rome fut fondée ' ; ils restèrent en possession de l'ancien culte et il n'est pas surprenant que, autour d'eux, se soient groupées les légendes primitives. On attribua à Romulus la création de plusieurs de ces bois 2. Au locus Hereulius au pied du Palatin ', au sacri nemus Argileti 4, dans le quartier de ce nom, les poètes avaient rattaché les plus antiques traditions ; le fucus San,'i, sur l'Aventin, conservait le souvenir de la bonne déesse, de Faunus et de Picuss ; le bois de Pan et son antre, au-dessus du Vélabre, avaient vu les jumeaux allaités par la louve"; sur le Capitole, inter duos lucos, était l'asile ouvert par Romulus le fucus asyfi d'après Tacite C'est dans un fucus Syfvani, près d'une source, que Tarpeia avait rencontré, ail pied du Capitole, le chef Sabin', et, sur le Quirinal, le nouveau dieu Quirinas avait son bois10, tandis que le bois de Vesta, sur les pentes du Palatin, au-dessus du Forum'', et surtout, hors de la porte Capène, le bois des Muses et d'Égérie gardaient la mémoire du pieux roi Numa12. Sur l'Aventin, dans un bois de lauriers, le /rivetai?'" , avait, été enseveli Tatius". D'autres bois portaient les noms d'antiques divinités : sur l'Esquilin, les locus Mefitis f 5, Libitinae 1G, Junonis Lucinae ", Larum? 70, Esquilinus f9, F'agutalis'20, Poetelinus L1 ; sur le Coelius, le lieu dit l'inter duos fucus 22 ; sur les bords du Tibre, le fucus Helerni 23 ; au delà du fleuve, les locus
I%arinae n, appelé par Plutarque a),coç 'Erivvémv 2., Albionarutn 26 ; à des emplacements inconnus, les fucus deae Satrianae 27, Streniae , Belfonae 2'" , Agrippae 30 Pisonis 31 ; la porte Querquetufana tirait son nom d'un bois de chênes, voisin 12; hors des murs, les fucus Poetefinus a3; Robiginis sur la via Claudia n, Lavernae sur la via Sabra", deae Diae sur la via Aurelia 35, Semeles 3près d'Ostie 38, peut-être le même que le locus Similae célèbre ar les bachanales 39, ou Stimulae 40.
L'Étrurie avait un bois de Sylvain à Caere ii, un bois de Junon à Faléries v2, et, près de Capène, le célèbre bois de Féronie'•3. En Cisalpine, on a trouvé, àBergomum, une inscription faisant mention d'un bois sacré de Libitina" ; des bois sacrés aussi existaient près de Crémone, au lieu dit Castorum", et, sur les bords de l'Adriatique, en Vénétie, des bois à Diane Aetolica46, et à Junon Argiva67 se rattachant a la légende de Diomède ; en Ligurie, une ville avait conservé le nom de fucus Bormani suivant les uns",
de fucus Vermanis suivant d'autres 49. Comme sous le soleil de Grèce, Apollon avait des bois sacrés dans les Alpes 00.
En Gaule, où le culte se célébrait dans les forêts, les bois sacrés étaient nombreux". Lucain mentionne un bois sacré près de Marseille 52 ; c'est à un bois sacré que doivent leurs noms le village du Luc (Var) et le leurs èocontiorum53. Ausone dit que les vieux bois sacrés sont la gloire des pagi0'P
Peut-être plus encore qu'en Gaule, la religion des bois sacrés paraît avoir été profonde chez les Germains ; Tacite y revient sans cesse " et mentionne, dans cette région, les bois sacrés d'Hercule 0f, de la déesse IIertaJ7, d'AlciJB, de Baduhena59. Le nom de ville Lucus Augusti, en Germanie supérieure60, provient d'un bois sacré.
Il en est de même en Espagne pour Lucus Augusti de Galicie 61, et pour Lucus Asturum 62. Près du port de Gadès était un fucus appelé Gleastrum63
En Numidie, on connaît le locus Magnus O4 et une ville appelée Meus Augusti". Junon eut un locus à Carthage" et, en Cyrénaïque, le jardin des Hespérides était dans un bois sacré 67.
Cette longue nomenclature n'est certainement pas complète; si l'on y ajoute les noms qui manquent et, en proportion avec les luci connus, ceux dont le souvenir n'a été conservé par aucun texte, il faudra conclure que tout l'univers habité fut couvert de bois sacrés jusqu'à la tin du paganisme. Et cela est assez naturel, car il semble bien que les particuliers pouvaient, par dévotion, dans leurs terres, consacrer des bois 63; ce qui est sans limite. Si c'était ici le lieu de poursuivre cette étude dans le moyen âge et jusqu'aux temps modernes, il serait facile de noter de nombreuses survivances d'un culte si répandu dans les campagnes où les croyances et les pratiques religieuses sont tenaces. A l'origine, le bois luimême était dieu et, dans des textes de l'époque classique, on trouve des souvenirs de ce temps b9. Plus tard, le bois sacré ne fut plus que la demeure d'un être divin ou lui fut simplement consacré. L'énumération qui précède prouve que ce culte ne s'adressait pas aux seules divinités des bois, Faunes 70, Silvains7', Nymphes7'-, Dryades ". Hamadryades ", Pan 75, Diane 70 ; toutes les divinités de l'Olympe, de la terre ou des enfers, les demi-dieux, les héros y avaient part. Il semble que ia consécration à un dieu n'excluait pas la divinité topique, car, dans le bois
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même de la déesse Dia, les Arvales s'adressent sine den sine dette in cujus tutela lucus locusne est 1. Les arbres les plus divers formaient les bois sacrés : yeuse myrte 3, palmier', chênes 3, peupliers 6, hêtres', cornouillers 8 buis 9, érable 10, cyprès", platanes", acanthe d'Égypte 13, lauriers", oliviers ", arbres fruitiers" ou de plaisance", essences variées 18.
Le lueur n'était pas toujours un bois isolé; souvent c'était une partie d'un nemus", d'oie l'expression luci immorales": parfois même il portait lui-même le nom de nenias2 , Quelquefois aussi les auteurs grecs et latins appellent «?,aoç ou lucus un bois non consacré; ce qui rend incertaines quelques attributions quand rien dans le contexte ne vient préciser le sens du mot. Le bois sacré était aussi une clairière dans un bois, s'il faut suivre Isidore, qui indique l'étymologie a collucendo22; mais les autres grammairiens font dériver locus de lucere par antiphrase, à cause de son obscurité23.
Le culte des bois semble avoir été lié à celui des eaux ; très souvent une source, d'origine parfois prodigieuse, est associée au bois 2" ; un antre aussi y est souvent uni, inspirant, comme le bois lui-même, par son obscurité et sa profondeur, une terreur sacrée". Dès la plus haute antiquité, certains bois sacrés furent un asile inviolable pour l'ennemi qui s'y réfugiait pendant le combat26, ou pour les captifs et les esclaves fugitifs qui en sortaient libres, laissant leurs fers suspendus aux arbres2"'.
Autour de beaucoup de bois sacrés, l'imagination avait localisé des légendes : c'est dans un antre d'un bois sacré de Corycos que Jupiter avait enfermé le géant Typhon 28; un bois de Sicile conservait encore les trophées de la victoire des dieux sur les géants29. Dans le bois d'Ortygie, en Ionie, étaient nés Diane et Apollon 30; l'histoire du lion de Némée restait attachée à un bois de l'Argolide 31. C'est dans un bois de Sicile que Pluton avait ravi Proserpine 32, et, dans le bois de Cérès, à Lerne, en Argolide, est l'endroit par où, avec elle, il retourna aux Enfers ". On connaissait le bois où Diane fut surprise par Actéon 3M. Près du promontoire de Taenare, dans un bois de Neptune, s'ouvrait l'antre par où Hercule avait ramené Cerbère des enfers ". Dans le bois de Diane Nemorensis s'était localisée la légende d'Hippolyte 36, dans un bois
du pays des Marses la légende de Médée ' celle de l'alinure dans un bois de Lucanie 38, celle de Diomède dans des bois de Vénétie", et sur les bords du Pont' et en Colchide"1 celles des Amazones et de la toison d'or.
Les bois sacrés étaient aussi l'objet de nombreuses superstitions : il en était où les animaux féroces dépouillaient toute cruauté", où des troupeaux sans gardiens rentraient d'eux-mêmes à l'étable"3 ; on y attirait facilement la foudre" ; un bois sacré brûlé a subitement reverdi'".
Il y avait dans les bois sacrés des temples, même consacrés à des divinités autres que celles du bois, dus autels, des oeuvres d'art"6. Souvent ils étaient entourés d'un mur "; ils renfermaient aussi des arbres étranges et pour cela sacrés "8 ; des oracles y étaient associés ils gardaient quelquefois des tombeaux vénérés e. L'entrée de quelques-uns était interdite', ou permise aux prêtres seuls 52 ou aux seuls initiés 0, ou aux hommes à l'exclusion des femmes''`, ou réciproquement ". Dans le bois de Cérès et de Proserpine, non loin de Sicyone, les hommes et les femmes étaient séparés les jours de cérémonies f16.
Les troupeaux qui auraient pu ronger les pousses n'y avaientpas entrée °. On ne pouvait les couper, coinquere' ni même les émonder, collucare 59, sans un sacrifice expiatoire et une prière dont Caton nous a laissé la formule 60. Les Arvales, chaque fois que, dans le bois de Dia, ils avaient usé d'un outil en fer, étaient obligés de faire un sacrifice 61, Dans ce même bois, et sans doute dans les autres bois sacrés, quand des arbres tombaient de rétuslé ou étaient frappés de la foudre, il fallait célébrer des piacula majora, arracher les arbres et les brûler dans le bois même comme en un sacrifice 62. Il n'était pas convenable d'en faire un lieu de passage 63. Il ne fallait pas y exercer de vendetta", y déposer de cadavre 60, y jeter d'ordure 66. On devait respecter leur intégrité; mais, dans les villes, l'accroissement de la population et la nécessité de bâtir les restreignaient sans cesse 67. Les dieux punissaient les profanateurs des bois sacrés 68 et Jupiter frappait de la foudre les bois violés 58.
Ces prescriptions ne s'appliquaient pas rigoureusement à tous les bois sacrés. Ceux qui étaient des lova sacra, la propriété des dieux, y étaient complètement soumis. Ceux, au contraire, qui étaient productifs et
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exploites, fiaient affermés par les censeurs '. C'est ainsi que le bois d Cgérie fut affermé à des juifs'. Le produit des bois sacrés s'appelait lucar 3, Quant aux bois sacrés privés, leur grand nombre dans les campagnes aurait par trop entrave l'exploitation et la vente des propriétés, s'ils avaient été soumis rigoureusement aux mêmes lois que les bois sacrés publics. 11 est probable que l'exécution de ces lois relevait de la conscience et de la volonté des propriétaires ou que les formalités étaient très simplifiées.
En somme, les bois sacrés publics étaient soumis aux ,Mimes règlements que les temples et que les autres lova sacra ou religiosa'L. II en est au service desquels des prêtres étaient attachés Les bois sacrés du pays conquis restaient sacrés au même titre que ceux du territoire °.
Nous ignorons comment on procédait à la consécration des bois, mais il y avait une uONSECRATIO L'expression employée par Catulle', lut-am dedico consecroyue, est sans doute empruntée à la liturgie °.
Dans certains bois sacrés, à des époques périodiques, on célébrait des sacrifices i0, des fêtes", des mystères ", des jeux13; on y donnait des repas publics Itou privés 1" et il y avait souvent des édifices affectés à cet usage1".
En reconnaissance des bienfaits obtenus, on suspendait aux arbres des bois sacrés des dons 17 et aussi les dépouilles des ennemis vaincus i9.
Enfin, sans doute à cause de leur caractère religieux, les bois sacrés furent, dans tous les temps, des lieux où l'on convoquait le peuple et où l'on tenait des assemblées. C'est dans un bois de Jupiter que les délégués de la figue achéenne tenaient leurs séances 19 ; dans un bois sacré de vieux chênes, à Alalcomène, se réunissaient les assemblées des Platéens 20; les Germains aussi délibéraient dans des bois sacrés21. Les Latins se rassemblaient dans les bois de Ferentina" ; à Rome, le peuple fut convoqué dans le bois de Poetelinus23. En même temps que des centres religieux et politiques, les luci étaient quelquefois aussi, comme celui de Feronia, des marchés très fréquentés 2t, HENRY Talos;s AT.