MERCURIUS. I. En grec `Epp.Eixç et `Epixéaç ou
d'où `Ep r1ç et `Epp.iéiç' par contraction, et `Epp.mv (formes apparentées à la racine oppr,], désir passionnel, bientôt confondue avec celle de ipuxr.Eç3, bornes des carrefours).
1.° Origines de la personnalité mythologique d'hermès en Grèce. L'idée première d'Hermès serait-elle celle d'un dieu infernal comme Pluton'? Aucune preuve décisive rte l'établit 3 Nous aurons à constater cependant que ce dieu aux multiples aspects a été, après les temps homériques, envisagé comme en rapport avec les choses de dessous terre'. D'autres origines très diverses ont été proposées par les modernes, Par exemple, un certain nombre d'analogies, souvent verbales, entre le vent et Mercure ont fait croire à Roscherd que le dieu n'est que la personnification de cette force naturelle; le vent semblait venir de l'éther, de Zeus, des grottes de montagnes, comme Hermès; comme lui les Boréades, ou les vents, sont la rapidité même, ont des ailes, emportent
ce qui se trouve sur leur passage, fécondent ou dessèchent les champs, tiennent les voyageurs dans leur dépendance, etc.' Mais ces rapports sont trop ingénieusement établis entre toutes les qualifications de l'un et l'autre terme; ils devraient dériver d'une même conception primitive d'Hermès, ce qui n'est pas. Pour d'autres', il est l'Obscur et semble avoir personnifié tout ce qui est ténébreux : enfer et nuit, nuages et pluie. Après avoir représenté le combat journalier des ombres contre les rayons, il serait devenu le dieu qui rafraîchit et féconde et aussi le vent rapide. Pour d'autres10, il est un dieu solaire et représente l'Aurore. A d'autres il a semblé personnifier les crépuscules matinal et vespéral et surtout le second. A ce titre on lui a assigné des origines hindoues, Creuzer et Guigniaut12 l'avaient assimilé déjà à Brahma. Nareda et Bouddha. Mais l'école linguistique l'a surtout identifié avec un Sarameya (= `EpptE(xç)i3
dieu crépusculaire, voleur des vaches d'Indra, c'est-à-dire des nuages. Une étude plus attentive des Védas 14 a montré que les deux sarameyas sont des chiens de Varna et ne sont pas les voleurs des vaches célestes retrouvées par leur mère Sarama1t. S'il reste une analogie, elle est fugitive, si bien que M. Bérard croit le dieu plutôt phénicien d'origine f6. Les navigateurs de cette race, ayant pénétré jusqu'en Arcadie, y auraient laissé aux habitants la notion d'une divinité ternaire, dont le troisième terme, le dieu fils, était lui-même une triade ; selon l'empereur Julien, Monimos, qui figure dans cette trinité, n'est autre qu'Hermèsi7. Tout au moins les manières d'être et attributs du dieu phénicien ont pu être mêlés par les Arcadiens avec ceux d'une de leurs divinités. D'autre part, la pierre levée, le bétyle ou la colonne carrée, qui souvent en Grèce ne fait qu'un avec la figure d'Hermès, représente chez les Phéniciens l'envoyé ou l'ange d'Astartè, de Baal ou d'Élohimto.
Ce qui est vrai, c'est que, comme l'avaient senti déjà les anciens(', la personnalité mythique d'Hermès a eu des origines multiples. Une d'entre elles est déterminée
MER -4801 MER
pas encore complètement pacifiés ; ils n'étaient pas encore gagnés à la civilisation romaine. Il n'en fut plus ainsi dans la suite ; dès le milieu du ut siècle, ces troupes auxiliaires sont recrutées sur place.
Cependant déjà, dès cette époque, les barbares ont commencé à devenir plus nombreux dans l'armée romaine. Ils servent d'abord comme mercenaires ; ils finissent peu à peu par envahir les légions ; Probus en incorpore 16000 parmi les légionnaires; sous Théodore, ils sont, dans les légions, plus nombreux que les Romains, et Aurelius Victor pourra dire : les soldats, j'allais dire les barbares Il serait peu intéressant de suivre par le détail cette transformation ; il nous suffira de voir ce qu'était devenue l'armée romaine sous Justinien, au moment où commence la période byzantine 2.
Il y a un noyau permanent, mais il est peu solide ; le gros de l'armée est formé de mercenaires ; ils portent le nom de fédérés [FOEDUS, p. 1210]; ce sont ces aventuriers barbares qu'on trouve sur toutes les frontières de l'empire ; il y a des Huns, des Gépides, des Hérules, des
Vandales, des Goths, des Slaves, des Perses [AUXILIA, fig. 671], des Arméniens, des Arabes, des Maures (fig. 4932) 3. Cette armée est bien organisée. Le fantassin est protégé par un grand bouclier, le casque, la cuirasse et des jambières ; toutes ces pièces sont en métal ; comme armes il a l'épée, l'arc, ainsi que la pique et la hache. La cavalerie est pesamment équipée ; l'homme et le cheval sont cuirassés; ce sont les cataphractaires [CATAPaaACTARII, fig. 1232] que l'on regarde comme les plus redoutables des soldats de l'empereur. Il est aussi question d'une cavalerie légère. Malheureusement cette armée, comme toutes les armées composées de mercenaires, est indisciplinée et pillarde. Le fédéré a des exigences inouïes; sous prétexte qu'il n'est pas le sujet de l'empereur, il prétend être affranchi des règles de la discipline; il discute les ordres des chefs, il les méconnaît. Enfin nul patriotisme n'anime ces barbares; ils ne se font
aucun scrupule de trahir; deux fois, la trahison a ouvert à Totila les portes de Rome` : dans une bataille, les mercenaires Huns se rangent à l'écart, attendant que la fortune se soit décidée pour se mettre du côté du vainqueur Les officiers, qui sont aussi des barbares, sont peut-être pires que les soldats; car ils se jalousent et ne cherchent qu'à se nuire. Malgré ces défauts, cette armée de mercenaires barbares, quand elle est commandée par des hornmes comme Bélisaire ou Narsès, constitue une force militaire des plus redoutables.
Nous avons étudié le mercenaire à toutes les époques de la vie gréco-romaine. Il y a plusieurs faits généraux à relever. Le plus important est que le mercenariat a surtout fleuri en Grèce ; c'est comme un fruit que le sol a produit à toutes les époques. Cela tient à la nature même de l'esprit grec ; il aime les aventures et il est avide de gain ; il est comme le marchand de l'Odyssée, qui, à peine revenu d'un long voyage, pense à partir pour aller encore plus loin 6. Dès que l'Hellène a eu conscience de sa valeur comme homme de guerre, il est parti chercher fortune ; on le trouve dans presque toutes les armées des rois et des tyrans d'Asie. « Tu es arrivé des extrémités de la terre, rapportant une garde d'épée en ivoire, incrustée d'or ; car, en combattant pour les Babyloniens, tu as accompli une grande action, tu les as sauvés des dangers; tu as tué un guerrier haut de cinq coudées rnoins une main. » C'est le poète Alcée qui parle ainsi de son frère Antiménidas, qui s'était engagé dans l'armée du roi de Ninive Nabuchodonosor. Alcée lui-même avait mené une vie aventureuse ; il avait été chassé de sa patrie ; il s'était battu contre les Athéniens, et, dans cette bataille, il avait perdu son bouclier. Cette vie d'aventures avec ses hasards, ses changements soudains de fortune, tente l'humeur hardie de bien des Grecs. Le type des mercenaires de cette époque est Archiloque, ce poète que l'antiquité mettait à côté d'Homère. « Je suis un serviteur du dieu de la guerre Enyalios, et je suis habile dans le don aimable des Muses. » Mais voici comment il entend la guerre
« Grâce à ma lance, à moi la galette qu'on pétrit ; grâce à ma lance, à moi le vin d'Ismaros ; grâce à ma lance, je le bois couché sur le lit du festin. » Le Crétois Hybrias avait, lui aussi, composé une chanson des mercenaires
« J'ai pour richesse une grande lance, une épée, et un bouclier de cuir tout velu, rempart de mon corps ; c'est par lui que je laboure, que je moissonne ; c'est par lui que je foule le bon vin qui sort de la vigne ; c'est par lui que j'ai des esclaves qui m'appellent : maître » On le voit, le mercenaire est entré de bonne heure dans la littérature ; il y est entré, il faut noter le fait, au moment où fleurit la poésie personnelle, la poésie lyrique. Il en disparaît peu après. La grande époque de la Grèce, le ve siècle, marque une éclipse du mercenariat. Il y rentre à partir du Ive siècle ; c'est le beau moment du mercenariat qui commence, mais, cette fois, la littérature ne lui est pas favorable. La comédie 3 saisit le mercenaire, le malmène et le bafoue; c'est un faux brave, qui a toujours des exploits terrifiants à raconter, et qui, au fond, n'est qu'un poltron
MER 1800 MER
nombre de mercenaires barbares dont on avait loué les services dans les derniers temps de l'empire, les auxilia finissent par n'être composés que de citoyens romains. L'effectif total des troupes auxiliaires n'est donné nulle part ; on dit qu'il n'était pas inférieur à celui des légions et qu'il variait suivant les circonstances'.
Dans cette catégorie de troupes on ne peut guère comprendre les vexilla veteranorunl, détachement de légionnaires ayant obtenu leur congé,déliés de leur serment, mais gardés encore quelque temps sous la main de l'autorité. Les cohortes civium romanorum, composées d'Italiens enrôlés volontairement, parce que le service était moins pénible dans les cohortes que dans les légions 2, furent plus tard ouvertes aux pérégrins. Il semble que les mercenaires, au moins jusqu'à une certaine époque, ont dû être assez nombreux dans les cohortes auxiliariae; quelques-unes étaient armées à la romaine, d'autres avaient conservé leurs armes nationales et étaient désignées sous les noms de sagittarii scutati 4,
contarii 5, catafracti s, funditores [CATAPHHACTI, CLIPEVS, CONTUS, FUNDITOH]. Tous ces auxiliaires se distinguent
des soldats romains par un trait commun, c'est qu'ils étaient armés à la légère, ce qui leur aurait fait donner le nom de cohortes leves On sait que l'infanterie [collons] était organisée en cohortes quingenariae, de 500 hommes ou cinq centuries, et en cohortes miliariae, de 1000 hommes ou dix centuries; quand elles comprenaient un contingent de cavaliers, elles étaient appelées equitatae ou equestres. La cavalerie était divisée en alae equitumquingenariae [ALA] de 16 turmes ou 480 hommes, et miliariae de 24 turmes ou 960 hommes.
Si ces troupes auxiliaires ne furent plus, au bout de quelque temps, composées que de citoyens romains, il y avait, dans la garnison de Rome, certains corps qui n'étaient formés que de mercenaires. Cette garnison comprenait d'abord des troupes dans lesquelles les soldats étaient des citoyens romains, les cohortes praetorianae, les cohortes urbanae et les cohortes vigilum. Mais il s'y trouvait aussi d'autres corps qui étaient composés d'étrangers Auguste eut une garde germaine, les Germani ou Batavi16 I[GEHMANI] ; les soldats qui en faisaient partie étaient tirés de tribus germaniques sujettes de Rome. Suétone qualifie cette garde tantôt de numerus, tantôt de cohors et de rnanus". Cependant elle ne se divisait pas en centuries et en turmes. Les inscriptions se servent toujours, pour la désigner, de l'expression collegium Germanorum, et elles nous apprennent qu'elle se divisait en décuries comme les collegia et les familiae servorum. La garde germaine fut dissoute par Galbaf2 et elle ne parait pas avoir été reconstituée jusqu'au règne de Trajan ; plus tard, on trouve, sous Caracalla, une garde du corps à cheval composée de Germains et de Bataves.
Le corps des Germains supprimé par Galba fut peut-être remplacé immédiatement par une nouvelle garde, dont il est fait mention depuis Trajan, les equites singulares
.Augusti ou imperatoris [EQEITES SINGULARES]. On sait quel
est ici le sens de singularis; il signifie « homme choisi, homme d'élite ». Parmi les singulares, nous trouvons des
Bessi, des Thraces,des tthètes,des 1Yorici,des Pannoniens, des Daces, quelques Bretons, Dalmates, Maures et Syriens ; on prenait donc de préférence des hommes du Nord. Ils avaient, pour la plupart, des noms romains ; car, en entrant au service, ils prennent le nom de l'empereur régnant, comme les affranchis portent les noms de leur maître. La durée du service était de vingt-cinq ans comme pour toutes les troupes auxiliaires. On les recrutait en partie parmi les soldats des auxilia.
D'après la place qu'ils occupaient dans le camp, on peut conclure qu'ils avaient le même rang que les prétoriens. Ils formaient
deux corps et avaient à Rome deux casernes, les castra priora et les castra nova Severiana. Comme les prétoriens, ils n'abandonnaient leurs quartiers que pour suivre l'empereur; ils étaient placés sous les ordres du praefectus praetorio et chacune de leurs divisions avait à sa tète un tribun. Ils sont représentés sur les monuments (fig. 4931) 13 avec le casque sans panache, le bouclier ovale, l'épée et la lance; ils avaient à leur service
plusieurs esclaves. Il semble qu'ils furent supprimés par Gallien et remplacés par les PnoTECTOHES. Septime-Sévère augmenta considérablement la garnison de Rome. C'est probablement lui qui logea sur le Caelius, dans les castra peregrina, une nouvelle milice, celle des peregrini, distincte des equites singulares et commandée par un princeps peregrinorum. Il est probable qu'ils étaient spécialement employés à la police de la ville. Une de leurs centuries, sous le nom déjà connu de frumentarii 14, était chargée de la police de sûreté.
La partie de l'armée romaine que nous connaissons le mieux est celle qui gardait l'Afrique, à l'ouest13. Elle était divisée en trois corps d'après les provinces. L'armée d'Afrique et de Numidie était constituée par la legio III Augusta et treize corps auxiliaires ; sur ces treize corps, il y avait di x cohortes dont six avaient un effectif mixte de fantassins et de cavaliers. De tels corps étaient nécessaires dans ce pays ; l'infanterie formait un noyau solide pour résister ; la cavalerie fournissait des éclaireurs, prévenait l'attaque et achevait la victoire. Il fallait être toujours en éveil en présence d'adversaires très bien montés, qui apparaissaient subitement et se dérobaient aussi vite. Dans les deux Maurétanies, Césarienne et Tingitane, il n'y avait que des troupes auxiliaires. Il faut noter ici le petit nombre d'ailes ou de cohortes qui ont été levées dans le pays. Au premier et au deuxième siècle, il. aurait été imprudent de lever des auxiliaires dans les régions où les troupes stationnaient; ces pays n'étaient
ç'evo),oy:ou ypeiav siwat), les Hiérapytniens garantiront toute sécurité à cette opération dans leur ville; ils la garantiront aussi dans le pays et dans les îles de leur dépendance; ils aideront de toute manière les Rhodiens à réunir les mercenaires ; sous aucun prétexte, ils n'accorderont à personne le droit de lever des mercenaires contre les Rhodiens ; sous aucun prétexte, aucun Iliérapytnien ne fera la guerre contre les Rhodiens, ou il sera passible des mêmes peines que s'il faisait la guerre contre les Hiérapytniens; exception sera faite pour ceux qui auront fait la guerre avant les présentes conventions. Quant aux Rhodiens, ils s'engagent à leur tour à envoyer des secours aux Hiérapytniens dans les mêmes conditions ; ces secours consisteront en galères ; aucun Rhodien ne fera la guerre contre les Hiérapytniens, ou il sera passible des mêmes peines que s'il faisait la guerre à Rhodes; si les Hiérapytniens lèvent des mercenaires en Asie pour une guerre particulière, les Rhodiens feront tout leur possible pour que cette levée arrive en toute sûreté à Hiérapytna ; sous aucun prétexte, les Rhodiens n'aideront personne à faire une levée de mercenaires contre les Hiérapytniens.
Le privilège de lever des mercenaires se trouve donc mutuellement garanti par les deux partis. Il faut remarquer la clause qui interdit à un mercenaire de servir contre sa patrie. C'était là un des articles du droit des gens à cette époque ; et c'est en vertu de cette règle qu'Alexandre envoya travailler dans les mines les Grecs qui, au Granique, servaient dans l'armée perse et qui s'étaient battus contre les Macédoniens.
Une autre inscription plus récente ' nous a conservé le texte d'un traité conclu entre le xotvôv Twv Kpv èn
Pergame (139-138) ; parmi les privilèges, qui sont accordés au roi, est mentionné le droit de lever des mercenaires, evo)ioyicOat. Nous connaissons enfin des conventions passées entre Eleuthernae, ville de Crète, et Antigone Gonatas, entre Thèbes et Polyrrhénion, conventions dans lesquelles il est aussi question des mercenaires 2. Polybe 3 nous apprend que cette dernière ville fournissait des archers à la Macédoine et à l'Achaïe contre la ligue étolienne. Nous avons vu des mercenaires crétois au service d'Athènes, de l'Égypte, de la ligue achéenne. Les Romains eux-mêmes avaient des archers crétois dans leurs armées et cela dès les guerres Médiques, comme nous le verrons. Contre Persée, le consul P. Licinius en avait obtenu du gouvernement crétois. Le Sénat demanda au xotvbv Twv Kpgréiv s'il n'y avait pas eu plus d'archers crétois dans l'armée de Persée que dans l'armée romaine. Les Crétois ne le nièrent pas ; ils furent alors mis en mesure de notifier à leurs compatriotes le décret du Sénat, ordonnant que les Crétois rappelleraient dans le plus bref délai tous les soldats qu'ils avaient dans les garnisons de Persée '.
La réputation des Crétois était mauvaise. Pendant longtemps ils ont pratiqué la piraterie ; comme mercenaires, ils étaient notés comme les plus à craindre : Tpia
xz7'C7ta xai.;uTv, disait un proverbe en désignant les Cihi riens, les Cappadociens, les Crétois 3,
Ceux-là donc sont les pires entre les mauvais. Le mercenaire est partout craint et détesté. II est volontiers pillard, parfois tout simplement parce que l'occasion lui semble bonne pour piller. Souvent aussi il le fait pour vivre. Il a de la peine à se faire payer la solde qu'on lui a promise; les Athéniens eux-mornes, nous l'avons dit, agissaient ainsi e, Xénophon raconte que des mercenaires privés d'habits et de nourriture voulaient attaquer et piller Chios '. Nous avons vu, à Athènes, Eurycli s donner de l'argent pour qu'on puisse se débarrasser des mercenaires ; le même fait est attesté aussi pour Érythrée 8. Énée le tacticien recommande aux villes de ne pas laisser entrer dans leurs murs les mercenaires qu'elles emploient Il se trouvait cependant parmi ces chefs de bande des hommes qui avaient des sentiments d'humanité. Le Béotien Zoilos, commandant la garnison que Délnétrius a mise à Egostène, ville de la Mégaride, fut félicité par Mégare pour avoir su maintenir la discipline parmi ses mercenaires ; on lui vota une couronne d'or, et on lui décerna, à lui et à ses descendants, le titre de citoyen et la proédrie dans tous les concours ".
Roi« ". Jusqu'aux guerres Puniqutes, l'armée romaine se composa exclusivement de deux sortes de
troupes : la légion et les alliés italiens [DILECTuS, EXFRCITUs, LEGIO]. A cette époque, on adjoignit aux légions et aux sari( des troupes légères, qui servaient en qualité d'alliés ou moyennant une solde 12. A Trasimène, il y avait, dans l'armée romaine, 600 archers crétoisf', à Cannes, des archers et des frondeurs 'b. Ce sont ces troupes mercenaires qu'on appelait auxilia [LuxiLIA] pour les distinguer des socii italiens". On n'a signalé aucun rapport entre leur nombre et celui de la légion. Le nombre de ces auxiliaires s'accrut à un tel point que, pour leur donner une place dans le camp romain, on dut changer 1a disposition primitive de celui-ci. Les réformes de Marius modifièrent complètement l'armée romaine. Les classes riches parvinrent à se soustraire au service militaire ; les pauvres y virent, au contraire, un métier et une source de profits; dès ce moment, l'armée de citoyens cessa d'exister: il n'y eut plus que des troupes soudoyées; vrais mercenaires, les soldats n'étaient pas au service de l'État, mais du généra] qui les payait; indifférents aux intérêts de la patrie, ils étaient prêts à toutes les besognes, pourvu qu'ils pussent compter sur la solde et sur le butin Mais ce changement est en quelque sorte interne; l'armée reste toujours composée de légionnaires, d'alliés et de mercenaires. Après la guerre sociale, les Italiens deviennent citoyens romains ; il n'y a plus, dès ce moment, que deux espèces de soldats, les Romains et les auxiliaires.
Les réformes d'Auguste amenèrent ici aussi des changements°7. Les auxilia sont désormais tous les corps, autres que les légions, qui se trouvent dans les provinces, peu importe qu'ils soient composés de citoyens romains ou de pérégrins. Lorsque Caracalla eut donné le droit de cité à tous les habitants de l'empire, les pérégrins devinrent de plus en plus rares. Si l'on excepte un certain
MER 1798 MER
Crétois inscrits était certainement plus élevé. Nous devons ajouter quil n'est pas bien établi que cette inscription se rapporte à la bataille de Mantinée, qui eut lieu on 207 ; il semble plus probable ' qu'elle concerne les événements de l'année 192. Quoi qu'il en soit de cette question, nous avons ici la preuve de la présence de Crétois dans Io contingent que les habitants de Mantinée envoyaient à l'armée de la ligue.
Les armées de Philippe V, roi de Macédoine, d'Antioe'hus III, roi de Syrie, de Persée, roi de Macédoine, sont constituées sur le modèle ordinaire. La plus forte parait avoir été celle de Persée ; à Pydna, la phalange produisit dabord un effet de terreur sur Paul Émile et sur les Romains. On reprochait à Persée de s'être privé, par avarice, de secours qui auraient pu lui être précieux. Les llasternes, peuple du bas Danube, lui avaient envoyé, sur sa demande, 10000 cavaliers et 10000 fantassins armés à la légère 2; ces soldats faisaient l'admiration de toute l'armée macédonienne par leur force, leur grandeur et leur courage; mais, quand les chefs de ces barbares eurent fait connaître la solde qu'ils réclamaient, Persée, la trouvant beaucoup trop élevée, se moqua d'eux et les renvoya.
Des rois qui résistèrent à Rome, le plus redoutable fut Mithridate Eupator le Grand. Avant d'engager la lutte, il avait organisé une armée capable de l'aider à réaliser ses grands projets 3. Les premiers rois de Pont avaient composé leurs armées presque exclusivement de mercenaires, GaIates d'abord Grecs ensuite quand la Galatie fut entrée dans la clientèle de Rome 3. Sous Mithridate Evergète, la Crète, qui était la pépinière et l'école des soldats de fortune, fournit les mercenaires des rois de Pont G. Mithridate Eupator leva ses premiers soldats en Grèce, et c'est avec 6000 hoplites grecs que Diophante conquit la Crimée. Mais le soldat de profession se fait de plus en plus rare en Grèce; d'ailleurs, Rome fait obstacle aux enrôlements. Les victoires de Mithridate lui donnèrent les recrues des peuples du Pont-Euxin, Scythes, Sarmates, Celtes, Thraces 7. Plusieurs de ces peuples étaient d'excellents auxiliaires; mais leur fidélité était douteuse; on les voit quitter Mithridate et passer aux Romains, puis revenir à Mithridate A côté de ces troupes mercenaires, levées pour la plupart en temps de guerre seulement, Mithridate essaya de créer une véritable armée nationale permanente; cependant la force principale de son infanterie, la phalange, était composée exclusivement de mercenaires grecs et organisée d'après le modèle de la phalange macédonienne. Le reste de l'infanterie, soit indigène, soit étrangère, avait probablement gardé l'armement traditionnel de chacune des nations oie les différents corps serecrutaient. Plutarque raconte l'impression étrange et terrifiante que le spectacle de cette armée produisit sur les Romains'.
L'époque hellénistique a été l'âge d'or du mercenariat. Dans l'empire des Ptolémées, des Antiochus, des Eumènes, le mercenaire forme à lui seul presque toute l'armée. Ces armées, à l'époque des diadoques, étaient encore très fortes ; celle que Pyrrhus conduisit en Italie
et qui vainquit les Romains à Héraclée, avait assurément quelques-unes des qualités de l'armée macédonienne du temps d'Alexandre. Cependant cette victoire même avait été chèrement achetée, et l'expédition se termina par une défaite. Pyrrhus et la, plupart des princes grecs de cette époque étaient encore des hommes de guerre. Mais, peu à peu, dans ces monarchies orientales, le roi s'amollit et se déprave ; l'armée ne sert plus qu'à parader dans les fêtes ; elle fait illusion par son luxe et ses manières tapageuses aux populations asiatiques; les hommes habiles ne se trompent pas sur sa valeur ; on connaît le jugement de Polybe sur le soldat romain et sur le soldat grec de son époque ; l'historien ne fait pas à ce dernier l'honneur de croire qu'il était un digne adversaire de la
légion 10.
La faiblesse de ces armées venait surtout du régime politique de ces monarchies asiatiques. Le mercenaire a été un bon soldat quand il a été bien commandé, Il avait des qualités sérieuses auxquelles des hommes comme Xénophon ont rendu justice ; en tout cas, il avait la préparation nécessaire. Il y avait en Grèce certains peuples qui, pendant des siècles, n'ont eu d'autre industrie que la guerre. Dans ces pays, il existait des traditions, un entraînement, une éducation militaire. Nous ne voulons pas parler des Spartiates : ils ont été, comme on l'a dit, les plus habiles artistes dans l'art de la guerre ; mais ils n'en ont pas fait un commerce. La Carie, la Crète et l'Arcadie" ont été les vraies pépinières du mercenariat. Ces pays ne parvinrent pas à conquérir la situation politique à laquelle il semble qu'ils avaient droit. Ce métier de la guerre, pour lequel ils étaient si bien préparés, ils ne pouvaient pas l'exercer dans leur patrie ; ils allaient à l'étranger.
CRÈTE. De ces peuples, les plus intelligents étaient les Crétois. Leur réputation, comme archers surtout, était reconnue de tous. Ils avaient imaginé un armement qui portait leur nom'. A partir de la guerre du Péloponèse au moins, on peut signaler leur présence dans presque toutes les armées. Souvent des Crétois sont parvenus dans les États étrangers à des situations importantes i3. Nous possédons sur le mercenariat en Crète plusieurs textes intéressants de l'époque hellénistique. Le plus important pour nous est le traité d'alliance conclu entre Rhodes et la ville crétoise d'Iliérapytna'", vers l'an 220 av. J.-C. Les conditions de l'alliance comprennent une série d'obligations de chacun des deux peuples vis-à-vis de l'autre. Les obligations des Hiérapytniens sont énumérées les premières; nous rie nous occuperons naturellement que de ce qui touche à notre sujet. On règle d'abord la question des secours à envoyer en cas de guerre; ces secours ne sont pas dus si les Rhodiens ont été les agresseurs ou s'ils combattent un peuple allié des Iliérapytniens. Dans le cas contraire, ceux-ci doivent envoyer dans un délai fixé un secours de deux cents hommes, complètement armés; la moitié au moins de ce contingent sera composée de citoyens : les autres seront donc des mercenaires. Si les Rhodiens ont besoin de faire une levée de mercenaires (ai oI :£
MER 1797 -MER
usité est crpati rxt. Ils sont divisés en deux grands groupes, les mercenaires de la Thébaïde, les mercenaires de Cypre. Les premiers sont sous les ordres du arxrv'oç z11; Or;Pa(Soç, qui est quelquefois qualifié du titre d'aûroxel'ertop ; il a sous ses ordres le stratège du nome, le thébarque ou commandant de place de Thèbes, l'É7ctarâT ~ç IlliMptwç. Le stratège du nome a sous ses ordres l'épistate Tou HxOup(Tou et l'épistate roc Il O Paç ; ce dernier est aussi appelé uaoor^v7S-gyoç. Dans chaque garnison, il y a un ypap.p.xTEVç qui paie la solde et s'occupe de l'enrôlement des mercenaires, d'accord avec 1'hypostratège. Les p.tcowdpot reçoivent des ôràaivtce, qui sont une indemnité pour l'entretien des chevaux, des etTadvtx, probablement la solde et des distributions de blé.
Les mercenaires de Cypre ont une organisation différente' : ici le particularisme se donne pleine carrière; les soldats se groupent par nationalités. Les titres généraux
ctpartàtat Evo),o.ç Uvttç ; sous Eumène II, ces troupes se sont organisées en communauté, Tb xotvbo TÔJV Év T7~ vrcw Taceoi vwv Suvxp.Ewv. Bientôt après, chaque nationalité forme une communauté; nous avons le xotvdv des Ciliciens, des Lyciens, des Crétois, des Thraces. Le chef de toutes ces troupes s'appelle toujours bcroarr,y'çT"r,çvr,eou; après lui vient le ypaup.areûc tsav Suvàf cov.
Cette armée de mercenaires est indisciplinée et turbulente; et, comme le gouvernement de l'Égypte est entre des mains faibles, que l'influence trop grande des femmes y rend fréquentes les révolutions de palais, c'est la tyrannie militaire qui est le régime de l'Égypte jusqu'à la conquête romaine.
Nous avons très peu de renseignements sur l'armée des Séleucides, ainsi que sur les armées des autres princes de l'époque hellénistique. Pour le royaume de Pergame, il nous est parvenu quelques textes intéressants. C'est d'abord une inscription 2 qui contient un arrangement conclu entre Eumène I°r et les chefs des mercenaires insurgés contre lui ; la date semble être l'année 263 av. J.-C. La première partie de ce texte énumère les conditions en vertu desquelles l'accord a été conclu ; il y est dit que le prix du médimne de blé est fixé à 4 drachmes, même prix pour le métrète de vin ; les soldats qui ont accompli leur temps de service fixé et qui ne sont plus en activité, doivent toucher l'àj évtov pour le temps écoulé; les orphelins et aussi les plus proches parents ont droit à des secours ; pour le service, on peut en être exempté à quarante-quatre ans. La plus longue partie de l'inscription est, comme dans presque toutes les conventions de ce genre, consacrée au serment que doivent prêter les deux partis. D'un côté jurent : Paramonos, les chefs, 'iyEpi1veç, et les soldats qui sont sous leurs ordres à Philétairie et à Attalie ; Polylaos, les chefs qui sont sous ses ordres et les soldats qui sont à Attalie ; Affinas, l'hipparque, ainsi que les cavaliers sous ses ordres ; Oloichos et les Tralles' sous ses ordres. Dans ce serment, les mercenaires font de longues protestations de fidélité ; ils n'abandonneront jamais Eumène;
V1.
si quelqu'un leur apporte des lettres suspectes, ils le saisiront et apporteront les lettres encore scellées à Eumène et ne les ouvriront que devant lui. Eumène jure de son côté de rester toujours bien disposé pour les mercenaires, de ne rien faire contre ceux qui ont été élus par la communauté; à côté des noms de chefs mentionnés dans le premier serment, il s'en trouve d'autres qui appartiennent à des chefs commandant des etiliaOot. On voit que les mercenaires ont formé un xotvdv; malheureusement l'inscription ne donne aucun renseignement sur cette question. La convention et les serments seront gravés sur quatre stèles qui seront déposées dans le temple d'Athéna à Pergame, à Grynée 4, à Délos et dans l'Asclépiéion de Mitylène.
Un document plus glorieux rappelle la part que le roi Eumène prit à la guerre que la ligue achéenne fit contre le tyran de Sparte, Nabis. Au retour d'une seconde expédition, ce roi consacra un monument à Zeus et à Athéna Nicéphore; un autre monument fut élevé par ses mercenaires 6.
Nous avons quelques renseignements sur l'armée de la ligue achéennes. Elle était formée d'un corps d'élite permanent, les i (AExTOC, de troupes mercenaires et de contingents régionaux levés en temps de guerre. L'armée mercenaire comptait des soldats de nationalités diverses et d'armements variés; elle parait avoir été nombreuse de tout temps. Les auxiliaires étrangers étaient parfois levés par appel du stratège et organisés par ses soins ; les dépenses étaient faites par le trésor commun 7, ou, en cas de besoin pressant, avec les ressources d'un emprunt demandé aux villes ; souvent ils formaient des corps déjà constitués avec leurs chefs nationaux. Ainsi le Crétois Télemnastos avait pris part à la guerre de Nabis avec 300 de ses compatriotes'. Les stratèges employaient aussi des officiers étrangers, qui tenaient quelquefois un très haut rang dans l'armée. A l'époque de la guerre contre Méchanidas, Philopémen laissa le commandement général des troupes au Crétois Didascalondas, Ce Crétois fut mis à la tête des E7O,ExTot f °. Au moins, dans les premiers temps, on ne put avoir le nombre de mercenaires suffisant; la petite confédération payait mal la solde", et les gens de guerre étaient sûrs d'être richement payés au service des Ptolémées ou des Séleucides. Les corps de mercenaires mentionnés sont : Tô ev;xdv, les Crétois, les Illyriens, les cavaliers tarentins, les Thraces12. Philopémen opéra une réforme en introduisant dans cette armée l'armement crétois "; c'est très probablement sur les troupes mercenaires de ligne que porta la réforme.
Nous avons peut-être un monument épigraphique t4 de cette bataille de Mantinée, où Philopémen tua de sa main Méchanidas. C'est une stèle élevée en l'honneur de leur chef, consacrée aux dieux par les compagnons du stratège des Achéens. Il y a d'abord les noms des Achéens; suivent ensuite, au-dessous de la rubrique Kp1TEç, une série de sept noms avec le patronymique: mais l'inscription est incomplète, et le nombre des
226
MER 1796 -MER
triotes, avec lesquels ils étaient venus dans le pays et l'avaient conquis.
Les mercenaires forment une troupe d'appui pour les MaxEâdvEç. Sous les premiers Ptolémées, on a levé aussi des indigènes éy/wptot ; mais après la bataille de Raphia, en 217, on cesse d'avoir recours à eux. Les p.ta0oydpot n'ont pas droit de cité comme les Mxxeidveç; ce sont des Uvo;. Ils viennent de tous les pays; ils ont été enrôlés, le plus souvent à Aspendos, par un 'e,oadyoç, qui est un militaire, qui les organise et en forme un régiment dont il prend le commandement et qui porte son nom. Les soldats qui ont terminé leur service actif et qui sont devenus clérouques, gardent encore le nom de leur ancien chef'. L'effectif de ce régiment est en proportion de l'argent dont disposait l'officier recruteur et de la solde qu'il offrait 2. Officiers et soldats n'ont qu'une fidélité douteuse; ils passent facilement d'un chef à un autre, d'un pays à un autre, selon qu'ils y trouvent leur avantage 3.
Dans la grande 7op.7tdes Ptolemaia de l'an 276, on vit parader 57600 fantassins, 23210 cavaliers 4 ; une partie notable de ces troupes était composée de soldats mercenaires. Fers la fin du règne du second Ptolémée, l'armée compte 200000 fantassins, 40000 cavaliers, 300 éléphants, et une flotte de 1500 vaisseaux de guerre et de 2000 vaisseaux de transport ' ; dans cette armée, les mercenaires étaient certainement en majorité. Aussi Théocrite disaitil : « De tous les princes qui donnent une solde, le meilleur chef pour un homme libre est Ptolémée G. »
Ces mercenaires, avons-nous dit, sont de nationalités différentes 7; nous trouvons parmi eux des Athéniens E, des Béotiens, des Phocidiens, des Spartiates des Achéens, des Thessaliens, des Thraces, des Illyriens, des habitants des îles Cos, Théra, des Crétois, des Syracusains. L'Asie Mineure a fourni aussi de nombreux contingents de mercenaires; il y en a de Pamphylie, de Pisidie, de Cappadoce, de Paphlagonie, de Lycie, de Carie; un corps de 4000 I'a ■à'erc t ;évot est sous les ordres du evoa6yoç 'AvT(yovoç 30 ; il y a enfin des Perses qui ne
sont pas assimilés, qui ont gardé leurs moeurs et leur nom"
Les mercenaires composent les corps de troupes suivants sous Ptolémée Philopator
1. Of p sOotpdpot 7cEoi 'EU-riveç, sous la conduite de
l'Achéen Phoxidas, qui passa en Égypte avec Cléomène, roi de Sparte; effectif : 8000 hommes;
2. 01 p.;sloïépot i,tsE[ç, qui se divisent en deux corps :
2° oi KprlTeç, Le premier corps, de 2000 cavaliers, la plupart Thessaliens, est sous les ordres d'Echécrate de Thessalie ; le second corps était de 1000 hommes ;
3. Des peltastes, au nombre de 2000, sous les ordres de Socrate le Béotien; ce corps avait été formé d'abord avec les argyraspides, hypaspistes, Macédoniens; mais sous Philopator, il n'était plus recruté que parmi les mercenaires ;
€rn?Ovwv. C'étaient des clérouques, au nombre de 4000, appelés de la colonie militaire de Fayum ;
6. Enfin des Lybiens avec des Macédoniens.
L'effectif total de l'armée sous Philopator, en 218, était de 28 700 Mxxeîdvoç, 21000 mercenaires, 26300 Égyptiens et Lydiens. A partir de cette date, les Égyptiens ne figurent plus dans l'armée.
Les mercenaires ne sont levés qu'à l'occasion d'une guerre ; la paix faite, ils sont licenciés et vont chercher fortune ailleurs. Un certain nombre d'entre eux sont envoyés dans les colonies militaires comme clérouques; d'autres restent dans l'armée et vont tenir garnison dans les possessions des Pharaons hors de l'Égypte. Ce dernier contingent était très important au moment de la grandeur de l'empire, quand les Ptolémées étaient les maîtres de la Phénicie, de l'Arabie, de la Lybie, de l'Éthiopie, de la Lycie et des Cyclades ''•. Le poste le plus important, celui qui était le mieux gardé, était Cypre. Il faut enfin mentionner le corps de mercenaires envoyé sur les côtes de la mer Rouge pour la chasse aux éléphants, sous les
La hiérarchie de cette armée était ainsi fixée : les stratèges des pays étrangers, le premier d'entre eux était le gouverneur de Cypre; après eux, les chefs des trois corps de Macédoniens et des six corps de mercenaires; enfin les 'evo),6yot, qui étaient les chefs des corps de mercenaires qu'ils avaient enrôlés.
A côté de cette armée active, il y avait une armée territoriale, aûvTayex, constituée par les clérouques ou soldats établis, après leur congé'', dans les colonies militaires ; on attribue cette institution à Ptolémée Philadelphe, en 274.
Sous Épiphane, 204-180, les Égyptiens se révoltèrent contre les étrangers; cette révolte fut vaincue, mais Épiphane se vit obligé d'accorder quelques satisfactions au sentiment national. Pour l'armée, on fit disparaître ces
noms trop significatifs de Mxxoi6veç, de µtoOop6pot; un seul nom, celui de p.xyy.ot, est donné aux soldats il; le
système des colonies militaires est maintenu; on remplace seulement le nom de xàvpooyot par celui de x .roixot. En 170, sous le règne de Philométor, un nouveau mouvement de réaction nationale se produisit, qui finit par triompher avec Evergète II. Cette fois le parti maté donien est vaincu ; l'armée change de caractère; elle est presque exclusivement composée de mercenaires; plus de soldats se prétendant les descendants des compagnons de Ptolémée, fils de Lagos, et réclamant des privilèges. Cette armée comprend d'abord les gardes de corps du
roi sous le titre de oi IITw)Ep.aiou xai TIAv oimv et ol IIEpaat. Ce sont les successeurs de l'ancienne garde royale et des Ercl),exTot ; ils sont recrutés dans tous les pays, en Égypte aussi ; le contingent principal est celui des fI paxt, qui est formé aussi de soldats de nationalités différentes; il y a un certain nombre de Perses.
A côté de cette garde du corps sont les mercenaires: on les appelle quelquefois p.toOopdpot, mais le nom le plus
MER @-1'195 MER
mière fois de ces cavaliers ; ils arrivent d'Europe et sont commandés par Ménidas' ; ils assisteront a la bataille d'Arbelles 2. Pour atteindre Darius, Alexandre amène avec lui les cavaliers mercenaires commandés par Erigyos 3. Nous avons mentionné un corps de 1500 fantassins mercenaires. Qu'était-ce que ces ;pi oit,; U vit qui sont rangés en seconde ligne à Arbelles' ? D'après la place qu'ils occupent, ils doivent être des il en est de même des h.iceo d ,ot Uso, qui à Issus sont rangés à côté des archers
et des Agrianes Quant à ces troupes légères barbares, qui ont un rôle très important dans les guerres d'Alexandre, archers, Agrianes, Thraces, acontistes, hippacontistes, archers à cheval, nous ne pouvons pas dire si c'étaient là des mercenaires ou des contingents fournis par les peuples alliés ou soumis, Les archers crétois, qui combattent à Issus, étaient sûrement mercenaires°. Il faut remarquer qu'Arrien indique très rarement les effectifs de ces corps de mercenaires ; il ne les mentionne pas toujours dans la description des lignes de bataille, au Granique, à issus, à Arbelles. 11 semble ne pas attacher beaucoup d'intérêt à ces troupes. Dans l'armée d'Alexandre, le mercenaire a encore moins d'importance que dans l'armée de Philippe,
C'est surtout dans l'armée de Darius que se trouvent des troupes nombreuses de mercenaires grecs. Au Granique, ils forment presque toute l'infanterie au nombre de 20000; il faut noter qu'ils sont placés sous les ordres d'un prince perse nommé Omarès. Quand la cavalerie perse eut été culbutée, Alexandre les attaqua ; ce fut le moment le plus rude de la bataille; ils furent tous massacrés, à l'exception de 2 000 d'entre eux, qui furent chargés de chaînes et transportés en Macédoine pour y travailler dans les mines, châtiment qu'ils auraient mérité en combattant contre des Grecs'. 11 y avait dans le nombre des Athéniens qu'Alexandre ne délivra qu'assez tard 8. A Issus, 30000 mercenaires grecs furent rangés en face de la phalange; il n'est pas dit qu'ils furent massacrés ; peut-être se retirèrent-ils en bon ordre 9; une partie d'entre eux, au nombre de 8000, se réfugia en Égypte40. A. Arbelles aussi, il y avait des mercenaires grecs dans l'armée de Darius, mais nous ne savons pas quel en était le nombre ". De retour à Babylone, Alexandre préparait une réorganisation de son armée ; il avait reçu des mercenaires de Lycie et de Carie" ; la mort l'arrêta au milieu de ces projets.
Un événement tel que la conquête de l'Asie, la gloire dont s'étaient couverts tant de généraux et de soldats, les richesses qu'ils avaient rapportées ne pouvaient que développer dans de grandes proportions l'esprit d'aventure et l'amour du gain. Le nombre des mercenaires ne cesse de s'accroître. Les généraux, qui se disputent l'empire d'Alexandre, ont avec eux des armées qui ne sont composées qu'en partie des anciens soldats du conquérant. Dans toutes les contrées de la Grèce et de la Macédoine, ils ont des racoleurs chargés d'enrôler des soldats ; ces pays se dépeuplent 1-, tant sont nombreux tous ceux qui veulent prendre leur part dans cette aventure qui a donné l'Asie au roi de Macédoine ; l'Asie
elle-même fournit des mercenaires : les racoleurs d'Eumène en réunissent des troupes considérables". Ces soldats ne s'attachent à aucune cause : ils servent le chef qui les paie et en qui ils ont confiance ; après une bataille, le vainqueur enrôle dans son armée ce qui reste de l'armée vaincue, comme dans les batailles de l'Europe au xvlua siècle. Rien de plus facile à un chef habile et peu scrupuleux que de débaucher les troupes de son adversaire. Eumène, trahi plusieurs fois par ses officiers, est livré à Antigone par ses propres troupes ". Démétrius, une première fois, est abandonné par son armée qui passe tout entière à Pyrrhus 16 ; une seconde fois, Séleucus lui débauche ses soldats au moment de livrer bataille ". A ce moment la proportion entre mercenaires et troupes nationales est en faveur des premiers; ils forment la moitié, souvent les deux tiers et plus des armées. Dans les combats en Gabiène et Paraitacène, Antigone a 8000 Macédoniens, 9 000 mercenaires, 3000 Lyciens et Pampllyliens, 8000 de ces soldats appelés 7cxvtcix7oi ; Eumène a 3000 Argyraspides, 3 000 vétérans, 6 000 mercenaires, 5 000 soldats de diverses provenances 38.
Peu à peu cependant le chaos se débrouille de grandes monarchies, l'Égypte, la Syrie, la Macédoine s'organisent. Ces États présentent un trait commun : ce sont des monarchies militaires, qui s'appuient sur une armée permanente composée de soldats grecs. Celle de ces monarchies que nous connaissons la mieux est l'Égypte. Nous allons examiner ce qu'était le mercenaire dans l'armée égyptienne, et nous pouvons supposer que sa situation était sensiblement la même dans les armées des autres monarchies qui se sont formées des débris de l'empire d'Alexandre 9°.
Alexandre avait voulu opérer la fusion des deux populations de son empire, ne faire qu'un seul peuple des vainqueurs et des vaincus, des Grecs et des Asiatiques. La politique des Ptolémées fut différente. Ils fondent une monarchie militaire ; l'organisation de l'Égypte est l'organisation d'une armée, et d'une armée qui n'est composée que de Grecs.
Les forces militaires des Ptolémées comprennent deux parties : une armée permanente, rsïvitcc'evz une armée territoriale, oxvm xy x.
L'armée permanente forme deux grandes divisions
Les Mttxoèdvaç sont la partie essentielle de l'armée permanente. Ils ne sont pas tous les descendants des soldats venus en Égypte avec le fils de Lagos. Beaucoup ont été levés en Macédoine après la conquête ; d'autres sont nés de Macédoniens avec des femmes égyptiennes; il y a aussi des soldats qui ne sont pas Macédoniens, mais Arcadiens, Béotiens, etc. Les Mxxoôdveç ne forment donc pas une unité ethnique. Il est nécessaire de connaître les divers corps qui constituaient cette armée. II
y avait : le i:. )o{ tas,', riaaz i.Gti; t~F.c is ery.ci: 2a ot
tupi ~mv ceûA jçn7r ; Iieia't , II étain de la politique
des Ptolémées de ne pas regarder comme des mercenaires étrangers, tous ces soldats grecs, leurs compa
MER 179 MER
pays ' ; parfois, le droit de lever des mercenaires faisait l'objet d'une clause dans les traités conclus entre deux États Ce commerce, en prenant del'extension, se développa plus particulièrement sur certains points de la Grèce d'abord : à Corinthe 3, au cap Ténare '` ; plus tard, en Asie, dans la ville d'Aspendos sur les côtes de la Pamphylie 5.
Sa bande formée, le général entre en campagne. Son plus grand souci, comme nous l'avons dit, est de faire vivre ses hommes, de les enrichir et de s'enrichir, et il le fait en pratiquant ce précepte : la guerre doit nourrir la guerre. Il vient rarement dans Athènes. A cette époque, le divorce s'est établi entre l'homme de guerre et l'homme de tribune; l'orateur se fait une popularité facile en attaquant les généraux, en leur intentant des procès où la fortune et la vie sont en jeu 6. Aussi les généraux vivent-ils loin de l'Attique, loin des regards et des soupçons. Grâce à leurs mercenaires, ils se font des situations de princes indépendants, de seigneurs qui ne relèvent que d'eux-mêmes. Comme autretois Alcibiade, ils occupent en leur nom des places que des princes étrangers leur ont données. C'est ainsi que Timothée est maitre des villes de Sestos et de Crithote 7 ; Iphicrate, de la ville thrace de Drys 8 ; Charès réside à Sigée; Chabrias est comme chez lui en Égypte et poursuit dans ce pays une politique personnelle Des mariages consolident cette situation et assurent cette indépendance. Les rois du nord de la Grèce attachent le plus grand prix à mettre dans leurs intérêts des IIellènes influents. Seuthès avait offert sa fille à Xénophoni0. Iphicrate épouse la fille de Cothys, roi de Thrace ; Charidème, la soeur de Kersoblepte.
Chabrias, Iphicrate et Timothée sont encore des Athéniens; ils essaient de maintenir une certaine harmonie entre l'armée et la cité ; ils veulent rendre le nouveau service militaire utile à l'État. Cependant déjà Chabrias était décrié à cause de la facilité de ses moeurs". Charès le fut bien davantage. Celui-là, c'est le condottieri bien bàti, aux larges épaules', qui ne pense qu'à piller et à jouir ; son vaisseau était toujours rempli de courtisanes et de joueuses de flûte. Il est, avec tout cela, aimé du peuple, il paie largement les orateurs ; Démosthène le ménage 93. Avec Charidème nous descendons encore plus bas''. Il n'est pas Athénien; il est né à Oréos dans l'Eubée; il a débuté en servant, comme frondeur, dans ces troupes légères toujours méprisées ; grâce à la protection d'lphicrate, il parvient aux grades élevés, se fait général, s'attache à Kersoblepte dont il devient ministre et dont il épouse la soeur; il sert et trahit tour à tour les Athéniens, sachant toujours rentrer en grâces ; après Chéronée, on lui confie toutes les forces de la république S°; il finit par aller mourir en Perse, sur
l'ordre de Darius qu'il a offensé par sa franchise à juger l'armée perse '°
Le seul fait qu'il y a des soldats de métier rend les armées permanentes possibles; il en existe déjà à cette époque plusieurs qui sont très importantes.
Celle de Denys l'Ancien (401-367) s'élève à 120000 fantassins et 12000 cavaliers. Cette armée comprenait un noyau très fort de troupes mercenaires, autour duquel venaient se ranger les citoyens en cas de guerre''. Jason de Phères (379-370) avait un corps de 6000 mercenaires tels qu'aucun État ne pouvait en montrer de pareils. « Pour être à ma solde, disait-il, il faut exécuter les mêmes exercices que moi. » Tous les jours, il faisait lui-même manoeuvrer ces soldats, renvoyant ceux chez qui il remarquait un peu de mollesse, donnant une solde double, triple ou quadruple à ceux qui étaient pleins d'ardeur pour les fatigues et les dangers i8. A cette troupe permanente, venaient se joindre, à l'occasion, d'autres contingents, de sorte qu'il pouvait mettre sur pied 8000 cavaliers, 20000 hoplites et un nombre infini de peltastes ". Dans la guerre Sacrée, les Phocidiens, avec l'argent du temple de Delphes, levèrent une armée de mercenaires de 20000 fantassins et de 500 cavaliers2o Les secours, que les Athéniens envoyèrent à trois reprises à Olynthe, comprenaient 2000 hoplites et 450 cavaliers athéniens, et de 6000 à 10000 mercenaires. Pour la guerre Lamiaque, les Athéniens arment 5 000 fantassins, 500 cavaliers et 2 000 mercenaires 21. Peu après cette époque, nous trouvons à Athènes un rsTpce qybç üni
vouç ; il doit veiller à la bonne tenue des mercenaires et à leur instruction en vue d'un service aussi utile que possible 22. Les mercenaires sont donc alors une partie permanente de l'armée. Il semble cependant qu'encore, vers la fin du Ive siècle, ils ne forment que la moitié et même le tiers des effectifs 23
Macédoine. L'armée macédonienne, dès l'origine, est une armée nationale; elle l'est encore sous Philippe et sous Alexandre. La noblesse fournit la cavalerie des hétaires ; la bourgeoisie, l'infanterie des pézétaires [EXERCITUS, HETAIROI] ; les mercenaires n'y auront pendant longtemps qu'un rôle très secondaire. Démosthène parle cependant des mercenaires de Philippe et il les montre aussi redoutables que ses pézétaires°". Nous ne pouvons dire dans quelle proportion ces mercenaires entraient dans l'armée de Philippe. Nous connaissons mieux l'armée d'Alexandre [EXERCITUS, p. 907-908]. D'après Diodore 25, le conquérant aurait amené en Asie 30000 fantassins, parmi lesquels il y avait 6 000 mercenaires et 4 500 cavaliers. Nous trouvons, en effet,1500 ute0opépot 1Eot confiés à Andromaque, à Ménédème et à Caranos, ainsi que 60 cavaliers hétaires et 800 cL topépot ïnneiç pour combattre Spitamène 26. C'est en Égypte qu'il est question pour la pre
MER 1793 MER
ordres de Dercyllidas 1 et d'Agésilas. Ce dernier les amena avec lui, quand il fui; rappelé en Europe, au moment de la guerre de Corinthe ; Agésilas les avait placés sous le commandement d'Ilérippidas 2 ; en 3911, ils assistent à la bataille de Coronée' ; puis l'histoire cesse de faire mention d'eux.
Le Peltaste. Pendant cette mème guerre de Corinthe, au moment milles Dix Mille disparaissent de l'histoire, se formait la première armée de mercenaires qu'ait vue la Grèce propre, C'est un certain Polystrate qui aurait réuni cette bande à Corinthe même ; l'argent lui aurait été fourni par Conon; bientôt Iphicrate en prit le commandement 4. Il n'était pas seulement un des plus habiles généraux d'Athènes ; il fut aussi un organisateur et un réformateur [exeiCJTUS, p. 900]. Il comprit l'importance que (levaient prendre les troupes légères sur le champ de bataille. Il n'a pas créé le peltaste, qui existait avant lui ; mais il a su lui attribuer sa vraie valeur. Il lui donne un bouclier échancré, plus petit et plus léger, la 7ÉÀT-rl (fig. 4930), une cuirasse de toile, et, pour les jambes, des sortes de bottes ou de guêtres qu'on appelait iplzict°atides ; mais, en revanche, il l'arme d'une épée et d'un javelot beaucoup plus longs ; il allège les armes défensives pour donner plus de force aux armes offensives'. Un pareil soldat est essentiellement mobile; il peut faire de longues marches, opérer de brusques attaques ou se dérober subitement, il peut profiter des avantages du terrain; avec lui, un général peut manoeuvrer, chose impossible avec l'hoplite qui ne sait que charger en ligne et sur un terrain bien uni. Le peltaste d'Iphicrate est un mercenaire, et c'est parce qu'il est mercenaire' qu'Iphicrate peut faire de lui un instrument de combat de haute valeur. Les Lacédémoniens, qui s'étaient d'abord moqués de ce nouveau soldat, durent reconnaître, quand Iphicrate eut détruit une division de leur armée près de Corinthe', que le peltaste du général athénien était un soldat avec lequel il fallait compter. Il faut dire cependant que c'est surtout Iphicrate qui a su tirer parti de l'oeuvre qu'il avait créée. Les grandes batailles de cette époque sont toujours décidées par la phalange des hoplites 8.
D'ailleurs, depuis les Dix Mille, les citoyens aisés, qui ont reçu une éducation complète, ne répugnent plus à s'enrôler. Le trait particulier que nous avions signalé dans les mercenaires de Cyrus devient un fait général. Ce n'est plus le 4èéç seul, c'est aussi l'hoplite qui est mercenaire. En même temps, les progrès qu'avait faits l'art militaire favorisaient singulièrement cette transformation dans les armées, Dans un des passages les plus intéressants d'une de ses Philippiques, Démosthène compare l'ancienne guerre du temps de Nicias avec la guerre telle que la faisait Philippe; il montre les Lacédémoniens envahissant l'Attique à la belle saison, ravageant le pays, puis se reposant pendant l'hiver ; pour Philippe, au contraire, il n'y a pas de saison, il fait la guerre en été et en hiver ; ce n'est pas seulement la phalange qu'il met en mouvement, mais ses 'Aran(, ses cavaliers, ses archers, ses mercenaires qu'il promène de tous
côtés: «tout a changée, tout s'est perfectionné dans notre siècle, mais nulle part les changements et les progrès n'ont été aussi considérables que dans les choses de la guerre». C'était le régime des armées permanentes que Philippe inaugurait. Il était impossible à un Athénien, quand même eût-il été animé de l'esprit militaire qui enflammait les contemporains de Périclès, de suffire aux exigences de la situation, Démosthène le comprenait bien ; il se résignait à avoir des mercenaires ; il aurait voulu seulement qu'à côté d'eux, pour les surveiller et leur donner l'exemple, il y eût un contingent assez nombreux de citoyens 1 e.
Les mêmes causes, qui ont transformé le soldat grec, ont agi aussi sur le général. 11 dépend moins de ses hommes, il n'est plus leur élu ; c'est lui qui les a levés et qui les paie ; il a prise sur eux par le salaire qu'il leur donne; il reste toujours leur supérieur; il n'a pas à craindre de devenir un jour leur justiciable devant l'Assemblée du peuple. Les soldats sont assez souvent de basse origine ; ils sont de nationalité différente : pas de cohésion entre eux. On peut donc les traiter rudement dans l'intérêt du service i'. Iphicrate, comme Cléarque le chef des Dix Mille, érige la sévérité en système : il ne craint pas de tuer sur place une sentinelle endormie. Il pouvait dompter les natures les plus farouches, en exigeant beaucoup de ses soldats devant l'ennemi et ensuite en flattant leurs passions, en leur permettant d'assouvir leur amour des plaisirs et des jouissances. I1 disait même que les plus avides d'argent et de plaisir étaient ses préférés 12.
Tous les généraux, à cette époque, pratiquent ce système. Ils sont plus que jamais des chefs de bande, des condottieri. A ce moment, les Athéniens n'ont plus le tribut des alliés ; ils ne veulent pas, d'autre part, diminuer les dépenses pour les fêtes publiques ; c'est donc, sur le budget de la guerre que l'on fait des économies. La solde des troupes est mal payée 13. Aussi les généraux sont-ils obligés de pourvoir comme ils peuvent à l'entretien de leurs hommes; ils le font en pillant les ennemis et aussi les alliés d'Athènes t4. Ils deviennent ainsi de plus en plus indépendants de la république ; ils s'accordent plus d'initiative, se permettent plus d'arbitraire. Obligés de se régler sur leurs troupes, ils sont moins dociles aux instructions qu'ils ont reçues des pouvoirs publics. Les Athéniens se font très bien à ce système qui ménage leur bourse. Timothée comparait avec complaisance les dépenses que coûtait une expédition du temps de Périclès avec le peu d'argent qu'il demandait pour ses mercenaires 12.
En même temps, jamais les aptitudes militaires de la race n'ont été si justement appréciées ; la supériorité des Grecs est reconnue par les barbares eux-mêmes, qui ne croient plus pouvoir vaincre sans eux. De tous les côtés, en Europe, en Asie, en Afrique, on demande des mercenaires grecs. Des racoleurs, tvo),6-fo:, eu)J.oyefs, parcourent les divers pays, offrant une forte solde, permettant beaucoup de butin. Ils devaient, avant de commencer leurs opérations, avoir la permission des autorités du
MER 1792 MER
longues. Cyrus était pressé, et l'armée, bien fournie dans un pays fertile, s'avancait rapidement. Dans les montagnes de l'Arménie, la marche devint très difficile ; les attaques de l'ennemi étaient incessantes ; les Grecs marchèrent quelquefois plus d'un mois sans se reposer.
II faut tenir compte aussi des impedimenta que bainait cette armée. Outre les soldats, elle comprenait un grand nombre de serviteurs ou d'esclaves. Chaque hoplite avait un intnammcrç, chargé de porter le bouclier et quelques autres pièces de l'armure ; d'autres esclaves et de nombreuses bêtes de somme portaient les ustensiles de table et de cuisine, les vêtements, les tentes et surtout le butin. 1 chaque razzia, on enlevait le plus d'hommes que l'on pouvait pour en faire des porteurs. Les chariots paraissent avoir été relativement peu nombreux. Tout cela formait un train considérable. On le désignait'
Il comprenait enfin les malades, les blessés, des enfants d'esclaves, enfin un grand nombre de femmes. La surveillance et la protection du train était un des soucis des chefs et encore plus peut-être des soldats. Quelquefois ceux-ci, pour porter secours au train qu'ils croient menacé, sont allés jusqu'à agir contre les ordres donnés 3. Au commencement de la retraite, après Cunaxa, les Grecs, sur la proposition de Xénophon, prirent la résolution de brêler leurs bagages et leurs tentes 4 ; la même opération se fit encore dans le pays des Carduques 6 ; malgré cela, l'Syaoç est toujours resté considérable et n'a pas peu contribué à alourdir la marche de l'armée.
Il n'y avait pas de service d'intendance ; l'armée se nourrit par le pillage ; souvent on traite avec les populations qui consentent à fournir un marché. Le service médical est rudimentaire. Quand les blessés sont nombreux, on fait appel à ceux des chefs ou des soldats qui peuvent avoir quelque connaissance de la médecine ; une fois, huit médecins sont mentionnés Les prêtres, les devins sont assez nombreux ; parmi eux, Silanos et Aréxion occupent une situation aussi importante que les chefs supérieurs.
Ces troupes sont en général groupées selon la nationalité du chef qui les a enrôlées. 11 semble que l'enrôlement ne comprenait pas de contrat. En tout cas, l'engagement peut toujours être rompu ; ainsi 2000 soldats quittent Xénias et Pasion pour passer à Cléarque'. On quitte un chef, on revient à lui selon les circonstances. Dans les moments critiques, un grand nombre de soldats viennent se ranger autour de Cléarque, qui est regardé comme le guerrier le plus ferme et le plus habile en face de l'ennemi ; mais, le danger passé, les soldats le quittent à cause de sa sévérité et passent sous d'autres chefs 8.
Ce qui manque le plus à cette armée, c'est la discipline. Elle dépend de la personnalité de chaque chef. Cléarque sait le mieux tenir ses hommes, et il le fait en érigeant la sévérité en principe ; il dit que le soldat doit craindre son chef plus que l'ennemi. Il n'est pas aimé de ses hommes. Il est d'ailleurs obligé de les ménager ; il
doit donner l'exemple". Proxène le Thébain est trop timide ; c'est un philosophe égaré au milieu de ces soldats. Ménon de Thessalie avait tous les vices de fourberie et de scélératesse qu'on reprochait aux hommes de ce pays. Cléarque frappe ses soldats; il ne peut en faire autant aux soldats de Ménon sans provoquer une révolte". Xénophon, accusé d'avoir frappé des soldats, doit s'expliquer12. Les actes d'insubordination sont fréquents. Les soldats n'admettent pas facilement pour leurs chefs des privilèges, même les plus nécessaires f3. L'ordre d'abandonner des bagages n'est jamais bien exécuté. Des soldats quittent même leur poste14. Il y en a un, qui, chargé de garder un malade, veut l'enterrer vivant pour être débarrassé de son fardeau '°. Il est rarement fait mention de punitions ; le plus souvent elles sont décidées et infligées sur place par les soldats eux-mêmes; elles consistent en coups de poing, coups de bàton i0, Les généraux peuvent dégrader un lochage et le faire descendre au rôle de porteur"
En réalité, loin de l'ennemi, c'est moins une armée qu'une république, une démocratie ambulante. Les soldats font et défont les chefs; ils leur demandent des comptes, ils les jugent, les condamnent18. Tout cela tient à la composition de cette armée. C'est la première armée de mercenaires grecs qui ait été réunie. Xénophon a bien soin de marquer ce qui la distingue. C'étaient des jeunes gens de bonne famille qui avaient quitté leur père et leur mère ; d'autres même leur femme et leurs enfants f°. Une autre fois il dépeint avec complaisance la bonne tenue de cette armée. Les Grecs avaient tous des casques d'airain, des tuniques de pourpre, des cnémides et des boucliers brillants20. Ce n'étaient pas là des mercenaires affamés et obligés de se vendre pour vivre. Ils étaient venus par esprit d'aventure, attirés par le grand renom de Cyrus. Jusqu'ici le mercenaire est surtout un ,jta6ç, c'est-à-dire qu'il n'appartient pas aux classes dans les mains desquelles est la direction de la cité; le plus souvent même il n'est pas grec ou c'est un citoyen de ces cités du Nord, voisines des barbares et à moitié barbares elles-mêmes. Cette fois, c'est l'homme des classes dirigeantes qui s'enrôle 21 ; il est dans l'aisance; il est en état de se fournir une armure complète, il sert comme hoplite. C'est là le trait le plus nouveau et peut-être le plus important qui distingue cette armée.
Nous nous sommes arrêté sur cette partie de notre sujet parce que cette armée des Dix Mille est la plus intéressante des armées de mercenaires de la Grèce ; c'est aussi celle que, gràce à Xénophon, nous connaissons le mieux. Bien des traits que nous venons de relever se retrouvent dans toutes les armées de mercenaires et nous aideront à les comprendre.
II nous reste à dire quel fut le sort de ce qui restait de cette armée des Dix Mille. Nous avons vu qu'ils avaient été incorporés dans l'armée spartiate par Thibron 22 ; la réunion se fit à Pergame en 399 ; la solde était d'un darique pour le soldat, le double pour le lochage, le quadruple pour le stratège. Après lui, les Cyriens, comme on les appelait23, passèrent successivement sous les
1
MER 1791 MER
sent nous voyons apparaître le guerrier qui, après s'être fait un renom par sa bravoure, son habileté, ses largesses, réunit des bandes d'hommes armés dont il se fait le chef, va se louer à tel ou tel État, ou bien fait la guerre pour son compte.
Les Dix Mille. Déjà, à la fin de la guerre, Alcibiade, banni d'Athènes, s'était rendu indépendant entre les deux partis, grâce à des troupes de mercenaires qu'il avait réunies et avec lesquelles il occupait plusieurs points fortifiés, faisant la guerre aux barbares et ramassant beaucoup de richesses 1. Les satrapes perses de l'Asie Mineure avaient à leur solde des mercenaires grecs qui n'avaient aucun scrupule à se battre contre les Grecs 2. Cyrus le Jeune eut de bonne heure des mercenaires grecs autour de lui. Lorsqu'il fut appelé auprès de son père le roi Darius mourant, il amena 300 hoplites grecs qui étaient sous les ordres do l'Arcadien Xenias et qui recevaient une solde magnifique (I, 2, 2 et18). Quand, de retour dans son gouvernement, il résolut de détrôner son frère, il comprit qu'il ne pourrait rien s'il ne donnait à ses troupes perses l'appui d'une armée grecque. II s'était déjà mis en rapport avec un officier lacédémonien nommé Cléarque, qui, après avoir été harmoste à Byzance, avait refusé ouvertement d'obéir aux éphores de Sparte et avait été banni. Cyrus lui donna 10000 dariques, et, avec cet argent, Cléarque réunit une troupe de soldats qu'il conduisit en Thrace vivre de pillage et de rapines jusqu'au jour où Cyrus l'appela en Asie. En même temps que Cléarque, arrivaient à Sardes d'autres chefs, qui, sur l'ordre de Cyrus, avaient eux aussi réuni une troupe de soldats.
Ce qui domine dans cette armée, ce sont les Péloponésiens: Arcadiens, Achéens, Lacédémoniens; la Grèce centrale est peu représentée, sauf la Béotie ; les Athéniens sont en petit nombre ; les Thraces, les Rhodiens, les Crétois composent les troupes légères.
A Cunaxa les effectifs sont restés tels que nous venons de les indiquer ; en sortant du pays des Carduques, il n'y a plus que 8 000 hoplites et 1800 ytAo( A Héraclée ', on trouve 4500 hoplites arcadiens et achéens, 1400 hoplites et 700 légers avec Chirisophe ; 1700 hoplites et 300 légers avec Xénophon, plus 40 cavaliers : total 8 640. A Chrysopolis, d'après Diodore a, ils étaient 8300. Mais après la campagne de Thrace, les soldats qui passent en Asie à Lampsaque' ne sont plus que 6000. Enfin 5000 seulement se mirent à la solde de Thibron 8.
Les effectifs des neuf régiments qui composent l'armée présentent des différences considérables ; mais
tous ces régiments sont organisés de la môme façon °. L'unité est la compagnie, Ad-oç, qui est de 100 hommes : le )deoç est divisé en deux pentécostyes O 2EVTrlxooTdç), chacune de 50 hommes ; la pentécostys est divisée en deux énomoties (évwy.oT(x), chacune de 23 hommes. Ces divisions rendent les corps très mobiles et très maniables.Cette organisation diffère sensiblement de l'organisation des armées athénienne et spartiate ; cependant la plupart de ces noms se retrouvent dans l'armée spartiate.
Chaque soldat doit s'armer et s'équiper à ses frais ; il doit s'entretenir avec la solde qu'on lui donne. Cette solde avait été fixée à un darique par mois. C'était une monnaie d'or, qui avait été émise par Darius far, avec l'effigie d'un archer, et qui valait environ 20 drachmes attiques (fig. 2292). Cette solde était complète ; elle comprenait à la fois les subsistances (ntroç), et le salaire (µtaldç). A Tarse, quandles Grecs comprennent qu'on les mène vers la haute Asie, ils refusent d'avancer ; Cyrus vient à bout de leur résistance en portant la solde à un darique et demi. Le Iochage recevait le double, le général le quadruple. Après Cunaxa, plus de solde. A Byzance, les Grecs trouvent à se louer à Seuthès, qui leur promet un statère de Cyzique par homme et par mois. Cette monnaie en usage dans les villes d'Asie Mineure et de Thrace valait 8 drachmes de plus que le darique.
Nous n'avons pas à parler ici des manoeuvres que l'armée exécute dans les marches et dans les batailles [EXEICITUS, p. 903]. Ce sont les manoeuvres ordinaires des armées grecques à cette époque. Il faut faire une exception pour la marche en colonnes de compagnie, ),dyot pOtot, disposition qui paraît de l'invention de Xénophon ou du conseil des généraux. Quand il ne s'agit pas d'une bataille rangée, au lieu de se mettre en ligne de bataille (pâXxy;), les compagnies se placent à la gauche les unes des autres, chacune d'elles étant en colonne (les énomoties l'une derrière l'autre) et un certain intervalle est entre ces petites colonnes. C'est toujours ainsi que l'on donne l'assaut, quand on craignait que les accidents du terrain briseraient la ligne de bataille en phalange. Il faut aussi parler de la manoeuvre que les Grecs exécutèrent à Cunaxa, lorsqu'ils s'arrêtèrent dans leur poursuite, et firent demitour. Dans ce mouvement le dernier rang ne devint pas le premier ; au contraire, dans chaque énomotie, le dernier rang tit demi-tour, le rang suivant vint se placer devant lui, et ainsi de suite jusqu'au premier. Le seul changement fut que l'aile droite était à gauche, et réciproquementt0.
On peut admettre que l'armée est partie de Sardes le 6 mars 401: la bataille de Cunaxa serait du 3 septembre ; en 86 jours de marche on avait fait 520 parasanges ; il y avait eu 96 jours de repos. De Cunaxa à Cotyora, il y eut 122 jours de marche, pendant lesquels on fit environ 620 parasanges, et 151 jours de repos. Cela donne un total de 208 jours de marche, de 247 jours de repos, soit en tout environ 13 mois, et de 1140 parasanges. Cette mesure perse équivaut à 30 stades, c'est-à-dire 5 km. 520. Les Grecs avaient donc fait en 208 étapes 6292 km. 800, soit une moyenne de 30 km. 252 par journée de marche. C'est surtout de Sardes à Cunaxa que les étapes furent
MER 1 790 .MER
cari a montré que le péripole' quia tué Phrynichos sur l'agora était un mercenaire ainsi que plusieurs de ses complices, Thrasybule de Calydon, Apollodore de Mégare 2.On peut supposer, d'après le nom qui fut donné à ce corps, qu'il avait pour mission d'assurer la tranquillité dans les campagnes et la surveillance des places fortes. Ils pouvaient aussi être employés dans des opérations militaires. Le stratège Démosthène en avait dans son armée quand il essaya de s'emparer de Mégare en ri2!4. Thucydide, qui rapporte le fait, ajoute qu'ils étaient classés parmi les 'jdci; c'étaient donc des fantassins'. Peut-on supposer d'après tous ces textes qu'ils ne servaient guère hors de l'Attique? Tout au plus les employait-on dans des attaques contre les pays voisins. Nous n'avons aucun renseignement sur l'effectif du corps. A quelle époque fut-il organisé? Peut-être pendant la guerre du Péloponèse, après l'occupation de Docelie, pour tenir tête aux incursions des Lacédémoniens'.
Nous signalons ici, quoique la plupart appartiennent au 1W ou au ne siècle, plusieurs textes épigraphiques, qui se rapportent, les premiers à ces garnisons des places fortes de l'Attique, les autres à des corps de mercenaires au service d'Athènes. Il n'y est plus question de péripales. Parmi les premiers textes', nous n'en citerons qu'un : c'est une inscription qui nous fait connaitre une décision par laquelle les Athéniens en garnison à Éleusis, Panactos et Phylé décernent un éloge, une couronne d'or et une statue d'airain à Aristophane, stratège à Éleusis. Les mercenaires sont ainsi désignes :
TET«ytnÉVOt. Ce Gnosias est un Phocidien; un peu plus bas, il est désigné comme étant le chef, ilyeualv, des mercenaires. Il est dit dans le décret que, pour veiller à l'exécution des mesures votées, on élira cinq Athéniens de la garnison d'Éleusis, cinq de celle de Panactos, un de celle de Phylé. Il n'est pas fait mention de délégués à élire pour les mercenaires. Mais, à1a fin de l'inscription, les noms des délégués se trouvent indiqués: il y a les onze délégués athéniens ; vient ensuite la liste des délégués des mercenaires; en tête, le chef Gnosias, puis vingt-deux noms propres suivis de l'ethnique; il y a quatre Phocidiens, quatre Crétois, trois Macédoniens, deux Argiens, deux Thessaliens, etc. Malheureusement l'inscription est mutilée après ces vingt-deux noms ; il semble bien qu'il y en avait encore vingt-cinq, ce qui ferait quarante-huit noms de mercenaires, y compris le nom de Gnosias. Si cette explication est juste, on voit combien les mercenaires étaient plus nombreux que les Athéniens. Cette inscription doit être placée entre les années 289 et 287, quand Démétrius était encore roi d'Athènes. Une autre inscription, qui est de l'an 282, au moment où Démétrius venait de mourir prisonnier de Séleucus, contient un décret honorifique en l'honneur de Strombichos, un ancien officier de Démétrius, qui, avec ses mercenaires, avait aidé les Athéniens à reconquérir leur liberté s. Pendant la guerre Lamiaque,
Euphron de Sicyone, chef de mercenaires, avait aussi secouru les Athéniens 9 ; en 229, les mercenaires occupaientlaville, on avait de la peine à se débarrasser d'eux, une inscription nous apprend qu'Euryclès, du dème de Céphère, donna de l'argent pour les faire partiri°. Indiquons enfin, de la fin du Ive siècle, un catalogue de mercenaires" ; il a été trouvé sur l'Acropole. L'inscription comprend en réalité trois listes différentes, chacune sur une colonne. Certains noms ethniques se trouvent sur chacune des trois colonnes, ainsi le nom des Carystiens; quelques-uns sur deux, ainsi les Aivtxvsq, les Périnthiens, les Thébains. A partir de la ligne 47, il y a cent cinquante noms d'individus et, cinquante noms. de peuples ; on voit combien la composition de ces troupes mercenaires était variée quant à la nationalité ; dans cette partie de la liste, tous les noms sont bien grecs. Au contraire, dans la première partie, dans les quarantesept premières lignes, il y a quarante-trois noms parmi lesquels il y a bon nombre de noms barbares, ainsi des noms égyptiens : Patoumas ; Patoumasès, des noms qui semblent scythes : Rosézis, Doulézelmis, Karsis, Driazis, etc. Il est regrettable que l'indication relative à l'ethnique de tous ces noms ait disparu.
La fin de la guerre du Péloponèse avait été si longue, que pour beaucoup de Grecs, le service militaire était devenu un métier, une occupation. La paix rétablie, tous ces soldats se trouvaient désoeuvrés et incapables de gagner leur vie. D'autre part, les classes sociales, dans lesquelles les milices civiques étaient recrutées, avaient été si éprouvées qu'elles ne sentaient plus que la fatigue et le dégoût du service. En même temps, le métier militaire devenait chaque jour plus difficile. (i Personne '2 ne pourra devenir un excellent joueur de dés ou d'osselets s'il ne s'applique à ce jeu dès l'enfance, et il suffira de prendre un bouclier ou une autre arme quelconque pour devenir du jour au lendemain un bon hoplite f » Les milices civiques, qui avaient sauvé la Grèce dans la lutte contre les Perses, avaient des qualités précieuses, l'esprit de sacrifice et le dévouement à la patrie; malheureusement la guerre avait amené une recrudescence déplorable des discordes civiles ; la lutte des partis prit un caractère de fureur et de férocité qu'on n'avait pas vu jusqu'alors ; le sentiment patriotique en reçut une atteinte profonde. Enfin, avec le développement de la démocratie, l'esprit d'indiscipline devint chaque jour plus fort dans les armées; les chefs ne pouvaient manier qu'avec les plus grands ménagements ces hommes qui, de retour dans la cité, pouvaient devenir leurs accusateurs et même leurs juges 1a,
Ce qui prouve que l'ère des mercenaires commence, c'est l'apparition du chef de bande, du condottiere. Jusqu'ici le mercenaire de métier agit isolement, i1 ne forme pas d'association, de bande. Les tyrans qui s'emparent du pouvoir avec l'aide des soldats, tels que Pisistrate, Denys, Jason de Phères, n'ont rien du condottiere ; ce sont des citoyens qui profitent des troubles publics, tentent un coup de force et règnent sur leur cité. A pré
MER 1789 MER
sont vaincus 1. Nicias, lui aussi', attribue sa défaite au manque de cavalerie et d'acontistes. Une nouvelle armée part, sous les ordres de Démosthène et d'Eurymédon, pour porter secours à la première qui est en péril. On enrôle en Thrace un corps de 1300 peltastes 3. C'est le contingent de mercenaires le plus nombreux que nous trouvions à cette époque dans une armée athénienne ; leur solde était très élevée, une drachme par jour. Mais les mesures furent mal prises et cette troupe arriva trop tard pour s'embarquer. Il fallut se résoudre à prendre des acontistes. Pour la première fois alors nous constatons la présence de mercenaires de cette arme dans une armée athénienne. Démosthène en fit venir d'Acarnanie 4; en route, il en prit 150 chez les Iapygiens, 300 à Métaponte
300 à Thurium. Des frondeurs furent engagés, en Acarnanie surtout, pays qui en fournissait d'excellents
Après l'expédition de Sicile, ni les acontistes, ni les peltastes ne sont plus mentionnés par Thucydide ; l'historien ne prend plus la peine de distinguer les diverses sortes de t;iJ,o( 7. Dans les Helléniques de Xénophon, il sera question une fois ou deux des acontistes dans l'armée athénienne, puis ce nom disparaît Nous verrons, au contraire, le peltaste prendre une importance de jour en jour plus grande. Pendant la guerre du Péloponèse, les deux armes semblent bien distinctes l'une de l'autre; la manoeuvre essentielle est cependant la même, elle consiste dans le tir du javelot. Ce qui distinguait le peltaste, c'est qu'il avait le petit bouclier, 7CÜT-q, d'où lui est venu son nom(fig.4930)9. Peuàpeu cependant,ces diffé
rences s'atténuent ; au commencement du Ive siècle, le peltaste et l'acontiste ne forment plus qu'une seule et même arme ; c'est ce que montre nettement cette phrase de Xénophon : « Presque tous les Thessaliens sont acontistes, aussi est-il naturel qu'ils nous soient supérieurs en peltastes t0. »
On voit quel est le rôle des mercenaires dans l'armée athénienne au ve siècle. Ils figurent dans tous les corps, soit pour renforcer les troupes nationales, soit pour constituer à eux seuls des corps de troupes qui manquent. Avec l'armée nationale, nous trouvons : des hoplites messéniens avec Démosthène dans sa campagne près du golfe d'Ambracie 11 ; des hoplites de Mantinée et d'autres villes du Péloponèse dans l'armée de Nicias, en Sicile f2 ; des hoplites de Thurii dans l'armée de secours amenée par Démosthène u ; des cavaliers macédoniens dans l'armée athénienne qui fait le siège de Potidée"; des archers dans l'armée que Cléon conduit attaquer Sphactérie 16, et dans celle que Nicias conduit en Sicile 16. Mais ces hoplites, ces cavaliers et ces archers merce
4 ' I ,
naires ne forment qu'un appoint assez faible à côté des contingents fournis, pour les mêmes armes, par les Athéniens et par leurs alliés ou sujets. Il n'en est pas de même pour les troupes légères. Un citoyen athénien, à moins d'appartenir à la dernière classe, ne sert que comme hoplite ou comme cavalier ; servir dans les rangs des archers à cheval était déshonorant pour un cavalier 17 ; nous pouvons être sûrs que le même mépris aurait frappé l'hoplite qui se serait glissé dans les rangs des archers à pied. Le javelot pour le fantassin était peut-être aussi meprisé que l'arc; il était en tout cas considéré comme moins efficace. Au contraire, pour les peuples du nord de la Grèce, qu'ils fussent grecs ou barbares, le javelot était l'arme nationale. C'est donc chez eux que les Athéniens vont recruter leurs acontistes et leurs peltastes. Nous avons pu constater la préférence que les Athéniens ont donnée aux peltastes.
Nous avons très peu de renseignements sur la façon dont ces mercenaires étaient enrôlés. Il fallait naturel_ lement s'entendre avec les autorités du pays ; on procédait probablement par masses; tel pays devait fournir tout un corps soit d'acontistes, soit de peltastes, soit de frondeurs. Le commandement en chef de ces mercenaires était donné, au moins dans certains cas, à un Athénien 18.
Il nous reste à parler d'un corps de mercenaires dont l'existence est constatée à Athènes pendant la seconde moitié du ve siècle et pendant le Ive. Ces mercenaires se distinguent de tous ceux que nous venons d'étudier, par une différence essentielle. C'est tinte troupe permanente : c'est ainsi, du moins, que les textes qui sont en notre possession nous permettent de les considérer. Nous voulons parler des peripoloi. Jusqu'à ces dernières années ce nom était donné aux éphèbes. Pendant la première année de leur noviciat, ils étaient instruits au maniement des armes, aux formations de marche, de colonne, etc. La seconde année, ils faisaient un service en campagne. Ils parcouraient l'Attique, fournissaient des garnisons aux forts construits sur les frontières. Ce sont les éphèbes de seconde année qui étaient appelés péripoles 1f. Mais ce nom n'était pas réservé à eux seuls. M. Foucart20 a montré qu'il y avait un corps de mercenaires qui étaient aussi appelés péripoles. D'après un texte épigraphique de l'an 352, les péripolarques sont chargés de faire respecter les bornes placées sur un terrain appartenant aux déesses d'Éleusis". Un autre texte, un peu moins ancien", nous fait connaître que le péripolarque Smikyth ion, apprenant qu'Éleusis est menacée, s'y était porté et s'y était établi avec ses mercenaires (),xP(nv Toèç arpaTtG,Taç), en même temps qu'il demandait à Athènes des secours qu'on s'empressa de lui envoyer. Smikythion est du dôme de Képhalé, c'est donc un citoyen athénien. Une autre inscription 23 contient une décision par laquelle les mercenaires, aT aTtê,Tat, votent une couronne à un stratège et à un péripolarque ; les deux officiers sont désignés tous les deux par le patronymique et le démotique, ils sont donc citoyens athéniens. M. Fou
225
MER 1788 MER
pour arme nationale l'arc ; ils possèdent en outre une forte cavalerie. L'expérience de cette guerre montra aux Grecs que, si leur phalange d'hoplites avait sur l'infanterie perse une supériorité décidée, cette phalange lourde et massive avait besoin d'être protégée contre les troupes légères et contre la cavalerie. Dans les cinquante ans qui séparent les guerres médiques de la guerre du Péloponèse, les Athéniens se sont appliqués à donner à leur phalange d'hoplites l'appui de ces troupes légères qui était devenu nécessaire.
Quand la guerre avec Sparte éclata, l'armée de terre, comme Périclès l'expose devant les Athéniens 2, se trouve ainsi composée :
1. Une grosse infanterie de 29000 hoplites, dont 3000 métèques;
2. Un corps de 1 000 cavaliers ;
3. Un corps de 200 archers à cheval ;
4. Un corps de 1.600 archers à pied.
Tous ces corps, àl'exception de la troupe des 3 000 métèques, sont exclusivement composés de citoyens athéniens 3. Parmi les 1600 archers à pied et les 200 archers à cheval, il n'y a, comme on l'a cru faussement jusqu'ici, ni esclave ni mercenaire. C'est là l'armée régulière, prête à entrer en campagne sur l'ordre des autorités
Il faut noter que des deux armes de jet qui figurent désormais dans l'armée athénienne, l'arc et le javelot, c'est la première qui passe pour la plus efficace, puisqu'elle est donnée à des troupes à cheval et à des troupes à pied. Le javelot [JAcunumI n'est donné qu'à des cavaliers ; on sait qu'à cette époque c'est là le seul moyen d'action que la cavalerie peut avoir contre l'infanterie. Cependant si l'arc [ARGUS] est considéré comme une arme redoutable, c'est une arme méprisée. Le tir de l'arc était enseigné aux éphèbes ', mais il ne figure pas à Athènes dans les concours des jeux publics. Il y a, au contraire, des prix pour le tir du javelot à cheval; c'était un exercice aimé des jeunes Athéniens [RERAIA, fig. 3752] ; ils savaient même lancer le javelot en se tenant debout sur le cheval
Dès le début des hostilités, l'insuffisance de cet armement se fit sentir. La guerre avait désormais de nouvelles exigences ; plus que jamais la phalange des hoplites avait besoin d'être protégée et éclairée. Comme autrefois les Athéniens s'étaient adressés à leurs alliés les Thessaliens, pour avoir de la cavalerie, ils s'adressèrent cette fois encore à leurs alliés du nord de la Grèce pour avoir des troupes légères. Sitalcès, roi des Odryses, fut sollicité d'envoyer une armée de cavaliers et de peltastes Cléon, allant combattre les Spartiates enfermés dans l'île de Sphactérie, amena avec lui des hoplites de Lemnos et d'Imbros et un fort contingent d'archers et de peltastes; au moment d'attaquer, il avait 800 archers et 400 peltastes ; ces derniers venaient de l'île d'Ainos, à l'embouchure de l'Ebre ; une autre arme légère est signalée aussi dans son armée, des frondeurs; mais leur effectif n'est pas indiqué '. L'expédition que Nicias et Nicostratos con
duisirent contre Mendé, en 423, comprenait 1000hoplites et 600 archers athéniens, 1000 Thraces mercenaires et des peltastes fournis par les peuples voisins '. Sortons un moment de l'Attique et regardons comment agissent d'autres peuples grecs. Les Chalcidiens de Thrace triomphent d'une expédition athénienne parce qu'ils ont, à côté des hoplites, tin corps de peltastes, qu'ils ont fait venir d'Olynthe et de l'île de Crusis dans le golfe Thermaïque 9. A Pélion, les Thébains avaient en ligne 7000 hoplites, plus de 10000 'l),o:, 1000 cavaliers et 500 peltastesl0. Après la victoire, ils crurent n'avoir pas encore assez de troupes légères, ils firent venir du golfe Maliaque des acontistes et des frondeurs. L'armée que 13rasidas réunit en Thrace en 424, avait une composition qui révèle chez ce général une connaissance très juste des conditions nouvelles dans lesquelles devait se faire alors la guerre, connaissance qui était une chose rare chez un Spartiate. Cette armée comprenait, sans compter le corps de peltastes qui était à Amphipolis, un corps de 2000 hoplites, plus de 1500 Thraces mercenaires, des cavaliers et des peltastes édoniens en grand nombre, enfin 100(1 peltastes myrciniens et chaleidiens. C'est même un de ces peltastes myrciniens mercenaires qui tua Cléon".
Nous arrivons à l'expédition de Sicile. C'est le plus grand effort qu'Athènes ait encore fait dans cette guerre; en même temps, à cause de la grandeur même de l'entreprise, Thucydide est moins avide de renseignements. Dans l'assemblée du peuple où cette expédition fut décidée, Nicias avait fait observer que les villes siciliennes étaient abondamment fournies d'hoplites, d'archers et d'acontistes ; il avait demandé que le corps expéditionnaire, à côté d'une nombreuse phalange d'hoplites athéniens, alliés ou mercenaires, eût beaucoup d'archers athéniens ou crétois et beaucoup de frondeurs, La nécessité d'avoir des troupes légères s'imposait d'autant plus qu'on ne pouvait pas songer à amener si loin de la cavalerie, et l'on savait que les Syracusains en avaient une très nombreuse12. L'armée que les généraux athéniens amenèrent en Sicile comprenait 5 100 hoplites, dont 1500 d'Athènes, 480 archers, dont 80 de Crète, 700 frondeurs rhodiens et 120 tao( de Mégare 13. Rien de plus instructif pour nous que la composition de cette armée. On en est encore aux anciens errements : des archers et des frondeurs [FUNDA]. Nicias avait signalé la présence de nombreux acontistes dans l'armée syracusaine; il n'en réclame pas pour l'armée qu'il commande; il ne réclame pas non plus des peltastes, cette troupe légère de mercenaires, que, dès le début des hostilités, nous voyons si souvent à côté des troupes nationales, et qui a déjàrendu bien des services. Ainsi donc cette fois encore l'armement était insuffisant. Le danger s'aggrava lorsque, sous l'impulsion de Gylippe, les Syracusains eurent pris l'offensive. Dans une première bataille, ils sont vaincus, parce que Gylippe, comme il l'avoue lui-même, n'a pas su tirer parti de ses acontistes et de sa cavalerie " ; mais, dans un second engagement, il répare sa faute et les Athéniens
MER 175 i MER
péda, furent détruits; la ville qui s'était formée aux environs fut ruinée du coup. C'est à Naucratis, et même à illempllis, autour de sa personne, qu'Alnasis cantonna les mercenaires. Ils occupèrent des quartiers à part; ils purent contracter des unions avec des femmes indigènes; les enfants nés de ces mariages servirent à recruter la classe des interprètes, et adoptèrent Ies moeurs du pays ; il s'opéra ainsi, longtemps avant les Ptolémées, une fusion où dominait l'élément exotique. Bientôt les mercenaires jouirent auprès d'Amasis de la faveur dont ils avaient joui auprès de ses prédécesseurs; leurs anciens privilèges leur furent confirmés; le roi alla même jusqu'à leur accorder des avantages nombreux aux dépens des temples égyptiens '. Naucratis devint un centre de commerce très important; c'était un port franc, une ville libre que les Grecs, qui s'y étaient fixés, pouvaient administrer à leur guise. Quoique la branche Pélusiaque seille fût ouverte aux Grecs, leur influence s'étendait de plus en plus en Égypte. Amasis mourut au milieu des préparatifs qu'il faisait pour repousser l'attaque imminente des Perses. L'invasion eut lieu sous le règne de son fils Psammétique III ; ce fut un mercenaire, Phanès d'Halicarnasse, homme de bon conseil et brave soldat, dit Iérodote qui indiqua à Cambyse le moyen de traverser le désert pour arriver sur les bords du Nil.
Avec la conquête perse, finit la première période de l'établissement des mercenaires grecs en Égypte. Ils avaient été appelés dans ce pays par le Pharaon ; on les avait distribués dans des cantonnements fixes, d'abord à l'est, puis à l'ouest du Delta ; ils avaient le libre exercice de leur culte et jouissaient de certains privilèges; mais ils étaient soumis, ainsi que les marchands qui habitaient auprès d'eux, à une réglementation assez étroite. Des unions se formèrent entre les mercenaires et les femmes du pays, et de ces unions sortit cette classe des interprètes qui fut bientôt assez nombreuse. Mais, malgré ces unions, les mercenaires ne firent point partie de la nation, qui leur donnait une hospitalité plus ou moins volontaire : Naucratis, après la destruction des stratopéda, est le seul port où les étrangers puissent se fixer ; elle doit à ce privilège une fortune rapide. Cette ville, ainsi établie dans un pays comme l'Égypte, a joué, à un moment de l'histoire, un rôle important; elle e été un trait d'union entre la Grèce et l'Afrique ; elle a eu un art, une industrie, un alphabet qui ont subi dans une certaine mesure l'influence égyptienne ; revenu en Grèce, le mercenaire, le marchand qui avait vécu en Égypte y apportait des notions nouvelles sur les hommes et sur les choses; ils faisaient connaitrc à la Grèce la civilisation égyptienne en même temps qu'ils faisaient apprécier par l'Égypte les progrès rapides de la civilisation hellénique.
Ainsi, les mercenaires grecs s'établirent en Égypte au moment où se produisait cette grande expansion de la race grecque sur presque tous les bords de la Méditerranée, au moment où les colons grecs allaient fonder tant de villes qui devinrent bientôt si florissantes 'j. Sur tous les points de la Méditerranée, les Grecs trouvaient des peuples barbares divis©s, ayant à peine quelques
commencements de civilisation ; souvent même ils succédaient à des premiers envahisseurs qui avaient préparé le terrain, à des Phéniciens ; il leur fut donc facile de fonder dans de tels endroits des établissements considérables, de refouler ou de soumettre les habitants et même d'helléniser complètement le pays. Il en fut tout autrement en Égypte. Là les Grecs avaient devant eux un pays qui était centralisé, qui avait conscience de son unité, qui possédait une religion, une dynastie nationales, qui avait su créer un état de civilisation très avancé. On comprend qu'un tel pays ait résisté à l'action des Grecs. Ils y furent toujours considérés comme des inférieurs ou des subalternes : ils étaient à la solde des Pharaons. A côté de ces soldats, on permit à des marchands de fonder une ville, :Naucratis; mais le reste de l'Égypte leur fut fermé ; c'était un bloc qui ne voulut pas se laisser entamer.
GBÈcE, La plupart des tyrannies disparurent de la. Grèce vers la fin du vie siècle. Elles furent remplacées par des républiques, dans lesquelles le pouvoir appartenait aux citoyens ; il s'ensuivit que c'est à eux que fut confiée la défense nationale. D'aire partie de l'armée comme hoplite ou comme cavalier était un devoir et un honneur. Le mercenaire disparaît donc pour un certain temps des armées grecques ; il n'en est pas fait mention dans les guerres contre les Perses; ou plutôt, c'est dans l'armée de Xerxès qu'on signale quelques mercenaires grecs, des Arcadiens dénués de tout, dit Hérodote f.
Pendant la guerre du Péloponèse, le mercenaire a reparu dans les armées grecques, même dans les armées spartiates. Il y en avait, comme nous le verrons plus loin, dans cette armée que Brasidas commandait en Thrace. A la fin de la guerre aussi, quand le roi Pausanias attaqua le Pirée, défendu par Thrasybule, Lysandre commandait l'aile gauche qui était composée de mercenaires '.
Athènes. Comme toujours, c'est pour Athènes que nous sommes le mieux renseignés. La question des mercenaires est importante, non pas seulement parce que cet élément étranger, une fois introduit dans l'organisation militaire d'Athènes. y a pris un développement chaque jour plus considérable ; elle est importante aussi parce qu'elle nous permet de voir d'après quel modèle les Athéniens ont compris la composition de leur armée, et, en particulier, comment ils ont tenté de résoudre ce problème de l'emploi des troupes légères qui s'est imposé à tous les États grecs du v` et du Iv° siècle. La question des mercenaires, en effet, est en grande partie la question de l'emploi des troupes légères, au moins durant l'époque qui marque le point culminant de la grandeur d'Athènes.
Pendant les guerres médiques, l'armée athénienne, comme toutes les armées que les divers peuples grecs opposèrent à l'envahisseur, comprenait presque exclusivement un corps d'hoplites, armés de la lance et du bouclier. On signale quelques archers à Platées ', un plus grand nombre à Salamine à peine quelques cavaliers pour le service d'ordonnance '. Les Perses ont
MER 4786 __ MER
chefs de service, dominait l'ensemble. Les fouilles dirigées par Ilinders Petrie, en 1885 et 1886, ont fait connaitre l'emplacement exact et la disposition générale d'un de ces camps de mercenaires'. Il porte aujourd'hui le nom de Tell-Defenneh. Il est situé au milieu du territoire qui s'étend entre le désert et le canal de Suez, juste au bord du grand chemin que suivaient les caravanes pour passer d'Égypte en Syrie. Auprès du camp s'était formée une ville qui finit par compter 20000 habitants et où des trafiquants de nationalités très diverses vendaient aux mercenaires des vivres, des armes, des objets de luxe et de fantaisie, et pourvoyaient à leurs plaisirs. On a trouvé à Defenneh un grand nombre de vases, présentant des particularités de technique indiquant l'existence d'une fabrique spéciale, différente de celles de Cyrène et de Naucratis. Les inscriptions découvertes sont aussi très nombreuses ; elles montrent que la population qui vivait dans le camp et dans la ville comprenait des Égyptiens et bon nombre d'Asiatiques venus de Syrie et de Palestine à la suite des mercenaires. Nous trouverons une confirmation de ce fait dans l'inscription d'Abu-Simbel. Grâce à son admirable situation sur la route d'Asie, cette ville des mercenaires dut être une sorte d'entrepôt où convergèrent les marchandises de l'Orient avant de se disperser sur les rivages de la Méditerranée. Elle fut ainsi un des points oit s'opéra, dès le vue et le vie siècle, le mélange des nations de races diverses, qu'amenaient de tous côtés les inti=rets de leur négoce ; et elle eut son heure d'influence sur la civilisation générale à ce moment décisif, oà l'art grec commentait à se dégager des imitations étrangères et à prendre conscience de lui-même
Maitre d'une armée bien organisée, Psammétique essaya de faire des conquêtes, et, fidèle à la constante politique de l'Égypte, il marcha contre la Syrie 6. Dans cette expédition, il témoigna une telle partialité pour les mercenaires qu'au retour une grande partie de l'armée indigène émigra et se retira en Éthiopie'. II la poursuivit jusque Éléphantine'. Les inscriptions gravées àAbuSimbel par des mercenaires grecs apprennent que, dans cette expédition en Nubie, farinée du roi Psammétique comprenait trois divisions : la première était sous les ordres de Psammétique, fils de Théories : c'était, comme l'indique le patronymique un Grec et il commandait à des Grecs ; la seconde division, composée
de soldats qui n'étaient ni Grecs ni Égyptiens avait pour chef un Égyptien appelé Potasimpto ; enfin la troisième, composée de soldats égyptiens, était sous les ordres de l'Égyptien Amasis. Cette partie de l'inscription e été écrite par Archon, fils d'Amoibichos, et par Péléens, fils d'Oudamos. Au-dessous, d'autres soldats ont inscrit leur nom ; il y a deux Ioniens : Hélésibios de Teos, Pahis de Colophon ;•probablement deux Rhodiens,
Téléfilm d'Ialysos et un autre dont le nom est illisible.
Nous avons donc ici encore un témoignage qui atteste ce mélange de population que nous avons remarqué aux stratopéda et que déjà Hérodote avait signalé pour l'armée de Psammétique8.
Les successeurs de Psammétique restèrent fidèles à sa politique envers les mercenaires. Néchao témoigna sa piété pour leur dieu, l'Apollon des Branchides de Milet, en lui faisant des offrandes', exemple qui fut suivi par tous les rois suites. Sous Apriès, une flotte construite par des ingénieurs grecs et montée par des GrecsJa vainquit les Phéniciens, alliés des rois d'Assyrie, et s'empara de Cypre Le nombre des mercenaires grecs à la solde de ce roi était de 30 000, d'après Hérodote 12. II voulut soumettre aussi la Cyrénaïque. Contre les populations grecques de ce pays, il ne pouvait faire marcher ses mercenaires il n'amena donc que des troupes égyptiennes, qui essuyèrent un terrible désastre et furent presque entièrement anéanties.
Cette défaite causa un soulèvement général. Apriès marcha contre les révoltés avec ses mercenaires; ruais, cette fois, la discipline et la science militaire durent céder au nombre : Apriès fut vaincu et remplacé par Amasis.
Le nom d'Apriès resta populaire chez les Gris 813. On le retrouve à Rhodes sur des aryballes en terre vernissée, extraits des tombeaux de Camiros ". Ces vases, que l'on a crus phéniciens, pourraient bien être de fabrication égyptienne. Lin aryballe du Louvre fig. 49C) 10, fait avec la terre blanche que l'on nomme communément faïence égyptienne, reproduit exactement le type du visage et les détails de la coiffure du mercenaire; l'artiste y a gravé le cartouche royal
d'Apriès, qui en fixe la signification et la date. Le casque présente une forme intermédiaire entre l'ancien aulopis des aryballes peints et le casque à fronton des aryballes grecs façonnés en relief. 11 a les paragnathides à charmères, mais le nasal a presque entièrement disparu, et les traits verticaux qui ornent le couvre-nuque rappellent les rayures du klaft ou de la coiffure d'étoffe des rois égyptiens le
Amasis devait le trône à un mouvement de réaction contre l'étranger : il dut satisfaire le sentiment national, mais les rois d'Égypte avaient trop besoin de ces étrangers pour prendre contre eux des mesures vraiment rigoureuses. Amasis se contenta de les changer de garnison; on les transporta de la branche Pélusiaque, à l'extrême est du Delta, à la branche Canopique, à l'extrême ouest; les camps des Ioniens et des Cariens, les strato
MER 1785 MER
avait amenés Lydamis et, depuis, les Pisistratides eurent toujours autour d'eux, dans Athènes, des mercenaires dont Thucydide vante la discipline 2.
Les tyrans de Sicile paraissent avoir possédé les armées les plus nombreuses que la Grèce ait eues à cette époque. Au moment de la seconde guerre médique, Gélon, tyran de Syracuse, offrait aux Grecs, s'ils lui donnaient le commandement, de conduire à leur secours 200 trières, 20000 hoplites, 2000 cavaliers, 2000 archers, 2000 frondeurs et 2000 hippodromoi armés à la légère 3. Des forces équivalentes sont aussi attribuées à Dion : et à un tyran de Léontium, Thrasydée '.
ÉGYPTE. Mais c'est surtout en Égypte qu'il importe d'étudier les mercenaires grecs °; nulle part leur action n'a été si longue ; nulle part leur rôle n'a été si important dans le développement politique, économique et social de ce pays. Le mercenariat parait de bonne heure le régime ordinaire de l'armée égyptienne. La classe militaire, sous les Pharaons, était recrutée un peu partout, chez les fellahs, les Bédouins, les nègres, les Nubiens, même chez les prisonniers de guerre ou les aventuriers venus d'au delà des mers. Ce ramassis d'étrangers composait d'ordinaire la garde du roi ou de ses barons; c'était le noyau permanent autour duquel se ralliaient, en cas de guerre, les levées de troupes indigènes. Les premiers Grecs qui semblent avoir formé un établissement stable en Égypte sont les Milésiens, qui, dans la seconde moitié du vm° siècle, fondèrent le Mt -(n;nv tieîyoç entre la bouche Bolbitine et la bouche Sébenny
tique 7.
Au milieu des guerres et des troubles qui agitaient alors l'Égypte, ces étrangers ne furent pas inquiétés; ils s'acclimatèrent peu à peu dans le pays, tolérés tout au plus, méprisés même par les indigènes, à cause de la différence de langue et de religion. Avec Psammétique (666-612), la situation changea. L'Égypte se trouvait alors morcelée en un assez grand nombre de petits États'. Psammétique, qui n'était qu'un petit roi de Sais, parvint à réduire l'un après l'autre tous les princes ses rivaux, et à reconstituer à son profit l'empire des Pharaons dans toute son unité. Ce grand résultat, il l'obtint grâce au concours des hoplites grecs qu'il prit à sa solde. On connaît le récit d'Hérodote. L'oracle avait dit à Psammétique, détrôné par les autres rois, que la vengeance viendrait par la mer, quand apparaîtraient les hommes d'airain. Psammétique n'avait pas grand espoir dans l'accomplissement de l'oracle, quand un jour la tempète jeta sur les côtes des Carions et des Ioniens, qui faisaient la piraterie; ils étaient couverts de leur armure d'hoplite ; un Égyptien, qui n'avait jamais vu de pareilles armes, alla dire à Psammétique que des hommes d'airain, venus de la mer, pillaient les campagnes. L'oracle était accompli. Diodore 9 dit que Psammétique connaissait ces soldats ioniens et cariens, grâce à ses relations avec les Grecs du Rempart Milésien ; cette explication semble très probable. Le récit légendaire d'I-Iérodote10 n'en a pas moins une valeur historique ; il nous montre quelle impression ces hoplites tout bardés de fer, ces « hommes de bronze » produisirent sur les
Égyptiens. Ceux-ci avaient un armement notablement inférieur : pas de casque, pas de cuirasse, bouclier petit et peu solide. Quant à l'hoplite grec d'Asie, tel qu'il apparaît au vli° siècle sur toutes les côtes orientales de la Méditerranée, nous pouvons nous en faire une idée exacte grâce à une statuette qui a été trouvée à Cypre, et dans laquelle le sculpteur a très soigneusement imité toutes les pièces de l'armure qu'il avait sous les yeux. L'homme est enveloppé comme d'une carapace de métal solide, résistante et agencée néanmoins de manière à lui laisser la liberté de ses mouvements (fig. 4928) ". Le casque ne protègepas seulement le crâne ; il est muni de « plusieurs pièces destinées à protéger le visage, d'un nasal d'une assez forte saillie, et de deux garde-joues ou paragnathides, comme les appelaient les Grecs. D'après le système d'attaches figuré dans la pierre, ces pièces étaient mobiles et s'ouvraient par des charnières verticales à la manière des battants de porte. Le casque enveloppe toute la nuque ; derrière, il est même recouvert, à son bord inférieur, par le bord supérieur de la cuirasse. Sur le devant, celle-ci ne monte pas aussi haut; elle n'aurait pu le faire et toucher au menton sans gêner les mouvements de la tête et du cou. La cuirasse se renforce, sur la poitrine, de deux épaulières, de deux bandes de bronze que rattache l'une à l'autre une sorte de grande agrafe en forme de croissant. De la ceinture, un étroit anneau, pendent les lambrequins d'une espèce de jupon, en lanières de cuir peut-être doublées de métal, qui garantit le ventre et les cuisses. »
Devenu roi de toute l'Égypte, Psammétique s'occupa d'assurer son indépendance contre l'étranger. L'armée égyptienne fut partagée en trois corps ; les deux premiers, composés de troupes indigènes, furent répartis à l'ouest et au sud, pour couvrir les frontières de la Lybie et de l'Éthiopie. Le poste le plus dangereux, la défense de l'isthme, par où arrivaient les envahisseurs assyriens, fut confié aux mercenaires grecs. « Outre la solde convenue, dit Diodore 12, il leur donna de riches présents et leur fixa pour résidence un emplacement qui porte le nom de Stratopeda, puis il leur fit partager au sort une grande étendue de terrain, un peu au-dessus de la branche Pélusiaque ». D'après Hérodote 13, les cantonnements des Ioniens étaient séparés de ceux des Cariens par le Nil. On avait voulu Sans doute prévenir des conflits.
Le nom de Stratopeda (les Camps) indique bien la nature de ces établissements. Les camps permanents des Romains peuvent en donner une idée approchante. Les soldats occupaient des maisons très modestes. Un château fortifié, résidence du général et des principaux
MER 1784 MER
MERCENARII.-GRÈCE. -La condition de mercenaire ou de soldat étranger dont on paye le service (p.taOlnTo),
;EVtxéV, ar9«TtwT«t) suppose une organisation sociale et politique particulières, c'est-à-dire que, sur ce point, comme sur bien d'autres, il y a un rapport étroit entre la constitution politique d'un État et l'organisation de ses forces militaires.
La société homérique ne connaît pas le mercenaire. Chaque chef de peuple va à la guerre entouré des hommes de son clan 1 ; en cas de danger pressant, on fait appel aux peuples auxquels on est apparenté par la race ; ceux-ci envoient, comme secours, des guerriers qui sont désignés sous le nom d'i7dxoupst ; ce nom désigne ici non des mercenaires, mais des alliés 2 ; l'entretien de ces guerriers est à la charge du peuple qui a réclamé leur secours 3.
Les aristocraties, qui succédèrent aux monarchies de l'époque homérique, ne semblent avoir apporté aucun changement sur ce point Il en fut tout autrement des tyrannies qui, à partir de la lin du vine siècle, renversèrent un peu partout le régime aristocratique. Pour ces gouvernements, qui ne s'étaient établis que par la violence et qui ne se maintenaient que par la violence, il y avait une nécessité absolue de s'appuyer sur des soldats étrangers. En même temps, les troubles, qui agitaient les cités grecques, avaient toujours pour conséquence la proscription d'une partie de la population. Une des res
sources du Grec exilé est le métier de mercenaire. De très bonne heure mémo, ce métier devint l'industrie de certains peuples grecs [EXERCITUS, p. 890].
Les Cariens sont les premiers des Grecs, dit Éphore', qui se sont engagés comme mercenaires. C'était une race militaire. Hérodote leur attribue l'invention du cimier du casque et des boucliers à poignée'. Archiloque fait du nom de Carien le synonyme de mercenaire 7. Dès les temps les plus anciens, on trouve les Cariens et les Crétois au service des monarchies orientales : ce sont les Kreti-Pelti des rois juifs s ; Gygès, Crésus, tous les rois de la Lydie ont des mercenaires, qui sont en grande partie Cariens °.
Parmi les tyrans grecs, Périandre, tyran de Corinthe, avait auprès de lui des doryphores 10 ; Polycrate, tyran de Samos, avait un corps de 1100 archers" ; Miltiade, le frère de Stésagoras, occupait la Chersonèse avec une troupe de 500 mercenaires 12. On connaît la ruse que Pisistrate employa pour s'emparer de la tyrannie dans Athènes: prétextant des attaques contre sa personne, il demanda à ses concitoyens non pas des gardes mercenaires armés de la lance, mais un corps de citoyens athéniens simplement armés de massues 13. Ces garanties furent insuffisantes pour sauvegarder la liberté du peuple. Pisistrate s'empara de l'Acropole et devint le maître d'Athènes. Chassé à plusieurs reprises, il réussit chaque fois à reprendre le pouvoir. Dans la dernière tentative, il s'appuyait sur des mercenaires argiens que lui
MER -1783MER
dirigeaient vers l'Italie et, dans l'Italie, vers la capitale. Aussi de tous les ports italiens les plus fréquentés étaient ceux qui avoisinaient Rome. Aucun n'était plus visité que Pouzzoles (Puteoli) désigné par sa disposition même au choix des navigateurs. Pouzzoles était située sur la côte de Campanie à l'extrémité nord-ouest de la baie de Naples (.sinus Cumanus), au fond d'un golfe bien abrité, ouvert du côté du sud, aisément accessible par conséquent aux navires venus de Sicile ou d'Afrique, d'Égypte et d'Asie. En y débarquant, on évitait les dangers de la navigation le long du littoral inhospitalier du Latium. 11 était facile de gagner Rome par voie de terre. La principale artère de l'Italie méridionale, la via Appia, passait à quelque distance au nord-est. Deux routes partant de Pouzzoles allaient la rejoindre, aboutissant l'une à Capoue, la ville la plus importante de l'intérieur, l'autre à Sinuessa, où la via Appia abandonnait le bord de la mer qu'elle suivait depuis Forrnies, pour s'enfoncer dans les terres 3. La première, via Campana, n'est pas mentionnée dans les Itinéraires, mais Pline l'Ancien en parle 4. La seconde, via Domitiana, fut construite ou restaurée en 95ap. J.-C. par l'empereur Domitien ° ; elle se prolongeait le long du sinus Cumanus jusqu'à Naples. Le nom de Puteoli apparait pour la première fois au temps de la seconde guerre punique ; auparavant cette ville s'appelait Diceurchia; c'était une colonie de Cumes 7.
Pendant toute la période républicaine, Rome ne connut pas de port aussi important dans son voisinage. Lucilius l'appelait la petite Délos, et Festus nous explique cette expression : quo(' Délos aliquaaido maximum imperium fuerit tolites orbis s terrarium cul successif deinde Puteolanum.:%lème à l'époque postérieure, alors que les empereurs avaient ménagé au commerce maritime des débouchés plus voisins de la capitale, ainsi que nous allons le dire, le port de Pouzzoles continua à être le rendez-vous des navires de tous les pays : « Dicearchei portas et littora initndi Ilospitae ». On a gardé par les auteurs ou par les inscriptions des traces nombreuses de ses relations avec l'Espagne, l'Afrique, la Syrie, l'Égypte, l'Asie Mineure, la Grèce'0. Chaque année, au commencement de la belle saison, les commerçants d'Alexandrie y apportaient les produits de l'Inde et de l'Égypte; la vue des premiers navires mettait toute la population en joie; elle accourait sur le môle pour découvrir, parmi les innombrables voiles en vue, celles qui appartenaient aux transports égyptiens; car ceux-ci gardaient au sommet de leur mature la petite voile nommée supparum que les bateaux de tous les autres pays devaient replier quand ils avaient dépassé Capri".
La prospérité commerciale de Pouzzoles dura aussi longtemps que Itorne même : cette localité resta le véritable avant-port de la capitale.
Et pourtant il y avait un port plus rapproché, celui d'Ostie", créé par Ancus Martius, à l'embouchure du Tibre; mais il avait l'inconvénient-ide s'ensabler aisément et d'être par là difficilement accessible aux gros navires. Pouf° remédier à cet inconvénient, Claude y fit creuser un nouveau port de commerce que Trajan acheva et qui prit le nom de Portus (Portus urbis, Portus Auqusti)10; il comprenait un bassin extérieur, oeuvre de Claude, et un bassin intérieur adjacent, datant de Trajan, réunis au Tibre par un canal (tossa Trajani). Grâce a ces travaux importants, les navires de gros tonnage purent jusqu'au bas temps arriver à l'embouchure même du Tibre, d'eu leurs cargaisons, chargées sur des chalands, remontaient le canal et arrivaient à home ".
L'Emporium était le port commercial de Rome; il se trouvait au voisinage de la porte Trigemina entre l'Aventin et le fleuve ; créé" sans doute dès l'époque royale, il fut définitivement organisé en 561-193 par les édiles M. Aemilius Lepidus et L. Aemilius Paulus u ; il y avait là des entrepôts pour les marchandises de toute sorte qui arrivaient dans la ville : grains destinés à l'alimentation du peuple, matériaux pour les constructions, pierres, marbres, bois, etc. Les chalands venaient s'amarrer le long des quais construits en grand appareil, auxquels des escaliers donnaient accès; le sol de l'Emporium était pavé; des portiques et des hangars l'encadraient". On avait élevé aux environs, dans le même quartier de Rome, toute une série de magasins oit s'entassaient les denrées débarquées sur la rive du Tibre [noRRLUa]. La limite de l'octroi de Rome était en aval de l'Emporium, et toutes les marchandises qui remontaient le fleuve, sauf celles que l'on appelait usuaria, payaient un droit d'entrée, l'ansarium 'si On a retrouvé de nos jours des vestiges importants de l'Emporium, et l'on a recueilli sur son emplacement des marbres précieux, des amphores, des monnaies i8.
Quant aux autres ports de l'Italie, ils avaient moins d'importance et ne desservaient guère que ia région même où ils s'ouvraient: Gènes était le centre commercial de la Ligurie"; Ancône, de 1-Ombrie et du Picenum": Naples, de la Campanie'.-; Rhegium tirait son importance du voisinage de la Sicile23; Tarente' et Brindes1', de la proximité relative de la Grèce et de l'Asie. Cette dernière ville était surtout fréquentée par les voyageurs venant d'Orient, qui y débarquaient pour gagner Rome par la
voie Appienne". R. CAGNAT et M. BESNIER.
MER --1782 __
canal qui unissait cette mer au fleuve et par là à la Méditerranée, oeuvre des Pharaons continuée par les Ptolcinées 1, il ne joua, semble-t-il, qu'un rôle secondaire pendant l'Empire ; on préférait descendre le Nil jusqu'à Alexandrie'.
C'est, par l'Égypte également que Rome était en relations commerciales avec l'Éthiopie' et le royaume des Axouinites. Ceux-ci fournissaient aux Occidentaux des produits rares et, recherchés, surtout les défenses d'flépliants et les cornes de rhinocéros'; les rois du pays avaient établi pour la facilité des communications une route directe entre leur capitale Axoum et la frontière romaine', ce qui n'excluait pas les relations par mer : le port du royaume était Adule, ou Adulis, dans la baie de Massouah'a. Le commerce d'importation et de transit était donc considérable en Égypte.. A l'époque des Lagides, les habitants grecs n'étaient guère que les intermédiaires entre les marchands arabes et syriens et le monde méditerranéen ; toute la politique des Lagides tendit à conserver ce monopole de commission, non à se substituer aux Arabes pour aller chercher les denrées dans-les pays qui les produisaient '. Les empereurs eurent des visées plus hautes. Ils arrivèrent à leur but, suivant M. Mommsen « non point en interdisant par une loi l'accès des ports égyptiens aux bàtiments arabes et indiens, mais en leur imposant des droits différentiels qui leur en fermaient réellement l'entrée; la situation commerciale ne peut avoir été aussi subitement modifiée que par un acte de cette sorte accompli en faveur des négociants indigènes s. Comme le chiffre des affaires augmentait en même temps, on chercha un moyen de satisfaire plus pleinement et plus vite à la demande. Ce fut Ilippalos qui trouva la solution, au temps de Néron, le jour où, ayant appris à utiliser la mousson, il osa quitter le voisinage des côtes, en sortant du golfe Arabique, et se diriger en droite ligne vers l'Inde par la pleine nier 9. Dès lors le voyage était plus court, et un navigateur expérimenté, habile à profiter des vents favorables, était à peu près assuré de la traversée. Tel est le cas du négociant anonyme auquel nous sommes redevables du Périple de la nier Érythrée. , Au temps des Ptolémées, dit Strabon, on ne comptait pas vingt vaisseaux qui osassent s'avancer dans le golfe Arabique, au point de s'élever au delà des passes du détroit; aujourd'hui des flottes considérables pénètrent jusque dans l'Inde et aux extrémités de l'Éthiopie f0 n
Les marchands d'Alexandrie se donnaient rendez-vous au solstice d'été à Juliopolis, à deux milles d'Alexandrie ; ils gagnaient de là Coptos et la mer Rouge et, profitant du vent favorable, partaient pour l'Inde; ils en revenaient en décembre ou au commencement de janvier. Le voyage n'avait pas duré sept mois".
Si l'on songe qu'à ces marchandises asiatiques s'ajoutaient toutes celles que produisait l'Égypte elle-ineme''2, il ne sera pas difficile de se faire une idée de l'importance du commerce d'Alexandrie. Strabon disait déjà de cette ville que c'était le plus grand entrepôt de toute la terre'
les témoignages que l'on possède confirment cette qualification". Alexandrie possédait un vaste port, bien abrité, dont les abords étaient éclairés la nuit par le Phare, oeuvre de Sostrate de Cnide, des quais de débarquement, de nombreux magasins où I'on disposait les marchandises. La ville elle-même comprenait plusieurs quartiers distincts qu'habitaient les diverses races de sa population cosmopolite (Égyptiens, Grecs, Romains, Juifs). Des routes de terre et des canaux la reliaient à l'intérieur et au Nil et facilitaient les communications. Située au croisement, des principales voies commerciales du monde antique, Alexandrie servait d'intermédiaire nécessaire entre l'Occident et l'Orient. Elle exportait en Italie par la mer Méditerranée les blés récoltés en Égypte et les marchandises de luxe qui lui venaient de l'Inde par la, mer Rouge (épices, bois précieux, parfums, soieries) ou de l'Éthiopie par le Ail (ivoire, esclaves). L'Italie consommait sans produire et attirait tout à elle, sans rien envoyer en échange. L'Égypte produisait elle-mense, recevait du dehors, expédiait au loin. Alexandrie, son principal port, était un centre économique d'une intense activité, la capitale commerciale de l'Empire; comme la ville de Rome sa capitale politique.
Provinces africaines. Malgré la fertilité (lu sol, les provinces africaines n'ont jamais occupé dans l'histoire économique de Rome la place que tenaient l'Égypte ou la Syrie". C'étaient bien des pays producteurs, surtout en blé et en huile, on sait qu'ils fournissaient à l'Italie les deux tiers de sa consommation annuelle de froment", mais, comme entrepôts de marchandises étrangères, ses ports ont eu relativement peu d'éclat. Il faut faire une exception cependant pour ceux des Syrtes, Tacape, Oea et Leptis Magna. Là arrivaient par caravanes les denrées précieuses de l'intérieur : poudre d'or, ivoire, ébène, bêtes sauvages et esclaves que les Garan1antes du Fezzan venaient vendre ou échanger dans ces emporia". Strabon signale Tacape comme un grand comptoir de commerce f8; le port de Leptis est encore visible aujourd'hui, noyé dans le sable 19. Par ailleurs, sans en excepter Carthage, on n'exportait guère que des produits agricoles récoltés en sol romain30. Il en était de même pour les ports de Numidie et de Maurétanie, comme Rusicade 21 ou Caesarea22.
Ports de commerce d'Italie. Partis ainsi des différentes provinces de l'Empire, les navires de commerce se répandaient de tous côtés ; le plus grand nombre se
MER 1781 MER
ciales de la Syrie. Elle constituait le centre de caravanes le plus considérable de la province; elle a servi d'entrepôt, pendant toute la durée de son existence, entre 1es Romains et les Parthes Non seulement elle communiquait avec Pétra, mais elle était reliée directement au golfe Persique. La route, partant des comptoirs de Charax et de Forath, passait par Vologesia sur l'Euphrate 2; son prolongement gagnait Damas ', et de là les ports de la côte, Tyr et Sidon. De Palmyre partaient à intervalles fixes des caravanes dans les deux sens. C'étaient des entreprises commerciales fortement organisées par des associations puissantes : celles-ci avaient à leur tète des hommes considérables dans la cité, descendant de vieilles familles, très riches, et dont quelques-uns arrivaient même à l'ordre équestre 4. Toutes les routes qui aboutissaient à Palmyre furent, au ne siècle, gardées par une suite de fortins qui les défendaient contre les attaques des Arabes et assuraient les communications 6. L'activité des transactions qui s'y opéraient nous est nettement indiquée par le tarif d'octroi que l'on a découvert il y a quelques années à Palmyre et qui remonte à l'année 137 de notre ère
La ville de Bostra, située à mi-chemin de Palmyre et de Pétra, servait, elle aussi, de centre de transit pour les marchandises orientales '. Sa longue rangée de boutiques de pierre, qui subsiste encore au milieu des solitudes, atteste le rôle commercial qu'elle a joué autrefois. Une route y conduisait directement du golfe Persique par Ezràk et Salchat. Par là, comme par Pétra et Palmyre, les marchandises de l'extrême Orient et de l'Inde pouvaient parvenir aux ports d'embarquement de la côte.
Strabon indique encore une autre voie de communication entre la Syrie du Nord et la vallée de l'Euphrate Elle passait par Anthémusie où l'on traversait l'Euphrate, non loin de Bambycé, coupait le désert des Arabes Scénites dans la direction de la frontière babylonienne et atteignait la ville de Scenae qui était à 18 stades de Séleucie. « Dans le trajet, dit Strabon, on rencontre des hôtelleries tenues par des chameliers et toujours bien pourvues d'eau. Les Scénites n'inquiètent pas les marchands, qui le savent et qui s'engagent hardiment dans le désert.
Arabie. L'Arabie est un des foyers les plus anciens du commerce par terre comme par mer; ses productions: encens, pierres précieuses, gomme, aloès, séné, myrrhe, épices de toute sorte, ont toujours été très recherchées 9; et de plus, les habitants du pays possédaient essentiellement le tempérament commerçant 10. Par des routes de terre, suivies de toute antiquité, ils amenaient leurs produits à la côte, en traversant le désert, jusqu'aux
VI.
comptoirs du golfe Arabique, Aelana et Leukê-Comê, d'où l'on gagnait les entrepôts de Pétra et de Gaza' 1. Pline nous apprend que les transports de la côte arabique à Gaza étaient fort dispendieux à cause des frais de route de toute sorte qu'on avait à solder (droits de pâturage, eau, caravansérails, redevances aux prêtres et aux scribes royaux, gardes, serviteurs, etc.) 12. On pouvait employer aussi le transport par eau. Il suffisait aux caravanes de gagner Aden; là les marchands prenaient la mer et remontaient par le golfe Arabique jusqu'aux ports d'où elles gagnaient les marchés de Syrie ou d'Égypte
Un autre comptoir non moins important qu'Aden et qui, comme lui, servait d'étape pour les relations entre l'Inde et l'Europe, était Mouza, à l'entrée du golfe Arabique1". Les habitants de cette ville, hardis marins, poussaient jusqu'à Barygaza, échangeant les produits de la Syrie et de l'Italie contre les denrées orientales. L'encens, en particulier, qui se cultivait surtout sur la côte méridionale de l'Arabie et jusqu'à la pointe des Aromates, était apporté par les marchands de Mouza pour se répandre ensuite dans tout le monde 1G.
Égypte. Mais ce n'est pas vers la Syrie que se dirigeaient la plupart des marchandises qui entraient dans le golfe Arabique : la côte égyptienne leur offrait plus d'avantages et l'on préférait à la longue route de terre vers Pétra, la route fluviale plus aisée vers Alexandrie. Sur la mer Rouge16, deux ports surtout s'offraient au commerce ". Le premier, Bérénice, n'était pas loin"; les navires y déchargeaient leur cargaison et allaient mouiller ailleurs ; aussi les marchands abordaient-ils plutôt à celui de Myos-IIormos, situé plus au nord ; les auteurs le signalent comme le premier port de l'Égypte 1"; il a près de deux lieues d'étendue et est fermé du côté de la pleine mer par deux grandes îles basses et par un flot beaucoup plus élevé. Il devint à l'époque romaine le rendez-vous des négociants de tous les pays90. De Myos-Hormos les colis étaient chargés à dos de chameau et portés à travers le désert qui sépare la mer Rouge du Nil jusqu'à Coptos où aboutissait aussi une route de caravane venant de Bérénice22 : la ville de Coptos était, au dire de Pline, indicarum arabicarumque lnercium oïilo proximum emporium33. Le même auteur nous apprend que le chemin était divisé par des caravansérails munis de réserves d'eau, ce que confirment et le témoignage d'autres auteurs 24 et une inscription trouvée à Coptos même''. Cet entrepôt était à six ou sept jours de marche de Myos-Hormos, à onze jours de Bérénice ; il resta pendant toute l'époque impériale le noeud des communications entre le Nil et la mer Rouge. Quant au
224
MER 1 780 MER
Orient les denrées de luxe et surtout la. soie ; fréquentées depuis une époque fort reculée, ces voies étaient encore utilisées presque exclusivement au 1°r et au ne siècle de notre ère 2. La plus septentrionale partait de la mer Noire, suivait. le Phase jusqu'à Sarapane, gagnait par terre le Cyrus, descendait, ce fleuve jusqu'à la. ruer Caspienne ; après lavoir traversée, les voyageurs remontaient !'Oxus jusqu'é la rivière Icare et pénétraient enfin dans la Bactriane 3. Une autre route, plus au sud, sortant de la Mésopotamie, se dirigeait vers le nord pour éviter le désert situé entre la Perse et la Médie, passait par Ecbatane, Rhagae, le défilé des portes Caspiennes, et aboutissait soit à Hécatompyle (aujourd'hui Damegan) dans la Parthie, soit dans l'Asie par Alexandrie (Ilérat), Soit dans la Drangiane par Prophtasie (Zarang). Au delà, à l'entrée du Caboul, se trouvait Ortospa.na, où se croisaient les caravanes venant de Bactres (Bali) el, celles qui, Traversant le fleuve Choès, venaient de l'Inde par Taxila
Ces deux grandes voies commerciales aboutissaient dans une région où se concentrait le commerce avec la Sérique. De là on pouvait entrer en relations avec l'extrême Orient. La première étape vers l'Asie centrale était, suivant Ptolémée ', le lieu nommé la Tourdepi.erre, qui existerail encore. dit-on, sous le nom de Chasoloun 6. « C'est là que convergeaient toutes les caravanes parties de la Bactriane et de l'Inde, pour les pays situés au delà du désert de Cobi, et connus sous le nom général de Sérique. A quelques journées de la Tour de pierre était une station au passage des monts Irnaiis (le Belour actuel); là les caravanes se réunissaient afin de se prêter un secours réciproque dans la traversée du désert qu'infestaient des tribus nomades et rapaces. En sortant de ces gorges, elles entraient dans le Kachgar et se dirigeaient à travers la petite Boukharie, en visitant Aksou et Khotan (Casia et Auxaxia de Ptolémée), jusqu'à Sera-Metropolis (KanTcheou), dernière étape connue de cet itinéraire »
De toutes faxons, pour passer des régions d'extrême Orient sur le sol romain, il était nécessaire de traverser le pays des Parthes : or ceux-ci faisaient pour eux-mêmes le commerce des denrées de luxe, surtout de la soie, et ils avaient tout intérêt à empêcher les relations immédiates entre l'empire romain et les pays orientaux ; d'ailleurs l'état intérieur très troublé du royaume parthe et son hostilité permanente contre Rorne empêchaient l'établissement de relations commerciales courantes. Pour remédier à cet état de choses, on s'avisa au ne siècle d'établir des communications directes avec l'extrême Orient. La guerre qui avait éclaté en 16`2 avec les Parthes et qui dura quatre ans, le pillage de Séleucie et de Césiphon, étapes importantes du transit, la peste qui désola
ensuite l'Asie, obligèrent â prendre de nouvelles mesures. Alors les négociants et, suivant M. Vidal de la Blache, peut-être aussi les maisons de commerce syriennes, résolurent d'aller chercher eux-mêmes par mer les matières premières dont ils vivaient: les délégués du commerce grec se risquèrent pour la première fois jusqu'au Tonkin'. Ceux qui ne voulaient pas pousser aussi loin se contentaient d'acheter les soieries dans l'Inde où elles arrivaient aisément. « Il existait, à la limite occidentale de la Chine et sur les confins du désert de Cobi, un grand marché de produits chinois demandés par les caravanes de l'Occident. De là, les marchandises étaient transportées à travers la petite Boukharie, vers la Bactriane, puis voiturées vers Barygaza ou amenées par eau sur le Gange e. Une fois arrivées dans l'Inde, elles se trouvaient dans les mêmes conditions que les marchandisesindigènes. Les unes et les autres n'étaient plus, dans l'intérieur de l'Inde comme dans le reste de l'Orient, répandues par l'entremise des caravanes I0, parce que les routes étaient belles, sûres et praticables aux chariots. Les pèlerinages vers les villes saintes comme Ozène (Oudjeinl etTazara (l'ancien Deogh ir),ci tées parle Périple, devenaient l'occasion de marchés où le commerce se liait à la dévotion. Ainsi se fondaient des entrepôts dans certaines villes du centre; les marchands du Guzerat et du Malabar venaient s'y approvisionner des produits recherchés par le luxe des Occidentaux, puis retournaient en trafiquer dans les ports que fréquentaient les navires arabes et égyptiens. Les principaux marchés maritimes oit se débitaient les soieries étaient, au dire du Périple, le port de Minnagara (Al-Mansomra), situé à l'embouchure de l'Indus, et celui de Barygaza (Beroak) situé dans le golfe de Cambaye". 11 faut sans doute y joindre le port de Muziris (Mangalore) situé dans la Limyrique12, et l'une des échelles les plus importantes de la côte de Malabar au Ire siècle 73.
De ces différents ports, les navires qui ne se dirigeaient pas vers l'Égypte par le golfe Arabique, gagnaient le golfe Persique au fond duquel était situé l'emporium de Charax'°, à l'embouchure du Tigre. Douze milles plus haut se trouvait la ville de Forath, sur le bord du Pasitigris : c'était le point de départ des caravanes13 (lui, traversant la Syrie, se rendaient à un port d'embarquement de la Méditerranée. Un des principaux entrepôts de transit était Pétra, capitale des Nabatéens 18, et tête de deux routes, l'une qui débouchait sur la mer à Gaza, l'autre qui remontait vers Palmyre 17. Palmyre, belle et grande cité, établie à mi-chemin entre la vallée de l'Euphrate et la Méditerranée, occupe, plus encore que Pétra, une place importante dans l'histoire des routes commer
MER ---1779 MER
d'autant plus que par le Rhône elle était en communication directe avec la mer. Venait ensuite la ville d'Arles, port maritime et noeud des routes terrestres de la vallée du 'Rhône mise par là même en relation immédiate avec les ports d'Italie d'une part, d'autre part avec la Ligurie par la voie Domitienne et la voie Aurélienne, avec Lyon par la route qui remontait la rive gauche du Rhône et avec l'Espagne par la voie dont il a été question plus haut. Outre Arles, il faut encore citer comme port important sur la Méditerranée, Narbonne, située sur un bras de l'Aude, qui avait accès au Rhône par les étangs 2. Ces moyens de communication eussent été singulièrement améliorés encore, si l'on eût réussi à les doubler par des canaux destinés'à réunir l'une à l'autre les différentes voies fluviales. Tels qu'ils étaient, ils ont permis d'apporter régulièrement à Rome tous les produits de la Bretagne (l'étain en première ligne) de la Germanie 4 et des trois Gaules
Pays Danubiens. A l'est, l'Italie était en communication avec les pays Danubiens par Aquilée', où convergeaient toutes les routes venant de l'Illyricum'. Par le mont Ocra, le point le plus bas des Alpes orientales, on voiturait les marchandises d'Aquilée à Nauportus, sur la Laibach d'où elles descendaient jusqu à lister, pour se répandre en Pannonie ou chez les Taurisques'. C'est par là que Rome livrait aux Barbares du vin, des salaisons, de l'huile, par là que lui arrivaient les esclaves, les bestiaux, les pelleteries, le fer du Norique et l'ambre des bords de la Baltiques,
Bosphore. Les relations avec le Bosphore avaient une certaine importance. Les grands entrepôts de ce côté étaient Tanaïs, à l'embouchure du Don, et les deux villes voisines de Panticapée et de Phanagorie. Tanaïs servait d'emporium commun aux nomades de l'Europe et de l'Asie, et aux Grecs du Bosphore, qui traversaient le Palus Méotide pour s'y rendre. Les premiers y apportaient des esclaves et des pelleteries, les seconds des tissus et du vin qui trouvaient à s'y échanger avantageusement70. Panticapée et Phanagorie, qui n'étaient séparées que par l'embouchure du Maeotis", se complétaient l'une l'autre; les denrées provenant du Palus Méotide et des pays barbares arrivaient à la seconde ville, la première recevait les marchandises venues du Pont-Euxin'".
Grèce. Par contre, le commerce de la Grèce était bien déchu de son ancienne activité. Depuis que Rhodes et Délos avaient cessé d'être les étapes commerciales entre l'Asie et l'Europe, les produits de l'Orient se dirigeaient directement vers l'Italie; cette révolution avait porté un grand préjudice à la prospérité des affaires. Il n'y avait plus guère de vitalité que dans la ville de Corinthe : ses deux ports, tournés l'un vers l'Asie, l'autre vers l'Italie, lui assuraient une situation particulièrement
favorable que rien ne pouvait ruiner13. On avait même projeté, pour abréger le voyage de la mer Égée à la mer Ionienne, de percer l'isthme; César en avait eu l'idée; l'oeuvre fut commencée par Caligula, reprise par Néron et finalement laissée en suspens". On dut continuer, comme par le passé, à transborder les marchandises d'un rivage à l'autre.
Asie Mineure. La prospérité de l'Asie Mineure venait en grande partie de son commerce ; celui-ci vivait surtout de la production locale, des laines et des étoffes tissées d'Angora, des broderies d'or d'Attale, des draps de Laodicée. L'Asie recevait aussi d'Orient, en transit, différents articles, entre autres un grand nombre d'esclaves amenés par les marchands galates 15. Cependant le grand mouvement d'exportation et d'importation ne passait pas par là. Le premier port de la province était Éphèse, entrepôt générai des marchandises d'Italie et de Grèce". Strabon la nomme la place de commerce la plus importante de toute l'Asie en deçà du Taurus malgré les bas-fonds qui obstruaient l'entrée du port'8.
Syrie. La Syrie occupe, avec l'Égypte, la première place dans l'histoire économique de l'empire romain. Tout d'abord un grand nombre d'industries importantes pour l'exportation étaient en honneur dans le pays, telles que celles de la toile, de la pourpre, de la soie, du verre. Laodicia, Byblus, Tyrus, Berytus linteamen oinni orbi terrarum emittunt, dit un géographe ancien1D. Tyr est aussi célèbre par sa pourpre", que certaines villes du voisinage comme Sarepta, Césarée, Néapolis de Palestine et Lydda produisaient également sous le Bas-Empire ; on y travaillait en outre, ainsi qu'à Thiry-te, la soie brute' ; Sidon était surtout renommée par ses verreries 22. Tout cela était fort recherché en Italie, et la plus grande activité régnait dans les ports de la côte syrienne, Tyr, Sidon, Laodicée, Gaza". C'est que, non contents de vendre leurs marchandises aux étrangers qui venaient les chercher, les Syriens n'hésitaient pas à les leur porter eux-mêmes ;les capitaines de vaisseaux constituaient dans le pays une classe puissante "4, et il n'est pas de ville commerçante de l'Orient ou de l'Occident où l'on ne trouve établis des Syriens, « à. Salonae en Dalmatie, à ApuIum en Dacie, à Malacca en Espagne, principalement en Gaule et en Germanie, par exemple à Bordeaux, à Lyon, à Paris, à Orléans, à Trèves 25 ». On sait que dans ces villes ils possédaient des comptoirs (stationes) qui avaient à la fois pour but de faciliter les opérations commerciales de leurs compatriotes et de propager le culte
des divinités syriennes en pays étranger"Mais ce qui faisait surtout la fortune du commerce
rien, c'était la masse des marchandises qui se diriient d'Orient en Occident par les routes de l'Euphrate. Deux itinéraires différents étaient suivis par les marchands qui allaient chercher par terre dans l'extrême
MER 1775 MER
MER 1777 MER
sible aux transactions ne put se maintenir, car Justinien insère dans son Code une constitution de Valens et Valentinien qui suppose le maintien des anciennes foires et marchés et permet aux particuliers d'en ouvrir de nouveaux avec l'autorisation du prince. Cette même loi défend de vexer les marchands, notamment en leur réclamant pendant la foire le payement de leurs dettes particulières'.
Le ministère du trésor public, cornes sacrarum largitionum, avait la direction du commerce dans ses attributions. Des agents répartis dans les provinces, sous le titre de comites commerciorum, s'occupaient des achats pour le compte de la cour, de l'importation de la soie, du recouvrement des impôts qui frappaient les commerçants, de l'exécution des mesures relatives à la sortie des espèces, etc 3. Il y avait en outre à Rome un comte du port, cornes portas, et un centenarius ou vicarius, chargés de maintenir l'ordre et de protéger le commerce à Ostie, qui était le port de Rome, ainsi que de veiller à l'entretien du phare qui servait de fanal aux vaisseaux
Une constitution de l'empereur Zénon, adressée au préfet du prétoire Constantin, défendit aux particuliers de monopoliser une denrée ou une profession, même enl vertu d'une concession impériale passée ou à venir [MONOPOLIUM] ; elle interdit également toute coalition (illicitis llabitis conventionibus), entre détenteurs de marchandises, pour fixer un minimum des prix, toute convention de ne pas achever un travail commencé par un autre, etc.3. Les peines sévères que prononce cet édit prouvent combien de pareils pactes étaient fréquents à Constantinople 6.
En compensation de toutes les charges fiscales imposées aux commerçants et de toutes les entraves mises à leurs affaires, les empereurs leur avaient accordé la dispense des charges municipales et du service militaire [MERCATOR]. Cela ne suffit pas à tirer le commerce de sa misère. Il périt d'abord en Occident, avant l'Empire même, et s'amoindrit aussi en Orient, qù cependant les circonstances et les moeurs lui étaient plus favorables. C'est ce qui explique qu'on ne relève dans les recueils de J ustinien qu'un très petit nombre de dispositions le concernant
Principaux articles de commerce. Rome était le centre de tout le commerce de l'Empire, le point où affluaient les objets de nécessité et surtout de luxe que produisait l'univers entier. Nous ne saurions donner ici une liste complète des produits divers qu'on y importait de toutes parts, d'autant plus que des articles spéciaux ont été consacrés à chacun d'entre eux dans ce diction
naire; il suffira de réunir en un tableau les plus importants3. (Voir page 1778.)
Marchés principaux dans les provinces; voies commerciales.L'activité commerciale de chaque province se concentrait en certains endroits que leur situation désignait plus spécialement ; c'est de ces marchés divers que les produits d'exportation partaient ensuite pour se rendre en Italie soit directement, soit par des comptoirs intermédiaires.
Espagne. L'Espagne était à la fois un pays producteur et un terrain de passage pour les marchandises venues par l'Océan. Celles-ci arrivaient à Gadès °, qui se trouvait àla limite de l'Atlantique et de la Méditerranée. De là, elles continuaient par mer jusqu'à l'Italie, ou par terre en longeant le littoral. Une grande voie, la via Augusta1°, que l'empereur Auguste fit réparer et continuer, mettait en communication la côte méridionale de l'Espagne et le nord de l'Italie par la Gaule. Elle partait de l'embouchure du Baetis, dont elle remontait la vallée", se dirigeait parallèlement au rivage à travers les terres, détachant des rameaux vers Tarragone et les autres ports de la côte orientale, franchissait les Pyrénées au col de Puycerda, puis, sous le nom de voie Domitienne et voie Aurélienne, longeait la côte méridionale de la Gaule pour pénétrer en Ligurie par le chemin de la Corniche. Cette route était l'artère principale du commerce espagnol et de celui de la Gaule méridionale avec l'Italie 12
Gaule. Un réseau roulier très bien conçu reliait pareillement par des voies commerciales les différentes parties de cette province entre elles et avec la péninsule italique 13. Toutes les voies du sud et de l'ouest aboutissaient à Bordeaux, grande place de commerce sur l'Océan '4. Une route menait de Bordeaux à la Loire et en Belgique par Saintes, Tours et Paris ; une autre conduisait à Lyon ; une troisième rejoignait l'Espagne par Dax, et une quatrième par Toulouse, traversant les Cévennes, rejoignait le réseau de la Gaule Narbonnaise. Celles de l'est avaient leur centre à Trèves, qùi communiquait ainsi directement avec Lyon d'une part, et la Germanie de l'autre. De Lyon partaient toutes les voies du centre et du nord" : celle de la Loire, celle de la Seine, celle de la Manche qui gagnait par Reims et Amiens le port de Boulogne16 où venaient aboutir les marchandises de la Grande-Bretagne; celles de Germanie, celles de la Suisse, et enfin la voie qui franchissait les Alpes Grées au col du Petit Saint-Bernard et donnait entrée dans la Transpadane et dans la Cisalpine. La situation de Lyon au coeur du réseau routier en avait fait la place de commerce la plus importante de la Gaule 17,
MER 1776 MER
devant le defensor dé la cité, en présence du protector ou ducianus, enregistré au greffe de la ville (apud acta) et une copie délivrée au mercator ou nauclerus'. Une autre loi des mêmes empereurs désigne certains lieux spéciaux pour les échanges avec les Perses, ne alieni regni, quod non convertit, scrutentur arcana ; on fait exception cependant pour les marchands qui accompagnent les ambassadeurs de leur pays 2. En sens inverse, on défendait l'importation clans l'Empire de la soie, si ce n'est par l'intermédiaire du comte du commerce [GOMES COMMERCIORUM] 3, sous peine d'exil perpétuel et de confiscation du patrimoine'. Il était également interdit de vendre ou d'acheter en mer ou sur le rivage les denrées destinées à l'alimentation de la capitale [CANON rRUMENTARIUS CRBIS ROMAE] 5 et les blés et autres produits qui devaient être distribués aux troupes [ANNONA MILITARIS] °. L'État ne monopolisait pas seulement l'exploitation des mines d'or [METALLA], mais encore la confection et la teinture de la pourpre, dont l'usage était réservé à la famille impériale [MosoroLICM] 7. Les fabriques impériales avaient aussi le monopole de la fourniture des armes de guerre 3. Pour le transport des objets fiscaux (fiscales species), il existait aussi une corporation privilégiée, celle des BASTAGARU 9.
Le commerce dans les deux capitales du monde romain, Rome et Constantinople, était soumis sous le Bas-Empire à un régime fâcheux de réglementation. A mesure que se précipitait la décadence économique, l'État multipliait les interventions législatives et administratives. II pourvoyait directement à l'alimentation des deux capitales, à l'aide de l'impôt en nature de certaines provinces et des prestations imposées à certaines corporations [ANNONA CIVICA, CANON FRUMENTARIUS]. Les collèges de marchands et d'ouvriers devenaient de véritables rouages administratifs 10. Les services que devaient à la ville de Rome, par exemple, les membres des corporations étaient héréditaires et pesaient sur eux comme une charge publique 11; ils leur conféraient en revanche des privilèges honorifiques 12 [MERCATOR]. Une série de collèges, ayant chacun ses attributions nettement déterminées et son tarif spécial prescrit par l'État, approvisionnaient Rome en blé, en vin, en huile"; les édits du préfet de la ville fixaient le prix de la viande de boucherie 14. Les distributions gratuites imposaient des services onéreux, rétribués à part. Ce système de réglementation à outrance et de distributions multipliées ruinait les provinces assujetties aux taxes, et corrompait la plèbe des capitales sans leur donner l'abondance que leur aurait procurée la liberté commerciale 13. Seuls le commerce des meubles et celui des objets de luxe étaient laissés à l'initiative privée. Et encore la jalousie des corporations de marchands de Rome, invidia tabernariorunt, obtenaitelle parfois l'expulsion des négociants rivaux, notamment des Grecs. Une novelle de Valentinien III en 440 permit aux marchands grecs de s'établir dans la ville, mais en
2; Cod. Just. XI, 14. 13 Voir la liste des collèges dressée par Wallzing, Op. cit.
menaçant de peines sévères ceux qui n'observeraient pas les prix fixés par l'autorité, statula pretia ta. Le préfet de la ville tarifiait donc certaines marchandises. En outre, les constitutions impériales réglaient les vêtements des sénateurs, des employés (officiales), des esclaves et établissaient diverses restrictions somptuaires qui limitaient la consommation'9.
Dans les provinces comme dans les capitales, les ouvriers des villes étaient organisés en corporations, et quelques-unes d'entre elles devaient s'acquitter obligatoirement et héréditairement de services publics : tel était le cas notamment des centonarii et des dendrophori 18 [MERCATOR]. Nul ne pouvait abandonner la fonction à laquelle le hasard de la naissance l'avait enchaîné pour jamais10.
Le commerce, déjà lésé par ces restrictions qui entravaient la production, avait à supporter en outre la charge de très lourdes contributions, encore accrues depuis les réformes de Dioclétien et de Constantin. Les marchands devaient être immatriculés, et payer d'après leurs bénéfices une taxe annuelle analogue à notre droit de patente. indépendamment du tribut qu'ils pouvaient devoir comme propriétaires d'immeubles L0 [CIIRYSARGYRUM, LCSTRALls c0LLATIO ; il avait succédé à l'ancien AURUM NEGOTIATORIUM ; il était considérable et très impopulaire; aussi finit-on par ne l'exiger que tous les cinq ans, après chaque lustre. On y assujétissait même ceux qui, sans être négociants, exerçaient en fait un commerce ou une industrie quelconque. La loi n'admettait qu'un très petit nombre d'exemptions, entre autres pour les laboureurs qui vendaient leur récolte. Cette contribution, qui soulevait des plaintes nombreuses, fut abolie seulement en 501 par l'empereur Anastase-'; le Code de Justinien en suppose la suppression92.
Les réquisitions forcées (publicae comparationes) que les troupes de passage étaient autorisées à faire en route, lorsque manquaient les denrées des magasins militaires 23, étaient aussi une cause d'embarras et de ruine pour le commerce.
Les droits de douane et de port s'élevaient à 8 p. 100 de la valeur vénale des objets; il était perçu par les publicains ou fermiers généraux, qui visitaient avec rigueur marchandises et voyageurs''jI'oRTORICM] 24. Tout objet mis en vente publique était soumis à une taxe de marché [VECTIGAI. REBUTS VENALIUM] 20. Théodose II et Valentinien avaient même établi, par une constitution dont la date est inconnue, une taxe d'une silique parsolidus (soit 1/24) sur le prix de vente de tout objet mobilier ou immobiliers. Pour percevoir cette nouvelle contribution, l'édit instituait des employés spéciaux ; il ordonnait aux honorati des provinces ainsi qu'aux sénats des cités de fixer partout, en présence des gouverneurs, les jours et heures où pourraient se faire les marchés et ventes, en les choisissant de telle sorte que la perception s'y effectuât le plus commodément possible. Cet impôt vexatoire et nui
MER 1775 MER
tailleurs et les fabricants de braies. Les maîtres de gymnastique recevront par enfant et par mois 50 deniers; les maîtres de calcul, 75 ; les grammairiens et géomètres, 200 ; les sophistes, 250 ; les garçons de bain par baigneur, 2. La tentative de Dioclétien échoua. Il était impossible qu'elle réussit. L'empereur méconnaissait les conditions nécessaires des échanges commerciaux; des mesures coercitives n'ont jamais empêché le renchérissement. L'étendue même de l'Empire romain montre combien cette entreprise était arbitraire et vaine ; Dioclétien prétendait imposer partout, à Rome, à Constantinople, à Alexandrie, en Syrie, en Bretagne, un tarif uniforme pour le prix des denrées et des services ; mais il devait y avoir nécessairement des différences très appréciables selon les diverses contrées; l'empereur n'en tenait aucun compte. II semble bien, d'ailleurs, que la valeur des objets et des services ait été fixée à un chiffre inférieur à la réalité '. Personne ne voulant plus vendre, la disette se fit sentir. Il fallut renoncer à cet essai malencontreux de réglementation, qui créait la famine au lieu d'y remédier, et rapporter l'édite.
Plusieurs documents, d'époque postérieure, nous renseignent sur la valeur de différentes denrées au BasEmpire. Une loi du code Théodosien estime la livre de porc à 6 folles, soit 30 centimes 3. En 367 une constitution de Valens et de Valentinien permet aux habitants de la Lucanie et du Bruttium, qui payaient l'impôt en nature, de donner une amphore de vin (26 litres) à la place de 70 livres de chair de porc ou de mouton Ainsi l'amphore de vin vallait 420 folles, soit 21 francs, ou 80 centimes le litre, ce qui est un prix moyen fort élevé pour ce pays. En 389 une loi de Valentinien, Théodose et Arcadius relative à la conversion en argent de la nourri
ture fournie en nature aux soldats [ANNONA MILITAals(
fixe le maximum de 80 livres de lard, 80 livres d'huile et 12 modii de sel au taux d'un solidus, c'est-à-dire 15 fr. 20 La livre d'huile et la livre de lard étaient donc évaluées chacune à 19 centimes, et le litre de sel à 15 centimes. En 445 Valentinien fait remise aux habitants de la Maurétanie ravagée par les Vandales des sept huitièmes du tribut; pour l'annone à fournir en objets de première nécessité aux soldats en marche, il estime à un solidus le prix de quarante modii de far ou de Iriticum, épeautre ou froment, de 270 livres de viande et de 200 sextarii de vin °.
Il faut remarquer qu'à l'époque du Bas-Empire le numéraire était devenu rare, par suite de l'épuisement ou de l'abandon des mines, et possédait une grande valeur d'échange. La principale monnaie alors usitée était l'aureus ou solidus, d'où vient l'expression sou d'or On en taillait 72 sur une livre d'or Constantin,
il est vrai, établit une autre proportion niais pour un cas tout particulier : il avait été obligé par les nécessités de la guerre d'augmenter la valeur courante des monnaies d'or en affaiblissant leur titre; comme on payait l'impôt en espèces ou en lingots, qui étaient fondus avant d'être portés au trésor, il déclara, afin d'éviter les fraudes des collecteurs, que les contribuables donneraient
7 solidi d'or de Constantin, au lieu de 6, pour une once, parce que ces sept pièces fondues ne valaient que 6 onces d'or fin; celui qui payait en lingots devait donner 28 scrupules par once au lieu de 24, parce que 28 scrupules d'or en lingot ou en poudre ne laissaient après la fonte et l'affinage que 24 scrupules d'or fin. Cette loi de Constantin n'a donc pas trait à la taille de la monnaie d'or et l'on aurait tort d'en conclure, comme on l'a fait quelquefois, que sous ce règne on taillait à la livre 81 solidi de 24 scrupules chacun. En 367, sous Valentinien, la livre d'or donnait encore 72 solidi '°. D'ailleurs, on n'altéra pas, en général, à cette époque, le poids ni le titre de la monnaie 11. Valentinien III lui-même en 443 proclamait ce principe : l'intégrité et l'inviolabilité du signe favorisent le commerce et maintiennent l'uniformité du prix de toutes les choses vénales. En même temps cet empereur fixait la valeur du nummus de cuivre, 7000 nummi valant un solidus d'or, et ordonnait l'établissement de poids normaux en cuivre''. Le rapport de l'or avec les autres métaux fut déterminé de telle sorte que dans les payements publics une livre d'argent valût 5 solidi, en vertu d'une constitution d'Arcadius et Honorius de 397 ". Ainsi la livre d'or valait 72 divisé par 5 f4, soit 14,4 livres d'argent. Une loi d'Honorius et Théodose en 422 prescrit de donner 4 solidi pour une livre d'argent; il y aurait donc eu une proportion de 18 à 1 entre l'argent et l'or. Mais il est très vraisemblable que cette constitution se rapporte à un cas particulier : celui du payement fait aux dunes par les employés nommés primipilares, sportulae gratia, lorsque ces derniers préfèrent s'acquitter en argent. En 396, une loi d'Arcadius et Honorius avait fixé à un solidus la valeur de 25 livres de cuivre''. Justinien la réduisit à 20 livres16.
Par suite de la diminution générale de la masse de numéraire, Constantin avait interdit aux particuliers, en 356, de fondre les monnaies (con/lare pecunias) et de les exporter hors de l'Empire ; il faisait surveiller les principaux ports et les stations des routes commerciales de l'Empire par des oficiales pour contrôler l'exécution de la loi ; il défendait même au negotiator de transporter à dos d'animaux plus de 1000 folles pour ses dépenses, sous peine d'exil et de confiscation ; l'achat et la vente des monnaies étaient prohibés : elles doivent servir aux payements, et non pas constituer une marchandise 17. On sait par un autre texte que, pour empêcher la sortie des espèces, le tomes sacrarum largitionum envoyait des inspecteurs [cuslosl] dans les ports et villes frontières ]'.
De sévères prohibitions frappaient le commerce aux frontières de l'Empire : défense de transporter chez les Barbares du vin, de l'huile, du liquamen 1 °, des armes de toute nature 20, des pierres à aiguiser, du sel21 et surtout de l'or u. Afin de prévenir l'embarquement de ces marchandises, mercedes illicitae, les capitaines de navire (naucleri) étaient tenus de déclarer en quelle province ils se rendaient, moyennant quoi une constitution d'Honorius et de Théodose en 420 les garantissait de tout dommage. Un acte constatant cette déclaration et l'attestation qu'ils n'ont subi aucune exaction doit être dressé
MER
cipales ; nous en avons parlé à l'article MERCA'TOR.
Pour favoriser l'essor du commerce à l'intérieur, le gouvernement autorisait l'établissement de foires nouvelles dans certaines villes (mercatus), indépendamment des marchés hebdomadaires (nundinae) 2. Il fut de plus permis à des particuliers d'établir des foires dans leur domaine'. Claude lui-même demanda aux consuls de l'autoriser à le faire4, Les textes législatifs aussi bien que les inscriptions nous parlent de cet usage 3.
Le commerce romain, achetant plus qu'il ne produisait, entraînait une grande exportation du numéraire ". Aussi les empereurs défendirent-ils de le laisser passer chez les barbares et de le fondre en lingots.
Quant à la législation commerciale", les négociants, en outre du droit commun, étaient régis par certains édits prétoriens" et par des usages empruntés aux lois rhodiennes sur le jet et la contribution" [LEX BHODïA DE JACTO, p. 1173] : Rhodiae leges navalium commerciorusn sont". Ces textes décidaient notamment que, lorsque des marchandises avaient été jetées à la mer pour alléger le navire et que celui-ci avait été sauvé du naufrage"le dommage devait être supporté en commun par les maîtres du bâtiment et les propriétaires des marchandises qu'il
contenait 'LLis'. 17.
40 Du troisième siècle de l'Empire jusqu'au règne de Justinien.La prospérité matérielle dont avaient joui Rome, l'Italie et tout le monde romainpendantlespremiers temps de l'Empire ne survécut pas à l'époque des Antonins. Depuis longtemps l'agriculture italienne était ruinée'°; quand les arrivages d'Afrique venaient à manquer, la disette se faisait sentir t3. Inversement, la multiplication inconsidérée des vignobles en Italie, en Gaule. en Asie Mineure, avait provoqué de graves embarras, et la mévente des vins ne causait pas moins de dommages que la rareté des céréales ; Domitien avait cru remédier au mal en ordonnant la destruction de la moitié des vignobles provinciaux et en défendant d'en planter d'autres16 L'industrie ne progressait plus. L'oisiveté et la corruption de la plèbe, le luxe immodéré des grands étaient peu favorables au travail productif. Le commerce subissait le contre-coup de cette décadence générale. Le despotisme impérial entravait le libre développement des villes municipales et de la bourgeoisie [muNmuprum]; il inquiétait les fortunes : les riches étaient sans cesse menacés par les mauvais empereurs S7. Au me siècle recommencèrent les guerres extérieures et les revolutions intérieures. Elles enlevaient toute sécurité aux commerçants et nuisaient à la fois au crédit, aux échanges, à la consommation. De l'avènement de Décius à celui de Dioclétien, 249-284, les Barbares pendant trente-cinq ans ravagèrent l'Empire. En l'espace de quatre-vingts années on compta vingt-quatre empereurs, dont deux seulement ne périrent pas de mort violente, et quarante tyrans,
MER
L'oeuvre de réorganisation commencée par Dioclétien, achevée par Constantin, rétablit l'ordre et la paix publique. Mais les désordres antérieurs avaient causé de telles ruines, qu'une crise commerciale très menaçante se produisit vers l'an 300. La rareté du capital éleva l'intérêt à un taux énorme: toutes les denrées, tous les services atteignirent une excessive cherté. Les empereurs Dioclétien, Maximien, Constance, et Galère se crurent forcés en 301 de promulguer un édit du maximum pour fixer provisoirement le prix des marchandises et du travail": c'est le célèbre Edictum ad provinciales de pretiis remua venallium. On a retrouvé plusieurs fragments du texte latin et du texte grec de ce document en Égypte, en Asie Mineure et en Grèce, provinces oit régnait spécialement Dioclétien. Ils ont été maintes fois publiés et commentés 1e. Dans le préambule l'empereur déclare que la cupidité des marchands a augmenté le prix des denrées, jusqu'à leur faire dépasser huit fois la valeur réelle des objets vendus ; ces excès ont été constatés surtout sur les routes militaires, et ils rendent impossible l'approvisionnement des armées. Aussi, pour y obvier, le prince fixe-t-il des prix modérés dont le maximum ne devra pas être excédé, même dans les années de cherté, sous peine de mort en cas (l'infraction. Suit le tableau régulateur des prix, appropriés à la réforme monétaire que Dioclétien avait opérée en 29826.
Voici quelques-uns de ceux que fixe le tarif pour les denrées destinées à l'alimentation. Ils sont exprimés en deniers, le dernier valant approximativement pour cette époque 2 centimes 1/421. Un modius nlilitaris (47 litres 508) de blé, de farine de millet, d'épeautre mondé, de fèves concassées, de lentilles, de pois concassés est estimé 100 deniers; d'orge, de seigle, de fèves ou de pois non concassés, 60 ; de millet et de sorgho, 50 ; d'épeautre non mondé et d'avoine, 30. Un sextarius (0 litre 54) de vin rustique, 8 deniers ; de vin du Picenum ou de la Sabine, 30 ; de Palerme vieux, 34 ; de cervoise, 4; d'huile d'olive fine, 40. Une livre romaine (327 gr. 453) de chair de porc, 12 deniers ; de boeuf ou de chèvre, 8 ; de lard et de foie gras de porc, 16. Cinq artichauts se vendront 10 deniers: quatre oeufs, deux melons, cent châtaignes ou huit dattes, 4 deniers, etc. L'édit indique aussi le prix des bois (par exemple, pour le chêne, sur 14 coudées de longueur et 68 doigts de largeur, 250 deniers), des vêtements, des chaussures, des cuirs, des tapis, des chariots, etc.
Les services salariés sont aussi mentionnés. Journée d'un ouvrier agricole, d'un fontainier, d'un cureur d'égout, 25 deniers ; d'un tailleur de pierre, d'un menuisier, d'un charpentier, d'un forgeron, d'un boulanger, 50; dun matelot, d'un mosaïste, d'un marbrier, 60; d'un peintre en bâtiment, 70 ; d'un peintre de décor, 150. D'autres ouvriers seront payés à la tache, comme les
MER 1773 MER
partir du règne d'Auguste et pendant deux siècles, le commerce et l'industrie en profitèrent et prirent un essor jusqu'alors inconnu.
En même temps, le gouvernement multipliait les voies de communication, complétait et perfectionnait le réseau routier commencé par la République; des chemins carrossables reliaient à Rome les pays les plus reculés [vrA], ce qui donnait aux transactions commerciales de grandes facilités accrues encore par l'établissement d'un service de poste C rtsus PuBL.mus].
L'Italie produisait peu ' : du vin, de l'huile, d'excellent blé, mais en petite quantité, des laines, en particulier celles de Tarente et de la Cisalpine; elle manufacturait le drap, les poteries, et quelques autres marchandises, mais qu'était-ce que cela pour la population immense qui l'habitait? Il fallait donc avoir recours à l'importation et on allait chercher bien loin les objets nécessaires à l'existence ou aux plaisirs des Italiens 2. « Rome recevait du marbre de la Grèce, de l'Asie Mineure, de l'Égypte, de la Numidie; le nard des Indes et celui de Syrie, le baume de Jéricho; les perles, les pierres précieuses, dont l'usage devint fréquent sous Auguste; la pourpre, les étoffes de Cos, celles d'Attale, tissus d'or; l'ivoire, l'ébène d'Éthiopie, le cristal de l'Inde. Sur les tables on servait le paon de Samos, la grue de Mélos, le faisan de Colchide, la lamproie de Tartessus, le merlus de Pessinonte, l'ellops de Rhodes, le scarus de Cilicie, la pétoncle de Chios, la pintade et la poule de Numidie, les oies de la Gaule, dont on faisait grossir le foie dans le lait et dans le miel, invention qu'un consulaire et un chevalier se disputèrent, les oies de Germanie, dont le duvet se vendait cinq deniers la livre, l'aveline de Thasos, les dattes d'Égypte, la noisette d'Espagne, les vins de tous les rivages de la Méditerranée, l'huile de l'Afrique, de l'Espagne et de la Grèce, des esclaves de toutes les régions. Les seules denrées de la Sérique, de l'Inde et de l'Arabie coûtaient annuellement à l'Empire vingt et un millions n Les relations de Rome s'étendirent jusqu'au bout du monde. Des communications régulières avec l'Inde et Ceylan avaient pu s'établir 4; des marchands d'Italie fondaient des comptoirs à la côte de Malabar et à Barygaza, à l'extrémité du golfe du Camhaye "; ils pénétraient dans le Bactriane, au coeur de l'Éthiopie et dans les oasis africaines
Pour la plupart des denrées importées en Italie, la mer était le grand chemin des transports. Des navires de commerce [NAVrs[ la sillonnaient en tous sens, avec une rapidité relativement grande. D'Ostie à Gadès on mettait sept jours ; du même port on se rendait en Gaule Narbonnaise et à Fréjus en trois jours, dans l'Espagne citérieure et à Tarragone en quatre jours; la traversée de Pouzzoles à Alexandrie demandait neuf jours 7, de Brindes à Dyrrachium un jour de Pouzzoles à Corinthe cinq jours 9. En général, un navire aidé d'un vent favo
Voigt, Priuataltertttmer, p. 903 et suiv. ; Friedliinder, Mœurs romaines (trad. fr.), Hist. des Rom. IV, p. 74, analysant un mémoire de Pastoret, Mém. de l'Ins
II Philost_ Op. cit. Vil, 17. 12 Veget. V, 9; cf. Friedllnder, L. c. p. 421
VI.
rable pouvait parcourir un trajet del 200 s tades (222 kiloml. par vingt-quatre heures 1e. Sur la Méditerranée souvent le voyage s'effectuait de nuit. Ainsi, en partant de Pouzzoles le soir et en touchant à Antium et à Gaète, un navire arrivait le troisième jour à Ostie" [NAVIGATI0]. Par contre, il y avait toute une période de l'année où les bateaux ne se risquaient guère à naviguer, entre le 11 novembre et le 5 mars (mare clausum)12 ; la navigation et par suite le commerce d'importation n'étaient donc actifs que pendant le printemps, l'été et le début de l'automne.
Ce commerce maritime était doublé d'un trafic de cabotage, qui assurait les relations entre la côte et l'intérieur des terres. 11 en était ainsi à Rorne même, où les navires ne pouvaient arriver qu'après avoir déposé à Ostie une partie de leur cargaison qu'ils confiaient à des chalands", à cause des ensablements du littoral. Celte situation peu favorable subsista même après la création du port de Trajan; les navires y abandonnaient leur chargement que l'on transbordait sur des chalands, remorqués par des attelages de boeufs t4 [cnLDicAfuf . Les cités commerçantes (les différentes parties de l'Empire qui n'étaient pas situées au bord de la mer étaient obligées d'avoir recours au même procédé ; le Rhône avec ses bateliers de toute sorte -NAUTAC était la grande route commerciale vers les cités de la Provence comme Arles et Nirnes, et celles, plus septentrionales, de Vienne et de Lyon''. Les collèges de batellerie fluviale existent partout oit se fait quelque trafic, sur la Seine 1° et sur la Durance'', sur le Bélis 19, sur les lacs de Côme19 et de Genève20, sur le Rhin'1, sur le Maros2S.
Quand on n'avait point de fleuve à sa disposition, on empruntait les voies terrestres et, dans les pays d'extrême Orient, les caravanes. C'est ainsi que les marchandises débarquées à Bérénice ou à Myos-llormos parvenaient jusqu'à Coptos 23, ou que celles qui arrivaient de l'extrême Sud tunisien se rendaient en Maurétanie 2i ; c'est ainsi que l'on se rendait en Éthiopie et jusque dans le pays des Troglodytes °-'.
Les besoins du gouvernement tirent peser sur le commerce des contributions inconnues auparavant; quelques-unes d'entre elles gênèrent sérieusement les affaires: l'impôt sur les ventes à l'encan (rentesimal^ertcm venaliunt) aboli par Caligula et rétabli dans la suite"; la taxe sur la vente des esclaves (quinte et vicesima venalium maneipiorumV7 certains droits d'octroi à Rome, une patente 23 étabéie sur les marchands et les ouvriers [ALBUM NEGOTJATORn:MI à l'époque de Sévère Alexandre29, sans parler de la douane qui continua à être exigée à l'époque impériale sur toutes les frontières des provinces [ roR'ronr'K. Il est vrai que, en compensation de ces charges, les marchands et les artisans jouissaient de certains privilèges. Le plus important était la facilité de se constituer en collèges et par là d'obtenir certaines immunités de charges publiques ou muni
et suiv. 15 Cf. de Boissieu, Inscr. de Lyon, p. 34.3 et s,1; AHmer et Dissard, dans ces différentes villes des preuves de leur activa 18 Corp. Inscr. lat. X111,
223
MER 1772 -MER
routier, partant de la capitale comme centre, développait encore son commerce de terre Une série de bureau': de douane sont établis sur la côte italienne "; les douanes iPORTORIcM comptent désormais parmi les sources de revenus les plus importantes de la République. Et pourtant le commerce n'était pas vu d'un bon mil à Rome; on continuait à le considérer comme indigne d'un ingénu. Autrefois les sénateurs et les chevaliers, pour faire valoir leurs capitaux, prenaient des intérêts dans les entreprises commerciales. Mais, dès 536-288 une le.x Claudia portée sur la rogation de C. Flaminius défendit aux sénateurs d'avoir des navires, si ce n'est
pour le transport des produits de leur domaine Les entreprises commerciales furent dès lors entre les mains des chevaliers ou des affranchis. Ceux-ci se livraient d'habitude eu grand à ces opérations. Les chevaliers se réservaient l'usure en province et le commerce d'importation; on leur accordait, pour des motifs politiques, un régime privilégié [coei eS]. C'est eux que l'on trouve à cette époque dans tous les pays nouvellement soumis 4, sous le nom de NEGOTIATORES achetant au meilleur compte possible les céréales, ou les produits spéciaux comme les esclaves ou les denrées orientales en Grèce, à Cyrène, à Marseille, à Carthage, en Syrie, en Égypte, les amenant à Rome et les y vendant au poids de l'or. Ils sont à la tête de fortunes considérables, dirigent des maisons de banque et prêtent à gros intérêts 5.
Il restait une dernière concurrence à vaincre, celle des banquiers et des spéculateurs phéniciens de Carthage. La chute définitive de cette ville en 608-146 ° laissa désormais le champ libre de ce côté aux commerçants romains. Bientôt après, la Macédoine et la Grèce ellemême étaient réduites en provinces 7 ; le grand centre commercial de Corinthe disparaissait en 1116, remplacé par Délos, l'héritière de Rhodes. L'excellence de son port et son heureuse situation à mi-chemin entre l'Italie et l'Asie, faisaient de Délos le principal entrepôt et le principal marché de la Méditerranée orientale. Réduite jusqu'alors à un rôle économique secondaire, l'intervention victorieuse de Rome en Orient la plaça au premier range.
Désormais la monnaie romaine [MONETA] avait cours légal dans tout l'occident de la Méditerranée; en Orient, les transactions se réglaient en or, métal que les Romains n'avaient pas encore monnayé'.
Pendant cette période, le commerce fut peu gêné par la réglementation; le droit d'association entre les commerçants resta entièrement libre10 jusqu'en 690-61, date où, pour des motifs politiques, tous les collèges furent dissous, à l'exception de quelques-uns". Clodius les réorganisa en 696"; mais César n'hésita pas à les dissoudre de nouveau, ne conservant que les corpora
tions établies de toute antiquité". D'un autre côté, les droits de douane étaient établis à un taux assez modéré OP vingtième ou le quarantième)'; ils frappaient surtout les objets de luxe venus de l'Orient '°. Dans les pays annexésles Romains les avaient en général maintenus et affermé, à leurs publicains 7e, mais ils avaient soin d'accorder l'immunité aux Italiens qui commerçaient dans les noms tireuses contrées relevant de la République 17. On a retrouvé, en maints endroits du pourtour de la Méditerranée, des inscriptions attestant la présence de négociants italiens, Itali ou cives romani qui negotianlur ou qui consistuntL' ; ils étaient organisés en collèges pour faciliter l'exercice de leur profession et la défense de leurs intérêts".
En général, Rome achetait plus qu'elle ne produisait. Son industrie ne travaillait guère en grand; mais elle payait en argent la laine et les esclaves tirés de la Gaule et de la Germanie, qui lui venaient par Ariminum et les marchés du nord de l'Italie ; les produits si avancés de l'art sicilien, orfèvrerie, meubles, broderies ; les étoffes de Malte recherchées par les femmes, les laines, les tapisseries, les fers ciselés, les gemmes de l'Asie ; enfin les denrées de l'Égypte 20.
Parmi les objets de première nécessité importés en Italie, il faut citer principalement le blé. Dès cette époque la péninsule ne produisait plus assez de céréales pour nourrir sa population; il fallait faire appel aux pays étrangers. L'État romain, par les leges frutnentariae, distribuait à bas prix ou gratuitement aux citoyens pauvres les blés de Sicile, d'Afrique et d'Égypte. Le service de l'annone devenait une institution fondamentale et indispensable de la République [ANNONA ".
En même temps, les objets de luxe affluaient dans la capitale. La conquête du bassin de la Méditerranée et l'exploitation systématique des provinces avaient enrichi les grandes familles de l'aristocratie sénatoriale ou équestre; l'antique sévérité des moeurs s'était singulièrement relàchée, et c'est en vain qu'on avait essayé par les lois somptuaires d'arrêter le courant irrésistible qui entrainait la société romaine". Ces besoins nouveaux des classes riches, aussi bien que les exigences croissantes des classes pauvres, servaient les intérêts du commerce et des négociants et contribuaient comme elles à faire converger vers Rome les productions les plus différentes des pays lointains.
III. Les deux premiers siècles de l'Empire. Pendant cette période, la réunion de tout le monde alors connu sous une même administration, la sécurité relative qui régnait dans les diverses parties de l'Empire sur terre comme sur mer, la cessation presque absolue des guerres dans les provinces soumises rendirent plus aisées les communications et répandirent partout la prospérité ; à
Antium',Terracine 2,Minturnes Simossa Paestum ' puis ceux du littoral adriatique, Castrum novum 6, Ari minum Brindes $ ; pourtant ils ne sont pas encore assez forts pour briser les liens qui paralysent leur expansion commerciale ; ils vont même. jusqu'à renouveler avec les Carthaginois, en l'aggravant, le traité passé antérieurement ; cette fois (448-306), ils se voient exclure de la mer Adriatique ; il leur est interdit d'entrer en relations avec les sujets de Carthage en Afrique et en Sardaigne; ils sont restreints à Cartilage et à la Sicile. Mais ils travaillent lentement à modifier la situation ; ils cherchent des appuis parmi les villes grecques dont la marine a quelque importance 10 : Marseille, une alliée déjà ancienne, qui avait secouru Rome de son argent après la prise de la ville par lesGaulois" ; les Rhodiens i2, représentants de la politique des neutres dans le monde hellénique : Apollonie i3, la puissante cité illyrienne, enfin Syracuse". On sent venir le jour où la capitale du Latium sera obligée, par la force même des événements, d'entrer en lutte avec sa rivale maritime et commerciale.
Deux autres causes retardèrent encore le développement du commerce romain : les préjugés hostiles aux commerçants et aux industriels, l'absence d'une classe moyenne vivant des ressources que procurent ces professions. La spéculation des capitalistes se portait sur le
sur l'exploitation à ferme des impôts [VECTIGALIAï, sur les entreprises à forfait [REDEMPTIO]. Quelques praticiens
ou riches plébéiens spéculaient bien aussi sur le travail d'esclaves mis à la tête d'une boutique 'MERCATOR] ou d'un navire LNAVIS], ou encore prenaient intérêt dans le petit commerce tenté par un affranchi [soCIETAS]. Les affranchis, de leur côté, s'enrichissaient et formaient une catégorie de plus en plus nombreuse ; mais leur influence sociale ne correspondait pas à leur fortune. La société romaine faisait un crime à ces hommes d'être d'origine servile et leur reprochait la nature des métiers qu'ils exerçaient, indignes d'un ingénu16 ; elle leur refusait l'égalité des droits politiques rI.IBERTUS, LIBERTINES]. Ainsi l'extrême concentration des richesses et l'esclavage s'opposaient à la formation d'une classe moyenne de marchands : c'est, au reste, ce qui nous explique la grande infériorité de tout le commerce antique.
Cette période vit pourtant s'accomplir une réforme très importante qui devait avoir une grande influence sur les transactions commerciales. Depuis les décemvirs 16, Rome possédait une monnaie coulée en bronze [As] ; mais il s'en fallait que l'as eût été adopté dans toutes les villes italiennes : partout le type et l'étalon variaient17. Dès que la puissance romaine fut solidement établie dans la péninsule en 485-26918, Rome s'empressa de créer un type monétaire commun à toute l'Italie et de centraliser la
fabrication des pièces. L'unité nouvelle fut le denier DENABms] d'argent ; les monnaies des autres cités ne furent plus tolérées que pourl'appointl9.
II. De la première guerre punique à l'avènement d'Auguste.La situation changea singulièrement pour. Rome le jour où, maîtresse de l'Italie, elle put, par une suite de succès, étendre sa domination sur les pays voisins 20. La lutte s'engagea d'abord avec Carthage, à propos de la Sicile. La première guerre punique, commencée en 490-264, se termina en 513-241 par un traité avantageux pour les Romains '1. Le vaincu abandonnait entièrement la Sicile. L'île devint une dépendance de l'Italie, et le commerce romain put s'y développer sans obstacle. Bientôt, en 517-237, à la suite de nouveaux succès, Carthage dut pareillement renoncer à la Sardaigne et laisser prendre la Corse". En 525-229, par la répression des pirates illyriens de Scodra, les Romains affermissaient leur domination dans l'Adriatique et réunissaient à leur symmachie les cités grecques d'Apollonie, de Corcyre et d'Epidamne23. Huit ans plus tard (523-221), dans une expédition en Istrie et en Illyrie, ils achevaient la destruction des pirates de l'Adriatique24. La seconde guerre punique, qui suivit de près (553-201), fit descendre Carthage au rang de tributaire et de simple ville de commerce; elle assura à Rome la domination de l'Espagne et de tout l'occident de la Méditerranée 25.
A la même date (555-199), la ville grecque de Puteoli reçut une colonie26 et devint l'entrepôt du commerce de luxe avec l'Asie et l'Égypte. Les relations entre Rome et l'Orient allaient s'étendre. Rhodes et les villes commerçantes de la côte qui faisaient cause commune avec elle, se sentant menacées par les Macédoniens, entreprirent de défendre l'Égypte et les cités grecques contre les attaques d'Antiochus et de Philippe de Macédoine. Rome intervient aussitôt; la lutte se termina en 558-196 par l'abaissement de la Macédoine et l'abandon de sa flotte 2 7 ; de son côté Antiochus, vaincu en 565-189, est relégué en Syrie ; ses éléphants sont pris et tous ses vaisseaux brûlés28. La troisième guerre de Macédoine eut pour résultat, en 586-168, la conquête de ce royaume et de l'Illyrie, l'affaiblissement de la Grèce, celui de Pergame et même des Rhodiens qui, à la suite d'une démarche inconsidérée, se virent dépouillés de toutes leurs possessions en terre ferme 29. Rome, allant plus loin, leur interdit l'importation des sels en Macédoine et l'exportation des bois de ce pays ; en même temps, pour les ruiner, elle créait à Délos un port franc30. En vain demandent-ils à rentrer dans l'alliance de Rome; on ne le leur accorda qu'en 590-16431
Ces victoires successives et la disparition de tous ses rivaux donna au commerce maritime de Rome une vive impulsion, tandis que l'établissement d'un vaste réseau
MER 1770 MER
peut produire 1; tout autre gain que les revenus de la terre leur paraissait indigne d'un homme libre Dans ces conditions, l'industrie et le commerce ne pouvaient être que rudimentaires. Mais il ne se pouvait pas non plus qu'il n'y eût pas de trafic ; et la preuve en est que Numa, suivant la tradition, établit huit collèges d'artisans' ; or l'industrie suppose le commerce. Et ce n'étaient pas les seuls commerçants qui existassent alors'. Il est certain également que, dès cette époque, Rome était en relation commerciale avec ses voisins et même avec l'étranger par ses frontières de terre. Les textes littéraires et épigraphiques nous ont conservé le souvenir de marchés réguliers, dont l'origine paraît fort. ancienne. Tous les neuf jours se tenaient des nundinae où l'on faisait de nombreuses affaires ; les gens de la campagne affluaient alors dans la capitale°. A certaines dates aussi il y avait de grandes foires (mercatus)e. D'abord les réunions solennelles de la ligue latine [-LATINI] donnaient lieu non seulement à des cérémonies religieuses et à des fêtes, mais encore à des marchés considérables, au temple de Diane près du mont Aventin7; tous les ans, au 13 août 8, les Latins venus à Rome en profitaient pour faire leurs emplettes. Chaque année avait lieu une grande foire, en Étrurie, près du temple de Voltumna, dans le pays des Volsinii ° ; les marchands romains la fréquentaient. On venait surtout en foule, à date fixe, au pied du mont Soracte, dans le bois sacré de la déesse Feronia10. La masse abrupte de la montagne offre de loin un but bien reconnaissable aux voyageurs. Elle touche à la fois aux frontières des Étrusques et des Sabins ; en même temps elle est d'un accès facile à qui vient du Latium ou de l'Ombrie. Les Romains s'y rendaient comme leurs voisins pour faire le négoce ; les transactions donnaient fréquemment naissance à des démêlés avec les Sabins". On y trafiquait principalement des choses nécessaires à la vie : le grain, les esclaves, le bétail, les métaux 12 ; la monnaie d'échange consistait en boeufs ou en brebis, le bœuf valant dix brebis 73 ; puis on prit comme matière de paiement le cuivre (aes) dont on avait besoin pour les instruments de culture et pour les armes". a Cet usage partout accepté, dit M. Mommsen, d'un équivalent commun des échanges; les signes de la numération, de pure invention italienne; enfin le système duodécimal, tel que nous le verrons en vigueur; tous ces faits attestent, sans qu'on s'y puisse méprendre, l'existence et l'activité d'un marché intérieur qui mettait exclusivement en contact tous les peuples de la Péninsule 15. »
A la même époque le commerce maritime de Rome était fort peu developpé 18. Qu'il existàt, c'est ce que démontre, à défaut d'autres preuves, la fondation du port d'Ostie à
l'embouchure du Tibre attribuée à Ancus Martius f7, et même l'établissement des droits de douane qu'on prétendait y avoir perçus dès le temps des rois ". Mais toute l'activité commerciale sur mer était alors entre les mains des Étrusques et des Carthaginois 19 ; il ne restait guère de place sur le littoral italique pour la puissance romaine en formation. Elle dirigea ses efforts du côté de Cumes et de la Sicile"; on en a trouvé la preuve surtout dans ce fait que, seuls de tous les Grecs, les Siciliens ont mis leurs poids et leurs monnaies en rapport exact et complet avec la monnaie etle poids du cuivre brut des Italiotes 21; il y eut, en outre, échange de mots entre les Siciliens et les Romains pour désigner les choses du commerce. L'emploi exclusif de la forme dorienne dans les mots grecs latinisés indique aussi que les Latins ont été en relations alors avec les villes chalcidiques de l'Italie méridionale comme Naples et avec les Phocéens de Marsala22. Les termes techniques du vocabulaire commercial, et notamment ceux qui désignent les principaux organes du commerce maritime (ancora, antena, nausea, prora, nauclerus, etc.) furent empruntés par les Romains à la Grèce 22.
Par contre, aucun mot de langue sémitique n'ayant passé dans le latin, il est probable qu'il y eut fort peu de rapports directs entre les Orientaux et Rome. Les marchandises d'Asie qui y pénétraient alors 2" y arrivaient surtout par l'intermédiaire du commerce grec et par les traitants italiens qui résidaient à l'étranger25.
La révolution qui substitua la République à la Royauté et les complications qui s'ensuivirent, la lutte engagée contre les peuples voisins, contre les Étrusques, contre les Gaulois, absorbèrent l'activité des Romains et les empêchèrent de tourner leur attention vers l'expansion commerciale. lls acceptèrent à cet égard, pour avoir les mains libres en Italie, un rôle très effacé. La preuve en est dans le traité de commerce conclu avec Carthage en l'an 406-34820. Rome s'y engageait à ne pas laisser ses citoyens naviguer, sauf les cas de force majeure, le long de la côte africaine, au delà du cap Bon ; en revanche, elle pouvait faire le commerce dans toute la Sicile carthaginoise. De leur côté, les Carthaginois avaient la franchise du commerce avec Rome et le Latium, à condition de ne pas commettre d'excès contre les cités d'Ardée, d'Antium, de Circeies et de Terracine. Vers la même époque se place un traité passé avec Tarente, par lequel les Romains renonçaient à doubler le cap Lacinien et à pénétrer dans le bassin oriental de la Méditerranée 27. Mais leur politique allait tendre dorénavant à leur faire abandonner cette humble attitude. lls colonisent les ports les plus importants de la côté occidentale : Pyrgi, port de Caere98,
MER 1769 MER
C. Le commerce et l'opinion publique. On a discuté, et on discute encore, sur la question de savoir en quelle estime l'opinion publique tenait le commerce dans l'ancienne Grèce'. La difficulté provient, d'une part, de ce que les renseignements que nous possédons sont assez disparates, et d'autre part, de ce qu'ils sont suspects de ne pas refléter fidèlement l'opinion moyenne du milieu d'où ils sont sortis. Les agriculteurs méprisent volontiers les marchands. A l'époque des origines, la Grèce, pays agricole, doit montrer quelque défiance au commerce grandissant', et cette défiance subsiste fort longtemps, on le sait, dans les régions demeurées fidèles à l'économie agricole ]Sparte', Thèbes Épidamne5, etc.). Mais dans les villes enrichies depuis longtemps par le commerce, par exemple à Athènes à partir du vit siècle, il serait surprenant que le dédain primitif du rural pour le commerçant puisse survivre dans l'opinion commune. Cependant, s'il faut en croire les témoignages que nous possédons, qu'ils émanent d'un Platon, d'un Aristophane, d'un Xénophon ou d'un Aristote, l'état de commerçant continue à être tenu en médiocre estime. Pour ces auteurs, le commerce et l'industrie sont les deux plaies de la société. Lorsque Platon construit sa cité idéale, il se félicite de ce que son futur État est situé à quelque distance de la mer, car il aura moins de relations avec le dehors, et son commerce sera forcément moins actif
il reconnaît, à vrai dire, qu'un minimum d'activité commerciale est nécessaire ' ; mais encore est-il bon que les citoyens soient exclus de ce trafic, et qu'on le laisse aux métèques et aux étrangers 8. La profession de marchand n'est « ni honnête ni honorable : ceux qui s'y livrent ne connaissent aucune mesure dans la recherche du gain. Si on pouvait former le corps des négociants, commerçants, etc., de personnes vertueuses, ces professions seraient estimées à l'égal d'une mère et d'une nourrice 9 n. De son côté, Aristophane ne cesse de railler ceux qui travaillent de leurs mains dans le commerce et l'industrie. Tour à tour il s'attaque à Eucrate, le marchand d'étoupes; à Lysiclès, le marchand de moutons; à Cléon, le marchand de cuirs; à Euripide, le fils de la marchande de légumes10. Aristote enfin, prenant les choses de plus haut, condamne en bloc la chrématistique, qui a pour but, non de satisfaire nos besoins, mais d'en créer de factices, et le commerce, qui est l'instrument par excellence de la chrématistique ". Il condamne aussi les marchands, artisans et mercenaires, dont le genre de vie est vil, dont les occupations n'ont rien de commun avec la vertu'''. Comme Platon, il reconnaît cependant la nécessité du commerce 23, mais il en interdit l'exercice aux citoyens ". Que penser de ces opinions?
A vrai dire, les préventions qu'elles reflètent ont une double source : d'une part, c'est le mépris de l'activité intéressée, et de la lutte polir l'argent, mépris qui se développe assez naturellement chez des intellectuels,
surtout depuis que la sophistique a établi une opposition entre le sophiste, homme du travail de tète, et le marchand ou l'artisan, hommes du travail manuel"; il ne faut pas oublier que Platon ou Aristote sont des représentants de l'opinion savante. D'autre part, c'est la prévention politique. Platon, Aristophane, Aristote, sont aussi des représentants de l'opinion aristocratique, et combattent pour leur parti. L'aristocratie a ses bases originaires dans la possession du sol et dans l'agriculture, comme la démocratie a les siennes dans la possession de la richesse mobilière et dans le commerce. On conçoit facilement la défaveur que nos auteurs attachent au commerce. Mais, si l'on recherche quelle peut être, dans l'opinion moyenne et courante, la situation du marchand, nul doute qu'elle ne soit plus relevée qu'on ne le croit généralement. A vrai dire, le petit marchand, le x,I7-r,'t,oç est considéré d'ordinaire comme un mince personnage; mais son mauvais renom tient à ce qu'il est pauvre, et, par surcroît, peu honnête [MERCATOR]. Cela n'empêche pas, d'ailleurs, que tel marchand, comme ce Cléon qui vend des cuirs, cet IIyperholos qui vend des lampes, ce Cléophon qui vend des luths, ne soient les favoris de l'assemblée du peuple n. Quant au grand commerçant, à l'EN.7.0poç, il occupe une place honorable dans la société : Chrysippe plaidant contre Phormion sait bien se recommander aux juges de sa qualité de gros importateur". Il suffit de voir en quels termes Périclès fait l'apologie des artisans et des marchands ' 8 pour être convaincu que l'opinion moyenne de la Grèce commerçante n'a pas été aussi ingrate qu'on le pense envers ces marchands à qui elle devait, avec sa prospérité économique, une part de sa grandeur. P. Iluvpl,lh.
ROME. L'histoire du commerce des Romains n'est pas indépendante de leur histoire générale ; il se développe à mesure que leur puissance s'accroit, et s'étend avec elle sur tout le monde connu des anciens ; il profite de tous les succès de Rome et souffre de ses malheurs.
On peut donc diviser cette histoire, comme celle des Romains elle-même, en quatre périodes : la première, contemporaine des débuts de la ville ; la seconde, de son expansion en dehors de l'Italie, à partir des guerres puniques jusqu'à l'Empire; la troisième, toute d'épanouissement, est l'époque du haut Empire ; la quatrième, de décadence, correspond aux derniers siècles de la domination romaine.
1. Depuis le fondation de Rome jusqu'à la /in de la première guerre punique. On sait fort peu de chose du commerce de Rome pendant la période primitive'°. Les vieux Romains étaient essentiellement guerriers et agriculteurs 20; quand la nécessité de défendre la patrie ou d'en étendre les limites ne réclamait pas leur bras, ils se donnaient à la culture de leurs terres, pour en tirer tout ce dont ils avaient besoin pour eux et pour leur famille, vêtements et nourriture : ils ne comprenaient pas qu'un agriculteur eût l'idée d'acheter ce que sa propriété
(~yI7A Px Cko\-OS T-aLE1t.ESEt'
MER -1768MER
et, le crédit sont les banquiers'. Le commerce de banque comprend trois grandes branches, souvent exercées concurremment par les mêmes hommes. Ces Crois branches sont: le change manuel. des monnaies, qu'exer
cent tes r/Iottqeuro (âp'(upau.o.éotou es),),ué.7T4() 2; l'avance (le capitaux, qu'exercent les préteurs lèèSYEIQTC(, Tor-.nTa( ou fp-f;o-:a()''; enfin le transport d'argent et le paiement pour autrui, qu'exercent les banquiers proprement dits
monnaies est particulièrement utile dans la Grèce ancienne cause de la grande variété des types monétaires. Le change n'est d'ailleurs qu'une espèce de vente (vente d'une monnaie contre une autre)'. Le gain du changeur se nomme xe're)),e' , ikr txaTa),),e"r ou xé),))u boç
Le changeur fait en outre métier d'éprouver et de peser les monnaies 5. Le préteur avance de l'argent à ceux qui en ont besoin (particu
liers ou personnes publiques)', soit sur simple signature, soit plus ordinairement sur garanties (caution, gage, hypothèque) s. Il en relire des intérêts élevés : au ve et au Ive siècle, la banque du temple de Délos prête au taux de 10 p. 400', A Athènes, les prêts commerciaux ordinaires rapportent, au Iv" siècle, de 12 à 18 p. 1_00 ; les prêts à la grosse de 22 à 33 p. 10010. Le trapézite reçoit des dé
pôts d'argent en compte courant de clients pour le compte desquels il effectue des paiements, soit en argent comptant, soit au moyen (le virements de comptes (8lavpay(i) 11 sur leurs registres (ü7toaviJt.i.1. )12. Grâce aux correspondants qu'ils possèdent sur d'autres places13 ils peuvent réaliser des paiements à distance (transports d'argent) '1
Les plaidoyers d'Isocrate (Trapcrzitigae) t5 et de Démosthène nous fournissent d'intéressants détails sur l'activité des banquiers athéniens, et, notamment, sur la grande banque de Pasion et de Phormion'6; ils nous font apprécier l'importance de leurs affaires et l'étendue
de leur crédit. Nous savons par exemple que, lorsque Pasion mourant voulut mettre en règle ses affaires, sa fortune ne s'élevait pas à moins de 60 talents, dont 20 en immeubles et 40 placés dans les affaires17. Nous possédons aussi des renseignements sur les banques des temples. Ces établissements, en Grèce comme dans beaucoup d'autres civilisations 18, sont des établissements financiers'', et reçoivent des dépôts privés ou publics 20. Ainsi le trésor d'Athènes est déposé dans un temple d'Athéné21;celui delaconfé.dération maritime athénienne, dans le temple de Délos 2'; Lysandre dépose au temple de Delphes une somme qu'il ne peut emporter à Sparte 23. Ces dépôts et les riches trésors dus à la piété des fidèles sont employés en prêts fructueux consentis à des particuliers ou à des États" : ainsi la banque de Delphes prête à Clisthène de l'argent pour ses entreprises contre les tyrans 95 ;
la banque du temple de Délos a de nombreux débiteurs qui lui paient intérét2t. Il existe de semblables banques danslaplupartdessanctuaires vénérés (Delphes, Délos, Éphèse, Samos, etc.). Les proxènes de ces temples leur servent de correspondants dans las principales places de commerce".
3. Poids et mesures, Pour la répartition et la distribution decer
s Laines marchandises
(choses fongibles), un
système de poids et me
sures est nécessaire28 (fig. 4927) (poanus, SIENSUBA, LIBBA]. Comme la monnaie et le crédit, les poids et mesures, connus de bonne heure en Grèce, etdonton rattache l'origine au roi d'Argos Phédon proviennent d'Orient 30 : ce sont les poids et mesures babyloniens qui, par l'intermédiaire des Phéniciens, ont acquis droit de cité chez les Grecs''. Poids et monnaies suivent la même évolution : Égine, puis l'Eubée, imposent leurs poids au monde égéen, à la faveur du commerce. Athènes, qui s'est d'abord servie du talent d'Égine 32, emploie depuis Solon le talent euboïque et en fait le poids du commerce mondial. On retrouve les poids et les mesures d'Athènes jusqu'en Sicile et en Italie 33
MER 1767 MER
tionnent des navires de commerce de dimensions encore plus considérables. Lucien parle d'un vaisseau qui a environ 55 mètres de long, 14 mètres de large, et plus de 13 mètres de creux à l'endroit le plus profond'. De pareilles embarcations, sans offrir la sécurité de nos navires modernes, sont néanmoins bien supérieures aux barques de l'époque homérique. Mais les traversées ne sont pas sensiblement plus hardies ; les routes de mer s'éloignent le moins possible des côtes. Ainsi la route de l'Ouest suit le rivage de la Messénie et de l'Élide, rejoint à l'entrée du golfe de Corinthe la route qui vient du fond du golfe et de l'Isthme, remonte le long de l'Épire, et, par Corcyre (ce qui explique les relations entre Athènes et Corcyre), gagne les côtes d'Italie et de Sicile 2. De même, les routes du Pont sont des routes de cabotage : le commerce du Pont appartient d'abord aux Milésiens, parce qu'ils peuvent facilement y accéder en longeant les côtes d'Asie Mineure. Lorsque les Athéniens se substituent aux Milésiens, et font du Pont le grenier de l'Attique, leurs vaisseaux ne se hasardent pas à couper en ligne droite la mer Égée ; ils suivefit l'Euripe (ce qui explique l'importance, pour Athènes, de Chalcis et d'Histiaea) et longent la Macédoine et la Thrace 3. Pour traverser la mer Égée, on quitte le moins possible l'abri des îles. Il y a deux routes du Pirée vers l'Asie Mineure : celle du nord passe par Chios et Lesbos '; celle du sud, par les Cyclades (Délos, Paros et Naxos) et par Samos. Le commerce d'Athènes avec l'Égypte et la Cyrénaïque emprunte aussi cette voie. Il passe par Rhodes, Phaselis, Chypre, et côtoie la Phénicie : pendant la guerre du Péloponèse, c'est près de Cnide que les Lacédémoniens cherchent à intercepter les convois de blé d'Égypte à destination d'Athènes '. Cependant il existe une autre route d'Égypte suivie surtout, semble-t-il, en temps de guerre, par les vaisseaux péloponésiens qui veulent éviter de s'exposer aux attaques des Athéniens ou de leurs alliés : ces vaisseaux, après avoir doublé le cap Malée, relâché à Cythère et en Crète °, font voile directement vers l'Afrique
4. Monnaie et crédit. Les moyens de transport matériels ne sont pas les seuls instruments de la distribution commerciale. Une circulation active et régulière des richesses serait impossible, surtout par la voie de terre', s'il n'existait pas des marchandises intermédiaires, de maniement facile, pouvant servir de substituts à toutes les autres 9. Ces marchandises sont la monnaie et le crédit, qui se ramènent, en dernière analyse, à des instruments de transport de valeur : si, au lieu d'emporter avec moi le pain destiné à me nourrir, je n'emporte que la pièce de monnaie destinée à acheter
ce pain, cette pièce constitue évidemment un instrument de transport de valeur; ou si, sans me dessaisir même de cette pièce de monnaie, j'obtiens mon pain contre une simple promesse de le payer plus tard, le crédit dont je jouis et qui, basé sur ma solvabilité présumée, constitue un élément actif de mon patrimoine, jolie bien le rôle d'un instrument de transport de valeur.
Nous savons comment les échanges effectués par l'intermédiaire d'une monnaie se substituent en Grèce aux échanges opérés par troc : la monnaie se développe en même temps que l'économie commerciale. Monnaie et commerce, comme le remarque déjà Aristote, sont deux phénomènes concomitants". C'est de l'Orient que les premières monnaies, comme tous les éléments de la civilisation commerciale, parviennent dans le monde grec [ausisiuS, PECI'NtAj ". Les premières monnaies qui s'introduisent dans les colonies d'Asie Mineure sont celles du royaume de Lydie 12. Dans la mère-patrie, la grande cité commerçante d'Égine commence à frapper des monnaies dès le début du vie siècle; après elle, ce sont les villes de l'Eubée, Chalcis et Érétrie; au commencement du vlo siècle, Corinthe ". Athènes frappe d'abord des monnaies au poids lourd d'Égine, puis, après Solon, des monnaies au type léger de l'Eubée 1 °. Au ve siècle, sa concurrence grandissante fait fermer les ateliers monétaires de l'Eubée (446) et d'Égine (431); la drachme attique devient la monnaie commerciale du monde. A partir de la deuxième moitié du vie siècle, mais surtout dans la période hellénistique, l'essor général du commerce développe partout la frappe des monnaies. A l'origine, la mère-patrie frappe presque exclusivement de la monnaie d'argent; le cuivre n'apparait que comme monnaie d'appoint '°, et encore tardivement". Les monnaies d'or sont rares jusqu'au règne de Philippe i1.
Le développement du crédit commercial est parallèle à celui de la monnaie. Peut-être les principales opérations de crédit, originairement inconnues de populations purement agricoles, ont-elles pénétré dans la vie économique grecque par la voie de l'Orient, où la plupart d'entre elles (prêt, et notamment prêt à la grosse)" sont dès longtemps en usage. On trouve de très bonne heure des banquiers en Lydie. Nicolas de Damas nous raconte comment le banquier Sadyatte refusa, vers 566, du crédit à Crésus10 . Quoi qu'il en soit, au ve et surtout auive siècle, le crédit personnel, malgré la prévention générale que les philosophes manifestent contre lui", fonctionne en Grèce sous ses principales formes : prêt (et notamment prêt à intérêt) 91, dépôt (et notamment dépôt irrégulier)", vente à créditL3.
Les commerçants dont les affaires portent sur l'argent
MER 1766 MER
les temps homériques. Les voitures à deux roues sont toujours les plus employées. Les voitures à quatre roues ne se multiplient qu'après les guerres médiques 1. Mais, malgré la simplicité et la robustesse de ces voitures, les chemins sont trop peu nombreux, et, à côté d'eux, il y a trop de sentiers à peine frayés 2 pour qu'on puisse régulièrement utiliser les voitures comme moyens de transport. On se sert surtout de bêtes de somme (mulets et ânes) Le cheval est employé pour le transport des voyageurs, mais exceptionnellement pour celui des marchandises'.
C'est seulement hors de la Grèce continentale, spécialement en Afrique, dans l'Europe du Nord, en Asie, que les voies de transport terrestres ont une réelle importance'. Ces voies de transport ne sont pas grecques par leurs origines. Le commerce grec, en s'étendant dans un champ nouveau, a utilisé les routes frayées par ses devanciers. Il existe en Asie de grandes routes de caravanes' L'ancienne route royale qui, à travers la Lydie, va de Sardes à Suse et à Pléria, et constitue la grande artère des échanges entre le monde grec et le monde transtaurique 7 ; les routes de poste de l'empire achéménide qui deviennent, après les conquêtes d'Alexandre, les grandes voies commerciales de l'Asie hellénisée 8, sont des pistes de caravanes'. En Afrique, il faut citer les voies qui unissent l'Égypte à l'Arabie et aux côtes de la mer Rouge 70, et celles qui, de Cyrène, conduisent, dansla direction du sud, vers Angila, où débouchent aussi les routes des caravanes de Lydie". Enfin, vers le nord de l'Europe, le commerce grec emploie, comme voies de pénétration, les routes de caravanes que lui ont tracées les Phéniciens et les Étrusques. Il y en a deux groupes, qui aboutissent aux côtes de la mer Baltique, celles de l'est, en partant du Pont-Euxin, celles de l'ouest, en partant de l'Italie du Nord et de la Gaule et en traversant les Alpes. C'est par ces routes que passent les marchands qui vont chercher de l'ambre dans les pays du Nord. Leurs directions, que font connaître assez incomplètement les auteurs anciens, peuvent être rétablies, sans que l'on puisse prétendre à une certitude absolue, à l'aide des nombreux fonds archéologiques qui en marquent les principales étapes". La route des Phéniciens est celle de l'est. Elle part d'Olbial3, à l'em= bouchure du Boug, suit le Dniéper, le Pripet, la Iasolda, puis le Niémen, jusqu'au marché de Raumonium, dont parle Pline 1b, et à la Baltique. Dès le ve siècle, les Grecs suivent cette route, et arrivent à la Setidava de Ptolémée,
sur la Netze, dans la contrée de Schubin 1 A l'ouest, les routes du commerce ont été frayées par les Étrusques lorsque ceux-ci, repoussés des mers Tyrrhénienne et Adriatique par les Grecs, et déchus de leur puissance maritime, ont créé de nouveaux débouchés dans les pays du Nord". Ils franchissent les cols des Alpes (Petit et Grand Saint-Bernard ; Saint-Gothard, Splügen, Septimer, Stelvio17 et surtout Brenner) 1B. l.a route par lé Brenner est la plus fréquentée et la plus rémunératrice ; elle aboutit à la vallée du Danube. De là les marchands étrusques traversent les monts de Silésie au col qui conduit à Glati., passent à Schu'eidnitz, Liegnitz, Glogau (sur l'Oder),Schrimm (sur la War Ma), parviennent sur la Netze, et de là gagnent, soit les bouches du Niémen, par Kulm, soit celles de la Vistule, par Czernickau 19. Le commerce grec, soit qu'il vienne de la mère-patrie par la voie d'Olhia, soit qu'il vienne des établissements phocéens de Gaule20, adopte ces routes du commerce étrusque, comme le prouvent les objets fabriqués de provenance grecque qui les jalonnent. Le commerce romain les suivra bientôt à son tour.
Malgré l'importance que les routes et les transports terrestres ont ainsi fini par prendre (d'ailleurs assez tardivement) pour le commerce grec, la voie de mer et les transports maritimes tiennent dans ce commerce la première place. L'instrument essentiel du commerce maritime est le navire [NAVIS]. Comme à l'époque homérique, on distingue le navire de commerce, ou vaisseau rond
(aTpoyyd),ov 1t)eo(0V ou c),xzç)L1 du navire de guerre ou vaisseau long (p.axpw 7),otov) u. Le second est mieux
connu que le premier (bien que sa construction et la disposition de ses rangs de rames soulèvent encore plus d'un problème23). Le navire de commerce, qui est trapu, court et peu rapide, voyage de préférence à la voile, bien qu'il soit aussi, pour parer aux dangers du calme plat, pourvu de rames 2'. Il existe plusieurs types de bateaux de commerce (quelques-uns d'origine étrangère), qui portent des noms techniques (yaG),oç, (iâpts, ),r p.Poç, etc.) `°. Ils sont construits dans les mêmes centres que les navires de guerre; à une époque récente, les chantiers de Chypre sont particulièrement renommés pour la construction des navires de commerce (onerariae naves)90, On évalue usuellement leur contenance d'après le nombre de talents qu'ils peuvent porter : on cite tel navire qui peut
ce qui correspond à une capacité de 250 à 260 tonnes 29. A partir de la période hellénistique, les auteurs men
MER 1766 MER
pales marchandises des marchés et des foires (Délos) [SERVI:Si (ils viennent surtout des bords de la mer Noire" et, parmi les articles d'exportation, pour les livres
2. Les débouchés. Les courants de circulation commerciale se dirigent vers certains débouchés qui servent aux marchandises de centres de pénétration et de diffusion jusqu'aux consommateurs. Ces débouchés sont permanents ou temporaires. Les places de commerce permanentes sont les villes, qui offrent aux commerçants leur port, leur emporion et leur agora. Le port, l'emporion, l'agora comportent toute une organisation et tout un outillage pour la manutention, la conservation et la distribution des marchandises. Cette organisation est
XEGOCIATOR. La répartition des grandes villes commerçantes a varié avec les époques, selon les directions prises par le commerce grec; on a indiqué plus haut quelles sont, à chaque époque, les plus importantes d'entre elles. Les places de commerce temporaires sont les foires, c'est-à-dire certains rendez-vous périodiques d'acheteurs et de vendeurs, qui peuvent exister en dehors de toute agglomération permanente '. On en rencontre dans tous les milieux économiques encore jeunes, comme -un moyen naturel de triompher de l'obstacle que l'espace et le temps opposent aux rapports entre les hommes '`. Les foires grecques sont, comme celles de toutes les civilisations ', liées aux grandes fêtes religieuses
(77XV-t"é76iç) [PANEGYRIS]. C'est autour des semples, à la fois
sièges de congrès politiques, banques et sanctuaires, que se rassemblent périodiquement, grâce aux voies sacrées, les convois de marchands et les cortèges de pèlerins. D'après Diogène Laèrce 6, les panégyries attirent trois sortes de visiteurs : des athlètes, des marchands, et surtout des badauds. D'où la fameuse comparaison de Pythagore entre la vie et une foire 7. Toutes les grandes fêtes grecques ont leurs foires. Les plus importantes sont celles d'Olympie 8, de Delphes (à l'occasion des réunions du conseil amphictyonique) 9, de Corinthe (à l'occasion des jeux isthmiques)10, et surtout de Délos. La foire de Délos existe très anciennement; à partir de l'époque hellénistique, et, surtout sous la domination romaine, son importance devient universelle". A Athènes, les panégyries des Panathénées attirent beaucoup de marchands12. Les plus petites cités, les colonies les plus lointaines ont des foires fréquentées. A Tithorea, une foire se tient au printemps et à l'automne, à l'époque desfetes d'Isis" ; la ville grecque de Komana, dans le Pont, attire pèlerins et marchands aux fêtes de la déesse assyrienne Mylitta14, et les frontières sont marquées par des lisières de marchés (replat rzyopal)''. L'organisation de ces foires ressemble sans doute à celle des marchés des villes. II y existe des
VI.
agoranomes, sur le compte desquels nous possédons quelquesrenseignements14.
Comment s'effectue dans ces débouchés, au point de vue économique, l'écoulement des marchandises? Les conditions d'écoulement d'une marchandise varient, sur un point donné, selon l'abonda.nce ou la rareté de cette marchandise et le besoin que le consommateur en a (offre et demande), IIy a parfois de bonnes affaires, mais parfois aussi des méventes ou des impossibilités de vente "Al appartient à l'expérience professionnelle et â l'intelligence du négociant d'éviter, s'il le peut, les mécomptes d'entreprises portant sur des objets de défaite difficile (par exemple par un système de renseignements et de correspondance avec les places étrangères, système qui parait régulièrement organisé dans les grandes maisons marchandes) 0. Quelquefois]: habileté des marchands devient déloyale. Les auteurs grecs nous signalent plus d'une spéculation douteuse, destinée à provoquer des hausses ou des baisses factices de prix (par exemple en répandant de fausses nouvelles').
3. 3fo'ryens et voies de transport. Entre les centres de production et les débouchés s'établit un courant commercial, grâce à un outillage important et complexe. Il faut transporter matériellement les marchandises et les hommes, et pour cela, suivre les chemins les plus surs, les plus commodes, les plus avantageux (voies de transport), et employer certains instruments (moyens de transport). Moyens et voies de transport sont étroitement liés, et doivent être étudiés ensemble. ll .y a lieu de distinguer les transports terrestres et les transports maritimes.
Les transports terrestres n'ont qu'une importance secondaire, au moins dans la Grèce continentale. Les conditions du relief, nous le savons 20, et le morcellement politique du sol expliquent suffisamment le défaut de grandes routes [vit01, Mais tout au moins existe-t-il des chemins, généralement établis, pour faciliter l'accès des temples et des fêtes, par les soins des corporations et des collèges religieux'". Une voie sacrée va, par exemple, d'Athènes à Éleusis, passe par l'emplacement des jeux isthmiques près de Corinthe, et probablement traverse l'Arcadie jusqu'à Élis et Cyllène23. Une autre conduit à Marathon, et, de là, par Tanagra, jusqu'à. Thèbes et à Delphes 28, A la différence des routes romaines, ces chemins ne comportent pas une chaussée pleine et unie, mais seulement des sillons creusés pour les roues; il y a parfois deux séries de sillons', quelquefois une seule, avec des garages de place en place pour le croisement des voitures26. Ces chemins, fréquentés d'abord par les processions de pèlerins, sont bientôt suivis aussi par les marchands 27, qui y font passer leurs voitures de charge". Ces voitures "m'ont pas sensiblement progressé depuis
2'2
pédient jusqu'en Italie, à
pays les plus lointains. On mentionnera d'abord les poteries. Les poteries artistiques (sinon les poteries ordinaires, dont la fabrication est trop répandue pour laisser place à une grande exportation des produits') sont échangées fort loin de leurs centres de production. Les ateliers de Corinthe en exCarthage, en Crimée, etc.
et les
cinnamome),
An'
c; /L
x;11
m'es
MER
parfums (encens, baume, myrrhe, épicesde provenance orientale. Le coton est peu répandu en Grèce, et le lin n'y est cultivé que tardivement 9 Des produits du sol, il faut rapprocher ceux des animaux. La Grèce produit et exporte du miel (de l'Hymette ou de Chypre) fx L z et de la laine (de l'Atti
que) [LA:NA11. En re
vanche, elle importe des peaux du Pont et de l'Afrique ° et de l'ivoire de l'Indes.
Mais ce sontpeutêtre les produits industriels qui, à partir de la fin du v'siècle, constituent les marchandises les plus importantes, celles qui sont échangées le plus universelle
ment, celles qui pénètrent dans les
MER
(fig. 4926) 8. Dès le vue siècle, Athènes en fabrique en gros pour l'exportation ° ; elles parviennent jusqu'en Éthiopie, par l'intermédiaire des Phéniciens '° Les fabriques de Samos paraissentjouirégalement d'une certaine renommée commerciale", On échange aussi des produits métallurgiques. Ce sont d'abord des armes, dont les provenances varient avec les époques (au temps de Pollux 12, on cite les cuirasses d'A thènes, les casques de Béotie, les heaumes et les couteau x de Laconie, les boucliers d'Argos, les arcs de Crète, les frondes d'Acarnanie, les javelots d'Étoile, les poignards de Gaule, les haches de Thrace); puis des ustensiles (cratères d'Argos '
serrures de Laconie L', etc.). Mais, si les exportations d'armes chez les peuples moins civilisés paraissent avoir eu, en Grèce comme partout, de l'importance (armes grecques en Afrique) les exportations d'autres articles métallurgiques sont demeurées assez faibles 16. Une troisième catégorie de produits fabriqués est constituée par les tissus, qui sont l'objet d'échanges actifs. Les lainages et les tapis viennent surtout de Milet'', les vêtements communs de Mégare18, les manteaux de Pellène, en Achaïe '9. Beaucoup d'étoffes sont importées. La toile de lin vient d'Égypte, de Colchide20 ou de Tarente 21. La Lydie fournit aux Grecs des tissus renommés22; les étoffes teintes en pourpre sortent des ateliers phéniciens 93. Après les guerres médiques, et surtout après les conquêtes d'Alexandre, les produits textiles et les étoffes d'Orient pénètrent en Grèce (soie=` et coton") et donnent lieu à un important commerce de caravanes à travers l'Asie. La Grèce ne fabrique pas de verreries; elles sont d'origine phénicienne ou égyptienne26.
Une mention spéciale doit être réservée, parmi les articles d'importation, pour les esclaves, l'une desprinci
MER 1763 MER
salie', peut-être à Cos2, et dans certaines foires (notamment à Andania 4).
Aux impôts que nous venons de faire connaître, il convient d'en joindre d'autres que nous nous bornons à mentionner, car ils ont le caractère, non de droits frappant le commerce, mais seulement de redevances représentant le salaire de services rendus : il s'agit des taxes perçues pour l'usage de locaux affectés par l'État à l'usage du commerce (halles, entrepôts, ports, etc.)
Mécanisme de la circulation commerciale. Le commerce doit rapprocher les uns des autres les hommes et les richesses, primitivement isolés : il faut organiser des moyens qui permettent de surmonter les obstacles matériels que la nature oppose à ces rapprochements (obstacles tenant aux formes du relief, au climat; distances) et de les surmonter dans des conditions de temps, de commodité et de prix de revient qui assurent des rapprochements rémunérateurs et réguliers. Toute l'organisation matérielle du commerce dérive de ce besoin. Il faut, depuis les centres de production, et jusqu'aux débouchés, établir des moyens de distribution (voies et moyens de transport, argent, crédit, poids et mesures) des richesses. On passera donc rapidement en revue les richesses qui sont appelées à circuler dans le commerce (marchandises), leurs centres de production et leurs débouchés ; enfin les moyens de circulation et de distribution de ces richesses. Il ne saurait être question de pousser cette revue dans le détail : ce serait une étude encyclopédique, qui doublerait inutilement un très grand nombre d'articles de ce dictionnaire. Il s'agit seulement de marquer la place, et les connexions nécessaires dans le mouvement commercial, des questions qu'elle soulève.
1. Les marchandises et les centres de production. Les richesses commerciales sont appelées marchandises. Tous les biens mobiliers (et ces biens seulement, puisqu'ils sont seuls susceptibles de circuler) peuvent être, selon les circonstances, considérés comme marchandises. Ce sont parfois des produits naturels. La répartition de leurs centres de production dépend exclusivement de la constitution du sol, des conditions de son relief et du climat. Il y a aussi des produits agricoles. La répartition de leurs centres de production est encore étroitement liée aux facteurs naturels ; mais, puisque le travail de l'homme collabore ici avec la nature, il faut déjà tenir compte des conditions de l'activité humaine. Il y a enfin des produits industriels, dont la production, dépendante encore de la nature (qui fournit à l'inclusif' a ses matières premières et parfois les forces dont elle a besoin), dépend cependant presque autant des conditions de l'activité
humai ne. C'est donc àla lumière des explications que fourniraient la géologie, la géographie physique, la géographie botanique, la géographie zoologique, la géographie humaine, l'histoire politique et l'histoire sociale, qu'il faudrait examiner les indications de marchandises et de lieux de provenance que fournissent les textes anciens. Cette étude, peut-être prématurée encore, ne saurait trouver place ici. On ne saurait non plus énumérer toutes les marchandises citées par les auteurs, ni même le plus grand nombre d'entre elles. Comme l'importance commerciale de ces marchandises est très inégale, on se bornera à faire connaître les principales d'entre elles 6.
Le sous-sol de la Grèce est médiocrement riche en minerais. On y trouve surtout de l'argent et du fer
vient des mines du Laurium et d'autres mines situées en
Chypre et dans l'île de Siphnos Le fer provient sur
tout de l'Eubée (près de Chalcis) 5, et de Chypre On extrait aussi un peu de cuivre, de plomb et d'or, mais pas assez pour alimenter un commerce d'exportation : aussi doit-on importer en Grèce de l'or d'Asie 10, du cuivre d'Espagne et d'Italie", de l'étain de Grande-Bretagne et d'Espagnef2, Par contre, le sous-sol fournit quelques pierres précieuses et de beaux marbres13 [MARMOBJ. Il n'y a pas de sel gemme ; le sel marin provient surtout de Chypre, de Rhodes" et de la mer Noire 15 [SALI. L'ambre vient des régions de la mer Baltique, et est importé d'abord par Ies Phéniciens t6 [ELECTBFM].
Le sol grec donne en abondance certains produits agricoles. Mais les cultures arbustives y prospèrent plus que les autres. Les produits qui constituent à proprement parler des marchandises, et qui sont objets d'exportation, sont, en première ligne, le vin et l'huile ; en seconde ligne, les figues, les amandes, les herbes aromatiques et médicinales. Parmi les vins [vINFM], les plus renommés sont ceux de Chiosj7, de Lesbos et de 'Masos. On les exporte jusque dans le Pont'', en Égypte1', etc. Parmi les huiles, on cite celles d'Attique, de Cyrène, de Chypre 20. Les meilleures figues proviennent de l'Attique, de Rhodes, de Chypre, de Chios, de Chalcis 31 ; les meilleures amandes, de Chypre et de Naxos" ; les herbes aromatiques et médicinales, du mont Hélicon23, d`Anticyre (ellébore) 24, de Mégare 35, etc. En revanche, un très grand nombre de produits agricoles doivent étreimportés. Beaucoup d'États manquent de blé. Athènes, qui importe en plus que tous les autres 26, le fait venir surtout du Pont", de la Sicile 2' et de l'Égypte 29. On demande du bois [MATERIA] à la Macédoine 30, et du silphium à la Cyrénaïque 3' (fig. 4l9` 5). Le papyrus est de provenance égyptienne32, les
MER 1762 MER
La politique fiscale entraîne parfois aussi d'importantes restrictions à la liberté du commerce. En première ligne se placent les monopoles (p.ovonwX(a) que l'État se réserve pour lui-même ou concède à des particuliers. Cette ressource financière est, d'après le témoignage d'Aristote, fréquemment utilisée 2, quoique toujours, semble-t-il, à titre d'expédient temporaire et exceptionnel. Aristote nous fait connaître le projet émis à Athènes par Pythoclès de monopoliser au profit de l'État le plomb des mines du Laurium3, et l'existence d'une banque de change privilégiée concédée à un fermier par la cité de Byzance'. On peut peut-être rapprocher de cette banque l'énigmatique alv.oa(xTpd to z que mentionne une inscription athénienne 3, et à laquelle sont versées les amendes prononcées pour falsification de poids et mesures. On a proposé récemment de regarder les timbres dont sont marquées les anses de certaines grandes amphores comme des poinçons officiels révélant l'existence d'un monopole de fabrication aux mains de l'État'. Plus tard, dans l'Égypte des Ptolémées, il existe des établissements d'État (banques, filatures, fabriques d'huile) jouissant de véritables monopoles. Les papyri et les ostraka récemment publiés ont fourni sur leur fonctionnement des renseignements précieux '. Du monopole on ne distingue pas l'accaparement, dont l'État use au même titre que les particuliers. Aristote nous édifie sur la spéculation de la ville de Selyrnbria, qui réalisa un jour un joli bénéfice en accaparant tout le blé disponible sur le marché, pour le revendre à haut prix s.
Mais c'est dans le système des impôts indirects et autres redevances qui frappent le commerce [POBTOBIUM, TEDOS], que se révèle le mieux l'esprit fiscal qui domine la politique des États grecs et spécialement d'Athènes. Rien dans ce système n'indique le souci de développer telle ou telle branche du commerce, de provoquer ou d'empêcher tel ou tel mouvement industriel. Il n'y a pas de droits protecteurs, il n'y a que des droits fiscaux'. Aussi a-t-on remarqué" qu'il n'existe pas de trace certaine de tarifs où les diverses marchandises soient taxées selon des proportions différentes : le principe est d'imposer toute marchandise, quelle qu'elle soit, pour un tant pour cent de sa valeur. Tout cela varie d'ailleurs avec les époques et les États, et nous ne sommes guère renseignés qu'à partir du ive siècle et pour Athènes. Deux sortes principales d'impôts frappent le commerce, perçus les uns à 1'Emporion, les autres à l'Agora (â7r' i utopiou xai âyopâç) : les premiers sont les droits de douane, les seconds, les droits d'étalage au marché.
Les douanes" sont des impôts indirects qui frappent les importations et les exportations de marchandises. Peut-être les perçoit-on sur tous les points d'accès des États, par voie de terre comme par voie de mer ; mais le commerce terrestre est si peu important qu'il est à peine
question, dans les textes, de lignes de douanes sur les routes de terre ". Un seul texte assez vague parle de douaniers qui se tiennent à Oropos, sur la frontière de la Béotie et de l'Attique 13. Mais l'impôt est plus ordinairement perçu dans les ports. Au Pirée" et dans d'autres places ", c'est un droit ad valorem qui porte le nom de cinquantième (7cevT-rixorr-ii), parce qu'il s'élève à deux pour cent de la valeur de toutes les marchandises importées ou exportées, sans distinguer entre les différentes catégories de marchandises". Plusieurs inscriptions nous fournissent des exemples concrets de perception de cet impôt (sur du blé, des couleurs, des lainages, des vases, etc.)". En d'autres lieux, la quotité du droit est différente. Ainsi, au temps de la guerre du Péloponèse, Athènes lève un droit de douane de 3 p. 100 dans les ports de ses alliés 18. Peut-être, à côté du droit ordinaire de douane, existe-t-il d'autres droits accessoires, qui sont mal connus'''. Les droits de douane sont perçus, sur déclaration explicite, et sous un contrôle sévère, si bien que les livres du receveur permettent de se faire une idée exacte du mouvement des marchandises dans une place donnée, et le plaidoyer contre Phormion les invoque pour évaluer le frét d'un navire sorti du Pirée 20. Nous avons aussi pu utiliser une indication que fournit Andocide 2t sur les revenus qu'Athènes tirait, au temps de la guerre du Péloponèse, du cinquantième (trente talents par an), pour nous faire une idée du mouvement d'affaires de cette place. En Macédoine, d'après Aristote22, la ferme de la douane rapporte vingt talents. La douane des ports de la Chersonèse de Thrace vaut, en temps de paix, trois cents talents 23. A Rhodes, la douane rapporte, avant 1614, un million de drachmes ; la concurrence grandissante de Délos la fait tomber à 150000 drachmes 24. A côté des douanes, impôts d'entrée et de sortie, il existe, au moins dans certains États (Corinthe par exemple) 25, des impôts de transit (ôtayayixz TEXv) 26. Nous ignorons leur assiette et leur mode de perception.
Le petit commerce est aussi frappé de redevances, qui sont levées dans les marchés. A Athènes, c'est l'zyopâç -raoç 27, perçu par l'agoranome, et pour lequel il existe un tarif spécial (âyopavou.tx'o v6N.oç), qui, d'après une source assez suspecte, serait variable selon la nature des marchandises 28. Il parait plus probable d'admettre que cet impôt, d'ailleurs mal connu, n'est qu'un droit de place, un droit d'étalage 20 ; sinon, on s'expliquerait mal que la perception en soit confiée à un préposé à la police, qui ne perçoit par ailleurs que des taxes d'assiette moins
outre à Athènes une sorte de droit d'octroi perçu aux portes (6i té),tcv) 30. Les impôts de marché existent vraisemblablement, non seulement à Athènes, mais dans bon nombre d'autres places. II y en a dans les villes de Thes
MER 1761 -MER
guident ces auteurs, et, encore moins, qui dirigent l'activité des États en matière commerciale. Les uns comme les autres obéissent naturellement aux traditions économiques et morales anciennes, et ces traditions deviennent vite des préjugés lorsqu'elles survivent aux causes qui les ont fait naître. Dans les débuts de la période historique, ce sont les craintes qu'inspire la prétendue influence corruptrice du commerce, craintes promptes à s'éveiller chez des peuples agriculteurs, qui sont les premiers mobiles de la politique commerciale : ce sont elles qui, à Athènes, amènent Solon à proscrire le commerce de la parfumerie ou à fermer le marché aux étrangers 1; elles encore qui, à Locres, poussent Zaleucus à interdire les ventes par intermédiaires, et à ne permettre que les échanges effectués directement du producteur au con
sommateur, par aûèroncoltixil à1EHCATOH,. De pareilles
tendances ne se manifestent guère, à partir du ve siècle, que dans les États où dominent encore les formes de l'économie agricole (Sparte, la Crète). Ceux-ci s'efforcent, par routine conservatrice, de restreindre les relations commerciales avec l'extérieur 3 : défenses de voyager au dehors mesures prohibitives à l'encontre des étrangers (çavr,aa6f«) 6, lois somptuaires 6. constituent autant de barrières opposées aux relations possibles d'échanges. Ces barrières n'arrivent sans doute pas à arrêter tout mouvement commercial, mais elles contribuent tout au moins à singulièrement le limiter.
Mais, dans la plupart des États maritimes, la politique commerciale se propose, à partir du v" siècle, deux objectifs : assurer le ravitaillement de ces États ; se procurer des ressources financières. But annonaire et nul fiscal, tels sont les deux buts essentiels de l'intervention étatique dans le commerce. Si la régularité et la loyauté du commerce se trouvent garanties par cette intervention, c'est indirectement et en quelque sorte par surcroît, cette régularité et cette loyauté paraissant de nature à augmenter les chances de ravitaillement ou d'enrichissement de l'État. hes auteurs ne parlent jamais d'une protection désintéressée du commerce. Le traité des Revenus attribué à Xénophon, qui nous fournit (signe caractéristique du but fiscal poursuivi) les renseignements les plus détaillés que nous possédions sur la politique commerciale d'Athènes ', indique, à vrai dire, parmi les moyens susceptibles d'augmenter le commerce, la distribution de certaines primes aux patrons de navires. Mais c'est là un trait isolé. Platon, de son côté, nous dit que, dans la cité des Lois, personne ne paiera d'impôts ni pour les exportations, ni pour les importations 8. Mais il ne s'ensuit pas que, pour lui, le commerce international doive être absolument libre. Platon n'a rien d'un libreéchangiste, puisqu'il ajoute à son principe des prohibitions absolues pour certaines importations et certaines exportations Chez les philosophes comme dans l'opinion courante, le point de vue annonaire et le point de vue fiscal dominent tous les autres. Cela explique certaines
lacunes législatives en apparence surprenantes, notamment le défaut de réglementation du taux de l'intérêt10. Il faut toujours songer à ce caractère de la politique coinmerciale grecque lorsqu'on doit apprécier telle ou telle intervention en apparence désintéressée (par exemple, contrôle de l'État sur les monnaies et sur les poids et mesures).
Le ravitaillement est l'une des plus grosses préoccupations de beaucoup de villes grecques, dont la population, trop nombreuse pour m sol assez maigre, est à la merci d'une disette" ou d'un blocus '2. De là de fréquentes prohibitions (l'exporter les denrées usuelles. A Athènes, Solon déjà défend d'exporter aucun produit du sol, exception faite pour l'huile seule', et encore pour celle-ci desmesures sont-elles prisesd'assez bonne heure'' pour qu'on ne puisse exporter que l'excédent de la récolte sur Ies besoins de la population. Plus tard, la prohibition de Solon est levée pour la plupart des denrées auxquelles elle s'applique. Mais elle subsiste, et est meule aggravée, pour le blé. Non seulement il est interdit d'exporter hors de l'Attique le blé national, mais encore on ne permet pas de réexporter plus du tiers du blé étranger qui a pu y être introduit 'S. Des dispositions sévères sont prises pour assurer ces prohibitions : défense de conduire du blé ailleurs qu'à l'Emporion'' , défense de mettre de l'argent dans une expédition maritime qui ne devrait pas rapporter, comme frêt de retour, du blé ou des denrées à Athènes 17. Des prohibitions d'exportation portant sur le blé existent aussi dans d'autres pays en Égypte, à Selymbria, etc. 13 ; et Athènes a sans doute imposé à ses alliés sa politique prohibitive f9. Il existe également des prohibitions d'exporter portant sur d'autres marchandises, considérées comme particulièrement nécessaires à l'État. II y a toute une liste de marchandises prohibées (âscccr,-x)20, liste qui s'allonge naturellement en temps de guerre. Les textes citent notamment les bois de construction (pour les vaisseaux), la poix, la cire, etc. 21, les navires et les armes". Selon Platon, rien de ce qui est nécessaire au pays ne doit être exportées.
Si la politique annonaire entraine, comme conséquence logique, des prohibitions d'exportation, elle n'entraîne pas de prohibitions d'importation. Il ne parait pas qu'on ait jamais songé en Grèce à restreindre les importations pour favoriser la production nationale. Les prohibitions portant sur les importations que l'on rencontre parfois ne sont que des mesures hostiles prises contre un ennemi (formes de représailles ou de blocus). Telles sont par exemple, àAthènes, les prohibitions temporaires de faire le commerce avec Mégare 24 ou avec la Macédoine 26. D'autres prohibitions d'importer, de caractère plus douteux, doivent sans doute être interprétées dans le même sens : par exemple l'interdiction opposée par Égine et Argos à l'importation des poteries et des objets destinés au culte provenant d'Athènes 26
MER -1760 MER
tice pour leurs procès (loavtxai I(xzt) d'une procédure de faveur '.
C'est d'ailleurs un trait commun des affaires commerciales que d'être soumises à des règles de juridiction spéciales. La paix du commerce a besoin de sanctions. De là l'existence, dans la plupart des civilisations, de juridictions spéciales destinées à appliquer ces sanctions. Ces juridictions peuvent être de deux types : tantôt ce sont des juridictions contractuelles, c'est-à-dire que les marchands s'y soumettent par leur accession à une corporation déterminée, et que les autorités chargées de rendre la justice sont nommées par le corps des marchands; tantôt ce sont des juridictions étatiques, imposées par l'État, qui les constitue, à tous les marchands. Le premier type a pu être connu en Grèce , il n'est pas impossible que les gildes marchandes connues sous le nom d'éranes ou de tlliases aient exercé une juridiction disciplinaire sur leurs membres'. Mais le second type l'a emporté de beaucoup : les juridictions commerciales grecques sont des juridictions d'État, et, à l'origine, les juridictions mêmes de droit commun, puisque le droit commercial ne se sépare pas du droit civil. Mais, à partir du s-e siècle, nous constatons, dans l'organisation des procès dits commerciaux (EU ootxai ô(xa.), des caractères qui Ies distinguent des autres. Le plaidoyer contre Zénothémis, attribué à Démosthène, définit ainsi ces procès : « Les lois donnent une action en justice aux
gens de mer (vaûxyr;cot) et aux commercants 47ooot) pour
expéditions faites d'Athènes ou sur Athènes, et lorsqu'il } a contrat par écrit. Elles ajoutent que si quelqu'un veut plaider hors de ces cas, son action n'est pas recevable. » Il ne s'agit donc ici que des affaires concernant le grand commerce maritime. Nous n'avons pas à insister sur les particularités de leur procédure (notamment sur la contrainte par corps qui est donnée pour arriver à l'exécution, contrairement aux principes du droit commun)
[EMPOHHiAI niXAI. Ces affaires étaient instruites au ve siècle par des magistrats spéciaux, les Nzovoôlxat qui paraissent avoir disparu au Ive siècle. A cette époque, les affaires commerciales furent instruites el, jugées par les thesmothètes °. Mais il parut utile de leur assurer une procédure particulièrement rapide : la plupart des législations ont dû accorder cette faveur aux affaires commerciales 7, et Xénophon faisait déjà remarquer combien une procédure accélérée servirait les intérêts du commerce 8. Aussi, par une réforme accomplie entre 355 et 3412, rangea-t-on les affaires de ce genre parmi les affaires mensuelles ((xat Ëa:agvot), c'est-à-dire parmi les affaires sommaires qui doivent être jugées dans le mois de la demande 9 [EMMENOI DIrsAi. Or on sait, et 1"A9riva(mv iCs),iTEi4t d'Aristote l'a confirmé", que les affaires men
1 Arist. Rep. Ath. 52; Van Helst, De crans graecoram imprimis ex jure
29; Suid.; Harpocr. v° Nizsz3450.; Bekker, Anccd. ,graec. p. 283, 3; MeierDarmstadt, 182425, 1, p. 293; Büchsenschütz, p. 532; Perrot, Droit public, ,lastinian, Leipzig, 1898, p. 27. 12 Hüllmann, p. 155-159; BSckh-Fnlnkel, 1,
suelles sont instruites par les introducteurs (Eiav' co uVç). Désormais il parait donc, malgré certaines contradictions entre les sources", que les affaires commerciales sont instruites par les introducteurs, et jugées par les thesmothètes.
La paix du commerce est assurée aussi par des institutions de police spéciales, compléments naturels de la juridiction'°-. Ces institutions comportent, au moins à Athènes et dans les principales villes commerçantes, un assez grand nombre de magistrats. Il faut citer en première ligne les inspecteurs de l'/fmporion (E r;u à-e Tai Tou 'EN.7roçi54 13, qui ont la police du commerce maritime, veillent à l'observation des prohibitions d'importer ou d'exporter qui frappent certaines marchandises, et connaissent des contraventions à ces interdictions"; puis les agoranomes AGOBANOMOS] 1", préposés à la police du petit commerce et des marchés, qui maintiennent le bon ordre sur la place publique", fixent les heures et les endroits réservés au trafic, contrôlent l'usage des poids et mesures17, veillent à ce que les étrangers ne puissent faire le commerce sans payer les redevances qui leur incombent i2, et punissent d'amende (ialéoi ) les contrevenants ". 11 existe aussi des magistrats plus spécialisés, dont les attributions de police ne s'étendent qu'à certaines parties du commerce. Tels sont les métronomes" qui, à Athènes, vérifient les poids et mesures [METRONoMos et qui, peut-être, ont pour subordonnés les proniétrètes, peseurs officiels, qui pèsent le blé et Ies graines moyennant un salaire 21 . Tels sont encore lessitop/u ylaques [siTOPHTLAX , préposés à l'approvisionnement de la ville en blé et en farine, et chargés de faire respecter les prescriptions législatives sur ce point "-.
L'existence de ces institutions de police, comme déjà l'existence d'une juridiction commerciale publique nous sont des témoignages de l'intervention active de PÉtat, tout au moins à partir du v-° siècle 2', dans l'organisation du commerce. Il existe en effet une véritable politique commerciale des diverses cités grecques24, et nous avons déjà vu comment cette politique se traduit à l'extérieur dans les rapports de ces cités entre elles ou avec les États étrangers. Elle se traduit aussi sans doute dans la réglementation interne du commerce; mais nous n'avons de renseignements sur ce point que pour un très petit nombre de cités grecques, principalement pour Athènes. L'intervention de l'État, lorsqu'elle devient active, prend conscience d'elle-même. Platon 2t1, Aristote 21", Xénophon 97 déclarent unanimement que, puisque le commerce est nécessaire à la vie de l'État, il faut bien que ce dernier ait une politique commerciale et cherche à faciliter les échanges et la circulation. Ce ne sont pas toujours des vues très éclairées ni très favorables au commerce qui
schütz, p. 530.-15 Id. p. 536 et s.; Pauly-Wissowa, Realeneycl. vs Agoraranomen und 4elynomen, Leipzig, 1886; liuvelin, p. 72 et, s.; Fraucotte, II, Meier-Schomans, p. 77-97; Perrot, Droit public, p. 277. 20 Büchsenschütz,
MER 1759 MER
raison, eut une grande diffusion'. Dès avant le temps de Cicéron, cette coutume avait pénétré tout entière dans le commerce maritime romain'. Elle ne cessa jamais d'y rester appliquée; et ce sont précisément les sources romaines qui nous en font connaître les principales dispositions. Un titre du Digeste de Justinien' est consacré à la Lex Ithodia de jactu ; en outre, nous possédons une compilation byzantine désignée sous le nom de Nér.oç `Poô(wv vauTtxdç qui remonte au vine siècle de notre ère (peut-être au règne de Léon l'Isaurien)
Pour le droit cômmercial d'Athènes, nous sommes moins exactement renseignés, et nous devons nous contenter des indications assez abondantes, mais fragmentaires, éparses dans les textes épigraphiques et littéraires (surtout plaidoyers d'Isocrate ; plaidoyers de Démosthène ou attribués à cet orateur) Les contrats commerciaux sont conclus sans formes particulières; mais on rédige ordinairement (dans l'intérêt de la preuve, et non, quoi qu'on ait dit', de la perfection du contrat) des écrits qui en relatent la conclusion et les
Les écrits sont si usités dans les affaires commerciales, que les étrangers ne sont autorisés, au tve siècle, à se présenter en personne devant les tribunaux athéniens, en matière commerciale, que s'ils invoquent un acte écrit Il est admis d'assez bonne heure qu'on peut se substituer un tiers (mandataire ou cessionnaire) pour poursuivre l'exécution d'un contrat', pourvu toutefois que le contrat prévoie cette éventualité 1e. D'où il est permis de conclure qu'il peut exister des titres à ordre et au porteur, tout au moins dans la période hellénistique; mais il n'y a pas de preuve directe de ce fait l1. En tout cas il ne peut être question à Athènes de véritables
tant soutenu 13, mais il est démontré aujourd'hui que l'expression x(A),ut/tc-Tlxt rÛU.eoAa ne s'appuie sur aucune autorité ancienne 14. Quant aux textes qu'on allègue pour soutenir l'existence de l'institution elle-même ils se rapportent aussi bien à des titres de crédit quelconques, par exemple à des reconnaissances civiles de dettes, mais ils ne démontrent pas l'existence de titres en forme de lettres missives, portant mandat de payer adressé au destinataire, et remises à un tiers qui se trouve par là même nanti d'un recours contre le signataire, s'il n'est pas payé à l'échéance. Ces caractères, qui sont, toute question d'endossement mise à part, les caractères distinctifs essentiels de la lettre de change, se
développent seulement dans la traite du moyen tige ; ils sont étrangers au droit grec.
Les fonds de commerce sont traités comme des unités juridiques (universitates iuris) : on peut les aliéner et les louer en bloc comme tels 16. Il existe tout un ensemble de coutumes qui régissent les affaires d'argent et de crédit, et, parmi celles-ci, tout particulièrement, le prêt à la grosse aventure. (va1Ttxiv ôzvelap.x ou Ëxôoefç), l'une des institutions les plus importantes du commerce de l'antiquité [NAUTICUM FOENUS] 17. 011 appelle ainsi la convention par laquelle un capitaliste prête à un commerçant (spécialement à un capitaine de navire) certains capitaux pour faire le commerce, sous la condition que l'emprunteur les lui rendra avec de gros intérêts, s'il arrive à bon port, mais sera libéré, et n'aura rien à rendre, s'il fait naufrage 18. Un titre (vuyypxuü vau7tx-il) est rédigé pour fixer les conditions du contra!". Dans l'usage, le navire et son chargement servent de garantie au remboursement 20, Cette opération de crédit constitue une affaire aléatoire, niais de rapport fructueux quand elle réussit ; elle permet d'effectuer une remise d'argent à distance, puisque le marchand doit rembourser le capitaliste au port d'arrivée, et le titre constatant le prêt, pouvant être cédé à un tiers, sans devenir par là une véritable lettre de change, peut en remplir au moins partiellement le rôle'-'. tin s'est plu aussi à retrouver dans le prêt à la grosse l'idée de l'assurance : le prêt à la grosse se comportait, dit-on, comme une assurance pour l'emprunteur, qui était dispensé de toute restitution au cas de naufrage. Mais si l'élément juridique de l'assurance (risque assumé par autrui) apparaît en effet dans le prèt à la grosse, son élément économique (risque réparti sur un grand nombre de tètes) en est absent. Il ne semble pas, quoi qu'on ait voulu conclure d'une sorte d'assurance contre la fuite des esclaves, que nous fait connaître l'Économique attribuée à Aristote 22, que la notion actuelle de l'assurance ait été connue des Grecs 2a. Le prêt à la grosse constitue enfin uné espèce de société en commandite. D'autres formes-de sociétés commerciales (xotvwv(at), plus voisines de nos sociétés en nom collectif, sont connues des Grecs [soclE'rAS] 24. Elles se constituent librement. On rencontre des sociétés temporaires pour des entreprises de banque (par exemple à Délos) 2', ou pour des entreprises industrielles2G ; il faut mentionner aussi ces sociétés de crédit mutuel gratuit (€pavot) si incomplètement connues au point de vue juridique [ERANOS] 27, qui jouissent en jus
MER 1758 MER
exemptions d'impôts, notamment sur les importations et exportations de marchandises', etc.), droits en vertu desquels il est plus ou moins assimilé aux citoyens'. Cette institution de la proxénie est liée aux progrès mêmes du commerce grec. C'est vers la fin du vue siècle, c'est-à-dire au temps du premier essor de ce commerce que les plus anciens monuments de proxénie apparaissent'. Les proxènes jouent le rôle d'agents commerciaux, surtout dans les villes ioniennes'. Un représentant de Samos est loué pour le zèle avec lequel il a secondé « ceux des Sauriens qui séjournent, d'après la loi, à Sidon, pour le commerce" ». Orontas d'Olbia, proxène de Byzance, est appelé dans un décret « le patron de ceux qui naviguent pour le commerce 6 ». L'abondance des décrets de proxénie provenant d'une cité déterminée est en raison directe de sa prospérité commerciale. La série d'Athènes est particulièrement riche au ve et au rv' siècle; tandis que, dans les autres séries épigraphiques (Rhodes, Délos, Cos, Alexandrie, Delphes ; puis Pergame, Antioche, et Cyrène), les documents de la période hellénistique l'emportent de beaucoup par le nombre'. Le proxène sert d'intermédiaire entre les membres de la cité à laquelle il appartient et le marchand étranger ; il est son répondant dans les affaires publiques et privées" ; son assistance est requise pour que l'étranger puisse agir en justice', il lui sert au besoin de caution et surtout de
courtier (xpo;evrttir,(,-) ou de commissionnaire (7tpOlgATso11)10
La notion d'hospitalité peut s'élargir encore lorsque deux cités concluent des conventions réciproques d'hospitalité "r•oEnus) par lesquelles, notamment, chacune d'elles assure aux ressortissants de l'autre les moyens de se faire rendre justice chez elle (uép.eo).a) Ces conventions ne s'appliquent pas seulement aux commerçants, mais aussi à tous les sujets des états contractants. Mais des conventions visant spécialement la paix du commerce peuvent figurer dans un traité plus général de paix ou d'alliance12. Quant aux traités consacrés exclusivement aux rapports commerciaux, ils sont rares et n'apparaissent guère avant le iv° siècle. Ils paraissent d'ailleurs avoir en général pour but. rnoins de créer une situation de faveur pour les branches du commerce qui en sont l'objet, que de servir la politique annonaire des États qui les souscrivent) 11 arrive enfin qu'une cité, par mesure législative unilatérale, déclare recevoir dans son hospitalité tous les étrangers qui prendront part à certaines fêtes" ; ainsi l'hospitalité d'une cité pourra se joindre à la paix ordinaire des foires pour rendré l'accès de celles-ci plus facile aux marchands étrangers.
Ce n'est pas assez que d'assurer aux hommes de sangs différents les garanties nécessaires pour pouvoir nouer des relations d'échanges non hostiles. Il faut encore (et c'est un prolongement naturel de l'idée de paix du commerce) assurer la régularité et la loyauté réciproque
des relations ainsi nouées, des transactions ainsi accomplies. C'est, à l'origine, par le seul accord (exprès ou tacite) des volontés des intéressés que cette régularité est d'avance assurée.Les accords de volontés sontd'ailleurs considérés comme pleinement libres, puisque, d'après un principe essentiel du droit grec, les conventions qui ne sont pas contraires à l'ordre public" ont force de loi entre les parties 16. Dans la civilisation grecque, comme dans toutes les civilisations, le droit commercial a un caractère contractuel nettement marqué à l'origine. Mais les conventions expresses ou tacites engendrent, par leur répétition, des usages, qui deviennent plus tard des coutumes. Les usages commerciaux sont des pratiques sans sanction juridique directe, qui sont en vigueur, par l'assentiment général des marchands, dans l'exercice du commerce. Nous connaissons mal les usages de ce genre qui ont cours en Grèce. Nous pouvons cependant en fournir quelques exemples. Ainsi nous savons que, dans le commerce de gros, l'usage était de faire les ventes sur échantillon (ôetyp.«)'7 : c'était même la raison d'être de ces locaux d'exposition qui existaient au Pirée et dans lesports grecs'". 11 y a sans doute beaucoup d'usages analogues qui ne sont pas regardés comme obligatoires. Mais certains d'entre eux finissent par être considérés comme tels : l'optai() necessitatis qu'on leur attache et la sanction que la justice leur accorde, en font des coutumes proprement dites. Leur ensemble ne tarde pas à constituer un véritable corps de droit commercial unitaire et international qui peu à peu se forme en se superposant aux multiples législations nationales, et en les refoulant. Pour l'ensemble de la Grèce, ce droit, qu'on ne distingue pas d'ailleurs du droit civil, est mal connu". Sans doute c'est une coutume non écrite, fixée grâce à la jurisprudence sur certains points, et flottante sur d'autres. A cette coutume vient s'ajouter la loi : l'État, lorsqu'il est assez conscient de lui-même pour suivre une politique commerciale, et assez fort pour pouvoir imposer son intervention, entreprend de réglementer les relations commerciales ou quelques-unes d'entre elles. De là certaines dispositions législatives prises pour assurer le bon ordre du commerce, qui viennent compléter ou modifier la coutume. Celles d'entre elles qui touchent uniquement le droit privé sont rares.
Nos connaissances sur le droit commercial grec sont limitées à certains pays et à certaines branches du droit. Ainsi nous connaissons la coutume maritime de l'île de Rhodes. On sait quel rôle prépondérant a joué Rhodes dans le mouvement commercial de l'époque hellénistique. Les anciennes coutumes des villes maritimes grecques (sur les avaries, le jet des marchandises, etc.) furent sans doute accueillies devant les tribunaux rhodiens, et s'y fondirent2''. De cette élaboration sortit une coutume bien adaptée aux besoins de la navigation, et qui, pour cette
MER 1757 MER
merce puisse remplir sa fonction distributrice dans les sociétés humaines, il doit surmonter deux obstacles : 1° l'obstacle des hommes; 2° l'obstacle de l'espace (et du temps). Pour surmonter le premier, il faut établir tout un ensemble de règles et d'usages destinés à assurer la paix des relations d'échanges : ce sont les institutions commerciales. Pour surmonter le second, il faut inventer tout un ensemble d'instruments et de moyens matériels destinés à rapprocher à travers l'espace, dans un minimum de temps, les hommes et les richesses : ce sont les instruments de circulation. On étudiera successivement les institutions et les instruments de la circulation commerciale.
Institutions commerciales'. À l'origine des sociétés, 1a seule Source de droit est la communauté de sang et de culte. Il n'y a que des relations hostiles entre les hommes qui n'ont pas la même origine. Tuer ou prendre un étranger n'est point un acte illicite, c'est un acte honorable'-. Dans la langue grecque, l'étranger, le,évoç, c'est, comme le prouve la dérivation, celui qui tue (5Teino)), c'est-à-dire l'ennemi '. L'étranger n'a originairement aucun droit dans la cité grecque'. Les torts qu'on lui fait n'entraînent ni vengeance légale ni composition : AT(urcraç ~.eTxvza' nç, dit Homère'. Or, par définition, le commerce suppose l'établissement de relations d'échanges entre groupes familiaux étrangers l'un à l'autre. Il est donc nécessaire, pour que ces relations puissent s'établir, de suspendre ou de supprimer l'hostilité première : on conclut à cet effet, expressément ou tacitement, des trêves temporaires (système du commerce muet ou commerce par dépôts ; trêve des marchés 6), puis des trêves plus durables, de véritables paix Le droit commercial n'est autre chose que l'ensemble des usages réglant ces rapports pacifiques, ou l'ensemble des clauses usuellement admises dans les conventions de paix tacites ou expresses. C'est donc un droit international et conventionnel ; il s'oppose par là au droit civil, purement national et religieux, qui a sa hase dans une communauté de sang et de culte. Le commerce grec n'échappe pas à cette loi générale du développement : il s'appuie effectivement sur des institutions de paix. Certains centres consacrés au commerce sont lieux de paix ; certaines personnes sont, en faveur du commerce qu'elles exercent, placées sous la sauvegarde de conventions de paix.
Les centres d'échanges, par cela seul qu'ils doivent servir de rendez-vous à des hommes de sangs différents, doivent être lieux de paix. Le marché, centre du ssynmcisme par lequel l'économie urbaine et commerciale se substitue à l'économie familiale, est donc un lieu de paix placé sous la sauvegarde des dieux : âyopz Aewv Éar(a s. Ces dieux sont Zeus 9, Athéné 10, Artémis" et surtout Hermès 12. La foire (azv ryupiç), centre du commerce des diverses cités grecques, est aussi un lieu de paix; pendant qu'ellè dure règne une trêve : toutes les hostilités sont
VI.
suspendues13. Une paix religieuse, une sorte de paix de
aux visiteurs de la foire. Cette paix, qui s'étend bien au delà du territoire où la fête a lieu, protège les biens et la personne de tous ceux qui s'y rendent, même à travers un pays ennemi". C'est la même extension de la paix qui fleurira au moyen âge sous le nom de sauf-conduit (ou, plus brièvement, conduit) des foires".
Certains étrangers sont aussi, en faveur du commerce, soustraits à ['hostilité générale et placés sous la sauvegarde de conventions de paix, qui leur assurent certains droits, en les assimilant plus ou moins complètement aux nationaux. La religion les met sous la protection des dieux. C'est Hermès, dieu des vents et, par suite, dieu des voyageurs, qui devient, en Grèce, le dieu protecteur des marchands 'R. Le moyen le plus simple d'assurer à un étranger les droits qui découlent de la communauté de sang et de culte, c'est de l'accueillir au sein de cette communauté (dans la famille, au foyer), de l'associer à la vie familiale, notamment aux repas. On n'ignore pas l'importance de l'hospitalité comme moyen d'assurer des garanties à un voyageur, et, spécialement, à un marchand étranger iIIOSPIT1cat . L'hôte (l'aubergiste) sert à l'étranger de patron et d'intermédiaire dans toutes ses affaires publiques et privées; ii est sa caution, son représentant en justice, son courtier pour les transactions commerciales t9. Cette hospitalité privée tient une grande place dans les poèmes homériques 20, et elle joue encore un rôle important dans les temps historiques'. Mais l'hospitalité privée n'est qu'un moyen étroit, et par suite exceptionnel, d'assurer des relations commerciales non hostiles entre étrangers. Elle s'élargit, et, en devenant plus compréhensive, se transforme. La condition des étrangers domiciliés dans les cités grecques [31ETOiaO1( n'est qu'une déformation encore reconnaissable de la condition des hôtes privés. Ainsi, les étrangers domiciliés à Athènes (commerçants ou artisans pour la plupart) doivent, d'après certaines dispositions législatives qui rte sont peut-être pas antérieures au Pie siècle, mais qu'on peut, quoi qu'on ait dite, rattacher à des usages antérieurs', avoir un patron (un hôte, apoa'ms(r:,ç), et certains textes nous présentent le prostate comme s'occupant des affaires publiques et privées du métèque 24 et comme son répondant (éyyuiTrç)°-6, mais on a du se passer bientôt de son intervention, et le rôle du prostate parait fort restreint au Ive siècle. Le système de l'hospitalité s'élargit encore lorsque les liens d'hospitalité se nouent, non plus entre deux particuliers, mais entre une personne morale (cité, temple, corporation) et un homme
puissant d'une cité étrangère ('tpo,evoç) [PROxESIA]. La
proxénie la plus importante est celle des cités. A la faveur des liens qu'elle crée, la cité entre dans la clientèle de son hôte, qui sert de protecteur à ses ressortissants et qui, en revanche, a accès au foyer commun, et reçoit divers droits (droit de posséder des immeubles,
1P21
MER -1756 --® MER
mouvement intellectuel qui rayonne sur le monde entier'.
A peine le commerce hellénistique a-t-il atteint cette pleine expansion que les circonstances politiques l'entraînent vers des orientations nouvelles. Rome ne tarde pas à conquérir, avec le monde hellénique, tout le champ d'expansion ouvert au commerce européen et asiatique. La même année (146), par une coïncidence frappante, et souvent relevée 2, Corinthe et Carthage sont détruites par les Romains; la Grèce est réduite en province romaine. Les peuples italiotes, à peine sortis de la phase de l'économie agricole et domestique, vont se trouver jetés brusquement dans le courant du commerce mondial. La Grèce, politiquement subjuguée, va conquérir Rome par son commerce. Pour être moins connue que ses conquêtes artistiques et intellectuelles sur les Romains, cette conquête économique réalisée par le génie hellénique n'apparaît pas moins certaine à qui étudie de près le commerce qui se développe dans l'empire romain 3.
Histoire interne du commerce grec dans la période historique.A. Diverses branches du commerce. Les conditions physiques du monde grec font que le petit commerce, le commerce intérieur, le commerce terrestre, dune part; le grand commerce, le commerce extérieur et le commerce maritime, d'autre part, s'y confondent à peu près. Le relief tourmenté de la Grèce continentale et le morcellement du sol entre tant de promontoires et d'îles s'opposent à des communications intérieures faciles. Au contraire, la grande richesse des articulations côtières du Péloponèse, de l'Asie Mineure et des îles, avec les échancrures profondes qui servent de voies d'accès, favorise le commerce maritime. Tout le grand commerce (tout le commerce extérieur) prend naturellement la route de mer 4. S'il emprunte la route de terre, ce n'est que comme une voie de raccordement avec la route maritime, et comme un moyen d'éviter certaines traversées longues et périlleuses (par exemple en coupant au, court à travers un isthme) '.
Le petit commerce est désigné par les Grecs du nom de xx7rrdÂe(a, le grand commerce du nom d'€pnootx, °. La xfxar;ne(u est essentiellement le commerce terrestre (colportage ; trafic des marches ; commerce des caravanes)
MERCATOR]. L'Éii7uiptx est le commerce maritime [xEGOTIATaR]. Celui-ci, d'après Aristote se subdivise luimême en trois grandes branches qu'il nomme vaux7,tp(a, boptrly(a et 7txpzarx6'tç. On s'entend mal sur le sens de ces mots, d'autant plus que les auteurs grecs eux-mêmes ne les emploient pas toujours dans leur sens précis et technique. Le plus général est vauxar1p(x. Dans un sens large, il désigne tout le commerce maritime et vaéx),r1po; est synonyme d'Ëpriropoç à peu près comme dans l'usage courant de la langue française, le terme d'armateur s'ap
p. 64. -4 Hesiod. Op. et d. 643; Hermann-Bfiimner, p. 425. 5 Bérard, Les Phéniciens et l'Odyssée, p, 68 et s. 6 Hermann-Bfiimner, p. 419-421; 4251), p. 252; Schrader. p. 74; Büchsensehütz, p. 454 eP s. 7 Arisa. Polit. 1, 11, p. 1358 B, 21. 6 Büchsensehütz, p. 456, n. I ; Hermann-Blümner, p. 428. 11 Hermann-Blümner, p. 429, n. 8. 12 Büchsensehütz, p. 456, n. 1; Becker
plique à tout entrepreneur de commerce maritime. Dans un sens plus étroit,le vxéxlypoç est seulement le fournisseur de navires : il est propriétaire de vaisseaux et les loue à ceux qui veulent les armer et les charger
La ip pTrry(a, c'est le transport de marchandises. Le 'optir,ydç reçoit les marchandises d'autrui qu'il s'engage, moyennant un certain prix ferme, à remettre en un autre lieu. Pareil transport peut emprunter la voie de terre : d'où l'interprétation parfois proposée de ?op' riy(a dans le sens de commerce terrestre (colportage) 2. Mais, dans son acception usuelle, 1fo7Tr,y(n se dit presque exclusivement du transport par voie de mer f0.
De nos trois expressions, 7mp75.Txatç est peut-être la plus énigmatique. On en donne deux interprétations également inexactes. Tantôt on en fait l'équivalent dex«ar)`e(a, ce qui ne se conçoit pas, puisque Aristote présente la aanxaTxatç comme une partie de l'iyitéptx et qu'il oppose celle-ci à la xuity n(att; tantôt on y voit le fait même d'acheter et de vendre les marchandises f 2, ce qui n'est pas sensiblement plus logique, puisqu'à ce compte la 7rxp7aTaatç pourrait être une branche de la xxarlÀe(x aussi bien que de l êv:1p u. Le sens vente et achat ne correspond pas d'ailleurs à la formation du mot (aap. et ';u ' gt
placer auprès). Celui-ci désigne tout acte consistant à placer une chose (marchandise ou affaire) entre les mains d'une personne. Cette notion vague a besoin d'être précisée. 11 existe au moyen âge un contrat commercial très usité qui se définit de la même façon et dont nous connaissons assez bien la sphère d'application13. C'est la commande. La nupzatixatç grecque se présente avec les mêmes caractères que la commande médiévale, et doit être sensiblement son équivalent. Par exemple, un capitaliste remet à un marchand (à un capitaine de navire) un certain capital ( somme d'argent, denrées, esclaves, etc.) pour le faire valoir et l'employer à des affaires (par exemple pour vendre ces denrées ou ces esclaves au port d'arrivée), et il est entendu que le marchand participera aux bénéfices de l'opération et que le capitaliste participera à ses risques. Par la participation du marchand aux risques, cette opération se distingue du contrat de transport, où les risques sont pour le transporteur seul. Telle est la commande, institution très souple et de caractère hybride, à la fois mandat, dépôt et société : le prêt à la grosse, la commandite, la commission et la consignation ne sont que des variétés de la commande. La 7expaaru tç parait aussi comprendre toutes ces applications, et se distinguer de la 1popTrly(u par la question des risques. Seul ce sens large embrasse toutes les acceptions juridiques, si diverses parfois et si contradictoires, au moins en apparence, de ce mot (7rOpaaTaatç employé dans le sens de voyage à l'étranger 14, de consignation" , de représentation en justice1e, etc.).
B. Organisation du commerce. Pour que le corn
delsrechts, I, 1, 2' éd., Stuttgart, 1891), p. 255 et s.; Silberschmidt, Die Corn
1884. 14 Hermann, Prieatalterth. 1'e éd. § 45, n. 7, avait déjà remarqué que 19 ; cf. Plat. Leg. IX, p. 855 C, et Hesych. vo napdvsae,5) et concluait que ce mot
désignait peut-être une forme de. commandite, comme celle dont parle Demosth.
LVI, 8, p. 1285. Voir aussi Hermann-Blümner, p. 429, n. 8; cf. Beauchet, Hist. du
signation aux mains des diétètes, Poil. VIII, 127; capaesâcuç ali tapé, Plat. Leg. IX, p. 855 C; Bückh-Frünkel, I, p. 419. 16 Estienne, Thesaurus, v,
MER -1755 --MER
(plus de trente, et peut-être quarante ou cinquante) 1. Les traversées, grâce à un outillage plus parfait (par exemple le phare d'Alexandrie), gagnent en sûreté et en célérité,
Au champ économique nouveau correspondent des conditions de cohésion et d'équilibre nouvelles : le centre de gravité de la civilisation hellénique se déplace et se transporte d'Europe en Asie. L'activité commerciale, en se développant, change de foyers. Les anciennes places d'échanges grecques se trouvent désormais éclipsées. A l'ouest, les luttes avec les peuples italiotes, et surtout avec les Romains, ont ruiné les grandes cités commerçantes de la période précédente : Crotone, Cumes, Tarente, Syracuse ont perdu leur ancienne richesse 2 et ne doivent pas tarder à perdre leur indépendance. A l'est, Milet, Phocée sont en pleine décadence depuis les guerres médiques 3. Dans la mère-patrie, Athènes est réduite à un rôle de second plan depuis qu'elle a perdu son empire colonial et ses alliés`. « Le Pirée, dit le comique Philiscos, est une noix grosse et creuse
Corinthe, grâce aux avantages d'une situation exceptionnelle, avantages qui survivent aux vicissitudes pAlitiques, peut seule se maintenir, et reste le principal marché de la Grèce continentale 6 ; mais, si son importance absolue a augmenté, son importance relative a plutôt décru par l'entrée en scène de concurrentes plus riches. D'ailleurs, à côté d'elle, les anciennes villes marchandes, Égine, Mégare, Chalcis, Érétrie, sont bien déchues de leur ancienne prospérité'.
Des places de commerce nouvelles ont surgi. Quelquesunes existaient, à vrai dire, dès le temps de l'hégémonie athénienne, mais elles n'y tenaient qu'une place plus effacée. C'est la ville de Cos, dans File du même nom
C'est surtout Rhodes, à l'intersection des grands axes du commerce international, de l'axe nord-sud, du Pont à Alexandrie, et de l'axe est-ouest, de l'Espagne à la Syrie et au centre de l'Asie °. C'est, plus tard, Pile de Délos, dont les foires, fort anciennes, commencent, grâce à l'appui de Rome, à battre en brèche le commerce rhodien, et à devenir le rendez-vous des marchands d'Europe et d'Asie ; elles atteindront leur apogée sous la domination romaine 10. En Asie-Mineure, c'est Éphèse" (relevée par Lysimaque sous le nom d'Arsinoé)19, Smyrne (relevée par Antigone et Lysimaque "), Halicarnasse dans le Pont, c'est Cyzique, Sinope, Héraclée, Trapézonte, Abydosf4. Mais surtout, à côté dé ces places anciennes, des places entièrement nouvelles sont apparues, créations du commerce mondial, liées aux conditions de circulation que ce commerce a fait naître : les points de croisement du réseau nouveau de distribution se marquent naturellement par des centres d'échange'. Ce n'est pas un des caractères les moins curieux de la période hellénistique que l'éclosion d'innombrables villes marchandes. Les villes helléniques qui se fondent alors ont
en effet un caractère mercantile plus marqué que les colonies des périodes précédentes. Tandis que celles-ci, composées exclusivement d'émigrants d'une même cité, avaient un caractère politique et national, celles-là, qui groupe-nt des citoyens de tous les pays grecs avec des barbares, ont un caractère avant tout commercial et international. Tandis que celles-ci constituaient de petits États indépendants, celles-là, bien que jouissant de l'autonomie municipale, sont soumises à l'autorité d'un souverain 16
La période hellénistique voit se réaliser une véritable floraison de ces villes j7. Philippe en créé déjà un certain nombre" (Philippes, au pied du mont Pangée, Philippopolis sur l'Hèbre, etc.). Alexandre, suivant cet exemple, ne fonde pas moins de soixante-dix villes à lui seul"; il les place comme des étapes sur les voies du transit, pour servir de points d'appui à la pénétration économique autant qu'à la pénétration militaire 20. Celles de ces villes qui ont eu le plus brillant avenir commercial (beaucoup d'entre elles, étabilas dans des situations remarquables, subsistent encore) sont les suivantes : Apamée près de l'Oronte (sur la route de la Syrie à l'Euphrate)" ; Alexandrie d'Égypte, le plus prospère des établissements fondés par Alexandre"; Alexandrie de Margiane (Merv), dans une riche oasis 2't ; Alexandrie d'Asie (Hérat), à la bifurcation des deux routes de la Drangiane et du Caboulistan 24 ; Alexandrie d'Arachosie (Kandahar) ; Alexandriaeschata (Khodjend) ; enfin deux autres Alex andries et Pattala (ces trois villes établies sur l'Indus pour ouvrir ce fleuve au commerce cosmopolite 23. Les successeurs d'Alexandre suivent la même politique. En Europe naissent Thessalonique, Cassandreia, Demetrias, Lysimacheia26 ; en Bithynie, Nicomédie 27 ; en Paphlagonie, Amastris (le marché commun des Scythes et des peuples du Sud)". En Syrie, les Séleucides font sortir de terre une foule de villes, qu'ils nomment Séleucie, Apamée, Laodicée, Antioche29, Parmi les seize villes qui portent ce dernier nom, celle qui est établie sur l'Oronte prend un essor économique remarquable, et devient la principale ville d'Asie Mineure 60, Après elle, on peut citer la ville de Laodicée, en Carie, l'une des cinq villes qui portent ce nom; la ville de Séleucie, en Babylonie (sur le Tigre, au point oit le trafic de l'Euphrate se réunit an courant commercial venant de la mer$1). En Afrique, les Lagides fondent Bérénice, Arsinoé, Ptolémaïs (en Cyrénaïque, Ptolémaïs et Arsinoé (en Égypte), et de très nombreuses colonies sur les côtes de la mer Rouge, désormais reliées commercialement à la vallée du Nil 32. Parmi les villes nouvelles, beaucoup deviennent de grandes villes au sens moderne du mot. Antiochê, Alexandrie surtout comptent un nombre considérable d'habitants''. Cette dernière ville, grâce aux avantages d'une situation exceptionnelle'', devient le premier port et le premier marché de la Méditerranée, et le foyer d'un
que la première ne peut survivre à la seconde'. Désormais le commerce hellénique va s'orienter dans des voies nouvelles.
C. Le commerce rle la période hellénistique. Les résultats des conquêtes de Philippe et d'Alexandre au point de vue commercial peuvent se résumer en une double formule : élargissement du champ d'expansion ouvert au commerce hellénique ; unification de ce champ.
Le champ ouvert au commerce hellénique s'élargit. Non seulement il s'accroit, en Europe, de pays qui, comme la Macédoine, étaient presque restés en dehors du courant économique grec, ou qui, comme la Chalcidique, n'y avaient joué qu'un rôle effacé; mais encore il s'augmente de toute l'Asie occidentale. Les marchands suivent l'armée conquérante jusque dans l'Inde 2. La civilisation hellénique se répand dans tout l'Orient et s'imprègne aussi, par le contact, d'éléments empruntés aux civilisations de l'Égypte, de la Perse, et méme de l'Inde. D'i.utre part, dans ce champ plus large qui lui est offert, le commerce peut se développer plus librement, parce que l'unité de ce champ est faite. A la dispersion politique des petites républiques commerçantes grecques, oïl les luttes de cité à cité paralysent trop souvent l'essor économique, s'est substituée l'unité d'un gouvernement central fortement constitué. Des sphères économiques jusque-là indépendantes sont unies politiquement, et leur compénétration réciproque devient possible. Même lorsque l'empire d'Alexandre se morcèle, l'unité économique n'en est pas rompue, parce que les éléments communs de civilisation dont ont été imprégnées toutes ses parties continuent à leur servir de liens.
Le pouvoir central contribue d'ailleurs à donner au commerce une impulsion vigoureuse qui lui manquait dans la période précédente. Philippe, Alexandre et leurs successeurs suivent en ce sens une politique extensive, parfaitement consciente des résultats à atteindre et des moyens à employer. La mission de Néarque dans le golfe Persique ; celle d'Héraclide dans la mer Caspienne; le plan d'assimilation de l'Asie au moyen de fondations de villes, font le plus grand honneur à Alexandre 3. On sait qu'il élaborait de plus vastes projets encore lorsque la mort le surprit 4. On sait aussi quelle fut la part des Lagides dans la prospérité commerciale de l'Égypte 6 et celle des Séleucides dans l'essor de la Syrie. Antiochus III surtout nourrit les plus vastes projets : par son expédition poussée jusqu'en Arachosie, il cherche à attirer le commerce de l'Inde vers le golfe Persique; et, en guerroyant contre l'Égypte, il s'efforce de détourner vers les côtes de Syrie l'itinéraire des marchandises de l'Arabie, surtout de l'encens et des épices, qui jusque-là allaient par Pétra à Alexandrie
Par ce concours de circonstances, le commerce de la période hellénistique doit prendre jusqu'à un certain point la forme d'un commerce universel, d'un cômmerce mondial, c'est-à-dire qu'il doit unir par des échanges
réguliers, qui les rendent économiquement solidaires les unes des autres, à peu près toutes les parties du monde connu commercialement utilisables. Ce qui prouve suffisamment le caractère mondial du commerce de notre époque, c'est l'expansion universelle des monnaies grecques : jusque dans l'Inde, les types grecs supplantent les types autochtones '. Les traits caractéristiques du nouvel état, du commerce sont les suivants : développement de la circulation et des capitaux ; multiplication des débouchés et des voies de communication; création de centres urbains nombreux, et de grandes villes universelles, centres du commerce mondial.
Le développement de la circulation des richesses se manifeste dès les débuts de la, période hellénistique. Déjà l'exploitation plus active par la Macédoine des mines du mont Pangée, en Thrace, a jeté sur le marché une importante quantité d'or (environ 1000 talents par an) 3. Mais c'est surtout la conquête de l'Asie qui, en ouvrant à l'Europe les trésors de l'Orient, provoque un afflux subit d'or, d'argent et d'espèces monnayées comparable à celui qui suivra, dix-huit, siècles plus tard, la conquête de l'Amérique'. A Suse, Alexandre s'empare de près de h0000 talents1" ; à Persépolis et à Pasargades, de 120000 talents". Ces réserves des Achéménides ne tardent pas à être jetées dans la circulation : Harpalos, dont Alexandre a fait son trésorier et à qui il a confié à Ecbatane son riche butin, près de 380000 talents, en dissipe une partie; il s'enfuit à Athènes avec de grandes richesses12. Ainsi beaucoup des trésors asiatiques sont versés dans le commerce grec. A la mort d'Alexandre, les réserves ne sont plus que de 10000 talents13. Le contre-coup de cet afflux de métaux précieux ne se fait pas attendre : d'une part la valeur de ces métaux baisse, et la frappe des monnaies prend une activité inconnue jusque-là"; d'autre part, les prix s'élèvent. La hausse des prix est si considérable, et s'effectue en tin si court espace de temps, sous les règnes de Philippe et d'Alexandre, qu'elle occasionne un malaise général, une véritable révolution économique'".
A une circulation dont l'amplitude, le champ et les directions sont nouveaux, il faut des voies nouvelles. Un réseau de distribution commerciale s'établit, qui assure l'interdépendance des sphères économiques désormais réunies. Tantôt des voies de pénétration artificielles se créent, comme ce canal que creusent les Ptolémées pour unir la mer Rouge au Nil et ouvrir à l'Égypte le commerce érythréen plus largement que par l'ancienne route de Koptos 16 ; tantôt des lignes de communication s'établissent en utilisant plus largement et plus hardiment les voies anciennes''. Les moyens de transport se sont perfectionnés. L'art nautique a progressé ; les navires sont devenus plus grands et plus commodes : Démosthène en cite déjà qui, outre une lourde cargaison dans la cale, mille peaux de boeuf sur le tillac, transportent un équipage nombreux et beaucoup d'esclaves
MER 1753 MER
Mégare, Sicyone, Thèbes, Argos, etc.; au nord, en Thrace, Amphipolis, fondée par Athènes sur le Strymon pour commander la route de la Macédoine à l'Hellespont ' ; et l'ensemble des cités alliées et tributaires d'Athènes, dont le nombre a varié avec les époques.
Mais l'activité d'Athènes ne se borne pas au trafic. La production d'objets fabriqués y occupe aussi beaucoup de bras. Le nombre des travailleurs (métèques et esclaves) s'accroit dans de grandes proportions 2. Des perfectionnements techniques sont rendus possibles par une division plus avancée du travail, division dont on commence d'ailleurs à comprendre les bienfaits 3. Tandis que Tarente fabrique la tige des candélabres, Égine en fabrique le plaqué L'industrie des armes occupe plusieurs métiers : casques, cuirasses, aigrettes, boucliers, se fabriquent dans des ateliers différents; et, pour chaque arme, il y a des pièces fabriquées par des ouvriers
différents et spécialisés Au Ive siècle, on se moque des allures archaïques du philosophe Hippias, qui se pique de confectionner lui-même tous les objets dont il se sert 6. Ainsi les conditions de la fabrication se rapprochent de plus en plus de celles de l'industrie moderne
Les transformations politiques et sociales commencées avant le ve siècle se poursuivent en concordance avec le développement nouveau du commerce. Bien que l'agriculture ait conservé une réelle importance même en Attique 8, c'est désormais le commerce qui est la source principale de la vie économique, et une fraction considérable des produits agricoles consommés en Grèce est d'importation étrangère (blé de Sicile, d'Égypte ou du Pont) La circulation et la mobilisation des richesses sont plus actives que par le passé ; le stock des métaux précieux s'est largement accru par l'apport incessant des tributs des alliés 10 et les produits des mines du Laurium" et des mines nouvelles ; les monnaies frappées à Athènes et dans les principales places de commerce deviennent abondantes : d'off une élévation sensible des prix'', un plus grand développement de la pratique du prêt à intérêt ainsi que de toutes les opérations de crédit, désormais plus faciles et plus fréquentes 13. Par là aussi, les tendances capitalistes s'accentuent et entraînent de plus profondes divisions sociales. Lé fossé se creuse entre la bourgeoisie marchande qui, par les capitaux (argent, crédit, esclaves, terre) qu'elle possède à peu près seule, en vient à monopoliser la richesse, et la classe des
la spécialisation dans le travail des mines, voir Ardaillon, Les mines du Laurion
P.'306 et s. 8 Beloch, Griech. Gesch. 1, p407-408 ; Meyer, dans Forsch. nitr Demosth. Contra Phen. XX, 3l et s.; Bückh (Frünkel), 1, p. 97 et s.; Perrot,
1, 1891), p. 20411 Pestalozza, O. c. p. 42 et s. ; Ardaillon, p. 736 et s. 12 Demetr. Phnl. ap. Plut, Solon, 23 ; bhckh (Frünkel), I, p. 78 ; Pestalozza, p. 46. 13 Beloch, Griech. Gesch. II, p. 350 et s. ; Francotte, 1, p. 191-190 ; et surtout Billeter, i898, ep. 4-74. 1« Pestalozza, p. 58 ; Guieaud, p. 190. 15 Lorsque Aristote (A1*,a,, ucSala, éd. Kenyon, 6) définit la fameuse Seisachthie de Solon comme
ouvriers et des petits revendeurs libres, qui ne petit subsister par elle-même, parce qu'elle manque de capitaux, et que ses salaires et ses gains sont avilis par l'effet de la concurrence servile". Pour remédier à ce malaise grandissant, tantôt on oblige les créanciers à faire des remises générales de dettes 'S, tantôt on procède à de nouvelles répartitions du sol ; on habitue les pauvres à attendre de l'État tout ou partie de leurs moyens de subsistance (jetons de présence aux jurés, à ceux qui assistent aux assemblées du peuple ; distributions d'argent, de grain, etc. 96). Ces palliatifs ne suppriment pas les causes du mal et grèvent lourdement les finances ; les États commerçants de la Grèce, et particulièrement Athènes, sont, au ve et au ive siècle, le théâtre de luttes intestines qui, autant que les luttes étrangères, contribuent à les affaiblir". Les excès de la démagogie préparent des réactions oligarchiques, hostiles au commerce'8, qui devront bientôt triompher 's.
Le dernier tiers du ve siècle voit commencer la décadence politique d'Athènes. En 431 s'engagent les guerres du Péloponèse, dont il faut chercher les causes non seulement dans l'antagonisme des peuples agriculteurs péloponésiens groupés sous la direction de Sparte et des peuples commerçants des cités maritimes et des îles groupés autour d'Athènes, mais aussi dans la concurrence qui oppose à Athènes ses éternels rivaux commerciaux : l'empire perse d'une part, les villes de Corinthe et de Mégare de l'autre. C'est encore l'ambition commerciale qui pousse Athènes à tenter l'expédition de Sicile ", dont l'échec commence la ruine de sa suprématie maritime. La décadence économique est plus lente à s'affirmer que la décadence politique : après la prise d'Athènes par Lysandre et la révolution oligarchique qui la suit, on peut croire que le commerce attique est à jamais détru it41 . Il se relève pourtant de cette crise avec une étonnante rapidité 92. Au début du Ive siècle, à la suite de la guerre de Corinthe 23 et au temps du renouvellement de la confédération maritime24, le commerce athénien jette encore un brillant éclat. Mais les circonstances précipitent sa ruine 26, Athènes se heurte bientôt à un ennemi nouveau, la Macédoine. D'autres villes comtiaercantes, grâce aux avantages que leur donne une situation exceptionnelle, peuvent conserver leur ancienne prospérité économique, tout en perdant leur indépendance politique : c'est. le cas pour Corinthe. Mais pour Athènes, son expansion commerciale est si étroitement liée à son expansion politique
une abolition des dettes publiques et privées, cela prouve non pas que cette indication soit historiquement vraie, mais tout an moins que l'on considérait, au temps d'Aristote, une pareille mesure comme légitime et régulière. Clerc, Les métèques athéniens,
Paris, 1893, p. 340-341 ; e7. Schumann, Griech. Alterth. 4° éd. par Lipsius, Berlin, 1, p. 142„ Billeter, p. 5 et s. 16 Basait, Griech. Gesch. III, 1, p. 261-269 ; Meyer, 17 Beloeh, Op. cit. 1. p. 439 et s.; 476. 18 Voir notamment dans Clerc, Les métèques athéniens, p. 309 et 358, los persécutions qu'inaugura contre les métèques le gouvernement des Trente Tyrans. t9 Beloch, Griech. Gesch. il, p. 36-110. 30 Sur la politique économique d'Athènes à l'égard de la Sicile, voir Columba, ll
und Erm. p. 600. --22 Beloeh, li, p. 338 et s. 23 Sur le relèvement de la marine
athénienne (grâce à la politique de Conon) ; sur le rétablissement des Longs Murs détruits par Lysandre, voir Xen. Hell. IV, 8, 9-10 ; Corn. Nepos, Conon, 4. -=24gwo
(353). 25 Blass. Die sosialen Zastaende Athens im IV Jahrhundert, Kiel, 1885.
MER -1752 -MER
carte, la ville'. Les établissements de forme urbaine se multiplient dans toutes les parties du monde hellénique, et leurs constitutions sont aussi le fruit de la civilisation commerciale : les anciennes sociétés familiales, groupements amorphes fondés seulement sur la communauté de sang et de culte, cèdent la place à de véritables Mats avec des lois fixes et écrites, des magistrats et une puissance publique organisée. Dans certains de ces États domine encore une aristocratie marchande (comme à Égine, à Corinthe) ; dans d'autres, domine déjà une véritable démocratie (comme à Argos, à Syracuse, à Tarente, etc,) 2.
Les places de commerce ne sont plus les mêmes. Orchomène, Tyrinthe, Mycènes, Pylos, ont cédé la place à d'autres centres, qui correspondent à l'orientation nouvelle des courants commerciaux. Les établissements ioniens d'Asie Mineure y tiennent désormais la première place. 1l nous suffira d'indiquer les plus importantes des villes commerçantes 3. Dans la Grande Grèce, le principal centre commercial est Sybaris, dont la prospérité est proverbiale 6 ; sur la côte d'Asie Mineure et dans les îles qui la bordent, il faut citer les villes ioniennes de Milet (la plus grande ville grecque jusqu'à l'époque des guerres médiques en relations fréquentes avec le Pont" et l'Italie'), de Chios, de Samos, de Clazomène, de Phocée 3; la ville éolienne de Mytilène ; les villes doriennes d'Halicarnasse, Cnide, Rhodes, A l'ouest de la mer Égée, dans le golfe Saronique, la petite fie rocheuse et infertile d'Égine est devenue, au vie siècle, l'entrepôt général du trafic avec l'Orient 9 ; tout le Péloponèse est son tributaire et lui emprunte sa monnaie et ses mesuresl0, Égine n'a de rivales que Mégare, le port naturel de la Béotie méridionale, d'Éleusis et de l'Attique occidentale„ ; Corinthe, la clef de l'Isthme et l'entrepôt naturel du commerce avec les mers d'Occident1', et Chalcis, la clef de l'Euripe, avec sa voisine Érétrie 13. Malgré ses progrès, dus à la politique des Pisistratides, Athènes n'a encore que peu de part au mouvement commercial. C'est seulement vers la fin du ve siècle que, soutenue par Corinthe", elle entre en lutte, d'abord sans succès 1', avec Égine. Mais elle doit plus tard, dans la deuxième moitié du ve siècle, triompher de son adversaire, et éclipser même son alliée 16.
B. L'hégémonie commerciale d'Athènes et son déclin (s et Ive siècles), Au ve siècle, Athènes prend la tête du mouvement commercial grec". Les colonies ioniennes d'Asie Mineure, jadis plus florissantes que la métropole,
ont été ruinées par les guerres médiques, et n'arrivent pas à retrouver leur ancienne splendeur 19. Le nouveau port d'Athènes, le Pirée, a relégué au second plan les ports de l'Euripe, Erétrie et Chalcis ; cette dernière ville a mémo perdu sa marine et est devenue une cliente d'Athènes i0 ; puis, étendant son action plus loin, Athènes a achevé le déclin d'Égine et balancé la suprématie de Corinthe 20. La cause de ce remarquable essor doit sans doute être cherchée dans le rôle prépondérant qu'Athènes a joué dans la lutte contre les Perses : la victoire lui a ouvert les débouchés de l'Orient'-'. Elle peut coloniser et envoyer désormais des clérouques jusque vers l'llellespont et le Bosphore. L'initiative clairvoyante de Thémistocle prépare les instruments par lesquels sa patrie pourra retirer les fruits de sa victoire : ce sont les murs d'Athènes et du Pirée ; c'est surtout la flotte de guerre, grâce à laquelle la prépondérance maritime est acquise à Athènes", La ligue de Délos, dirigée en apparence contre les Perses, sert en réalité l'expansion d'Athènes et assure sa domination sur mer23. Pendant tout le ve siècle, et une partie du Ive, cette ville est le grand marché de la Méditerranée orientale2'". Un témoignage, remontant cependant à une époque où sa prospérité commerciale est déjà sur son déclin, nous apprend que l'impôt de q p, 100 sur les importations et les exportations rapporte de 30 à 36 talents par an", ce qui indique un mouvement d'affaires au moins égal à 1500ou 1800 talents. Le Pirée est le rendez-vous des navires venus de tous pays, du Pont, de la Phénicie, de l'Égypte, de la Cyrénaïque, de la Sicile, de l'Italie". Les marchandises de toutes provenances y afflluent''. Signe indéniable de l'hégémonie économique d'Athènes, les poids, les mesures, les monnaies attiques sont répandus, à partir du milieu du ve siècle, dans tout le monde civilisé, jusqu'en Sicile et en Italie 28, et y occupent la première place. Avec Athènes sont en rapports réguliers un grand nombre de centres commerçants, dont plusieurs sont de fondation récente. C'est, en Sicile, Agrigente, et surtout l'opulente ville de Syracuse 29 qui, au milieu duIve siècle, grâce au génie de Denys le Tyran, dépassera, même Athènes et deviendra i, la plus grande des villes grecques36 » ; en Italie, Tarente 31 ; Crotone, qui a, depuis la fin du vie siècle, supplanté et ruiné Sybaris 32 ; Thurii, fondée en 443 par Athènes" et devenue rapidement un centre prospère de civilisation attique 36 ; dans la mèrepatrie, Corinthe, l'éternelle concurrente d'Athènes";
MER 1751 MER
vie siècle, dans le détail de chaque acte de fabrication : un potier fait le vase, un peintre le décore, et le vase porte les deux signatures '. Certains ateliers de céramique, par la division du travail qui s'y effectue, par le nombre des travailleurs qu'ils emploient, ne sont pas sans analogie avec des établissements industriels, au sens moderne du mot. Si ce n'est pas encore l'industrie proprement dite, c'en est au moins le germe. Les demandes augmentant par suite de la multiplication des débouchés, la main-d'oeuvre doit aussi augmenter, et, comme la main-d'oeuvre libre n'offre que des ressources limitées, c'est la main-d'oeuvre servile qui doit passer au premier plan '. Le développement de la population servile paraît lié au progrès de l'industrie et du commerce
Les conséquences sociales de l'essor du commerce sont les mêmes dans toute civilisation; la mobilisation des richesses et le développement du capital-monnaie et du capital-crédit entraînent une nouvelle répartition de la fortune et la formation de classes nouvelles, notamment d'aristocraties marchandes fondées sur la possession de la richesse mercantile, de l'argent. La division du travail et la spécialisation entraînent une interdépendance, une solidarité plus étroites des parties spécialisées. Il en est ainsi en Grèce. Le développement commercial de ce pays fournit la clef des plus importantes transformations politiques et sociales qu'il subit dans notre période.
Avec la diffusion de la monnaie et du crédit se développe en effet en Grèce une richesse nouvelle, la richesse mobilière, qui conquiert bientôt une importance égale à celle de la richesse foncière, si bien qu'il devient nécessaire de la placer sur le même pied que celle-ci dans les constitutions nouvelles (réforme par Clisthène des classes de Solon) 4. L'apparition de cette fortune circulante et mobile permet, dansla pratique de tous les jours, l'usage des contrats sur argent et sur crédit, les affaires à terme, le prêt à intérêt, les spéculations, les accaparements, les accumulations de capitaux dans les mêmes mains De là, dans les moeurs, une opinion nouvelle sur la richesse. Xss(i z' v p, l'argent fait l'homme °, tend à devenir la devise de l'époque, et marque la tournure mercantile nouvelle que prend l'esprit public '. La répartition des classes sociales se trouve du même coup radicalement transformée. En haut de la société se place encore la noblesse, principalement fondée sur la possession du sol (ysmu.écot de Samos et de Syracuse) 8 ; mais déjà, dans bon nombre de cités, cette noblesse se modifie, en prenant part au mouvement commercial ; elle a à sa tète des propriétaires fonciers qui sont en même temps des marchands enrichis C'est ainsi que les hippobotes à Chalcis, peut-être aussi les Bacchiades à Corinthe sont des nobles enrichis par le négoce 10 ; Charaxos, frère de Sappho, homme bien né, se livre au trafic" ; les &etvaürat, aristocratie milésienne, ne sont que des marchands''. De même, à Athènes, les 7rlpAAAtot 13
Peu à peu, au-dessous de cette noblesse, et au-dessus du menu peuple, commence à se former une classe moyenne de commerçants et de fabricants, qui ne peut guère s'élever à 'la possession du sol, vu les difficultés qui s'opposent à la mobilisation de celui ci, et dont la fortune a pour sources exclusives le commerce et les métiers. Cette classe bourgeoise, dès qu'elle a acquis quelque importance dans la société, cherche à se prémunir contre l'oppression des grands, et devient, à cet effet, le plus ferme soutien de la tyrannie, en qui elle compte trouver une protectrice f4, C'est ainsi que, dans la plupart des grandes villes commerçantes et industrielles, et dans ces villes seulement à l'origine (Milet, Erythrées, Chios, Corinthe, Chalcis, Mégare)le régime de la tyrannie commence à se substituer, dès le début de notre période, au régime de l'oligarchie. Les tyrans doivent donc, de par leurs origines, être favorables au commerce : ils le sont, en effet. Corinthe doit une grande part de sa prospérité économique à l'intelligente tyrannie de Kypsélos et de son fils Périandre; Athènes ne doit pas moins à Pisistrate et à ses fils ' l ; Samos à Polycrate, Syracuse à Gélon. etc.
Mais le régime de la tyrannie devait s'éclipser assez vite. Une classe nouvelle se constituait en effet dans les villes au-dessous de la noblesse et de la bourgeoisie marchande, et acquérait, en grandissant, de l'importance politique. C'était la classe des petits travailleurs du commerce et des métiers, matelots,revendeurs et détaillants, petits artisans et ouvriers libres19. Ces travailleurs ne devaient pas tarder à s'unir aux populations rurales pour renverser les anciens gouvernements aristocratiques et leur substituer des gouvernements de forme démocratique. Ainsi les révolutions du vile et du vi' siècle ont leur cause dans les transformations sociales dues à l'essor nouveau du commerce et de la fabrication G0, et c'est seulement dans les parties du monde grec les plus avancées au point de vue économique (Attique, Sicile, Eubée, villes de l'Isthme, villes des côtes d'Asie Mineure) que ces crises ont eu leur répercussion 2i.
Les formes politiques mêmes qu'affectent généralement les sociétés grecques du temps oit nous sommes arrivés révèlent des origines mercantiles. On sait que les sociétés purement commerçantes se constituent rarement sous forme de grands États fortement liés dans toutes leurs parties, mais sous forme de petits territoires autonomes ou semi-indépendants dont une ville forme le centre. lien est ainsi dans la plus grande partie de la Grèce. La ville y est l'unité politique et économique essentielle, comme elle doit l'être plus tard dans l'Italie du moyen àge, et pour les mêmes raisons 22. Sans doute les villes grecques ont leur germe dans l'organisme commercial du marché. C'est la communauté de marché qui amène la fusion en un seul corps des tribus et des familles jusque-là autonomes, et c'est autour du marché, centre de toute la vie commune, que se cristallise l'agglomération commer
MER 1750 MER
eus et attaqua les Grecs de Sicile; mais l'année même oit les Perses succombaient à Salamine, elle était battue en Sicile à Himère (180), et les Étrusques subissaient peu après le même sort à Cumes ( i75 ou 174). Ces deux victoires assurèrent aux Grecs la prépondérance dans les mers Tyrrhénienne, Adriatique et Ionienne'.
L'influence du commerce grec n'eut guère moins de mal à s'étendre dans le bassin oriental de la Méditerranée. Elle y rencontra, sinon dans le Pont-Euxin, où la pénétration fut relativement facile, tout au moins du côté de la Syrie et de l'Égypte, des populations très denses et très civilisées qui lui opposèrent une résistance insurmontable. Les Grecs ne prirent jamais pied d'une façon durable en Syrie dans cette période de leur histoire; ils ne purent jamais chasser complètement les Phéniciens de Chypre 2. Peu à peu cependant, dans le commerce maritime, ils gagnent du terrain sur leurs anciens rivaux, Sans disparaitre de la mer Égée les Phéniciens servent de moins en moins d'intermédiaires entre le monde égéen et l'Orient, et cèdent sur ce point la place aux Grecs : au ve siècle, le commerce par mer des Phéniciens avec la Grèce n'a plus qu'une minime importance'. Le commerce grec avec la Syrie et l'Égypte, de passif qu'il était, devient actif. La langue et les types monétaires grecs se répandent dans toutes les provinces occidentales de l'empire perse. Les produits fabriqués en Grèce commencent à concurrencer ceux d'Orient, parfois même à les supplanter'. On rencontre des Grecs jusque dans les ports de Phénicie 6. L'Égypte même a sa colonie grecque : dès le milieu du vue siècle, des aventuriers de Carie et d'Ionie s'étant mis au service du roi Psammetichus obtiennent de lui un établissement en Égypte; les marchands suivent peu à peu les soldats et, sous Amasis (569-52à), fondent un comptoir à Naucratis, sur la branche canopique du Nil La lutte économique de la Grèce avec l'Orient prend un caractère aigu à la fin du vit siècle, lorsque le monde hellénique entre en concurrence avec l'empire des Perses, parvenu alors à l'apogée de sa puissance Cet empire, qui embrasse alors inc superficie égale à plus de la moitié de l'Europe, avec une population d'au moins quarante millions d'habitants, réunit tous les grands centres industriels et commerrants de 1'Orient, Memphis, Babylone, Suze, Ecbatane'. On sait quelle est l'issue des guerres médiques, et comment les victoires grecques assurent l'émancipation définitive de la Grèce par rapport à l'Orient. Un essor nouveau du commerce grec, et une orientation de ce commerce dans des voies entièrement indépendantes sont les fruits économiques, trop souvent méconnus, de ces victoires70.
L'expansion du commerce au dehors correspond, au dedans, à une transformation profonde de toute la civilisation grecque : ce n'est plus seulement le superflu, mais c'est aussi une part du nécessaire que les Grecs se procurent par le commerce. Cette transformation en entraîne une autre ; les groupes familiaux cessent de
constituer une unité économique fermée, se suffisant à elle-même. Les membres de ces groupes doivent de plus en plus vivre de leur vie propre, et conquérir dès lors une indépendance de plus en plus grande. La famille patriarcale s'émiette en des groupements plus étroits et moins fortement liés ". Les formes de l'économie domestique rétrogradent: elles ne se retrouvent à peu près intactes que dans les parties de la Grèce qui vivent encore d'une vie principalement agricole. Partout ailleurs se substitue au cercle étroit de la famille un cercle plus large, dans le sein duquel tous les échanges s'opèrent : c'est la ville, organisme économique autonome et se suffisant à lui-même. Ce nouveau régime même devient à son tour insuffisant. Rares sont les villes où, comme à Locres, les produits sont directement vendus par le producteur au consommateur t2. Le commerce ne tarde pas à briser même les barrières que lui opposent les organismes autonomes nouveaux ; les échanges débordent le cercle fermé de la ville. L'économie nationale se superpose à l'économie urbaine. Ainsi se constitue un véritable commerce, dans lequel les richesses circulent de main en main et passent par de nombreux intermédiaires, d'une cité à l'autre, pour aller du producteur au consommateur.
La circulation et la mobilisation plus actives des richesses se marquent non seulement par le développement des moyens de communication (progrès de l'art nautique) u, la multiplication des voyages, la fréquence et la rapidité des échanges, mais encore et surtout par la rapide diffusion (à partir du vue et du vne siècle)'i de la monnaie pesée et marquée sous le contrôle de l'autorité publique'' et des institutions de crédit : monnaie et crédit sont les deux instruments caractéristiques de la mobilisation des richesses par le commerce. Par eux se substituent peu à peu 1l à l'ancienne forme de vie économique des formes nouvelles dans lesquelles l'argent et le crédit, à côté du rôle d'intermédiaires d'échanges, jouent celui de valeurs indépendantes, de capitaux. Ils deviennent même les premiers capitaux de tous. Quant à la division du travail, elle se marque de plus en plus nettement dans la production comme dans la répartition des choses utiles à l'existence. On désigne les produits par leurs lieux d'origine (armes de Rhodest', épées de Chalcis boucliers de Béotie 3', cratères d'Argos 70, lainages de Milet''-', etc.), signe de la spécialisation introduite dans leur fabrication 22. Les marchands et les artisans, eux aussi, se spécialisent ; la liste des noms de métiers, si restreinte dans les temps homériques. s'allonge de plus en plus 23. Les progrès techniques de la fabrication 2" obligent quiconque veut y exceller à en faire son métier. Les producteurs qui se distinguent dans leur spécialité acquièrent du renom ; les maîtres céramistes signent fréquemment Ieurs oeuvres. Un même homme ne peut plus, comme aux 'temps homériques, suffire à toutes les besognes. La spécialisation s'introduit même, dès le
MER -1 749 -i9 MER
Quant aux relations avec l'Égypte, encore rares au début de notre période, puisque l'Iliade ne fait qu'une seule allusion à ce pays 1, elles prennent une certaine importance. L'Odyssée tonnait bien l'Égypte : les rapports des Grecs avec ce pays ont donc dû devenir plus fréquents 2. I.e voyage d'Égypte s'effectue, comme dans les temps mycéniens, en longeant la Phénicie et en passant par Chypre °. Exceptionnellement, on tente la traversée directe d'Égypte jusqu'à Rhodes ou jusqu'en Crète °. Cet itinéraire deviendra un peu plus usité au début des temps historiques.
De semblables conditions commerciales ne doivent pas entraîner une grande expansion colonisatrice. Peutêtre y eut, il, au début de notre période, quelques migrations des habitants du Péloponèse chassés par I'invasion doriennes et s'établissant sur les côtes d'Asie à côté des Phéniciens ou à leur place', mais, une fois l'assimilation des vainqueurs et des vaincus réalisée, ces migrations durent cesser. En dépit de la légende, c'est seulement vers la fin de notre période, à partir du vile siècle, que l'on peut constater avec quelque certitude de véritables émigrations colonisatrices 7.
II. PÉRIODE HISTORIQUE. Le commerce grec pendant les temps historiques jusqu'à la conquête romaine suit une marche ascendante ininterrompue : du vm'auv' siècle, le commerce grec, qui était un commerce passif, devient un commerce actif et conquiert la Méditerranée ; la thalassocratie grecque se substitue à la thalassocratie phénicienne ; elle supplante à l'ouest la concurrence des Étrusques et balance celle des Carthaginois; à l'est, elle s'affranchit de la suprématie des peuples orientaux. Le v` siècle marque une période brillante du trafic, avec l'hégémonie commerciale d'Athènes. Mais la prépondérance économique de cette ville décline, avec sa prépondérance politique, après les guerres du Péloponèse. Les luttes du Ive siècle déplacent les anciens courants commerciaux, et l'expansion de l'hellénisme qui suit les conquêtes d'Alexandre fait du commerce hellénique un commerce mondial, dont l'essor survit au morcellement ,de l'empire et même à la conquête romaine.
Il convient d'examiner d'abord les conditions et les phases de ce développement (Histoire externe), puis d'étudier l'un après l'autre chacun des rouages (usages, institutions ; outillage ; voies de communication, centres de production, etc.) de 1°organisme commercial de notre période (Histoire interne).
Histoire externe du commerce grec dans la période historique. A. L'expansion du commerce grec du vine au ve siècle.Toute une partie du poème d'Hésiode, les Œuvres et les Jours, est consacrée à la navigation 8. Nous avons ainsi, dans les sources littéraires, un témoignage contemporain de l'expansion commerciale qui est dès lors en voie d'accomplissement. A partir du vin' siècle, les Hellènes se répandent sur toutes les côtes de la Méditerranée, du Pont-Euxin aux Colonnes d'Hercule ; leurs
VI
colonies essaiment jusqu'en Chersonèse, en Cyrénaiique, en Sicile, en Italie, en Gaule, en Espagne 9 [eoLO-vrx Beaucoup de ces colonies, il est vrai, n'ont pas un caractère commercial : à la différence des Phéniciens, dont les établissements ne sont d'ordinaire que de simples comptoirs, les Grecs fondent de véritables centres agricoles. Leurs premières colonies apparaissent comme des colonies de peuplement plus que comme des colonies d'exploitation 10. Elles recueillent le trop-plein de la population qui, manquant de terres dans la métropole, s'établit sans esprit de retour sur le sol étranger ". Mais, s'il y a là une émigration plus qu'une entreprise commerciale, cette émigration ne peut cependant manquer de développer le trafic, et d'amener des relations d'échange fréquentes et suivies avec la mère-patrie.I➢es témoignages de ces relations nous sont fournis soit par les sources littéraires, soit par les sources archéologiques
les fouilles faites dans les colonies grecques nous font retrouver beaucoup d'objets provenant d'échanges ; et, clans les civilisations et les milieux les plus divers se révèlent les traces d'apports de la civilisation grecque
Le commerce extérieur devient bientôt un intérêt vital de l'Hellade, un des mobiles fondamentaux qui la guident : les besoins de l'expansion commerciale constituent un des ressorts prépondérants de son action politique 13.
A l'ouest, l'expansion hellénique se heurte, dès le vil' siècle, à deux grands peuples maritimes, les Étrusques et les Carthaginois, qui, tantôt coalisés et tantôt isolés, parviennent à l'arrêter sur plus d'un point. Les Étrusques avaient pris pied à la fois dans la mer Adriatique et dans la mer Tyrrhénienne, et s'y livraient au trafic et à la piraterie". Les Phocéens, établis en Gaule (Marseille) et en Corse, se heurtèrent à eux ; la bataille navale d'Alalia leur lit perdre la Corse 45 et arrêta leur pénétration dans la mer Tyrrhénienne. Néanmoins le contact des Grecs et des Étrusques eut d'importantes répercussions commerciales. La civilisation grecque influença fortement, comme on sait, la civilisation étrusque 1° ; la céramique grecque, notamment, fut l'objet d'importations et d'imitations nombreuses en Étrurie i4. Les Grecs rencontrèrent aussi d'autres concurrents dans les Phéniciens, arrivés sans doute avant eux la dans le bassin occidental de la Méditerranée. Ils entrèrent en lutte avec la principale colonie phénicienne, avec Carthage, et c'est peut-être les besoins d'une défense commune qui amenèrent les établissements phéniciens, isolés jusque-là, à s'unir et à former un seul État sous la prépondérance de Carthage 19. La lutte économique et politique dura longtemps. Les Carthaginois, alliés d'abord aux Étrusques, puis isolés, après la chute de la puissance de ces derniers, parvinrent à fermer aux Grecs une partie des côtes d'Espagne (jusqu'au promontoire Artemisium), la Sicile, la Sardaigne, les Baléares, etc., en un mot tout le bassin sud-ouest de la Méditerranée. Lorsque les Perses envahirent la Grèce, Carthage lia partie avec
9AO
MER 1748 MER
lion pouvait, en d'autres parties de la Grèce et en Asie, effectuer d'assez longs trajets en voiture.
L'outillage de la navigation n'est pas moins imparait'. Les navires de commerce (stipes yoorlies), bien que plus larges et plus stables que les navires de guerre, sont cependant de dimensions trop faibles 2 pour permettre régulièrement les traversées de haute mer. lls naviguent lentement le long des côtes, le plus souvent à la voile, quelquefois à'la rame ', seulement de jour et par le beau temps. Les vents contraires arrêtent les marins pendant des semaines et des mois 3, et c'est une opération hasardeuse que de doubler certains promontoires Aussi redoute-t-on fort les longues traversées 7 et l'on ne se risque que rarement dans les mers éloignées. Les navires grecs ne pénètrent presque jamais dans le Pont-Euxin, dans les mers de Lybie, de Syrie et de Cilicie 3.
Centres, directions et voies du commerce. -Dans une civilisation agricole, et où le commerce n'occupe qu'une place restreinte, il doit exister peu de villes.
Aux temps homériques, la population habite des villages ouverts et des bourgades', comme on en trouve jusqu'aux temps historiques en Étolie ; en temps de guerre, elle cherche un abri dans les montagnes ou derrière les murailles des citadelles royales t0. Cependant il existe quelques centres, provenant d'ordinaire d'un groupement de bourgades qui se sont réunies" (peutêtre par suite d'une communauté de marché), quelquefois, mais plus rarement, de faubourgs qui ont grandi sous la protection des chàteaux royaux'. Ces centres, lorsque leur situation sur les voies du transit est favorable, prennent une part prépondérante dans le mouvement commercial, deviennent des villes. Dans le moyen àge grec comme dans le moyen âge germanique", les formations urbaines sont des phénomènes commerciaux.
Les principales places de commerce que nous font connaître les textes sont : à l'entrée du Péloponèse, Corinthe, qui commande le seuil unissant le golfe Saronique au golfe de Corinthe '+ ; non loin d'elle, l'ile d'Égine, qui garde l'entrée du golfe Saronique, et dont les habitants, d'après Hésiode, sont les premiers qui aient pratiqué l'art nautique 11 ; en Béotie, Orchomène, la ville des Minyens, qui commande la route naturelle que constitue le lac Copaïs ; sur la mer Ionienne, un peu au sud de l'Alphée, le port de Pylos, rendez vous des Barbares et des hellènes, fréquenté également par les Eubéens et les Crétois ". Au nord de la mer Égée, le grand centre est Lemnost7 : cette Be bénéficie de sa situation privilégiée sur la route de l'Hellespont, en face de la côte troyenne,
tout près de la Thrace, alors très civilisée et centre important d'exportation du vin". Plus au sud, la foire qui se tient à Délos remplit de vaisseaux richement chargés le port de file, et constitue l'un des principaux marchés du commerce ionien 20.
Les mauvaises conditions de la navigation, les dangers qu'elle entraîne déterminent le tramé et l'étendue des communications maritimes. La route usuelle d'Asie Mineure en Grèce suit autant que possible les îles, susceptibles de servir de points de repère ou d'abris; elle longe Lesbos et Chio pour gagner la pointe de l'Eubée ; et l'on ne tente qu'exceptionnellement la traversée directe21. Le commerce rudimentaire de cette époque ne doit pas dépasser beaucoup les limites du monde grec. Si les parties récentes des poèmes homériques paraissent avoir une vague connaissance des pays de l'Europe septentrionale (pays des Lestrygons) et de l'Afrique centrale (Pygmées) 22, cette connaissance semble bien être le fruit, non d'explorations grecques, mais de traditions colportées de proche en proche à travers les populations étrangères, et recueillies par les Phéniciens'. Il convient de ne pas se méprendre sur ce point 2'' : le vague même de ces traditions prouve assez qu'elles n'ont pas leur source dans des relations commerciales suivies. Du côté de l'ouest, les limites du mouvement commercial doivent être peu éloignées du Péloponèse. Les poèmes homériques connaissent mal toutes les contrées situées au delà d'Ithaque. Les relations d'échanges avec l'Italie, sur l'existence desquelles nous possédons un témoignage, s'il est vrai que la ville de Temèse, où Mentes, roi des Taphiens, va échanger du fer contre du cuivre 2N, doive être identifiée avec Tempsa (en Bruttium), et non avec Tamassos (en Chypre), sont exceptionnelles par la voie de mer. Par la voie de terre, il est possible que certaines relations commerciales unissent la Grèce à l'Italie en contournant l'Adriatique, mais nous n'en avons pas de preuve directe 26.
Du côté de l'est, le commerce est plus actif et s'étend plus loin. Les Grecs de la côte d'Asie sont en rapports avec tout l'hinterland, Lydie et Phrygie, au moyen d'une route, qui sera plus tard la « Route royale » des Achéménides, et qui longe d'abord la vallée de 1'llermos, passe par Sardes, remonte au nord par Midaïon et Pessinonte, coupe le Sangarios à Gordieon, et, par Ancyre, se dirige vers Ptéria en Cappadoce 21. Par la suite, la route de la vallée de l'Hermos sera supplantée par une autre route qui empruntera la vallée du Méandre, par Celenae et Colossae. Dès avant le vice siècle, les Méoniens servent, à l'exclusion de tous autres, de lien entre Babylone, Ninive, Ptéria et les établissements grecs d'Asie Mineure 26.
MER 17147 MER
l'hégémonie du trafic d'une civilisation moins avancée importe chez celle-ci la terminologie technique de son commerce'. La linguistique nous fournit encore les moyens de retrouver les anciens comptoirs phéniciens qui jalonnent en très grand nombre les côtes helléniques 2. Leurs noms sémitiques se retrouvent sous les déformations que les Grecs leur ont fait subir ou sous les doublets qu'ils y ont accolés 3. L'étude des sites et de leurs noms (topologie et toponymie) permet de dégager en cette matière des résultats précis. L'activité des Phéniciens s'étend dans tout le monde grec ; on les trouve partout, en Égypte, en Crète, à Lemnos, à Ithaque et jusque dans les mers de l'Ouest, car il est probable qu'ils touchent aux îles Ioniennes a. Ils ne se bornent pas à débarquer sur les côtes, maison les trouve jusque dans l'intérieur (peut-être en Arcadie) °. Ils ne se contentent pas du rôle d'intermédiaires entre les producteurs et les consommateurs; mais, producteurs euxmêmes, ils écoulent chez les Grecs les produits de leur industrie', Le peuple phénicien est à peu près le seul peuple commerçant que connaisse l'Iliade. L'Odyssée cite en outre les Taphiens ou Téléboens 8 que l'on a même parfois prétendu identifier avec les Phéniciens 3. De toute façon, le commerce du monde égéen est un commerce oit les Grecs jouent un rôle passif. Plus encore peut-être que dans la période précédente, le trafic international passe par des mains étrangères.
Les Grecs ne sont pas cependant exclus de toute participation au commerce f0. Ainsi, pendant le siège de Troie, des vaisseaux hellènes de Lemnos viennent vendre du vin aux Achéenslt. Les Achéens exportent aussi du vin de Thrace i2. Mais c'est là un trafic que les occasions (le siège de Troie en l'espèce) suscitent seules. Il semble bien, en tout cas, que les marchands grecs ne se hasardent guère hors de la mer Égée, et que le monde hellénique n'est en rapports réguliers avec l'Orient que par les Phéniciens.
Formes et outillage du commerce. Le commerce affecte presque exclusivement la forme d'un commerce de troc. Les Achéens échangent du vin contre du bronze, du fer, des esclaves" ; les Phéniciens troquent, en Syrie, des produits agricoles contre de l'or et de l'ambre 14 ; Mentes, roi des Taphiens, entreprend un voyage pour échanger du fer contre du cuivre''. Comment s'effectuent les opérations du troc? A peu près comme elles s'effectuaient lorsque les premiers marchands espagnols
abordèrent en Amérique ou Iorsque Ies premiers marchands portugais abordèrent dans l'Hindoustan. Quand les bateaux phéniciens chargés de camelote (bijoux, birivage où ils veulent commercer, leurs chefs engagent des relations pacifiques avec le roi du pays en lui faisant des présents''. Puis on débarque ; on étale les pacotilles, en s'efforcant d'allécher les clients 18. Les indigènes accourent les femmes surtout dévorent des yeux toutes ces merveilles qu'elles ne connaissent pas et elles les palpent. Souvent les traitants et les indigènes ne se comprennent pas. L'acheteur montre au marchand l'objet qu'il offre en échange du bibelot qu'il désire ; et le marchand, d'un signe de tête, fait connaître son assentiment ou son refus". Les petites îles voisines de la terre servent d'appontements et d'entrepôts pour ce commerce
de troc 20.
On se sert déjà, il est vrai, de poids et de mesures 21, peut-être empruntés à la Syrie, par l'intermédiaire des Phéniciens 22 ; mais il n'y a pas encore de monnaie métallique : comme dans la plupart des civilisations agricoles primitives 23, on utilise les têtes de bétail comme étalons de valeur et instruments communs d'échange [PECHNIA] 21. On paie quatre boeufs une femme esclave sachant bien travailler 25. On commence aussi à se servir, dans le même but, de lingots et d'ustensiles métalliques (trépieds et chaudrons : ZMrireç) 2s : un grand trépied de bronze est estimé douze bteufs21.
Les instruments de transport sont assez rudimentaires 28, La plupart des transports doivent s'effectuer à dos d'hommes ou de bêtes de somme. Cependant l'on se sert aussi de petites voitures à deux ou à quatre roues («ua;at ou arrvz ), analogues sans doute, dans leurs parties essentielles (caisse.. essieu, roues et joug), aux chars de guerre'. Elles sont tout en bois; seul le cercle des roues est en métal30. Elles sont tirées par des mulets ou des boeufs'31 Les routes, que le moyen âge grec a héritées de l'époque mycénienne, ne permettraient guère le passage de véhicules plus volumineux. Ces routes sont souvent citées dans les poèmes homériques32. Les émissaires d'Ulysse chez les Lestrygons trouvent, en débarquant, une route frayée OLoG s bibv) 33. Télémaque fait en voiture le voyage de Pylos à Sparte 35. Cela ne prouve pas, on l'a remarqué 33, qu'il existât dès lors à travers le Taygète une route accessible aux chars (il n'y en a pas, même de nos jours) 3e, mais cela prouve au moins que
MER 1746 MER
des échanges limités, qui s'effectuent sans intermédiaires, au moyen de rapports directs entre consommateur et producteur (a(:oaso),tz-). Mais il y a aussi parfois des échanges qui se réalisent par des intermédiaires (p.EtiaééÀT,'txr,). Ainsi, aux groupes économiques fermés de ]'époque ancienne commencent à se superposer parfois des cercles économiques plus larges, nationaux et même internationaux; ainsi apparaissent certaines relations commerciales. Mais il ne faut pas en exagérer l'importance ni les progrès. Ce commerce reste très rudimentaire. Sur le bouclier d'Achille, où sont représentés tous les moments importants de la vie humaine, il n'y a pas d'image du commerce ni de la navigation '. La terminologie commerciale des poèmes homériques est maigre et embarrassée.
On n'y trouve même pas de termes propres s'appliquant au commerce et aux commerçants. Le mot âu7topoç qui désignera plus tard le grand négociant ne désigne dans Homère que celui qui voyage sur mer dans un vaisseau étranger 2 ; et ce n'est que tardivement que le mot 7tp't'Itç s'applique exactement au commerce '. Les moeurs s'accommodent mal des expéditions lointaines et des voyages aventureux. On regarde comme un malheur de s'éloigner de son foyer 4. 11 n'y a que les risque-tout, les inquiets, ou ceux qui n'ont rien à perdre, qui cherchent la richesse dans les entreprises lointaines 0. On les redoute et on les dédaigne ; on tient leur métier pour peu honorables.
Objets du commerce. Le médiocre développement du commerce aux temps homériques apparaît plus nettement encore si l'on examine, en suivant les sources, quels sont les objets de ce commerce, les hommes qui l'exercent, ses formes, son outillage et les moyens de transport dont il dispose.
Chaque groupe ne demande aux étrangers que les choses que l'agriculture et l'industrie domestique sont hors d'état de produire : ce sont naturellement des produits exotiques ou certains objets de fabrication difficile. Il ne peut leur céder en échange que ce qu'il produit, c'est-à-dire essentiellement des denrées agricoles et des matières premières. On importe donc des objets fabriqués; on exporte des produits agricoles. Les poèmes homériques font implicitement cette distinction entre le commerce d'importation et celui d'exportation : il n'y est pas question d'exportations grecques portant sur des objets fabriqués Ceux-ci sont toujours importés de l'étranger ou échangés dans le cercle du monde égéen.
Les produits fabriqués que les textes signalent le plus souvent comme faisant l'objet d'échanges sont les articles de métallurgie. La civilisation de l'époque homérique marque une phase de transition entre l'âge de bronze et l'âge de fer. Le fer, inconnu des parties anciennes de l'Iliade, apparaît de plus en plus fréquemment cité dans les parties récentes de ce poème, et dans l'Odyssée, à côté de l'or, de l'argent, du plomb, de l'étain, etc. (rERrmuM].Mais le bronze est encore beaucoup plus employé
On échange surtout des armes offensives (épées de Thrace) 10 et défensives, puis des ustensiles 11, des pièces d'orfèvrerie, des bijoux12, des verroteries et des lingots non travaillés de fer, de, bronze, d'étain (xaaa(TtEnç), celui-ci sans doute de provenance syrienne, comme son nom l'indique 13. Après les métaux, les objets d'échange les plus fréquemment cités sont l'ivoire ", sans doute importé d'Êgypte par l'intermédiaire des Phéniciens" ; l'ambre (XExZ pov) 1s, les huiles parfumées d'Orient ", les étoffes et les vêtements teints en pourpre '8 provenant des fabriques de Sidon '°. Puis viennent les produits du sol et les matières premières : levin20, le froment 2', le bois (pour les navires) 22, les peaux de bêtes, le bétail, les esclaves E3. Dans le port de E'upf-q (Syra?), tandis que les Phéniciens se défont de leur pacotille, leur navire se remplit de viandes ((i(otoç, en latin victus, ce qui est nécessaire à la
et à mesure que l'agriculture se perfectionne, elle fournit au commerce de nouveaux éléments : c'est par exemple l'huile, rarement citée dans l'Iliade, mais citée à chaque instant dans l'Odlyssée26; ce sont les fruits des arbres (pommes, poires, grenades, figues, etc.) 27.
Intermédiaires du commerce. rLe commerce de notre époque est-il aux mains des Grecs ou aux mains des étrangers ? Il est certain, malgré de récentes contradictions 28, que les Orientaux, notamment les Phéniciens, jouent un rôle prépondérant en cette matière 29. Les temps homériques coïncident avec la thalassocratie phénicienne 30, qui n'était qu'à ses débuts au temps de la civilisation mycénienne, mais qui atteint, à partir du xe siècle, son plein essor. La linguistique en fournit la preuve. On rencontre en effet dans l'épopée homérique un très grand nombre de mots empruntés aux langues sémitiques, et ce sont précisément les mots qui désignent les objets usuels du commerce (yl' vEç en hébreu ke
kanelt, etc. 33). Or c'est une loi presque sans exception de l'histoire économique, que tout peuple commerçant qui a
MER --174 5 --iM EH
purement agricoles, les villes, groupements plus denses, plus espacés, plus éloignés de la terre, sont caractéristiques des civilisations commerciales. Les villes sont essentiellement., à l'origine, des groupements d'artisans et de marchands. Or, sous la. protection des citadelles mycéniennes ii existait généralement des agglomérations en forme de villes '. C'est dire qu'il existait aussi une population vivant principalement du. commerce. Et il est possible que cette population ait formé, comme le pensent certains historiens, une classe à part.
Enfin, il existait à cette époque tout un réseau de routes [vIA]. Ces routes étaient établies sur un substratum de larges blocs de pierre non dégrossis; elles étaient d'ailleurs assez étroites (3 m. 58), comportaient des pentes fort raides, et se prêtaient mieux aux transports par bêtes de somme qu'aux transports par voitures. Plusieurs de ces routes rayonnaient autour de Mycènes. Les unes allaient vers Argos et Tirynthe; d'autres unissaient l'Heraeon, près de Mycènes, à cette ville, à Cléonée, Ténée et Corinthe 2; on peut encore en relever les vestiges dans les montagnes de l'Argolide.
Nous n'avons pas, d'ailleurs, la ressource de comparer le commerce mycénien avec le commerce, mieux connu, de la période suivante, car il est également possible que le commerce des temps homériques marque, par rapport au commerce mycénien, une progression ou une régression. Une régression parait pourtant plus vraisemblable 3.
Temps homériques (xrevura siècles). -Vers le xc siècle av. J.-C., la civilisation mycénienne tomba assez rapidement, sans doute, sous les coups des envahisseurs doriens Le monde grec fut profondément troublé par l'invasion ; l'essor économique et commercial en fut ralenti ; des éléments de civilisation nouveaux y furent importés par les nouveaux venus, d'ailleurs beaucoup plus rudes que les premiers maîtres du sol 5. Pour cette période nouvelle, caractérisée par des éléments économiques ou éthiques inconnus des temps mycéniens, nous disposons, en dehors des sources archéologiques, de sources littéraires et linguistiques, qui laissent subsister cependant bien des lacunes dans notre information.
Envisagée sous son aspect économique', notre période a pu être parfois désignée du nom de moyeu tige grec Gomme dans l'époque correspondante de l'histoire de l'Europe occidentale (du-xe au xve siècle), les poèmes
Mous font connaître un état économique analogue. Ces deux époques sont des époques d'économie agricole et d'économie domestique : c'est l'exploitation de la terre et des troupeaux qui fournit aux hommes les principaux moyens de vivre (nourriture et vêtements) 3. Nous y constatons l'existence de groupements autonomes qui, au point de vue économique, se suffisent à eux-mêmes. A leur tète se trouvent les grands propriétaires fonciers, nobles, qui vivent du travail de leurs subordonnés, et qui, en revanche, les protègent 9 ; au-dessous de ces seigneurs se groupe toute une population de laboureurs, de fermiers, d'ouvriers, de mendiants f', les uns esclaves, les autres libres, mais absolument dépendants au point de vue politique". Le groupe produit tout ce dont il a besoin par l'agriculture, l'élevage du bétail et l'industrie domestique". C'est dans son sein seulement que se produit une division rudimentaire du travail". Dans cette population à demi servile, on rencontre de bonne heure, à côté des cultivateurs, des artisans (ôir1gmueyoO à qui le maître confie des matières premières a transformer".
Cette organisation restreint singulièrement laplace que peut occuper le commerce dans la société. Pour se procurer certaines marchandises que l'économie, domestique ne peut fournir, on a recours au vol et à la piraterie : l'importance économique des razzias et du brigandage ressort à chaque instant des poèmes homériques". Mais à côté des moyens violents, commencent à s'établir des moyens pacifiques de mettre en rapport les divers groupes entre eux et avec les étrangers. Le commerce, surtout le commerce de mer, prend une place de plus en plus notable dans les parties récentes de l'épopée homérique 1' et l'on rencontre des marchands de profession conformes au portrait qu'en trace Euryale" [MERCATOR]. En même temps que le commerce international, se développe le commerce intérieur. Comme le moyen tige de l'Europe occidentale f8, le moyen tige égéen voit se réaliser une émancipation progressive des agriculteurs et des artisans, qui acquièrent le droit de travailler, non plus exclusivement pour leur groupe, mais aussi pour les étrangers à ce groupe, et contre payement", L'émancipation des ô1utoopyo( grecs et celle des ministeriales francs suit la même évolution. Les cultivateurs vendent le superflu de leur récolte ; les artisans, désormais indépendants, peuvent aller chercher fortune là où on a besoin de leurs services", Cette émancipation n'entraîne d'abord que
MER X74 MER
plusieurs tombeaux d'Athènes ; les ruines (murailles, fondations d'un palais, digue) découvertes en Béotie dans une île du lac Copaïs, et à Orchomène; d'autres monuments trouvés dans les îles de Chypre, de Rhodes, de Crète, nous fournissent des témoignages intéressants sur l'état économique de cette époque, à laquelle appartient aussi, en Asie Mineure, le fonds de la sixième ville de Troie'. Ils nous révèlent des formes de civilisation (lui ont régné non seulement dans le monde égéen, mais jusqu'en Asie Mineure, en Syrie, en Égypte, en Sicile, dans l'Italie méridionale, etc. L'âge de bronze a complètement-supplanté l'âge de pierre; la technique de la métallurgie est déjà très développée' : des bijoux, des ustensiles sont faits en métal coulé, filé, martelé «cuivre, or et argent, exceptionnellement fer) t. L'art de la poterie s'est aussi fort perfectionné. L'ornementation des ouvrages de métal et de terre est puisée à une inspiration généralement autochtone Mais on rencontre aussi désormais des traces indéniables d'influences de l'art décoratif oriental " : plantes et animaux d'Orient, monstres ailés qui apparaissent surtout dans les petits objets (gemmes, bagues, travaux d'ivoire, d'or plaqué, porcelaines, verreries, scarabées égyptiens, etc.) 8, Ces influences semblent révéler des relations fréquentes de la civilisation mycénienne avec l'Orient 9. Babylone participait certainement à ces relations (peut-être par l'intermédiaire des Hétéens)f0, Mais c'était surtout l'Égypte" qui échangeait des produits fabriqués avec les Grecs, notamment avec ces peuples un peu énigmatiques connus sous le nom de Keftiou (gens du pays de Kant) '2, que les Égyptiens confondaient à tort avec les Phéniciens 13, qu'on a voulu récemment identifier avec les Ciliciens' 1, mais qui ne sont, plus probablement, que les habitants de la lisière nord de la Méditerranée, en face de l'Égypte (Chypre, Pisidie, Lycie, Crète) '°,
Le commerce mycénien avait gagné aussi les pays de l'Occident. Des produits fabriqués identiques se retrouvent à Syracuse, en Étrurie, jusqu'en Portugal16.
La Crète a dit tenir une place prépondérante dans les relations avec les étrangers. Il doit y avoir un fond de vérité dans les traditions relatives à Minos et à la thalassocratie crétoise". Plus tard, le centre du mouvement commercial se déplaça et passa en Argolide. La légende des Argonautes rappelle les tentatives faites par les princes d'lolchos pour atteindre l'Hellespont et la mer Noire 48. Troie, qui commandait la route de l'Hellespont,
devait être aussi une place de commerce importante1'.
Mais quelle a pu être l'importance de ce commerce, quelles ont pu être ses directions et ses formes?
S'agit-il des routes du commerce extérieur ''«c'est àdire du commerce du monde égéen avec la Syrie et l'Égypte)? On estime généralement que les relations commerciales empruntaient surtout la voie de terre ei, le petit cabotage: les marchandises arrivaient à la mer Égée par l'Asie Mineure. Les rapports politiques des Pharaons d'Égypte et des rois des cités mycéniennes ont été rares, exceptionnels même2L, D'autre part, les petits et mauvais navires de cette époque n'auraient guère permis d'affronter régulièrement la haute merl". On ne s'expliquerait guère autrement le caractère autonome pris par la civilisation hellénique dans certains centres écartés, dans file de Chypre, par exemple, dont la vie se développe tout à fait à part23
Quels étaient les intermédiaires du commerce entre l'Orient et le monde égéen? Les Phéniciens 2b se trouvaient naturellement placés sur les routes continentales du trafic, et des témoignages nous révèlent leur entremise dans l'importation de vases mycéniens en Égypte
Mais il est possible que les Phéniciens n'aient eu avec la civilisation mycénienne qu'un contact superficiel et qu'ils n'aient pas pénétré profondément dans l'intérieur de la mer Égée". Sans doute le commerce de cette mer, entre les tûtes de l'Asie Mineure, le Péloponèse et les îles, était purement grec : ainsi s'expliquerait l'absence d'éléments étrangers (spécialement d'éléments sémitiques) dans la terminologie de la nautique grecque" et l'ignorance oit semblent être les parties les plus anciennes des poèmes homériques de l'existence de navigateurs phéniciens dans la nier Égée n, La thalassocratie phénitienne ne doit guère être antérieure au xe siècle29.
Mêmes incertitudes en ce qui concerne la technique du commerce. Toutefois I'on peut affirmer que la vie économique de cette époque comportait déjà une certaine spécialisation et une certaine division du travail, indices d'une civilisation commerciale relativement avancée. Cela résulte, d'une part, de l'habileté professionnelle dont témoignent les produits de l'industrie locale, habileté que n'atteindraient guère des ouvriers non spécialiséss0 ; cela résulte aussi d'autre part de l'existence d'établissements humains de forme urbaine. Tandis que les établissements humains en forme de villages, de hameaux ou de domaines isolés sont caractéristiques des civilisations
NIER 1743 MER
monts des municipes ', bien qu'il n'y eût pas en dehors des capitales de distributions publiques, il était naturel qu'ils fissent appel pour cela à certains marchands et en particulier aux boulangers. De même ceux des curiales qui étaient chargés de la surveillance des travaux publics ne pouvaient mieux faire que de demander le concours des dendrophores. En somme, la situation parait la même à Rorne, à Constantinople et dans les provinces. Les commerçants, constitués en collèges, semblent devenus des organes de l'administration, astreints à des corvées propres à leur métier.
Les marchands étaient soumis à certains impôts ; et par là il faut entendre non point les taxes qui frappaient les marchandises comme la douane ou l'octroi, mais celles qui étaient prélevées sur la profession elle-même. De ce nombre étaient peut-être le FORICULARIUM, s'il faut y voir, avec certains auteurs, ce qui ne semble pas admissible, un droit de marché, de stationnement sur la place publique ou dans les magasins qui s'y trouvaient 2. Ce qui est certain, c'est que, depuis Alexandre Sévère
qui ressuscita peut-être d'anciens impôts, les négociants étaient tenus de payer une patente nommée AURUM NEGOTIATORTUM; seuls les commerçants de Rome en étaient exempts 4. Après Dioclétien un nouveau système fut établi ; tous les artisans, inscrits sur un registre matricule spécial, sous le nom des negotiatores, devaient une contribution personnelle, functio auraria 3, pensio auraria 6 [CHRYSARGYRUM, qu'ils répartissaient entre les différents membres de la corporation Tout ceci a été expliqué ailleurs. Le s1LIQUATICUM serait un impôt du même genre perçu en partie sur le marchand, en partie sur l'acheteur 3. R. CAGNAT.