Le Dictionnaire des Antiquités Grecques et Romaines de Daremberg et Saglio

MORES

MORES, MOS. -Le mot mos, ordinairement employé an' pluriel, reçoit, dans la langue juridique, deux acceptions principales : il désigne tantôt la conduite d'une personne, tantôt la coutume, le droit coutumier. 1. La première acception est usitée soit en droit public, soit en droit privé. Les censeurs sont chargés de mores populi regere [CENSOR, p. 995]. Le tuteur moribus pupilli praeponitur 1 ; il fixe le salaire des précepteurs d'après le rang social du pupille, envoie aux parents les cadeaux d'usage, etc. Le prodigue qui devient raisonnable (sanos mores recipit) cesse d'être en curatelle 2. Le Préteur protège les mores de l'esclave 3 : celui qui par dol corrompt l'esclave d'autrui encourt l'action de servo corrupto qui entraîne une condamnation Les mores ont une importance particulière dans les rapports entre époux. La mauvaise conduite de l'un des conjoints peut donner lieu au divorce [DI'voRTIUM, t. III, p. 323] et à l'application de certaines déchéances lors de la restitution de la dot [nos, t. III, p. 396]. Ces déchéances sont plus ou moins rigoureuses suivant que l'inconduite est grave (mores graviores ou majores) ou légère (mores leviores ou minores) : le mari perd deux ans ou un an de revenu ; la femme perd un sixième ou un huitième de capital. C'est la retentio propter mores. L'inconduite n'est grave que dans le cas d'adultère '. Aux derniers siècles de la République, l'inconduite de la femme peut donner lieu à une action spéciale (judicium de moribus 6). Cette action a pour but de faire constater judiciairement la faute commise et de faire condamner la femme à être privée de sa dot en tout ou en partie suivant les règles établies pour l'action rei uxoriae7, Sous l'Empire, le mari dut opter entre l'accusation criminelle organisée par la loi Julia de adulteriis et l'action de moribus. Celle-ci n'eut désormais d'autre objet que de permettre au mari de garder une partie de la dot. La coercitio montra 8 devint si bien étrangère à cette action que le mari ne pouvait se désister de l'action criminelle pour s'en tenir à l'action de moribus II. Ztlos ou mores désigne fréquemment soit la coutume considérée comme source du droit (jus quod dicitur moribus constitutum) 10, soit le droit qui en résulte" et qui est observé à l'égal de la loi (pro lege custodilur). C'est un synonyme du mot consuetudo" qui s'emploie également dans les deux sens : il y a un consuetudine jus", et la consuetudo... pro lege observari solet 14 [Jus, p. 735]. Parfois cependant on distingue ces deux mots comme dans l'expression mos et consuetudo ". Mos désigne ici l'usage de fait". Cette acception non technique se rencontre assez souvent. Le mot consuetudo s'emploie aussi isolément pour désigner un usage de fait, notamment dans l'expression consuetudo patrisfamilias ou dornini. Cet usage présente parfois un intérêt juridique soit pour l'interprétation d'un testament", soit pour régler les rapports entre un maître et ses esclaves 1S, ou entre propriétaires voisins la. De même la consuetudo domus ou praedii tient lieu de convention pour fixer les redevances à payer par les colons au propriétaire d'un fonds ou aux fermiers généraux [LOCATIO, p. 1290, n. 6 et 7]. § 1". Formation de la coutume. Deux conditions sont nécessaires : 1° l'usage longtemps répété d'une règle faite pour un cas déterminé (usus inveteratus; velus, longa, perpetua consuetudo) 26 ; 2° l'approbation tacite du peuple 2t. A défaut de cette condition, l'usage ne saurait fonder le droit 22, Il n'est pas nécessaire de prouver que tous les citoyens sont d'accord pour admettre la règle ; on ne considère que le sentiment de l'ensemble 23. Les jurisconsultes modernes ont précisé cette condition, en disant qu'elle implique le sentiment d'une nécessité juridique (opinio juris seu necessitatis) 2I. La coutume constitue un jus incertum ; il n'est pas toujours facile d'en constater l'existence. Les textes n'indiquent pas avec précision comment cette difficulté était résolue u. Les uns conseillent d'examiner si tous les intéressés procèdent d'une manière uniforme depuis un temps immémorial 26 ; d'autres, de rechercher s'il y a des précédents, par exemple, un jugement rendu après débat contradictoire 47. Justinien prescrit de faire comparaître les personnes compétentes et de recueillir leurs témoignages sous la foi du serment28. Lorsqu'elle est certaine, la coutume doit, comme la loi, être appliquée d'office par le juge '9. § 2. Diverses sortes de coutumes. 1. Mores ma forum. On désigne sous ce nom les plus anciennes coutumes de Rome 3°. Elles se rapportent principalement, dit Ees tus, à la religion et aux cérémonies31, A une époque où le droit était considéré comme un précepte divin et avait pour sanction des peines religieuses, la religion n'avait pas seulement trait au culte : des institutions comme la famille et le mariage sont encore, dans la période historique, régies à certains égards par la coutume des ancêtres, par exemple pour les empêchements à mariage entre parents32. La contravention à. cette coutume n'avait pas de sanction sous la République :. c'était un acte con MOR 2000 MOR le fait du hasard. Les risques étaient pour le créancier. La jurisprudence se préoccupa de bonne heure d'écarter ce résultat: elle admit, la survivance de l'obligation (perpet uatio obligationis), malgré la perte fortuite de l'objet Dès lors, la mora produit un effet juridique : elle met les risques à la charge du débiteur. Cette règle, d'abord appliquée sans distinction, fut atténuée lorsque la loi consacra des contrats de bonne foi. Il parut excessif de traiter comme un débiteur tenu d'une action de droit strict celui qui a pu compter sur la complaisance du créancier. L'application de la règle aux débiteurs tenus d'une action de bonne foi fut subordonnée à certaines conditions destinées à les avertir que le créancier entendait être payé' et refusait d'accorder un plus long délai : le créancier doit, après l'échéance, adresser au débiteur une sommation (interpellatio) 3 en présence de témoins 4 ; si le débiteur est absent, le créancier doit faire constater devant témoins sa volonté d'être payé. A dater de cette sommation, le débiteur qui s'abstient de payer n'est plus seulement en retard : il est en demeure et doit subir les conséquences de sa faute. On admet toutefois des causes d'excuse, par exemple, lorsque le débiteur est en captivité ou absent pour le service de l'État ; dans ce cas, la mora est inculpata 6. De même, le débiteur cesse d'être responsable s'il prouve que la chose eût péri également si elle avait été livrée au créancier °; ou s'il fait au créancier des offres réelles'. Dans ce dernier cas, il y a purgatio morae 8. II. Cette première innovation fut suivie de deux autres'. Il a paru contraire à 1:4 bonne foi de n'accorder au créancier aucune réparation pour le préjudice que lui cause le défaut de paiement après sommation. La jurisprudence a attribué à la mora un nouvel effet : le débiteur en demeure doit payer des intérêts moratoires [ustIA] lorsque sa dette a pour objet une somme d'argent10. Dans tout autre cas, il est tenu de payer des dommages-intérêts moratoires dont le montant est fixé par le juge d'après l'intérêt du demandeur" : si, par exemple, la chose a diminué de valeur 12, si le débiteur a perçu les fruits L3, on tiendra compte au créancier du préjudice qu'il a éprouvé. Cette innovation ne s'applique pas aux débiteurs tenus d'une action de droit strict. On a pourtant admis qu'ils doivent compte des fruits depuis que le procès est engagé''' ; on a, d'autre part, assimilé aux débiteurs tenus d'une action de bonne foi les per sonnes grevées d'un legs sinendi modo ou d'un fidéicommis i3; et, depuis Justinien, de toute espèce de legs [FIDEICOMMISSUM, p. 1115]. III.La jurisprudence ne s'est pas contentée de déterminer les effets de la demeure du débiteur : elle a prévu le cas où l'inexécution de l'obligation proviendrait du fait du créancier/6. Le créancier, qui, sans une juste cause, refuse de recevoir le paiement qui lui est offert au lieu et au temps convenus L7, est en faute13, et cette faute entraîne des conséquences juridiques. Le débiteur est libéré si la chose périt par cas fortuit, alors même que ce serait une somme d'argent mise de côté pour effectuer le paiement"S'il est lui-même en demeure, sa demeure est purgée 2° (purgatio morae) 21. Il a le droit de se faire indemniser des dépenses faites pour la conservation de la chose 22, mais il n'est pas tenu de la garder indéfiniment à la disposition du créancier : s'il doit une somme d'argent, il peut, après une sommation adressée au créancier, la déposer en lieu sûr 23, et dès lors, il n'est plus tenu des intérêts 24 ; s'il doit un corps certain ou des denrées, il fera vendre l'objet dû et offrira le prix au créancier 20. Dans tous les cas où il garde la chose, il ne répond que de son dol ou de sa faute lourde". IV. Dans quelques cas exceptionnels, la loi attribue un effet juridique au retard mis par un débiteur à acquitter sa dette : aucune sommation n'est exigée. La mora a lieu ici ex re et non ex persona. Elle oblige le débiteur à payer des intérêts [USERA]. Cette obligation est imposée aux débiteurs du fisc 21 ou des mineurs de vingt-cinq ans 2a, aux administrateurs des biens d'autrui", aux acheteurs à dater du jour où on leur a livré l'objet dè la vente30. On a prétendu qu'il y avait demeure sans sommation en cas de dette à terme : mais la règle dies interpellat pro homine, formulée par les glossateurs, repose sur une fausse interprétation d'un texte de Papinien 3t. Les Romains n'ont admis qu'une seule exception à la règle générale, en cas de vol ou de dépossession par la violence 32 : semper enim moram fur fanera videtur y~,