Le Dictionnaire des Antiquités Grecques et Romaines de Daremberg et Saglio

MORA

MORA. Ce mot a reçu, dans la langue du droit romain, une double acception 22. Dans un sens large, il désigne le retard apporté par un débiteur à l'exécution de son obligation. Dans un sens étroit, il désigne un retard coupable et s'applique aussi bien au créancier qui refuse de recevoir le paiement, qu'au débiteur qui n'acquitte pas sa dette à l'échéance. Cette seconde acception, plus récente que la première, a seule une valeur technique ; on l'exprime en français en disant que le créancier ou le débiteur est en demeure (Code civ., art. 1139). 1. Dans l'ancien droit romain, le retard mis par le débiteur à accomplir son obligation ne produisait par lui-même aucun effet particulier. Le créancier non payé à l'échéance usait des moyens de contrainte ordinaires pour obtenir la prestation promise. Ces moyens étaient en général suffisants, sauf lorsque la chose due était un corps certain. Si cette chose venait à périr par cas fortuit, le créancier ne pouvait plus la réclamer ; le débiteur échappait à la peine de sa négligence ; il était libéré par MOR 1998 MOR déposés'. Il signifie même un objet servant de signe de reconnaissance [voir GREPL'NDIA1I. E. S. MOItA (Mdoa). Corps de troupes de l'armée spartiate, 6uvra'y.t,u. Tt Aaxwvtxdv, disent les grammairiens'. Ce mot de la langue militaire des Spartiates paraît, à Sparte même, de date relativement récente. L'armée spartiate, qui gagne la bataille de Mantinée en 418, est encore divisée en loches, pentécostyes et énomoties 2. Ce sont les mêmes divisions que nous trouvons dans l'armée des Dix-Mille, celle qui présente le plus de points de ressemblance avec l'armée spartiate a ; la udpa y est inconnue : en tout cas, Xénophon ne la mentionne pas une seule fois dans l'Anabase. Ii faut remarquer que cette armée est constituée au commencement de l'an 401 et que Xénophon en raconte l'histoire jusqu'aux premiers mois de l'an 399. Or, nous avons la preuve que, déjà en 403, la division en mores avait été introduite dans l'armée spartiate. En effet, Xénophon raconte que le roi de Sparte Pausanias, au moment de la prise d'armes de Thrasybule contre les Trente, tenta une attaque sur le Pirée, à la tête d'une division de son armée comprenant deux mores Iacédémoniennes et trois tribus ou escadrons de cavaliers athéniens. Un premier engagement a lieu ; Pausanias se trouve bientôt en face de toutes les troupes de Thrasybule ; il est obligé de se retirer, et perd quelques hommes, entre autres les deux polémarques qui commandaient les deux mores ; mais il appelle à lui toute l'armée lacédémonienne, recommence l'attaque, est vainqueur et tue 130 hommes à l'ennemi On peut voir par ce récit que la more est un corps de troupes relativement considérable. Même en admettant que les trois tribus de cavaliers athéniens ne soient pas, vu la situation politique d'Athènes, à l'effectif complet de 100 cavaliers par tribu, en admettant aussi qu'en cette circonstance, et pour des raisons particulières, la proportion entre hoplites et cavaliers soit supérieure, en faveur des cavaliers, à ce qui était la moyenne ordinaire dans les armées grecques, c'est-à-dire 1 cavalier pour 10 hoplites, il n'en faut pas moins reconnaître que le seul fait de voir au moins 200 cavaliers et peut-être 300 accompagner deux mores, indique pour ces deux derniers corps un effectif total qui devait dépasser un millier d'hommes. Xénophon ' expose ainsi l'organisation de l'armée spartiate, en la faisant remonter à Lycurgue : Oà te yE prly Quelques savants ont interprété la partie de ce texte relative à Lycurgue en supposant que l'organisation militaire de Sparte était restée sans changement une fois qu'elle eut été établie vers le vine siècle 8. Nous sommes cependant plutôt porté à admettre que la more n'est pas une institution ancienne. Aux preuves que nous avons déjà données, on peut ajouter un texte d'Hesychius disant que la more a succédé au loche'. Nous croyons donc que la more est une institution qui date de la guerre du Péloponèse, et très probablement de la dernière période de cette guerre, puisque Thucydide, en racontant la bataille de Mantinée qui fut livrée en 418, ne mentionne que la division en loches. D'après la nouvelle organisation, l'armée spartiate se trouve ainsi constituée : 6 mores, comprenant chacune 2 loches '0, 8 pentécostyes, 16 énomoties ; le chef de la more porte le titre de polémarque ; il a sous ses ordres 2 lochages, 8 pentécostarques, 16 énomotarques. Il semble qu'à l'époque des guerres médiques, les Spartiates et les périèques n'étaient pas incorporés dans les mêmes loches". Il n'en est plus ainsi pendant la guerre du Péloponèse; tous les Lacédémoniens libres servent ensemble dans les mêmes corps 12. Tout indique que le même système fut appliqué à la more; nous n'avons aucun exemple qui nous montre Spartiates et périèques isolés les uns des autres". La plupart des noms de loches qui nous sont connus sont des noms de localités, de dèmes14,ce qui permet de supposer une relation entre la division militaire et la division administrative. Pour la more, il semble qu'il en fut autrement : nous ne connaissons aucun nom de more. On peut conclure d'un passage de Xénophon" que les membres d'une même famille n'étaient pas enrôlés ensemble dans la même more ; d'après un autre passage "e, les habitants d'Amyclées étaient répartis dans tous les corps de l'armée lacédémonienne". Quant à ce chiffre 6 des mores, puisqu'elles ne correspondent pas à une divi sion territoriale ou administrative, il est difficile de les rattacher aux trois tribus doriennes, qui servaient de base à la division de la population lacédémonienne, et de supposer que chacune de, ces trois tribus aurait fourni deux moresfe. Peut-on supposer que l'énomotie, c'est-àdire la plus faible division de la more, était, à l'exemple MON 1997 MON au pied duquel est couché le fleuve Caystre, un Zeus Peion', représenté en véritable Jupiter Pluvius, versant la pluie d'une main et tenant le foudre de l'autre (fig. 5142). C'est le dieu de la montagne, identifié à Jupiter, comme ceux du Casius et de l'Argée ; la montagne dont le sommet attire et groupe les nuages, qui retombent ensuite en pluie, est elle-même Zeus « assembleur des nuées », L'étroite parenté de la religion de la Thrace avec celles de l'Asie Mineure est attestée par Strabon' et prouvée par une multitude de faits [sAHAZIUS]. Nous ne devons donc pas être surpris de retrouver dans cette contrée l'adoration des montagnes. Que les monts Haemus et Rhodope aient été primitivement adorés comme les deux divinités principales des populations qui vivaient dans leur voisinage, c'est ce qu'atteste le mythe hellénique où Haemus et Rhodope sont changés en montagnes pour s'être dits Jupiter et Junon . Le dieu de l'Haemus, assis sur sa montagne, est représenté sur les monnaies de Nicopolis de Maesie (fig. 5143) et la nymphe Rhodope, dont on fait aussi une des compagnes de Pro serpine lors de son enlèvement, sur celles de Philippopolis de Thrace 6, également assise sur sa montagne (fig.5144). Le culte des montagnes était très répandu dans les temps primitifs des Pélasges de la Grèce ; on a même déjà remarqué que c'était une des particularités les plus originales de leur religion par rapport à celle des Aryas vé diques Les montagnes ont leur place dans la Théo gonie d'Hésiode comme dans la cosmogonie de Sanchoniathon 9, non seulement à titre de créations VI. physiques, mais comme personnifications religieuses des premiers âges. Les sommets de l'Olympe et de l'Ida ont été d'abord adorés comme des images de Zeus 10 ; ainsi le dieu dont la résidence la plus habituelle est toujours placée sur la cime des monts" [JUPITER] a été confondu primitivement par les Pélasges avec ces monts'', comme nous venons de le voir également en Asie Mineure. Comme Kapatos, en Béotie, il reste encore le sommet lui-même, x(Pa13. L'anthropomorphisme des Grecs a fait ensuite de toutes les anciennes montagnes adorées d'abord comme divines des personnages mythologiques à physionomie humaine. Cithéron se présente dans la légende béotienne comme un roi de Platées, environné d'honneurs héroïques et presque divins ''. Cyllène t6, Taygète16, Ida" sont des Nymphes, et Taygète dans d'autres récits une des Pléiades 18. Une classe spéciale de Nymphes, les Orcades ou Orestidest9, président aux montagnes et les personnifient [NYMPRAE]. On leur donne quelquefois des noms divers suivant telle ou telle montagne déterminée ; c'est ainsi que nous trouvons les Cithaeronides 20, les Peliades 21, les Dictaeae 23 d'après le Cithéron, le Pélion et le Dicté. D'autres fois la légende mythologique fait de l'ancien dieu de la montagne un personnage de la famille des Géants, foudroyé par Jupiter et enseveli sous la masse montueuse, comme Olympus23, Athos24 et 'Etna", le même qu'Encélade; mais il est à remarquer que toujours on voit correspondre à ces mêmes montagnes un surnom de Zeus, Olympius, Athoüs 27, rEtnaeus 98, qui l'y fait résider et qui peut être aussi considéré comme un souvenir de sa victoire sur le Géant 23. Quelquefois la personnification de la montagne a un autre rôle mythologique que celui des Géants ; ainsi Olympus est donné plus souvent comme le nourricier de Zeus30; mais il.est aussi Zeus en personne dans les traditions crétoises, puisque le même tombeau divin, conservé dans la Crète, pouvait être montré indif féremment pour celui de Zeus ou pour celui d'Olympus 3'. Parmi les personnifications grecques des montagnes, descendues à un ordre inférieur dans la mythologie des temps classiques, il faut encore citer Atlas, la montagne qui unit le ciel à la terre, que le progrès des connaissances géographiques des Grecs fit toujours reculer davantage vers l'Occident''[ATLAS]. F. LENORMANT. ce qui est destiné à perpétuer la mémoire d'une personne ou d'une chose'. Ce nom s'applique à un édifice quelconque : temple, portique, stèle, particulièrement à un monument funéraire [SEPULCRUM] ; et aussi aux images et autres dons commémoratifs qui pouvaient y être 251 MON 1996 MON « Le mont Argée était certainement, aux yeux des habitants de Césarée, comme une immense pierre conique ; des idées superstitieuses devaient en conséquence s'attacher à la forme générale de cette montagne divinisée et à ses détails principaux'. » C'est pour cela que dans les types monétaires on exagère intentionnellement la forme de cône de la montagne, et qu'en même temps on symbolise la région ignée dont parle Strabon, par une grotte ouverte dans ses flancs et d'où jaillissent presque toujours des flammes. Sur l'image de la montagne conique de la Cappadoce, cet antre occupe la même place que l'empreinte à laquelle on attachait une signification emblématique sur la pierre d'Émèse [BAETYLIA, ELAGABALUS'. En voyant la forme si carac térisée que les graveurs monétaires ont quelquefois donnée à l'entrée de la grotte 2, il est difficile de ne pas admettre qu'on y attachait la même idée de symbolisme'. Au reste, il est évident que la représentation du mont Argée sur les monnaies de Césarée est avant tout conventionnelle et symbolique. Cette représentation est quelquefois posée sur une trapeLa ou sur un autel comme une image divine, ou bien placée dans un temple 6. ~ . On doit en conclure' que O Césarée possédait un temple ill. d dédié au mont Argée, dont ~~ la situation au pied même de la montagne est déterminée par plusieurs médailles 8 ; que dans ce temple l'idole était une image de l'Argée même, réduite et rapprochée autant que pos sible des pierres coniques ; enfin que c'est cette image qui a été copiée par les graveurs monétaires. Nous comprenons ainsi comment Maxime de Tyr 9 dit que l'Argée était non seulement une montagne et un dieu, mais aussi une statue, «ganga. On adorait encore en Cappadoce le mont Omanus", identifié au dieu Omanus, parèdre de la déesse" Anaïtis, personnage apporté de la Perse ou de la Médie et dans lequel il faut reconnaître le Vohùmanô des livres zends.12. Les montagnes sont invoquées à plusieurs reprises dans ces livres'mais non dans les parties les plus anciennes ". C'est le magisme qui exerça son action sur la religion de la Cappadoce"S, dans les derniers temps de l'Empire perse1°. En Médie, le mont Bagistan recevait un culte d'adoration comme un dieu « Les dieux identifiés aux montagnes sur la cime desquelles on leur rendait un culte » ont été signalés par M. Maury '8 comme un des traits caractéristiques de la religion phrygienne, si étroitement apparentée à celle de la Syrie et de la Phénicie. Si, conformément à la remarque de Strabon ", Cybèle est la plus fréquemment nommée d'après des montagnes, Dindymène, Sipylène, Idéenne [CYBELEI, ce n'est pas seulement parce qu'on lui rend un culte sur les sommets, c'est parce que la montagne couverte de forêts est regardée comme son image, parce qu'elle est elle-même la montagne20, comme elle est la pierre [BAETYLIA, CYBELE], car nouS retrouvons ici l'assimilation de la divinité-montagne et de la divinitépierre. Aussi, sur le Sipyle, où est l'un des sièges les plus antiques de son culte 21, est-ce un des rochers mêmes de la montagne qui a été grossièrement sculpté en son image 22; et cette sculpture, oeuvre des indigènes à une époque extrêmement reculée, subsiste encore de nos jours 23. Mais la conception de la divinité-montagne est surtout marquée dans les versions du mythe d'ATYS, étrangères à toute empreinte hellénique, que donnent Arnobe24 et Pausanias25. Jupiter féconde le rocher du mont Agdos, d'où naît l'androgyne Agdestis. Mais cette montagne n'est autre que Cybèle elle-même, le récit d'Arnobe l'indique clairement, et c'est pour cela qu'elle reçoit, elle aussi, quelquefois le nom d'Agdestis 2c. L'androgyne Agdestis, né du rocher du mont Agdos et qui semble une nouvelle forme de Cybèle 27, munie cette fois des attributs des deux sexes, est lui-même un dieumontagne28, qui produit le dieu solaire Atys. C'est ainsi que dans les mystères mithriaques, Mithra naissait de la pierre ou de la montagne [MITHRA'. Le célèbre proverbe travail, elle accoucha d'un rat29 », est né d'une moquerie des Grecs sur le mythe des indigènes de l'Asie Mineure 30, où la divinité-montagne, qu'elle fût Cybèle ou Agdestis, donnait la naissance au dieu solaire, dont le rat était dans plusieurs endroits de cette contrée le symbole, à l'Apollon Sminthien31. En dehors de ces données générales, les exemples déterminés de monts adorés comme des dieux abondent dans la religion de l'Asie Mineure encore à l'époque romaine. En Lydie on rend un culte au mont Carios, dont la légende mythique fait un fils de Zeus Carios 32. 11 en est de même du Tmolus, que le mythe qualifie de fils d'Arès33, époux de Plouto ou d'Omphale, père de Tantale, juge de la dispute musicale entre Apollon et Marsyas 34. La tête du dieu Tmolus, accompagnée de son nom, se montre sur les monnaies des villes lydiennes de Tmolus 36 et de Sardes"; sur ces dernières il est en tout semblable à un Bacchus barbu (fig. h141), couronné de pampres, à cause de la richesse de la montagne en vignes, célèbre dans l'antiquité37. Les monnaies d'Éphèse à la légende üCIf2N e«Cif1N 38 font voir, assis sur le mont Peion as Fig. 5139. Le Mont Argée, MON 1995 -MON les collines déjà mentionnées, le Quirinal, l'Aventin, le Capitole et peut-être le Janicule et d'autres petites localités voisines des murailles'. Quelle était l'organisation de chaque groupe de montani? Il se peut qu'elle ait été analogue à celle des pagi ruraux. Malheureusement nous avons fort peu de renseignements. On sait seulement que les montani se réunissaient en assemblée, qu'ils obéissaient dans les luttes politiques à des chefs', qu'ils avaient une caisse pour les besoins du culte, un magister et un n'amen comme magistrats religieux, un sanctuaire en plein air, un sacellum 3. C'étaient probablement les montani qui répartissaient l'eau dans leur quartier entre les maisons des citoyens". Les montes et les pagi disparurent au moment de la division de Rome en quatorze régions par Auguste; mais la fête du Septimontium était encore célébrée à l'époque de Tertul