Le Dictionnaire des Antiquités Grecques et Romaines de Daremberg et Saglio

Article LUNUS

LUNUS. Ce mot, qui ne se rencontre que dans un seul texte latin et une seule fois', n'est pas un nom sous lequel une divinité quelconque ait été adorée ni à Rome ni en aucun autre point du monde antique. Il n'apparaît que dans l'Histoire Auguste. Spartien y rapporte que Caracalla, se trouvant à Edesse, eut l'idée d'aller à cheval jusqu'à Carrhai pour y visiter un dieu lunaire mâle qui avait là un temple, mais qu'en chemin il fut assassiné par son écuyer. Les informateurs2 qui ont transmis ce fait à l'historien, en y ajoutant un assez sot commentaire sur les conséquences du genre masculin ou féminin attribué à la Lune, ont donné à cette divinité de Mésopotamie le nom latin de Lunus Et depuis, historiens, numismates, épigraphistes ont trouvé le mot commode pour désigner tout dieu lunaire mâle qui s'offrait à eux. Dieu lunaire de Mésopotamie (dit Lunus). Mên, dieu lunaire de Phrygie. Le vrai nom de celui de Carrhai nous est inconnu Son temple existait encore au temps de l'empereur Julien On a pensé, étant donnée la race dont la région était peuplée, que c'était un dieu sémite'. Sur les monnaies cette lune mâle est figurée soit par un croissant et une étoile, sans autre effigie (fig. 4661), soit par une tête qui a un croissant vis-à-vis d'elle', ou qui est diadémée, avec deux croissants inégaux. Nous n'avons sur cette divinité que ces notions vagues. Un autre dieu lunaire nous est au con traire très connu. C'estMên (Mrlv), dieu anatolien qui paraît LUN 1393 LUN distinct du précédent'. Il est reconnaissable à ce que, dans ses nombreuses représentations, il porte toujours, avec l'attribut lunaire, le costume, surtout le bonnet des Phrygiens 2. Sur ce dieu, dont Strabon nous désignera les temples les plus connus, les mythographes ni les poètes ne nous apprennent rien. Un vers d'un hymne orphique' le nomme en même temps que deux divinités phrygiennes, Attis et la Mère des dieux; Lucien4 le ridiculise comme une divinité orientale fastueuse et surchargée de dorures ; Proclus le croit confondu en Phrygie avec Sabazios sous un même nom et dans les mêmes Fêtes'. Tout cela est pour nous tromper sur la nature originaire du dieu. Il n'a rien de commun, si ce n'est le pays où il est honoré, avec ces divinités délirantes et farouches dont le culte n'allait pas sans l'orgie et l'extase. Il est possible qu'à une époque relativement tardive elles aient été unies ou confondues avec lui comme ayant le même pays d'origine, presque le même costume, et en vertu de cette passion de syncrétisme qui sévissait vers la tin de l'époque païenne. Au centre même du culte de Mên, en Lydie, près de Coloé, trois niches ou arcades sont creusées et sculptées à même le roc et contiennent trois bas-reliefs représentant des scènes relatives à Adonis confondu avec Attis 0; dans l'une des trois, malheureusement très mutilée, Waddington a cru reconnaître ou le croissant ou le bonnet phrygien qui rappellerait Mên.I1 est du reste certain qu'ailleurs Attis prend non pas seulement le croissant', mais le nom même de Mên. Dans plusieurs inscriptions romaines du Ive siècle ap. J.-C. où il est invoqué en même temps que la Mère des Dieux (et Hermès), le surnom assez mystérieux de Menotyrannus est joint à son nom (si ce n'est pas Mên Tyrannus qui est nommé avec lui). Les céra mistes grecs de l'Asie Mineure s'empareront de ces confusions pour créer des types d'art hybrides et fort curieux. Représentations de MM.. Mais pour avoir été compromis en quelque sorte avec ces dieux équivoques', Mên n'en est pas moins parfaitement différent d'eux 9 par le type plastique comme par les noms qu'on lui donne, les formules sous lesquelles on l'invoque, les qualités morales qu'on lui prête. Un attribut qui ne se rencontre qu'irrégulièrement dans les représentations de ces autres dieux asiatiques, et qui se retrouve constamment dans les siennes, c'est le croissant de lune adapté non pas à la tète, mais aux épaules f0. La partie médiane de ce croissant est censée absente ou dissimulée derrière le cou ou le dos ; les deux pointes seulement apparaissent de part et d'autre. C'est ainsi que nous voyons Mên : 1° dans un relief pro venant de Coloé en Phrygie Catakékaumène, où son buste accompagne celui d'un Zeus solaire, à la tête radiée (fig. 4662)1'; 2° sur une très belle intaille de grenat du Cabinet de France (Bibliothèque nationale) (fig. 4663) '2; 3° sur un très grand nombre de monnaies t'. Mais le relief, qui d'ailleurs a été trouvé dans le foyer même du culte Fig. 4663.Type traditionnel de Mèn, date de 173 de notre ères''; l'intaille n'est pas plus ancienne, et aucune monnaie n'est antérieure au temps de Trajan . C'est en Attique, où nous trouvons Mèn émigré, que se rencontrent (outre une statuette de terre cuite curieuse mais mutilée 1f7) des reliefs dédicatoires qui datent du Ive au II° siècle avant notre ère et nous font connaître l'ancienneté de ce type de représentation. L'un a été trouvé en 1894 encastré dans un mur entre la Pnyx et l'Aréopage 1' ; l'autre est de la collection Lanckoronski et se trouve dos à dos sur une même pierre avec le char d'un dieu solaire 1' (fig. 4664). Sur le second, qui est le LUN 4391E LUN plus ancien. le croissant n'est pas ajusté au corps du personnage, mais placé derrière l'ensemble de la scène. Dans l'un et l'autre le dieu est assis sur un bélier; près de lui est une table garnie de gâteaux et de fruits', devant laquelle est un coq. Dans un autre relief trouvé à Thorikos, port voisin du Laurion, c'est sur le coq qu'il est assis'. Ces trois théophanies, oit Mén apparaît à ses fidèles en prière près de leurs offrandes, nous confirment l'habitude fréquente des artistes anciens de donner pour monture à un dieu l'animal même dont le sacrifice passe pour lui plaire' et nous montrent que plusieurs des caractéristiques du (lieu, constantes sur les monnaies impériales, remontent très haut. Car le coq, le coq blanc spécialement voué au dieu figure sur nombre de pièces de Parlais, d'Antioche de Pisidie, de Prostanna, etc. i La haste à la main droite que nous offrent des monnaies très nombreuses° est sans doute ancienne aussi, car nous la voyons à la main du dieu dans un autre relief attique du le siècle avant notre ère, oit il est dans une grotte, nu-tète, tenant un coq sur son bras gauche, entre Pan et une nymphe ou une Naïade Enfin tantôt la pomme de pin qui conjure les maléfices, et qui peut étire remplacée par une grosse grappe de raisin, tantôt une patère (pour libation) entre les mains', complètent la physionomie sans doute ancienne, traditionnelle de Men, car ces particularités se présentent avec une fréquence remarquable et dominante sur les monnaies. Ainsi se dessine la figure la plus ordinaire du dieu, jeune, imberbe avec de longs cheveux, vêtu d'une tunique haut ceinturée, souvent d'une chlamyde par-dessus, et des anaxyrides phrygiennes. Certains traits complémentaires, qui sont un peu plus rares, ont pu répondre à l'intention de grandir ce dieu modeste et familier. D'abord le sceptre; mais le sceptre ne se distingue pas toujours bien de la haste ou du thyrse. Quoi qu'il en soit, Mên a le sceptre en main sur une seconde stèle de Coloé' ois il figure en pied à côté de Zeus aétophore (fig. 4660 (17'2 de notre ère), et sur un rocher de la ville haute de Philippes où M. Ileuzey l'a reconnu, dominant de la taille tout un panthéon de divinités figurées sur les roches voisines 10. A Coloé il a le pied posé sur un taureau terrassé, et sur un certain nombre de monnaies, il a aussi le pied sur une tète de taureau, que l'effacement a pu faire prendre pour un petit rocher" (fig. 1666). Mais la fierté du dieu n'est pas telle que, sur d'autres pièces, il ne garde en même temps au poing son coq favori. Parfois, tout pacifique qu'il est, il porte une petite figure de Victoire i2. Quelquefois il se présente au portail d'un sanctuaire distyle comme en Galatie" (fig. 46671 oit d'un fastueux temple à six colonnes comme à Nysa 14. Enfin, pour le grandir encore, le voici à cheval. Cette allure équestre n'a rien de commun avec la posture du dieu assis de côté sur une monture invraisemblable dans les reliefs d'Athènes. Rien ne démontre qu'elle ne soit pas antérieure à l'époque impériale; cependant il est possible qu'en ceci l'imitation de dieux d'autre nature ait été déterminante. Par exemple il y avait à Telmessos, en Syrie, un dieu Sozon qui était figuré à cheval, qu'on a pu confondre avec Sabazios parce qu'il y avait quelque chose de commun entre certaines formes de leurs noms (Sauaz ios), qui était de nature solaire, et lunaire aussi par analogie"'. D'autres divinités d'Asie Mineure étaient équestres. Voilà sans doute pourquoi on a voulu que Mén le fût à Olbasa (fig. 4668) en Pisidie, à Allia (si c'est bien lui qui porte la hache à deux tranchants), à Prusa en Bithynie, à Baris, à Sillyum, à Sagalassus1G, etc., et qu'il tint un cheval par la bride sur les pièces de Laodicée du Liban 17, Des reliefs (de basse époque), d'une exécution très grossière'', constateraient, à défaut des monnaies, cette mar que de puissance attribuée à mêla. Même les pièces 1395 se',UN de Téménothyrai le montrent dans un char attelé de zébus lancés au galop' (fig. 4669). Mionnet, Waddington et lmhoof croyaient aussi trouver Mén équestre sur de belles monnaies de Trapézos dans le Pont. II est certain que dans cette dernière contrée Mên était fort populaire. Mais les représentations équestres d'un dieu pontique se rapportent à Mithra, dieu solaire e. Il faudrait donc supposer que nous avons affaire ici à Mên-Mithra. Mais nous trouvons partout Mên opposé mi dieu solaire et non pas n,nfondu avec lui. De plus, sauf peut-être sur un exemplaire qui est à Munich", la marque distinctive de notre dieu, c'est-à-dire le croissant aux épaules, manque à ces effigies. Donc Mên a été certainement adoré, mais non pas figuré à cheval dans les villes du Pont. D'autre part les monnaies nousleprésentent non point confondu , mais en société avec d'autres divinités'Zeus assis, devant qui il se tient debout, Apollon, Arès, Artémis, qui est aussi au droit de monnaies dont il occupe le revers t. Quand il est associé ainsi à quelque autre dieu,ilne semble pas qu'il garde ordinairement pour lui la prééminence ou la place d'hon neur. Un curieux monument de Coloé nous le mon tre conduisant le char de Zeus Sabazios'. Dans un autre qui est au musée de Tchinli-üiosk à Stamboul, une femme qui met son mari sous la protection d'Hécate (Ywtir sic) a eu soin de faire figurer par sureroit, à eÔté de la triade lunaire féminine, Mon °, qui est à sa place dans ce monument où les croissants ne manquent pas (fig. 4670). Ils sont bien plus abondants encore sur un relief de travail soigné, mais de o composition très triche , et de basse épi que, qui parait provenir d'Athènes ou de l'Attique (fig.4671).Ce monument ressemble ceux que nous venons de passer en revue par l'intention, qui est celle d'augmenter l'importance du dieu et sesdomaines d'influence. Il en diffère tout à fai t par la physionoe( raie. Mén , dont nous n'avons ici que le masque, n'a pas le bonnet phrygien. C'est la face traditionnelle du dieu Soleil, avec un diadème et une sorte de couronne radiée au sommet de laquelle est un globe entre deux croissants. Près du masque une inscription mentionne 1Citn qui ,«iuve et qui enrichit', Ii est accompagné d'étoiles et placé au-dessus d'un croissant de vastes dimensions. Vingt autres croissants sont apposés comme une marque sur la plupart des trente-trois objets ar'rangl s avec une recherche évidente de la symétrie, et dans un ordre étudié pour qu'il en tienne le plus possible. De ces attributs quelques-uns, comme la pomme de pin, les pains, les giïteaux et les fruits, se rapportent directement à Mên; les autres concernent diverses divinités e la puissance desquelles on a voulu le faire participer. Le centre de. cette composition rappelle les formes d'une balance, mais le fléau en est un serpent; une corne d'abondance (marquée d'un serpent) et une massue sont suspendues à la place des plateaux. La massue appelle l'idée d'Hercule. La balance est un des signes du zodiaque et dans le bas du tableau figurent des animaux dont quelques-uns font partie de ces signes : lion, bélier, taureau, capricorne. L'intention générale peut avoir été de symboliser divers phénomènes astronomiques en les rapportant au dieu lunaire. De plus, une paire de tenailles rappelle Vulcain, une roue la Fortune, un miroir Vénus, une syrinx Pan, un caducée Hermès; deux gouvernails font penser à quelques divinités marines, peut-être les Dioscures qu'on trouve ailleurs avec l'image de let Lune [itutre1. Les quatre torches placées de part et d'autre sont celles de Démèter° ou d'Ht cate r'nx]. La herpè est l'instrument habituel des sacrifices [nxHPè]. Enfin un bucrane LUN 1396 LUN occupe au centre un espace considérable. Est-ce un souvenir de Bacchus? est-ce cette tète de taureau que nombre de monnaies et un relief nous ont présentée sous le pied droit de Mèn?Quoi qu'il en soit, ce bucrâne-cyclope n'a qu'un ail, pour signifier le regard unique de la Lune. 11 semble qu'à Nicée en Bithynie on ait d'assez singulière façon cherché à rehausser à la fois le prestige de notre dieu et celui de l'Empereur en créant un type hybride qui mêlait bizarrement leurs deux personnalités. Du moins, en ce pays où Jules César était populaire, on s'est souvenu d'une statue de Rome qui représentait le précurseur des empereurs à cheval, mais sur un cheval dont les membres antérieurs se terminaient par des pieds humains '. Le revers d'une monnaie de Nicée sous Antonin le Pieux nous offre un personnage avec le croissant de Mèn aux épaules, vu de face sur un cheval de profil qui a comme membres antérieurs, à gauche un pied humain, à droite un bras tenant un caducée, et pour queue un serpent. Le personnage tient une couronne, et sa tète est radiée '-. Est-ce Mèn ? Est-ce un César? Est-ce l'un et l'autre et par surcroît un dieu solaire comme Sabazios? La légende (la cite' toute d'or de iïicée consacre un cheval à pieds humains ') ne parle que du cheval fantastique. On pourrait se demander s'il n'y a pas là une dérivation d'un type ionien fort ancien, celui du Centaure à jambes humaines que portent souvent les vases à figures noires du via siècle et que les Romains auraient pu interpréter comme un cheval ayant des pieds humains par devant et monté par un cavalier 6 ? S'il n'est pas de dieu qui semble avoir été pris plus au sérieux que Mên, plus respecté de ses fidèles, cependant des artistes grecs établis en Asie Mineure ont trouvé l'occasion d'interprétations libres et capricieuses dans l'originalité de cette divinité lunaire et mâle. On ne sait si c'est le dieu qu'il faut reconnaître dans ces créations ou si ce n'est pas plutôt des jeux de l'art inspirés par son souvenir. A Coloé même, où nous avons vu des représentations si précises de Mên, on a trouvé une figurine', représentant dans un style grossier un enfant nu, au visage large et un peu vulgaire, assis par terre les cuisses écartées et les talons réunis. Il tient un coq d'une main, une grosse grappe de raisin de l'autre; un grand croissant dont la concavité est presque remplie monte très haut derrière ses épaules et son cou. Dans la fabrique de Tarse on modelait, vers l'ère chrétienne, de petits Atys parés du feuillage mystique comme des Dionysos jeunes ou des Éros bachiques. Derrière leur dos les ailes recoquevillées en guise decroissant fontpenser à, Mén°. Ce qu'étaient ces curieux petits êtres, dieux ou gracieux enfants qui évoquent des souvenirs divins, peut-être les coroplastes eux-mêmes ne l'ont-ils pas bien su. Formes et extension du culte de Mên. Caractères moraux du dieu. Cette divinité, si populaire en Asie Mineure, semble n'y avoir eu qu'un seul nom sans homonymie, mais ses noms-épithètes ou surnoms y ont été fort nombreux. Rien absolument n'indique un premier nom auquel les Grecs auraient substitué leur mot p.iiv 7, et rien non plus ne permet de croire que le mois ait été divinisé. C'est bien la même racine ma (mesurer)'' qui, prenant un élément formatif différent (v d'un côté, va de l'autre) a donné pour nom à la Lune (i' v, p-ivoç chez les Pélasges du continent asiatique, µ-tlvvi, µw 1e, chez ceux des îles et de la Grèce, si bien qu'une formation grammaticale a décidé que la divinité lunaire serait mâle en Anatolie. Parmi les surnoms, il en est un certain nombre qui sont des désignations locales. Le plus fréquent sur les médailles, 'AGxa(voç ou 'AGxrlvoç °, est un très vieux nom géographique de la Phrygie, où il a servi de prénom et désigné longtemps un lac et diverses localités. C'est ce nom que Strabon transcrit mal quand il parle de M-qv 'Aazzioçyou 'Apxa(oç10 Il en est probablement de même pour 'AytoTTilvoç qui est mystérieux pour nous. C'est un nom de localité qu'a porté aussi une µ-/T7(1p 'A{toTTwr " et où peut-être se retrouve la racine de "Acta. Les surnoms He paE(TYIç, Aaàav1ç désignent vraisemblablement le Mrly du village de Tolésa, de Cavala, etc. Aucun embarras pour Mrly K«pou qui se rencontre précisément du côté de la Carier', si la terminaison ne nous arrêtait pas. Kâpou n'est pas un génitif, mais semble indéclinable. Sans doute ou est une désinence propre à la langue lydienne ou phrygienne que nous retrouvons dans M-fty 4lapv,xou, Ttdl,.ou. Le premier de ces deux noms désigne le Mr1v du Pont. C'est sans doute un nom géographique de la région, qui a donné lieu à un nom d'homme. Cependant J. Darmesteter a conjecturé qu'il pouvait venir de la Perse et représenter farnahvaut, épithète de forme zende qu'on trouve appliquée à la Lune, farna étant équivalent à TGyrl14. On ne sait si Tt«p.ou est un nom de lieu ou se rattache à la racine Tt, « honorer ». Quoi qu'il en soit, les désinences en aµoç sont très fréquentes dans toutes ces régions''. Restent les épithètes qui honorent ou grandissent un dieu si populaire ou qui désignent une particularité qui le concerne. La plus répandue, Tépavvoç, est le mot lydien d'origine qui signifie « seigneur et roi » 16. (DwGCpffpoç, 'Oupxvtoç s'expliquent d'eux-mêmes, Kcèrz Oov(oç s'applique à toute divinité nocturne ou qui protège les tombes contre la violation ''. Les inscriptions qui nous fournissent une partie de ces noms et celles qui accompagnent les monuments figurés ne sont pas en très grand nombre et pas toujours fort significatives. C'est souvent une brève dédicace au dieu désigné par un surnom local ou bien une EJyr), c'est-à-dire une LUN 1397 LUN courte période de dévotion établie en son honneur. Celle qu'une des stèles de Coloé' consacre à Mrv Tt~eou était de neuf jours. C'est une association religieuse (io(so; en lydien), une sainte confrérie de dix-huit jeunes gens dont nous avons les noms, qui l'offre à Mên et à Zeus Masphalaténos. C'est ce dieu lui-même qui en a signifié l'ordre dans un songe ou dans quelque apparition. Du moins en Phrygie, la formule xaT'7t1r nv qui spécifie cette circonstance revient à plusieurs reprises 2. A Allia c'est non pas une confrérie, mais le groupe des colons ou la bourgade, xvcoix(«, qui se met sous la garde du dieu et lui dit : « Protège notre colonie3 ». Ailleurs un relief représentant une orante est accompagné de ces mots : « A la déesse Anaïtis et à Mên Tiamou Meltinè et Glycon ont offert cette image sacrée»). Mais il arrive qu'on spécifie ce qu'on demande au dieu ou ce dont on lui sait gré. Un groupe de dévots le remercie pour « leurs enfants et leur bétails », un particulier pour « la conservation de ses pieds »). Des plaques votives de terre cuite représentant la partie du corps qui a été guérie (ou qu'on veut préserver), les yeux, les seins, les pieds, la jambe, accompagnent les inscriptions de ce genre [DONARIUM] '. D'autres inscriptions sont des actes de contrition forcée et de réconciliation avec le dieu : « Artémidore, lésé dans une affaire de vins par Hermogène, s'en est plaint dans une tablette votive au dieu qui a puni Hermogène. Celui-ci l'a apaisé et à présenta la réputation d'un honnête homme 8.» La fille d'un débiteur récalcitrant a payé ses créanciers après la mort de son père voué par eux à Mên. Pour achever d'apaiser le dieu, elle relate le fait sur une stèles. Deux orphelins protégés contre des gens malfaisants témoignent leur reconnaissance à Mên Pétraeitès et Labanès i0. Enfin l'inscription latine qui est proche du dieu sur les rochers de Philippes" est gravée par les soins d'une mère pro filia. Ces documents épigraphiques proviennent tous, sauf le dernier, d'Asie Mineure. Si on excepte l'Attique, oit nous en signalerons un nombre relativement important, le culte de Mên semble localisé dans cet ample domaine u. Il rayonne autour de la Phrygie qui a été son foyer ou son centre. Ni monnaies ni monuments ne se rencontrent au sud en Cilicie, ni en Lycie, mais, dans la Pisidie et à l'ouest, dans les régions qui s'ouvrent sur la mer Égée et la Propontide, les souvenirs de Mên sont plus ou moins abondants. On en trouve dans l'île de Délos f 3. Strabon signale divers temples du dieu, sans doute ceux qui par leur importance attiraient l'attention, car des sanctuaires modestes ont dû se trouver un peu partout. L'un, très riche en terres et en esclaves consacrés au dieu, était à Antioche de Pisidie; d'autres à Antioche du Méandre, et dans les environs de Laodicée ; un autre à côté d'un bourg qui portait le nom du dieu et qu'Athénée nous signale près de sources thermales abondantes en nitre. Enfin, V. beaucoup plus loin vers le nord-est, il nous signale un culte lunaire en Albanie et il donne des détails sur le temple de Mên Pharnakou à Ameria, près de Sébaste, l'ancienne Cabira, dans le Pont, non loin de Trapézos ". Toute la bourgade était peuplée des hiérodules et les rois de Trapézos avaient un grand respect pour le dieu et son culte. C'est par lui qu'ils juraient leur grand serment royal. Des côtes d'Asie Mineure Mên a facilement émigré en Attique. Affranchis, ouvriers mineurs, esclaves de tous métiers affluaient au Pirée oit les conditions de vie leur étaient favorables ". Beaucoup débarquaient Mên avec eux. Les Athéniens étaient si hospitaliers aux divinités étrangères qu'au dire de Strabon" la comédie leur en faisait un ridicule. Pourtant la question se pose de savoir si Mên a été pris au sérieux par les familles athéniennes et est monté du Pirée aux environs de l'Acropole. Quoi qu'il en soit, dès la fin du Ive siècle nous trouvons au Pirée une dédicace faite à Mên par deux affranchis, Dionysios et Babylia17. Sur une margelle de puits découverte aux environs de la ville, après les mots : Pan, Mên, Salut belles Nymphes, on lit cette formule énigmatique : YE, KYE, YIIEPKYE'8. Les deux premiers mots étaient employés dans les cérémonies d'Eleusis. L'un se rattache au verbe qui signifie pleuvoir, l'autre à celui qui signifie faire pousser. Le troisième renforce l'effet du second. Sans doute un naïf dévot de Mên l'a associé aux divinités attiques auxquelles il demandait la pluie pour son puits vide et la fertilité pour son champ desséché. Dans une inscription du II° siècle de notre ère trouvée près des mines du Laurion, un esclave lycien Xanthos, employé aux travaux, consacre à Mên une édicule abandonnée et édicte un règlement pour ceux qui voudront sacrifier dans ce temple. Ce règlement en vingt-six lignes spécifie que toute victime sera partagée entre le dieu, le temple et le donateur. « Si quelqu'un garnit pour le dieu une table » (cette table couverte de gâteaux que les reliefs nous ont présentée), « il prendra pour lui moitié de l'offrande. » La prescription sur laquelle il insiste le plus, c'est de ne pas approcher du sanctuaire en état d'impureté. Les conditions et les rites de purifications [LUSTRATIO, p. 1424] sont minutieusement et gauchement indiqués par le dévot esclave qui paraît avoir sculpté lui-même, d'une main maladroite, son règlement sur la pierref9. Enfin, dans une inscription plus tardive (qui a fait partie de la Collection Sabouroff), nous voyons un prêtre préposé au vestiaire, CTOÀ(n-r' ç, des dieux égyptiens, nommé Epaphrodeitos, faire une consécration à Mên Ouranios 20. Cette inscription est surmontée d'un simple croissant avec une étoile. En dehors de l'Attique, Mên ne paraît avoir été accueilli nulle part dans la Grèce propre. A part quelques fantaisies artistiques nées dans les fabriques de Tarse ou de LUP -1398 LUP Lydie, il semble que la Lune considérée comme dieu masculin n'a pas été hellénisée. Peut-être qu'elle n'y prêtait pas beaucoup. C'est un dieu sans poésie, auquel nous ne connaissons pas même l'ébauche d'un mythe. D'ailleurs, quoique son origine lunaire absolument certaine soit toujours rappelée par le croissant qui est sa marque distinctive, il n'avait, à l'époque où nous pouvons le connaître, de la Lune que le nom. On n'invoque et on n'évoque jamais ses influences astrales. Malgré quelques efforts faits pour le grandir, il apparaît surtout comme un dieu de la vie bourgeoise, des affaires courantes, de la classe moyenne. Il n'a rien d'étrange et d'indéterminé, n'excite ni l'enthousiasme ni l'effroi. Il est bienveillant à qui l'honore avec une âme femmes lui recommandent leur mari et les maris leur femme. Il guérit les malades, défend les faibles contre les injustices ordinaires de la vie, protège les villages, les Lombes des morts 2. Volontiers il apparaît familièrement à ses dévots, près de la table garnie de modestes offrandes devant laquelle on a placé le coq qu'il affectionne. Il est la providence des humbles. Les esclaves, les affranchis, les gens du peuple sont ses fidèles, caractère qui lui est commun avec beaucoup de dieux de l'époque impériale; on leur fait de véritables neuvaines; on leur attribue un pouvoir général sur toutes les petites affaires de la vie. Mais jusqu'à cette époque Mén laisse à peine trace de son existence, ou tout au moins nous ne connaissons de lui que des inscriptions, des ex-voto rares et émanant de gens de petite condition. Au temps de l'empire romain, son culte est tellement généralisé dans le peuple qu'il devient, si nous en croyons les légendes des monnaies, le patron officiel de plusieurs villes et qu'on l'unit à des dieux honorés par des esprits plus raffinés. Le christianisme l'a supplanté aisément dans les centres urbains, mais il est possible qu'il ait survécu longtemps encore dans les huttes, dans les bourgades secondaires 3 d'Asie LUPATUMLFRENUM, p. 1339].