Le Dictionnaire des Antiquités Grecques et Romaines de Daremberg et Saglio

Article MANUMISSIO

MANUMISSIO. Nous n'exposons ici que les formes légales de l'affranchissement. Nous renvoyons pour tout le reste à l'article Lun.RT('s (p. 1201-1202). Sous la République il y avait trois formes d'affranchissement, per vindictant, censu, testasnento. 1° Per vindictam. Ce mode a lieu devant le préteur ; il s'explique par l'imitation de la procédure des legis actiones, et des formalités de la revendication des meubles et des immeubles. C'est la fiction d'un procès de ce genre : le maitre comparait devant le préteur avec l'esclave qui, étant incapable d'agir en justice, est représenté par 1'assertor libertatis qui joue le rôle de demandeur' ; le maître ne se défendant pas, le magistrat est censé constater la liberté (LEGIÇ ACrIOJ. Quand les legis actiones furent remplacées par la procédure formulaire, ce mode d'affranchissement fut rangé dans la classe des actes de juridiction gracieuse2 ; le procès ne fut qu'un simulacre ; un licteur représente l'assertor libertatis ; il est nécessaire au moins jusqu'à l'époque d'Ulpien'. Le maitre (fig. 4827) touche l'esclave de la verge (vindicta ou /istuca) )VINDICATI0 en di saut: « Hune hominem ex jure Quiritium liberunt esse 1'010 », puis il lui donne un léger soufflet et le fait tourner sur lui-même `. Le magistrat peut procéder à cet acte de juridiction gracieuse non seulement sur son tribunal, mais partout où il se trouve ; il affranchit valablement ses esclaves par-devant lui-même; il peut, étant tuteur, autoriser son pupille à affranchir et affranchir lui-même 0 ; le gouverneur de province peut affranchir avant d'être arrivé dans son district; mais, en dehors de Rome, il ne peut déléguer le droit d'affranchir à son légat'. -2° Censu. Il suffit que le maître fasse inscrire son esclave comme libre pendant les opérations du dénombrement ; le censeur constate ainsi la liberté (CENSOR]. L'acte n'est valable qu'après la cérémonie du lustrunt. Avait-il un effet rétroactif depuis le jour de la déclaration? Il y avait controverse sur ce points. 3° Testantento, par testament. C'est le mode le plus usité. Il n'y a sous la République aucune restriction légale au droit du testateur. Quand le testament est valable, il ne semble pas qu'il y ait de formalité spéciale pour confirmer l'affranchissement'. Ces trois formes légales d'affranchissement subsistent sous l'Empire. Au début du Ive siècle, le mode per vindictant ne parait plus guère être qu'une déclaration devant le magistrat 10, et les licteurs jouent le rôle d'huissiers 1LICrOR. L'affranchissement par le cens, quoique de plus en plus rare, parait avoir duré théoriquement jusqu'à l'époque (le Paul et d't:lpienil ; mais après Domitien, le dernier des empereurs qui ait exercé les fonctions de censeur''-, nous ne savons pas quelle procédure on aurait pu employer. Il est difficile de déterminer le sens précis de l'affranchissement sacrorunt causa'`' : le maitre affranchit l'esclave sans l'intervention du magistrat, en le cédant à un temple et en s'engageant à payer dis livres d'or s'il abandonne jamais les sacra, le service du dieu. C'est sans doute un affranchissement primitif, sans forme légale. Au Bas-Empire apparaît l'affranchissement dans l'église, nfanuntissio in ecclesia LIBERTLS, p. 1219. Nous trouvons en outre sous la République des affranchissements d'esclaves publics. Il fallait sans doute l'assentiment du Sénat, qu'on voit souvent pourvoir à l'achat et à l'affranchissement d'esclaves qui avaient dénoncé des crimes t4. Mais nous ne savons pas au juste quels magistrats devaient accomplir les formalités. Sylla affranchit, en qualité de dictateur, plus de dix mille esclaves devenus propriété de l'État avec les biens des proscrits 1". Dans la deuxième guerre punique, un proconsul affranchit à l'armée les esclaves utilisés comme légionnaires"; le magistrat a pu employer la vindicta ou se contenter d'une simple déclaration 17. Sous l'Empire, ces affranchissements d'esclaves publics ont presque entièrement disparu 18, et, en tout cas, relèvent de l'empereur. CH. LOcalvAIN. MAN 1584 MAN lement destinées à la constitution des manubiae? Nous ne sommes pas en état de répondre à la première question. Sur la seconde, nous avons d'abord un renseignement fourni par le pseudo-Asconius' : Spolia quaesita de vivo l(oste nobili perdeditionem manubias i.'eteres (liceliant, et erat innperatorum haec praeda, ex qua quod relient face'e t. Ce témoignage a tant de précision qu'on répugne à y voir une pure invention du scoliaste ou de sa 50111cc. En outre, une intéressante remarque de M. Karlowa ' vient le corroborer, avec cette réserve cependant qu'elle s'applique à tous les prisonniers de condition libre, et non pas aux seuls dediticii nobiles : souvent, lorsque le butin est partagé entre les soldats, les liber« capita font exception. N'est-ce pas à dire que le général se les réserve, au moins s'il a l'intention de prendre des ntanubiae? Le scoliaste a-t-il voulu signifier que les dediticii nobiles étaient un élément des manubiae? En ce cas, sa définition est probablement juste. A-t-il voulu signifier qu'ils étaient toute la matière des manubiae? C'est la façon la plus naturelle d'interpréter le texte, et, en ce cas, la définition est à coup s'u trop absolue. Non seulement le rapprochement que nous venons de faire nous engage à l'élargir, mais encore des témoignages précis nous y obligent. Car nous savons que parfois le général mettait dans son lot les pièces rares, spécialement les oeuvres d'art; par exemple, celles que L. Mummius, après son triomphe achaïque, consacra dans les temples de Rome faisaient partie de ses manubiae''. Si les manubiae n'étaient autre chose que le lot personnel du général', elles lui appartenaient en toute propriété et il pouvait en droit les employer à sa guise, comme chaque officier ou soldat sa part de butin. Aussi n'y a-t. il aucun exemple de général inquiété pour l'emploi qu'il avait cru devoir faire de ses manubiae. Ce qui fournissait matière à contestation, c'était la quantité ou la nature du butin dévolu aux manubiae, et cela d'autant plus facilement que cette dévolution n'était point réglée par des principes stricts. Répartir le butin était toujours pour le général une affaire délicate et une grave responsabilité. Non seulement il devait au Sénat les explications que celui-ci jugeait à propos de lui demander', mais encore et surtout il. était justiciable de l'opinion publique°. Au reste, si les généraux étaient libres en droit d'employer leurs tnanubiae comme bon leur semblerait, en fait ils les employaient surtout à des œuvres d'utilité commune. La coutume les y obligeait moralement. Cicéron la définit en l'opposant aux mesures légales que Rullus voudrait lui substituer; seulement il mêle à tort dans ce passage les manubiae avec la praeda : Si est aequum praedam ac manubias suas imperatores non in monumenta deorunt immortalium neque in urbis ornamenta con ferre, sed ad decemviros tamquam ad dominos reportare7.... Les écrivains et les inscriptions mentionnent très fréquemment le fait que tel personnage a construit ou embelli avec ses manubiae un édifice ou un autre ouvrage public, temple, portique, curie, théâtre, rostres, comitium, forum, route, etc. 8 Un passage de Cicéron, négligé jusqu'ici par ceux qui ont traité la question des manubiae, nous porte à croire que cette appellation n'était pas donnée exclusivement, même dans le langage juridique, au lot du général, qu'elle s'appliquait également aux parts de prise des officiers et soldats. Dans ses intrigues contre Sextus Roscius, assimilées à une bataille °, Chrysogonus a eu pour auxiliaires deux Roscii qu'il a récompensés de leurs services en leur accordant une partie du butinSO : ab eo partent praedae tulerunt. Or ces parts de prise concédées par le chef à ses sous-ordres sont appelées un peu plus loin manubiae" : Nonne perspicuum est, iudices, has manubias Ilosciis C/(rgsogonum re cognita concessisse ? Que les manubiae des subalternes n'aient pas laissé d'autre vestige danslatradition, cela se conçoit aisément : elles allaient à des hommes plus ou moins obscurs qui n'en faisaient qu'un usage privé, tandis que celles du général étaient mises en évidence et par la situation hors ligne du personnage et par les oeuvres d'utilité publique auxquelles il les consacrait. Les manubiae imperatoruni étaient donc appelées manubiaetout court, sinon toujours 12, du rnoinscommunément. Que l'on étende ou non le sens technique du mot manubiae aux parts de prise des sous-ordres, ce qu'il faut bien admettre, c'est que le sens technique est un sens conventionnel. l tymologiquelnent, ntanubiae, dérivé de maous par l'intermédiaire du verbe inusité naanuo 13, comme exuviae d'exuo14, signifie butin ou, d'une façon plus précise, butin que l'on se fait de ses propres mains, et le savant contemporain d'Aulu Gelle n'aurait pas eu tort, s'il s'était placé à ce point de vue, de définir les manubiae : praeda, quae manu capta est15. Comment le sens technique s'est-il dégagé du sens étymologique'? S'il englobait toutes les parts de prise et si les manubiae imperatorum n'étaient que les manubiae par excellence, on se rend compte sans peine de la dérivation. En deçà de la date inconnue, mais lointaine, oit tout membre de l'armée fut tenu par son serment militaire de verser ses captures à la masse 1f, les parts de prise des sous-ordres, non plus que celles du général, n'étaient des manubiae au sens étymologique : ils avaient, par concessio ou datio de l'imperator, et non par occupatio, ce qu'il plaisait au MAN 1583 MAN deux termes avait sa valeur spéciale et précise'. En ceci il avait certainement raison. Lorsque, par exemple, le tribun Servilius Ruilas, cité par Cicéron, écrivait dans sa loi agraire : Aurum, argentum ex praeda, ex manubiis, ex coronario ad quoscumque perrenit..., il entendait sans nul doute énumérer trois choses distinctes : la troisième de ces expressions coordonnées traduisant à elle seule une idée particulière, il ne serait pas logique de ne voir dans les deux premières qu'une gémination verbale de l'idée de butin. Mais quelle était, dans la langue technique de la guerre et du droit, la signification exacte du mot manubiae? En quoi les manubiae se distinguaient-elles de la praeda ? Aulu-Gelle croyait le savoir3. Il avait trouvé in libris rerurn verborumque veterum la définition que voici : Praeda dicitur corpora ipsa rerurn, quae capta sunt, rnanubiae rero appellatae sent pecunia a qurre.store ex venditione praedae: redaeta ; d'une part, le butin en nature, de l'autre, les espèces provenant de la vente du butin. M. Mommsen' et beaucoup d'autres après lui' ont adopté cette distinction. Mais M. Karlowa en a facilement démontré la fausseté'. Elle résulte du texte même de Cicéron produit par Aulu-Gelle' à l'appui de son opinion : Praedam, manubiis, sectionem, castra denique (;n. Pompeii sedente imperatore decemviri vendent', dont on peut rapprocher : In eius provincia vendet rnanubias imperatoris3. Dans les discours contre la loi agraire de Rullus, d'où ces deux passages sont tirés, le mot manubiae revient souvent; il était, ainsi que le montre la citation faite plus haut, dans le texte même du projet ; ce texte était naturellement rédigé en style ,juridique. Aulu-Gelle affirme donc à bon droit quentanubiae est employé ici avec sa valeur technique 10. Mais, s'il en est ainsi, sa distinction ne saurait être acceptée. Puisque, dans certains cas au moins, les manubiae peu vent être vendues, elles ne sont pas nécessairement, elles ne sont pas proprement l'argent provenant de la vente du butin. Ce qui l'a induit en erreur, c'est la fréquence des textes, littéraires et épigraphiques, où il est mentionné que tel personnage a construit ou embelli tel monument, fait telle donation, de man abiis, ex manubiis". Alors, en effet, le mot manubiae signifie des espèces'='. Mais, d'une part, nous venons de voir qu'il signifie ailleurs des objets en nature; d'autre part, il y a des textes nombreux où les largesses en numéraire d'un général à ses soldats sont désignées par l'expression ex praeda13. Qu'est-ce à dire, sinon que la réduction du butin en espèces ne crée pas la différence cherchée entre les deux notions, qu'elle n'a pas d'importance essentielle'? Les manubiae, quoi qu'elles soient, le sont avant comme après cette réalisation". Le pseudo-Asconius nous fournit une seconde définition _lanubiae auteur sunt praeda imperatori.s pro portione de liostibus capta : les manubiae sont la part de butin du général. Bien que l'autorité du scoliaste soit minime, son témoignage mérite, semble-t il, d'être retenu comme très probablement, sinon certainement juste. Si les manubiae ne sont pas le butin transformé en argent, la praeda étant ce même butin sous sa forme primitive, et si pourtant elles se distinguent de lapraeda, qui est de toute façon l'ensemble du butin, il faut qu'elles en soient une partie. Or la définition du pseudo-Asconius répond à cette nécessité logique. En outre, loin d'être contredite par les textes, comme celle d'Aulu-Gelle, elle y trouve jusqu'à un certain point, sa confirmation Voici un général, le consul Carvilius (461 de Rome= 293 av. J.-C.), qui fait d'abord deux parts de son butin réduit en espèces : il verse lune au trésor public et subdivise l'autre en deux fractions. De ces deux fractions, l'une est distribuée en gratifications aux soldats. Quoi de plus naturel que de considérer celle qui reste comme la part personnelle du général? Or elle est précisément désignée par le mot manubiae : Aeris gravis tulit in aerarium trecenta octoginta niilia. Reliquo acre aedenr Fortis Fortunae de manubiis foeiendarn loca_vit... et militibus e,e praeda centenos bines anses... divisit'". Un_ autre général, le préteur P. Cornelius Scipio, a distribué aux soldats le produit total de son butin, il n'a rien gardé pour lui-même, rien versé au trésor' Le Sénat, mécontent de cette conduite, lui refuse en 563191, l'année de son consulat, tin crédit sur l'aerarium pour la célébration des jeux qu'il avoués pendant sa préture : Quos (ados inconsulto senatu ex sua unies sententin vovisset, eus uti de manubiis, si quant pecunianz ad id reservasset, cet sua ipse impensa faceret'8. Que peuvent être ces manubiae, pour lesquelles le Sénat affecte d'ignorer si le général a réservé quelque chose. sinon la part de butin à laquelle il avait droit et dont il lui a plu de faire largesse, comme de tout le reste, à ses soldats t0? Il va de soi que les généraux étaient toujours libres de renoncer à leurs manubiae au profit de leurs subordonnés ou du trésor. Quand ils les prenaient, nous devons raisonnablement penser qu'ils n'exerçaient pas un prélèvement arbitraire sur la masse du butin, qu'ils se soumettaient, non pas sans doute à des principes stricts et fixes, mais à certains usages, à certaines convenances, qui ont pu varier avec les circonstances et les époques. De même que les parts attribuées aux sous-ordres croissaient avec leurs grades selon une proportion coutumière30, y avait-il une norme qui déterminât le rapport entre la part du général et les autres'? Telles catégories de personnes ou d'objets capturés étaient-elles habituel MAN 9:182 -MAN l'autre suivant un homme à cheval qui part pour un voyager. On appelait. nranticala une bourse en forme de besace'-: il n'y a pas longtemps qu'on a renoncé chez nous ii ces sortes de bourses, ordinairement en mailles de fil ou de soie, serrées au milieu par un anneau coulant. C'était surtout la bourse des pauvres ; un meuticulator se rapprochait beaucoup d'un mendiant'. On employait aussi le mot mardiru/uni pour dire dérober une bourse, et par suite jouer un mauvais tour à quelqu'un