Le Dictionnaire des Antiquités Grecques et Romaines de Daremberg et Saglio

LYKAIA

LYRAIA (râ Aéxxt«). Fêtes célébrées en l'honneur de Zeus Lykaios sur le mont Lycée, l'Olympe de la Parrhasie arcadienne '. On sait que les Arcadiens se plaisaient à attribuer à leurs divinités et à leurs légendes une très haute antiquité : les autres Grecs ne contestaient guère le bien fondé de ces prétentions 2. Aussi, les auteurs sont-ils d'accord pour faire remonter l'institution des jeux du Lycée à Lykaon, fils de Pélasgos et fondateur légendaire du culte et du sanctuaire de Zeus Lykaios en Arcadie Tandis qu'Apollodore et Pausanias 4 considèrent Lykaon comme un contemporain de Cécrops, le marbre de Paros le fait vivre à la génération suivante, sous le règne de Pandion, fils de Cécrops. D'après le même document, les jeux du Lycée auraient été proclamés après le concours gymnique, d'ileusis. Aristote leur donnait comme ancienneté le quatrième rang, après les Éleusinies, les Panathénées et les Sthenia d'Argos, tandis que les jeux Olympiques ne venaient qu'au septième range. Pausanias, au contraire, défend la priorité des Lykaia sur les Panathénées et celle de Lykaon sur Thésée 7. 1. La fête de Zeus Lykaios (Zrivôç a«vci-uptç Aux«(ou) comportait un sacrifice (Oua(a) et un concours de jeux gymniques (ylbv) 2. Le sacrifiée et l'autel de Zeus Lykaios sont souvent mentionnés par plusieurs auteurs, parce qu'on y immolait des victimes humaines '0. Cet autel, d'après la description de Pausanias ", se trouvait auprès de l'«P«rov consacré à Zeus Lykaios sur le sommet même du Lycée 12 ; c'était un tertre de terre, devant lequel s'élevaient deux colonnes du côté du couchant. Elles étaient anciennement surmontées, dit Pausanias, de deux aigles dorés (fig. 4693)13. C'est sur cet autel qu'on sacrifiait à Zeus en secret (€v â7Copp's'rm) Pausanias se contente d'une allusion énigmatique à cette cérémonie, dont il lui répugne d'approfondir le mystère. On admet d'ordinaire que ces scrupules lui ont été suggérés par la coutume du sacrifice hu main, attestée par d'autres auteurs. Subsistait-elle encore de son temps, cela semble assez peu probable, les Romains ayant interdit les sacrifices humains 74; peutêtre l'ancien rite barbare n'était-il plus rappelé que par un simulacre symbolique? Certains textes font croire que la victime était un enfant ou un jeune garçon". Les jeux qui suivaient le sacrifice étaient célébrés dans une autre partie du territoire sacré, et, plus exactement, dans un autre hiéron voisin, celui de Pan 16. Ce second sanctuaire lycéen occupait un petit ravin entre les deux principaux sommets du Lycée. Pausanias y LYK U33 LYK signale un temple, un bois sacré, un hippodrome et un stade, ainsi que des piédestaux de statues avec des inscriptions. Les restes de ces constructions ont été reconnus et relevés par les voyageurs modernes'. C'était là, dit Pausanias, que se donnaient dans l'antiquité (7:ô âpyzïov), les jeux lycéens. Pindare a célébré quelquesuns des vainqueurs à ces jeux 2. Le concours n'était pas restreint aux seuls Arcadiens ; tous les champions de race grecque y étaient admis, et les Lykaia étaient aussi courus par les professionnels de l'athlétisme que les jeux Olympiques ou Néméens. Le programme ressemblait à celui des autres concours gymniques [CERTAMINAI. Il y avait des concours d'hommes et d'enfants ; les épreuves mentionnées sont : la course simple (ôpdfs.oç) a, la course double (ôfxu),oç), la course en armes (ba),bcrç) la course multiple (ôd),tyoç) la lutte, le pancrace, le pugilat, et probablement aussi le pentathle 8. Au dire de certains auteurs, c'est aux Lykaia que le ceste aurait apparu pour la première fois ; il y aurait eu aussi des concours de beauté La présence d'un hippodrome à côté du stade indique que le ravin du Lycée était jadis accessible aux chars et qu'on y donnait des courses de chars. Beulé croit avoir remarqué sur les pentes de la montagne des traces d'ornières antiques creusées dans le roc'. Les prix (liUx) consistaient comme ailleurs en trépieds de bronze'. Toutefois, lorsque les Arcadiens de l'expédition des Dix-Mille célébrèrent en Asie leur fête nationale, des strigiles d'or furent décernés au vainqueur le mais cette dérogation à l'usage s'explique par les conditions particulières de ce concours, improvisé en pays lointain par une troupe de mercenaires. Le même texte de Xénophon permet de fixer approximativement l'époque et la durée de la fête lycéenne. Lorsque Xénias, chef des mercenaires arcadiens des DixMille, profite d'une halte de trois jours à Peltai pour célébrer avec ses compatriotes leur panégyrie nationale par la cérémonie eut évidemment lieu à la date anniversaire de la fête du Lycée en Arcadie 11. Or, le calcul des étapes des Dix-Mille depuis le 6 mars, date du départ de Sardes, permet de fixer au 20 avril leur arrivée à Peltai 12. La fête lycéenne était donc une fête de printemps ; ni le mois de février 13 ni la période caniculaire, qui avaient été proposés par divers savants ", ne sont d'accord avec les données de Xénophon. Les fêtes duraient au moins trois jours. On n'a pas d'indice sur leur périodicité, annuelle, quinquennale ou ennéatérique. Sclleamann 1J émet l'opinion que les Lykaia avaient lieu tous les neuf ans, mais il n'allègue aucune preuve à l'appui. Cette idée lui aura sans doute été suggérée par ce détail que la lykanthropie, ou métamorphose en loups des individus ayant goûté la chair humaine du sacrifice, durait dix ans 16. De plus, Schoemann aura supposé que l'immolation de victimes humaines ne pouvait avoir lieu à des intervalles trop rapprochés. Toutefois, la mention sur une inscription de Tégée d'un athlète quatre fois vainqueur au dolichos des Lykaia" , et, sur une inscription de Delphes 18, d'un autre athlète trois fois couronné aux mèmes fêtes rend peu vraisemblable l'hypothèse d'une périodicité de neuf ans. Il est plus probable que, comme tous les grands concours de la Grèce, les Lykaia suivaient la règle de la périodicité quinquennale. II. A qui appartenait l'administration des sanctuaires lycéens, et de qui relevait l'organisation et la direction des jeux? Le sanctuaire de Zeus n'avait ni temple ni statue ; il ne renfermait pas de trésors ; un bâtiment attenant au téménos infranchissable servait de logis aux prêtres et contenait les instruments du culte ; c'est dans une partie de ce local que Pleistoanax trouva asile pendant son exil de Vu) à 426 19. L'entretien matériel se réduisait surtout à pourvoir l'autel de victimes ; mais où et comment se recrutaient les ministres de ce culte sanglant? Pausanias mentionne le prêtre de Zeus Lykaios '0; après les longues sécheresses, ce prêtre s'approc'hait de la source Hagno, lui adressait des prières, lui sacrifiait suivant certains rites, puis trempait sur la surface de l'eau un rameau de chêne : de l'eau ainsi agitée s'élevait, croyaiton, un brouillard qui se changeait en nuage et procurait la pluie à l'Arcadie. Quant aux jeux,' ils exigeaient évidemment le personnel spécial requis pour tous les concours helléniques : une commission de juges, des agonothètes, etc. 21 Par qui furent faits les frais des constructions actuellement visibles? D'après les dessins de Blouet '2, l'appareil des murs rappelle les modes de construction en usage au ve et au Ive siècle av. J.-C. On pourrait donc supposer que le stade et le bâtiment voisin de l'hippodrome ont pu être édifiés en pierres vers l'époque des grandes constructions entreprises par la nouvelle Ligue arcadienhe sous l'impulsion d'l:paminondas, après 371 : ils seraient contemporains de la reconstruction de Mantinée, de Messène et de la fondation de Mégalopolis. Dès lors, on serait amené à croire que le xutvdv d'Arcadie prit la haute main sur le Lycée, que le district parrhasien fut incorporé au territoire de Mégalopolis et que les sanctuaires de la montagne sainte, ceux de Zeus et de Pan Lykaios, et peut-être d'Apollon Parrhasios, furent classés comme sanctuaires fédéraux. En effet, les bourgades parrhasiennes dont pouvait relever le mont Lycée furent dépeuplées au profit de Mégalopolis, à l'exception de Lycosoura, dont les habitants, réfugiés dans le sanctuaire des Grandes-Déesses, obtinrent de rester chez eux". Mais, en fait, les inscriptions récemment découvertes LYR lfpi4LYK dans ce dernier sanctuaire nous montrent la cité des Lykourasiens (AuxouO.I:oi) placée sous la dépendance de Mégalopolis' : sa situation parait avoir été celle d'une xwu,t privilégiée en raison de son caractère sacré son ethnique subsiste, mais il n'est mentionné qu'en seconde ligne après celui des Mégalopolitains. Pour toute la période antérieure, la situation du mont Lycée est mal définie. Géographiquement, le district de la montagne sainte appartenait au territoire des Parrhasiens 2, mais rien ne prouve qu'il ait été la propriété particulière d'une des bourgades parrhasiennes établies sur ses versants ou à son pied. Reste donc l'hypothèse d'un sanctuaire ayant appartenu à la Parrhasie tout entière. Celle-ci formait, en effet, une communauté, un éwosr dont les habitants étaient désignés aux jeux Olympiques par l'ethnique collectif de Parrhasien, et non par le nom de leur village natal. '.11 faut donc admettre entre ces xta acat parrhasiennes une liaison, dans le genre des aus~ ru«ca èa()Lwv [voir IiorNÉ et KOINON. En 421, le clan parrhasien tout entier se soulève contre la conquête mantinéenne'. L'union politique de ce canton n'était que le corollaire d'une union religieuse très ancienne, dont le mont Lycée était le centre. Le clan parrhasien passait pour un des plus anciens rameaux de la race pélasgique'. Cette antiquité vénérable valut a Lycaon l'honneur d'être considéré comme l'ancêtre des éponymes de toutes les villes arcadiennes, grâce au rattachement à sa généalogie d'Arras, le héros des districts orientaux du Ménale ° ; de plus., la masse imposante de la montagne elle-même qui domine toute l'Arcadie du sud-ouest, enfin le voisinage du sanctuaire de Despoina à Lycosoura, toutes ces raisons contribuèrent à favoriser le rayonnement des cultes lycéens dans l'Arcadie tout entière. Il n'est pas nécessaire d'attribuer à Lycosoura la prospérité et la puissance de Mycènes ou de Tirynthe ; les modestes murs de son acropole' ne justifient pas les prodigieuses destinées que la légende a permis de lui octroyer comme capitale préhistorique d'un empire lycaonide 8. De très bonne heure, le mont Lycée fut considéré par l'Arcadie entière comme un sanctuaire national 9. Plus d'un siècle avant la constitution de 1a Ligue arrcadienne, une sorte d'organisation amphictyonique devait assurer les ressources nécessaires à l'entretien du hiéron et à la célébration du culte et des jeux 10. S'il faut en croire un texte 1 malheureusement tronqué, lors du partage de l'Arcadie entre les fils d'Arras, la Parrhasie seraitrestée indivise et l'entretien du sanctuaire de Zeus Lykaios aurait été assuré par dei contributions communes ". Il semble qu'on soit en droit d'établir un rapport entre cette organisation amphictyonique et un monnayage spécial qui eut cours en Arcadie dès la deuxième moitié du vie siècle et subsista jusqu'à la fin du ve I2 (fig. 4694, 4696, 4696). La provenance et l'interpré tation de ces pièces ont été souvent discutées. Ernest Curtius, suivi par d'autres numismates, en rapportait la fabrication au sanctuaire du Lycée et reconnaissait dans la figure du revers celle de Zeus Lykaios, dans celle de l'avers Despoina, la grande déesse de Lycosoura. La légende Apxri xdv (APKA®I9ON ou APKAAIKON) indique une circulation commune à toute l'Arcadie. Ces monnaies auraient donc été de circu lation normale en Arcadie durant le ve siècle jusque vers 418, date de la victoire définitive de Sparte sur les séparatistes péloponnésiens: Sparte dut obliger les Arca diens à abandonner un monnayage qui était pour elle le symbole d'une union dangereuse pour ses ambitions. Mais cette théorie a été récemment combattue par MM. Imhoof-Rlumer13 et Perey Gardner 1'`. D'après ces deux savants, le monnayage en question émanerait de l'atelier de la ville d'Héraia, qui l'aurait émis entre 470 et 417 av. J.-C. Les types représentés seraient ceux de Zeus Aphésios et d'Artémis. On allègue en faveur de cette opinion la ressemblance du Zeus des monnaies arcadiennes avec celui des monnaies d'Élis, l'identité de la soi-disant Despoina avec une figure des monnaies héréennes qu'on croit être Artémis se substituant à I'Héra des monnaies antérieures '°, enfin l'analogie de la légende 'Apxaitxdv avec la légende 'O)su1n7ixdv des monnaies éléennes. Les pièces arcadiennes si discutées seraient donc, en définitive, un monnayage émis à Iléraia sous l'influence et à l'imitation du monnayage éléen. Cette nouvelle théorie soulève à son tour des objections d'ordre historique et mythologique : 1° ce qu'on sait de l'attitude politique d`Héraia pendant le conflit qui, au ve siècle, mit aux prises les aspirations autonomes de l'Arcadie avec les ambitions hégémoniques de Sparte, est loin de désigner cette ville au rôle que lui prêtent les deux savants numismates, Pourquoi Héraia aurait-elle eu dès 470 le privilège de l'émission d'un monnayage panarcadien, alors qu'à cette époque ses liens avec l'Arcadie étaient encore des plus riches'? Cette ville se signale, au contraire, par sa docilité envers Sparte et son hostilité envers le parti national arcadien s. 2' La qualification d'Aphésios appliquée par M. Gardner au Zeus des monnaies arcadiennes est tout à fait arbitraire. Il n'y a aucun culte de ce genre à Héraia; lors même qu'il eôt existé, on ne voit pas à quel titre cette divinité locale eût figuré sur des monnaies portant la légende ' Apxxlixdv. De même, l'existence d'un culte d'Artémis à Héraia est encore une hypothèse. 3° Les ressemblances signalées entre le type féminin des monnaies arcadiennes et celui de certaines monnaies locales d'Héraia ne prouvent rien. L'art archaïque ne savait pas encore différencier ses types de déesses : entre Artémis et Despoina, il ne pouvait alors exister de différence plastique appréciable ', Enfin la figure virginale identifiée avec Artémis sur les monnaies héréennes, où elle remplace le type plus ancien de l'Héra voilée, n'apparait que sur une frappe plus récente, contemporaine de la constitution de la Ligue arcadienne. On pourrait donc expliquer l'apparition de cette figure, identique à celle des monnaies arcadiennes, par l'adhésion plus ou moins spontanée d'Héraia à cette Ligue. 40 La légende 'Apxxôixév comme désignation des Arcadiens d'Héraia », suivant Imhoof-Blnmer', serait insolite. On attendrait plutôt `Hpxt€mv 'Apxâlaiv, légende d'ailleurs invraisemblable historiquement. Les légendes au nominatif neutre telles que 'Apxxxov, 'O),u[.i.ixôv doivent être expliquées en sous-entendant iepbv ou xoivév. Le nominatif est employé, au lieu l'ethnique au génitif pluriel, sur les monnayages ayant un caractère commé ss'rit rnoratif, et lorsqu'ils émanent d'une communauté qui frappe monnaie plutôt en qualité d'association religieuse qu'en qualité de corps politique exerçant un des attributs de la souveraineté. C'est ainsi que les monnaies des xorls impériaux ont leur légende au no fêtes mentionnés sur les monnaies sont au nominatif: association religieuse qui prit, au v° siècle, émettre en Arcadie ries monnaies à la légende 'Apxxltxov, au type de Zeus Aétophore et d'une déesse jeune (Despoina ou Artémis), est évidemment 1 amphictyonie arcadienne qui entretenait les sanctuaires du mont lycée et € élébrait les jeux Lycéens. Pour toutes ces raisons, I'ancienne attribution proposée par Leake et Curtius semble devoir être maintenue contre celle qu'ont soutenue MM. imtloofBlumer et Gardner e. Ajoutons enfin que ce sont bien les dieux lycéens qui figurent sur les monnaies de la Ligue arcadienne frappées à Mégalopolis après .370 ° (lig.4697) et ensuite sur les monnaies particulières de Mégalopolis entre 234 et :46i0' elles présentent d'un côté le profil de Zeus Lykaios, de l'autre Pan Lykaios (fig. 4698). Le culte de Zeus Lykaios n'apparait en Arcadie, hors du Lycée, qu'à Mégalopolis et à Tégée ; il passa aussi à Cyrène, où une colonie arcadienne fut fondée par le Mantinéen Démonax" vers 530 av. J.-C. II y avait à Tégée un autel de Zeus Lykaios, voisin d'un autel de Pan'. Cette installation date probablement d'une époque où Tégée voulait jouer le rôle de capitale de l'Arcadie. A Mégalopolis, sur l'agora, il y avait un péribole de pierres entourant un hiéron de Zeus Lykaios ; eétait un abaton : on y voyait à l'intérieur deux autels du dieu, deux tables, deux aigles et une statue de Pan Sinois 13. Ce sanctuaire mégalopolitain n'était, en somme, qu'une copie de celui du rnontLycée: peut-être les deux aigles de Mégalopolis étaient-ils ceux-là mêmes qui surmontaient jadis les deux colonnes du sanctuaire lycéen". II semble, en effet, qu'à l'époque de Pausanias la fête lycéenne était déjà transportée à Mégalopolis. Strabon" dit que, de son temps, le sanctuaire de Zeus Lykaios n'était plus guère fréquenté. Les expressions de Pausanias à propos des deux aigles semblent indiquer qu'ils n'étaient plus en place et que les jeux Lycéens, qui se célébraient autrefois (tib âtyxto,l dans le !Miron de Pan Lykaios, ne s'y donplus de son temps. Ce fut peut-être à l'époque où fut inauguré en Arcadie le culte des empereurs que le sanctuaire du Lycée fut dépossédé au profit de Mégalopolis ; si les anciens sacrifices de l'autel du Lycée furent peutêtre changés, la fête lycéenne, transportée à Mégalopolis, fut jointe à celle des CaesareaSG. A Cyrène, Hérodote mentionne une colline de Zens Lykaios ", et l'effigie du dieu, identique à celle des monnaies fédérales de l'Arca LYK 14,36 LYK die, parait sur les monnaies cyrénéennes du lue siècle av. J.-C.'. On reconnaît aussi Zeus Lykaios assis sur un trône monumental, formé de pièces de bois assemblées (et non de grosses pierres) dans la figure d'une coupe de style cyrénéen (au Louvre) et qui rappelle le Zeus Lykaios des plus vieilles monnaies arcadiennes H1. 11 nous reste à définir le caractère des Lykaia. L'opinion qu'on peut émettre à ce sujet étant subordonnée à l'idée qu'on se sera faite du dieu lui-même, cette discussion doit nous conduire à déterminer d'abord le caractère propre de Zeus Lykaios. La mythologie du Lycée met en jeu trois personnalités principales : Pan, Zeus et Lykaon. Un premier fait est établi par des témoignages concordants et par la topographie même des ruines : c'est que, si le sacrifice des Lykaia était dédié à Zeus Lykaios, les jeux avaient lieu dans l'enceinte de Pan'. La fête primitive était donc une fête de Pan. Or Pan, de l'aveu des auteurs, était le dieu indigène du Lycée, le plus ancien et le plus honoré des dieux arcadiens t. Le Lycée est son berceau' et ses droits y sont antérieurs à ceux de Zeus. Son rôle propre, c'est le patronage (les bergers de la montagne, la protection du petit bétail, brebis et chèvres, qui vivent sur les hauts pâturages: ces troupeaux constituaient toute la richesse de la Parrhasie, et tous les Parrhasiens, étant bergers, vénéraient Pan Lykaios comme le premier des dieux 6. Dans le Latium, l'équivalent de Pan est Faunus, que les auteurs latins assimilent à Pan Lykaiosdont le culte, d'après la tradition latine, aurait été transporté en Italie par le Pélasge arcadien Evandre B. L'équivalent latin du At1xatov, c'est le Lupercal, grotte qui sert de sanctuaire à Faunus; enfin les LuPFHcALI:A seraient la copie des ASxata' : ce sont bien les fêtes propres de Faunus, c'est-à-dire de Pan Lykaios, sans que jamais elles évoquent chez les auteurs le souvenir de Zeus Lykaios. Ces cérémonies, dont le caractère rustique s'était mieux conservé en Italie qu'en Grèce, sont essentiellement des fêtes pastorales qui ont lieu le 15 janvier. Or, l'ennemi des troupeaux confiés à Pan-Faunus, c'est le loup : la principale fonction de Pan-Faunus consiste à écarter ce voleur et ce mangeur de bétail70; aussi, en Italie, les prêtres de Pan-Faunus s'appellent-ils Luperci (Lup-arceo, Auxoyepyrç), et Lupercus devient une épithète du dieu lui-même. En Arcadie, le nom du Lycée signifie le Mont AuxouPaetoç, et le nom du Parnasse Auxd mit, aujourd'hui Liacourar . Le mot lycaon désignait une espèce de loup t2). La personnification de cette montagne hantée par les loups, c'est le dieu-loup Auxâcuv qui habite le sommet : ce dieu carnassier est friand de chair humaine, on lui sacrifie un jeune garçon de la région. Lycaon est le démon redoutable qui s'oppose à Pan, le génie favorable et fécond, comme Cacus, voleur de troupeaux, s'oppose, dans le Latiun, à Faunus (Favinus), le bon génie. Malgré l'opposition de leurs natures, Pan et Lycaon voisinaient sur la même montagne et leurs rites étaient célébrés à la même époque. Les Ar)xata comportaient le sacrifice propitiatoire et cruel à Lycaon, et probablement aussi des sacrifices de brebis et de chèvres à Pan, suivis de jeux. Si le sacrifice à Pan n'est pas mentionné par les auteurs qui ont parlé des Lykaia, c'est que toute leur attention s'est portée sur le rite le plus monstrueux. Tel était, semble-t-il, à l'origine le caractère naturiste et farouche du culte lycéen : Pan et Lycaon personnifiaient le double rôle de la mème montagne, à la fois nourricière et meurtrière. A cette forme primitive se rapportent certains traits de la légende lycéenne : le caractère inhumain de Lycaon, la coutume des sacrifices humains, le mythe de la lycanthropie, ou métamorphose en loups des gens ayant goûté la chair humaine du sacrifice, l'isolement inabordable de l'enclos réservé au dieu sanguinaire, le mystère de ses rites, la stérilité qui frappait les femmes enceintes ou les bêtes en portée qui entraientparmégarde dans l'abaton ". Aucun de ces traits, qui s'expliquent très bien par un culte animalier du loup, considéré comme la personnification de la montagne, n'a le moindre rapport avec Zeus. Les érudits qui ont tenté de les adapter à ce dieu ont été obligés à des transformations peu plausibles de sa personnalité : de cet habitant des hauts lieux, ils ont dû faire un dieu infernal''°. Tel est donc l'élément proprement indigène, local, pélasgique et parrhasien du culte lycéen. L'installation de Zeus au sommet du Lycée est postérieure à celle de Lycaon. Ce dieu panhellénique est venu du dehors, peut-être de Dodone ou bien d'Achaïe par la vallée de l'Alphée et par Olympie (le culte messénien de Zeus Ithômatas paraissant être une réplique de celui du Lycée, avec les mêmes sacrifices humains). Les traits et les attributs propres de Zeus l'accompagnent au Lycée : Zeus est le dieu des sommets baignés de lumière, d'où les deux aigles dorés qui surmontaient les colonnes de son sanctuaire situées vers l'orient, devant son autel ; il siège en plein éther et l'ombre est inconnue à l'intérieur de son téménos l'. Maître de l'atmosphère, il commande aussi aux nuages; son prêtre, près de la source Hagno, est un « faiseur de pluie n. Il est impossible de méconnaître à ces traits les caractères d'un dieu de l'éther 16. Zeus prend donc la place de Lykaon et le réduit au rang de héros. Comme il arrive d'ordinaire en pareil cas, l'absorption se traduit par le fait que le nom du dieu primitif se transforme en épithète du dieu nouveau. LYK 1437 LYR Lykaon passe en Zeus Lykaios. Mais cette absorption n'équivaut pas à une suppression : la personnalité dépossédée s'impose en partie à celle qui l'exproprie'. Zeus Lykaios hérite du culte sauvage de son prédécesseur, le dieu-loup. L'antériorité de celui-ci est prouvée par la cruauté même de ces rites dont la persistance ne s'explique que comme un legs des temps lointains. Seule, une longue tradition de terreur superstitieuse les rendait encore sacrés en pleine civilisation. La cruauté d'une pratique religieuse est plutôt un signe d'ancienneté ; il est plus logique de supposer que les sacrifices humains du Lycée remontaient à une époque de sauvagerie primitive, plutôt que de les croire importés au milieu d'une population douce où ils n'auraient eu aucune chance de durée : la légende athénienne de Thésée et du Minotaure prouve qu'en pareil cas le peuple asservi sait se dégager d'une obligation qui lui répugne. Si donc les Parrhasiens ont conservé la pratique des sacrifices humains, c'est qu'elle avait existé chez eux de tout temps. La tradition locale elle-même reflète l'antagonisme entre le culte ancien et le culte nouveau : Zeus dégage sa responsabilité du cannibalisme de Lycaon. Celui-ci est représenté comme un sacrilège : Zeus le foudroie ou le métamorphose en loup pour le punir Mais, en dépit de cette réprobation toute morale, il reste impuissant contre une tradition invétérée : les pratiques anciennes survivent encore au Ive siècle avant J.-C. Seul, le mystère qui les enveloppe atteste les scrupules de la civilisation. La théorie précédente nous dispense de discuter celles qui considèrent Lykaon comme une simple émanation de Zeus Lykaios. L'identification de Lykaon, élément primitif, avec Zeus, élément adventice, ne fut pas si complète qu'il ne subsistât des traces de dualisme dans le personnage synthétique que fut Zeus Lykaios. Peut-être en faut-il voir une preuve dans les deux colonnes du Lycée, dans les deux autels, les deux tables et les deux aigles du sanctuaire mégalopolitain. Lykaon, ancien dieu de la montagne, incarné en Zeus Lykaios, est devenu lui-même une divinité de la lumière ; il a eu pour emblème la colonne et l'aigle. Aucun de ces attributs ne convient à Pan, représenté à part par une statue. Il y avait, auprès du sanctuaire de Zeus Lykaios, un asile 8. Certains détails de la légende furent adaptés à l'existence de cet asile : par exemple, le sacrilège de Lycaon, représenté comme un violateur des lois de l'hospitalité. Le mythe de la lycanthropie peut aussi être interprété comme signifiant les meurtriers obligés de s'expatrier pendant dix ans, c'est-à-dire deux périodes pentétériques, au bout desquelles ils rentrent dans la V vie commune s'ils n'ont pas, dans l'intervalle, commis un nouvel homicide 4. Les opinions émises sur le caractère et l'origine du culte de Zeus Lykaios se ramènent à plusieurs chefs : P Hypothèse d'un dieu lumineux originaire d'Égypte ou de Phénicie, où le loup serait symbole de la lumière 5 ; ou infernal, le nom dérivant de la racine vl'g, déchirer (cf. lupus, luperci, de l'étrusque lupu (dilacerator °). 2° Hypothèse d'un dieu des hauts lieux d'importation sémitique. Lycaon serait le représentant d'une civilisation exotique et d'une conquête de la Parrhasie par les Phéniciens : ceux-ci auraient imposé aux Pélasges le rite des sacrifices humains ; les sanctuaires du Lycée et de Mégalopolis rappelleraient les Maabeds phéniciens' et Zeus Lykaios aurait été un Baal-Louki, de la famille des Molochs, analogue au Baal-Liban, au Baal-Kasios, au Baal-Hermon 8. 3° Hypothèse totémique. Le culte du dieu-loup se rattacherait à l'état primitif de la Parrhasie ; les sacrifices humains étaient originairement les fêtes cannibaliques d'une tribu d'hommes-loups reconnaissant le loup pour leur totem 9. G. FOUGÈRES.