Le Dictionnaire des Antiquités Grecques et Romaines de Daremberg et Saglio

LUPERCALIA

LUPEBCALIA, LUPERCAL, LUPERCL La fête des Lupercales, qu'une tradition garantie par des monuments matériels fait remonter jusqu'aux temps obi la ville de Rome était bornée encore à l'enceinte du Palatin, est aussi celle dont la popularité se défendit le mieux contre le christianisme, puisque son abolition ne date que de 494 ap. J.-C. t C'est que, d'une part, son histoire est inséparable des légendes sur la fondation de Rome, et que, d'autre part, méconnue peu à peu comme cérémonie religieuse, elle resta chère à l'opinion comme réjouissance profane, sans cesser pour cela de donner satisfaction aux instincts superstitieux des foules. Les Lupercales tiraient leur nom d'une grotte de rocher, Lupercal, ouverte dans les flancs du Palatin et qui fut, suivant la légende, le berceau où la Louve allaita les deux Jumeaux apportés par un débordement du Tibre 2. L'emplacement de cette grotte était douteux déjà sous le règne d'Auguste, tant les constructions récentes avaient bouleversé l'aspect des lieux 3. Parmi les modernes les uns l'ont localisée à l'extrémité sud-ouest du Palatin, au bas du temple de Jupiter Victor et de la maison de Tibère I; le plus grand nombre, et ceux-là ont pour eux la tradition fabuleuse en même temps que de rares données historiques, la placent sur la face ouest, au lieu dit Cermalus, là où s'élève aujourd'hui l'église S. Teodoro, bâtie sur les fondations d'un ancien temple circulaire, qui fut probablement le Lupercal restauré par l'empereur Auguste'. Tout auprès on cherchait la casa Romuli, cabane en terre durcie couverte de chaume où le berger Faustulus éleva les Jumeaux : là aussi était le figuier Ruminai transporté sur le forum, au dire de la légende, par l'augure Attis Navius, puis le cornouiller sacré, issu de la lance plantée en terre par Romulus, et enfin une source qui paraît avoir été la plus ancienne fontaine de la cité du Palatin 5. Virgile appelle la grotte :Ilïavortis antrum, en souvenir de Mars, l'amant de Rhea Silvia 9 ; quant à la Louve, elle portait le nom de dea Luperca, élevée à cette dignité pour avoir nourri les fils issus de ces amours Tite-Live parle de l'érection à cette place en 296 av. J.-C., par les soins des Oguinü, tribuns du peuple, d'une image en airain qui représentait la Louve avec les Jumeaux 6. On a supposé que le groupe du palais des Conservateurs au Capitole n'est autre que cette vénérable relique ; l'érudition y verrait plutôt actuellement un produit d'ailleurs remanié de l'art grec du vie siècle 10. Considérée dans l'ensemble de ses monuments et des souvenirs qui s'y rattachent, la pente du Cermalus, avec la grotte du Lupercal, n'en doit pas moins être considérée comme le centre religieux et politique d'où sortit la fête des Lupercales 11 Le nom du lieu et celui de la fête semblent dériver l'un et l'autre des Luperci qui sont, à l'époque historique, les membres d'un collège, ou sodalitas, analogue à celui des prêtres Saliens auquel il fournit un pendanti2. Mais avant de désigner les ministres du culte dont le siège était au Lupercal, le vocable de Lupercus paraît avoir été l'appellation d'une divinité13. Nous avons déjà vu plus haut que la Louve divinisée était la dea Luperca, et ail LUP 1399 LUP leurs que Faunus, à qui Tite-Live et Ovide font honneur de l'institution des Lupercales, était surnommé Lupereus'. Peut-être faut-il aller plus loin et, par analogie avec d'autres vocables usités dans la vieille religion romaine, voir dans Lupercus une divinité spéciale dont l'être a été méconnu avec le temps'. Si l'identité originelle de Faunus et de Lupercus est douteuse, il convient de rejeter sans hésitation celle que les hellénisants, dès avant l'époque classique, avaient imaginée de l'un et de l'autre avec le Pan des Arcadiens, dont Évandre aurait apporté le culte dans la région des sept collines 3. L'établissement d'Évandre n'a aucun fondement historique et l'assimilation des Lupercales avec les pratiques de lareligion de Pan ne repose que sur des apparences fortuites Le nom même de Lupercus a été diversement interprété, aussi bien chez les modernes que dans l'antiquité ; l'étymologie la plus en faveur est celle qui le fait dériver de lupus et de arceo; le dieu serait le génie qui garde le troupeau des loups 5. Ainsi Horace, chantant Faunus, nous dit qu'aux Faunalia de l'hiver le loup erre parmi les agneaux qui n'en ont pas peur : inter audaces lupus eerat agnos Cette étymologie facile parait, elle aussi, provenir de l'assimilation de Faunus, dieu pastoral, avec le Pan du mont Lycée, apparenté lui-même à Apollon Nomios qui est vénéré à l'occasion sous le vocable de ),oxox-dvoç, tueur de loups', Mais dans la légende dont le Lupercal est le berceau, rien ne désigne le loup comme un animal fâcheux qu'il faille tenir à l'écart; tout au contraire. Mars, le père de Romulus et de Remus, comme il est celui de Faunus, a le loup pour symbole ; la dea Luperca est vénérée parce qu'elle a allaité les Jumeaux9; et, d'autre part, dans la vieille religion romaine, Acca Larentia et Flora Feronia sont représentées comme des louves divinisées, ce qui plus tard donna lieu à des contes populaires, manifestement absurdes 10, qui les représentaient comme des courtisanes (lupae). Il n'y a pas davantage lieu d'accueillir l'explication d'Unger qui voit dans Lupercus un synonyme d'averruncus, préservateur, et décompose le mot en luam parco, ce dernier mot au sens de arerto 11 Si Lupercus n'est pas simplement un synonyme de Lupus 12, le sens le plus probable est celui qui, entrevu par Schwegler, a été confirmé de la manière la plus plausible par les recherches de Mannhardt, lequel en a cherché les éléments par tout le domaine des légendes agricoles et pas torales, non seulement de la latinité, mais de la Grèce et des peuples occidentaux 13. Lupercus serait à interpréter par lupus et hircus : le dieu serait un de ces génies de la végétation, dont le culte est mêlé à toutes les pratiques des semailles et de la moisson : daernon thériomorplliquc, l'étire du loup s'y fond avec celui du bouc, personnifialll une force tour à tour bienfaisante et funeste, qu'on supplie pour obtenir de fertiles récoltes et des troupeaux prospères. Sans parler davantage de Mars identifié avec le loup, symbole de force brutale et mystérieuse, la religion latine nous offre dans le culte de Dfespiter au pied du mont Soracte un collège de prêtres appelés dlirp'i Sorani (hirpus synonyme archaïque de lupus) qui sont la représentation vivante, en même temps que les ministres d'un dieu purificateur et fécondant'. Que le Lupercus de Rome soit identique à Faunus ou qu'il faille voir imita une divinité distincte, ce qui parait certain c'est qu'il est d'origine et d'appellation latine et que son nom a passé aux membres du collège chargés de l'administration de son culte, dans l'antique cité du Palatin". Les témoignages de la période classique les nomment généralement au pluriel, sans d'ailleurs préciser leur nombre ; par analogie avec les Saliens, on a supposé qu'ils étaient douze 10. Primitivement ils se recrutaient parmi les membres de deux grandes familles, originaires l'une d'Albe et l'autre de Rome, la famille des Quinctilii et celle des Fabii" ; à ce point de vue on peut les comparer aux ministres du culte d'Hercule près de l'Ara Maxima, lesquels appartenaient a la gens Potine et à la gens Pinaria 1e. Ce sont des sodalitates geratiles, spécialement constituées pour l'exercice d'un culte qui., à raison de son importance, passa du cercle des familles dans l'organisme de la religion d'État"Lorsque les liens de la gentilité se relâchent en même temps que le culte prend un caractère d'intérêt commun, les bases du recrutement s'élargissent; comme Unger en a fait justement la remarque, les appellations de I!abiani et de Quinetiliani qui désignent les membres du collège impliquent, par elles-mêmes, moins une origine étroite qu'une sorte de dépendance morale"; il n'est même pas nécessaire d'admettre que le magister de chaque section ait appartenu toujours ou à la gens Fabia ou à la gens Quinctilii, mais seulement que leur nom perpétua le souvenir d'une lointaine origine". De même que dans la confrérie des Saliens, on y distinguait des seniores et des juniores ", LUP 1400 LUP sans qu'on puisse affirmer quoi que ce soit tantsur le mode de recrutement que sur la proportion des éléments qui composaient le collège. Une seule chose est certaine, c'est la dualité au sein d'une même confrérie ; sans doute qu'elle exprimait celle de la population primitive du Palatin et du Cermalus, composées l'une de Latins, l'autre de Sabins'. Toujours, dans les cérémonies où les Luperques entrent en scène, il y a comme une action rivale, une sorte de lutte pacifique entre les deux éléments, avec l'idée d'une prééminence de l'un sur l'autre. La tradition ne varie que sur l'attribution de cette prééminence : pour les uns les Fabii auraient eu le rôle principal, puisqu'au repas qui termine les Lupercales, c'est eux qui auraient mangé la meilleure part; pour d'autres, au contraire, la suprématie aurait appartenu aux Quinctilii considérés comme les compagnons de Romulus, les Fabii étant ceux de Remus2. A cette dernière opinion, Unger a apporté un argument qui n'est pas sans valeur, en rattachant le nom de Quinctilius au vieux verbe quinquare3, synonyme de lustrare, lequel donne sa signification à toute la fête. Comme d'autre part les Quinctilii sont originaires d'Albe, alors que les Fabii sont de la tribu des Ramnes, et que dans l'histoire postérieure l'illustration de la gens Fabia l'emporte sur toute autre, ayant eu pour elle d'être exaltée par les premiers annalistes dont deux sont sortis de son sein, il est tout naturel de supposer que les Quinctilii ont été par l'histoire savante relégués au second plan, alors que primitivement ils étaient au premier4. Dans tous les cas, la rivalité des deux familles semble être celle de deux quartiers limitrophes, du Cermalus et du Palatin ; nous trouvons de ces compétitions un autre exemple dans les traditions relatives au sacrifice de l'oCTOSER EQUUS et à la lutte entre les habitants de la Via sacra et du quartier de Subure 5. Un épisode particulièrement intéressant de l'histoire des Luperques, c'est l'institution par César, en l'an 44, d'une troisième section à laquelle il donna le nom de sa propre gens, la section des Luperci Juliani, qui eut pour premier magister Marc Antoine, alors son collègue au consulat'. Les raisons de cette innovation, qui, au dire d'un historien contemporain, n'aurait été qu'un retour à une antique tradition, ne sont pas claires : mais la seule désignation d'un personnage aussi important pour un sacerdoce qui, jusqu'alors, n'avait guère fait parler de lui, et la circonstance qu'aux Lupercales de cette année, un mois avant le meurtre du dictateur, Antoine offrit à César la couronne des Luperques, symbole d'une royauté effective, prouvent surabondamment que la politique en eut tout l'honneur 7. Cicéron nous apprend d'autre part que les membres du collège reçurent alors une sorte de dotation (vectigalia), et que cette dotation leur fut retirée après la mort de César : l'institut en fut frappé de discrédit pendant toute la période subséquente; il ne retrouva la faveur officielle qu'avec Auguste qui rétablit la fête, restaura le Lupercal et réglementa les cérémonies publiques auxquelles les Luperques présidaient'. C'est à partir de ce moment que les renseignements des historiens et les mentions du collège par des inscriptions, tant à Rome que dans les municipes voisins, nous fixent quelque peu sur sa composition, tout en taisant dans l'ombre son fonctionnement intérieur. Il se recrute, sans doute par cooptation comme les Pontifes, les Saliens, etc., parmi les chevaliers, les tribuns militaires et les préfets des cohortes', plus rarement parmi les fonctionnaires d'ordre inférieur, comme les scribae et les viatores, quelquefois parmi les sénateurs 1''. De bonne heure des affranchis même y ont eu accès f'. On ne sait au juste si la dignité de Luperque était ou permanente ou simplement annuelle; ce dernier cas est le plus probable, des inscriptions parlant de personnages qui furent deux ou trois fois Luperques 12 ; il en était autrement des Arvaless et des Saliens qui, une fois nommés, l'étaient pour toujours. En principe, des Luperques n'existaient qu'à Rome et pour Rome, en vue d'une cérémonie toute locale ; cependant on en signale à Préneste, à Velitrae auprès de Rome, à Pérouse et à Nepete en Étrurie, et même à Nemausum dans la Narbonnaise i3 : il s'agit sans doute de personnages qui continuent à se parer, dans leurs municipes,d'un titre dont ils avaient naguère exercé la fonction à Rome et dont le prestige avait encore son importance ailleurs. De la qualité de magister, nous savons simplement qu'elle a existé dans la section des Juliani créée par César ; mais on peut logiquement supposer que les Fabialli et les Quinctiliani eurent aussi les leurs; les Arvales et les Saliens avaient également un magister et les Arvales en plus un promagister14. La célébration des Lupercales va nous fixer sur le rôle propre des magistei, tout au moins le jour de la fête. Les calendriers la fixent au 15 février 13 ; elle faisait partie d'un groupe, avec les Quirinalia célébrés le 17 et les Terminalia qui tombent le 23 du même mois : toutes ensemble ont le caractère d'une lustration qui, de la communauté entière,s'étend par degré aux particuliers. Les Lupercalia pourvoient à la purification de la cité du Palatin et, par extension, de la grande ville sortie de ce noyau ; les Quirinalia sont la fête des Curies, et les Terminalia, celle des maisons et des propriétés isolées 16 ; les pratiques qui les distinguent les unes et les autres se ramènent toutes à la Februatio qui a valu son nom au mois entier ; et l'importance des Lupercales, à ce point LUP 1/401 LUP de vue, se manifeste dans le vocable de Februarius donné ou au dieu Taunus, ou à la divinité inconnue qui y préside'. Elle comportait trois actes : un sacrifice, une course des Luperques et un repas solennel. Le sacrifice était offert devant l'image de la Louve, à l'entrée de la grotte du Lupercal2 ; les victimes immolées étaient des chèvres et des boucs 3 ; on y égorgeait également des chiens, si le renseignement donné par Plutarque ne résulte pas d'une confusion avec le culte des Lares, où l'immolation du chien avait sa place `. En tout cas, le choix de ces deux espèces de victimes indique que la fête et le sacerdoce des Luperques avaient une origine pastorale : ce qui concorde avec les plus anciennes traditions relatives à la cité du Palatin et aux pentes voisines, longtemps couvertes de pâturages ; il explique également l'étymologie contestable de Lupercus par lapant arcens, les victimes représentant le troupeau avec l'animal qui en a la garde et la cérémonie affectant le caractère d'une propitiation en l'honneur du génie rustique dont le berger attend la protections. A ces immolations présidait, sans d'ailleurs y prendre une part directe, le Flamen Dialis, dont nous savons qu'il lui était interdit de toucher ni chèvre, ni chien °. Les Vestales aussi y figuraient, pour offrir sur l'autel la mola salsa préparée avec les premiers épis cueillis l'été précédent'. Ces offrandes, au dire de Denys, étaient accompagnées d'hymnes en l'honneur de Faunus s. Puis venait un des épisodes distinctifs de la fête : on amenait devant l'autel deux jeunes gens, sans doute les magistri des deux sections antiques du collège ; le prêtre touchait leur front avec le couteau rougi du sang des victimes et essuyait aussitôt la marque sanglante avec un flocon de laine trempé dans du lait ; cela fait, les jeunes gens étaient tenus de rire'. 11 n'est pas douteux que nous avons là tout d'abord un symbolisme rappelant d'anciens sacrifices humains, qui par le progrès des moeurs étaient tombés en désuétude 10 ; ensuite l'onction avec le lait est le signe de la purification, et le rire des victimes simulées celui d'une joyeuse résurrection : ainsi se terminait le premier acte de la cérémonie Le second est celui de la course des Luperques, non pas seulement de ceux qui avaient été marqués à l'autel, mais de tous les membres du collège i2. La légende indigène, racontée par Plutarque d'après Butas, écrivain grec dont l'époque précise est inconnue, et, avec des variantes, par Ovide, qui parait avoir puisé à une autre source, fait remonter cette course à Romulus et à Remus; d'après le premier, elle aurait suivi la victoire sur Amulius, roi d'Albe, alors que pleins de joie ils seraient venus en rendre grâces devant la grotte même où les avait allaités la Louve ; pour l'autre, ellerappelleraitla poursuite d'une bande de brigands qui, ayant profité de la fête pour ravir aux deux frères leurs troupeaux, aurait été rejointe par eux et massacrée. Il n'y a rien à retenir de ces subtilités que l'origine lointaine et rustique de la cérémonie. Aux temps historiques, les Luperques couraient nus, vêtus seulement de la peau des chèvres immolées et portant en tête la couronne, semblables à l'image de Faunus, le premier des Luperques, telle que nous l'ont conservée les bronzes expliqués et reproduits ailleurs FAUNES, p. 10'23]". Avec des lanières découpées, elles aussi, dans la peau des victimes, ils frappaient en courant tous ceux qui s'offraient à eux,particulièrementlesfemmes qui leur présentaient les mains et le dos : on croyait que ces coups devaient les rendre mères 15 : « Jeune mariée, dit Ovide, qu'attends-tu ? ce n'est pas par des herbes au pouvoir surnaturel, ni par la prière et les formules magiques que tu enfanteras. Reçois tranquillement les coups de la main qui féconde et bientôt ton beau-père sera grand-père. » En raison de cette action fécondante, le même poète rattache la course des Luperques au lendemain du rapt des Sabines, alors que, restées stériles, cellesci privaient les compagnons de Romulus des espérances qui les leur avaient fait enlever ; et il rappelle la religion du Faunus, surnommé Inuus, le bouc sacré dont l'action mystérieuse devait procurer aux femmes la maternité 15. Un passage où Tacite délimite sommairement le tracé du pomoeriutn primitif 16, nous permet de dire quel fut à peu près le parcours des Luperques dans la fête du 15 février : ils partaient du Lupercal, se dirigeaient vers le Forum Boarium, contournaient les pentes sud du Palatin depuis l'Ara Maxima jusqu'à l'autel de Consus, gagnaient de là les Curiae veteres, puis le sanctuaire des Lares, pour revenir au point de départ ". Certains textes donnent à entendre que la course se faisait en même temps dans deux sens opposés, l'une des troupes contournant la colline de l'ouest à l'est et l'autre de l'est à l'ouest, pour se retrouver ensemble au Lupercal 13. Ainsi se justifierait, non pas seulement par les spectateurs de la cérémonie, mais par ses acteurs traditionnels, la phrase discutée où Varron montre le Palatin enveloppé, le jour des Lupercales, par des troupeaux humains (Palatinum a gregibus humanis cinctum 19). De ce pourtour consacré par la religion des Luperques, des monuments matériels ont survécu ; on aretrouvé en effet quelques-uns des cippi qui le délimitaient, datés des règnes de Claude, de Vespasien et d'Hadrien 20. César ayant, en l'an 44, contemplé la course des Luperques, de l'endroit ou s'élevaient alors les Rostres et où l'on bâtit plus tard un temple en l'honneur de sa propre divinité 21, on en a faussement conclu LUP 9%02 LUP que dès lors les Luperques ne se bornèrent pas à fournir lP parcours traditionnel, mais qu'ils se répandirent dans d'autres parties de la ville' : ces monuments sont assez rapprochés de la pointe nord du Palatin pour que de là la procession fût visible, entre la via Nova et le Cermalus. Il va de soi que cette partie de la cérémonie n'avait rien de lit gravité religieuse habituelle aux Romains ; nous savons qu'elle donnait lieu à des chants dissolus, à des plaisanteries salées, à des actes même d'une immoralité notoire 2, c'est-à-dire que la fête avait un caractère populaire, comme celle des Nones Caprotines et duPoplifuaium. Auguste, qui remit en honneur le vieux culte en restaurant le Lupercal, prit des mesures pour sauvegarder la décence i il interdit aux jeunes gens impubères d'y jouer le rôle de Luperques 3, et, sous prétexte d'augmenter la pompe de la cérémonie, en réalité pour y maintenir l'ordre, il fit échelonner sur tout le parcours les chevaliers en grand appareil*. Par là, la fête du 15 février fournit un pendant à celle que célébrait l'ordre équestre le 15 juillet, sorte de revue connue sous le nom de transrectio equitum. Aux Lupercales, la cérémonie publique se terminait par un repas de sacrifice entre les membres du collège, repas sans doute analogue à ceux des Saliens pendant les fêtes du mois de mars 3. Prise dans son ensemble et dans sa signification originelle, la cérémonie des Lupercales est une purification rustique qui rappelle, surtout par la procession autour du Palatin, la cérémonie des AMBARVALIA, devenue dans les centres urbains celle de l'amburbium e. Le jour où on la célébrait était appelé februatus dies, comme la divinité qui en était l'objet était le dieu Februarius. Les lanières avec lesquelles les Luperques frappaient les assistants, tirées de la même matière que l'amiculum Junonis, peau de chèvre que nous retrouvons sur les épaules de Juno Lanuvina Sospita, étaient appelées februa ; dans ces moyens de lustration l'idée de la purification se confond avec celle d'une fécondation mystérieuse, laquelle s'exerce aussi bien sur la terre que sur les hommes, les plantes et les animaux e. Par extension, elle est un moyen de préservation contre les maladies et, en général, contre tous les fléaux destructeurs de la vie. C'est bien ainsi que l'entend Ovide qui a consacré un long développement aux pratiques et aux croyances de cette fête, enla rattachant aux Feriae sementinae du mois précédent « Avec les lanières de cuir, les Luperques purifient tout le sol et considèrent cet acte comme une expiation. e En se fondant sur un passage aujourd'hui perdu de Tite-Live et dont le pape Gélase nous a conservé le sens, 1Jnger a cru pouvoir démontrer que si la procession des Luperques autour du Palatin est aussi ancienne que Rome, la flagellation procéda de croyances plus récentes, dont la première manifestation ne serait pas antérieure au me siècle avant notre ère : c'est à cette occasion, dit-il, qu'une fète de quartier serait devenue celle de la ville tout entière. Rien ne confirme une pareille conjecture ; tout démontre au contraire qu'avec une extension et une popularité toujours plus grandes, elle eut dès l'origine la signification complexe que nous lui voyons aux temps historiques C'est par là qu'elle se maintint jusqu'à l'extrême déclin du paganisme et que, même parmi les populations nouvellement converties à la religion du Christ, elle ne cessa pas de jouir d'une certaine faveur. Lorsque le pape Gélase la condamna officiellement en 494, la remplaçant date pour date par la fête de la Purification de la Vierge, il s'en expliqua dans une lettre à un sénateur qui, malgré son christianisme, ne répugnait pas à certaines fêtes païennes. Aux yeux du pape, il y a pour un chrétien contradiction coupable à croire que des maladies peuvent prendre naissance, parce qu'on néglige d'honorer des démons en faisant des sacrifices au dieu Februarius10. Jamais les anciens, et il s'appuie pour l'affirmer sur le témoignage de Tite-Live", n'ont vu autre chose dans les Lupercales qu'une lustration destinée à procurer la fécondité universelle. Après avoir tonné contre le débordement licencieux dont elle est l'occasion, il constate que récemment encore, sous l'empereur Anthémius (vers 473), les Lupercales avaient été publiquement célébrées à Rome et qu'une peste terrible n'en éclata pas moins peu de semaines après. Cette discussion d'un caractère polémique, où les faits actuels et les témoignages de l'histoire n'ont d'autre but que de démontrerl'inutilité pratique des Lupercales, ne prouve en aucun cas que la fête ait passé par des phases diverses et que sa signification ait varié suivant les époques. Tout au plus doit-on admettre que, selon les circonstances, on la fit servir tour à tour à conjurer la stérilité et la maladie, association d'idées qui domine toutes les pratiques de la religion romaine 12. J.-A. Hal.