NAUTICUM FOENUS. L'expression nauticum fcenus désigne, dans les textes d'une basse époque', une convention aléatoire, analogue à notre prêt à la grosse (aventure) (Code de commerce, art. 311-331). Cette convention, dont l'usage a été emprunté aux Grecs [FOENUS, p. 1220], a été pratiquée par les Romains dès le temps de la République2, sous le nom de trajecticia pecunia 3, et présentait un caractère juridique différent de celui qu'elle a reçu vers la fin du Ide siècle de notre ère.
trajecticia pecunia lorsqu'au départ d'un navire, un capitaliste remettait à l'armateur une somme d'argent, sous la condition qu'on lui paierait une sornme bien supérieure, si le navire arrivait à bon port, mais que si le navire faisait naufrage, l'armateur serait libéré'. Cette convention avait pour but de mettre à la disposition de l'armateur de l'argent qu'il comptait employer avantageusement au port d'arrivée. Cet argent, qui voyageait avec le navires et courait les mêmes risques, était une trajecticia pecunia. On n'en est pas resté là. L'usage s'est introduit d'autoriser l'armateur à employer l'argent avant le départ du navire; il achetait des marchandises de cargaison qu'il espérait revendre avec un gros bénéfice au port d'arrivée. Lorsqu'il était convenu que les marchandises, transportées par le navire, voyageraient aux risques du capitalistes, comme l'argent auquel elles étaient subrogées, il y avait toujours trajecticia pecunia. Plus tard on put, d'un commun accord, affecter l'argent à la réparation ou à l'armement du navire, à l'achat de vivres pour l'équipage'.
II. CLAUSES D'USAGE. La convention dont on vient d'indiquer le but est souvent accompagnée de clauses destinées à limiter les risques du créancier, à prévenir la fraude du débiteur, à garantir le paiement en cas d'heureuse arrivée du navire, à accorder au débiteur des facilités de paiement.
1° En principe, l'argent est aux risques du créancier depuis le départ du navire jusqu'au moment de l'arrivée. Ces risques sont plus ou moins grands, suivant la saison et suivant la route que doit suivre le navire. Il est donc important de fixer la date du départ', la durée maximum du voyage °, le port de destination et les escales du navire f0. En cas d'inobservation des clauses du contrat,
si le navire fait naufrage, le risque est à la charge de l'armateur. Si, par exemple, le navire est envoyé dans une direction autre que celle qui a été convenue, le créancier conserve, malgré la perte du navire, son recours contre l'armateur", Le créancier ne supporte d'ailleurs que les risques de mer". S'il y a faute de l'armateur, la perte du navire ou des marchandises est à sa charge. Tel est le cas où il a acheté des marchandises prohibées et les a chargées sur le navire : le créancier ne doit pas souffrir de la saisie opérée par les agents du fisc.
2° Pour prévenir des fraudes qui n'étaient que trop fréquentes et pour faciliter l'exécution de l'obligation de l'armateur, le capitaliste fait embarquer sur le navire un de ses esclaves. Cet esclave a pour mission de sur-veiller l'accomplissement des clauses du contrat, et, en cas d'heureuse navigation, de recevoir le paiement pour le compte de son maître13. 11 est en effet de règle que le créancier perd le droit d'exiger la somme convenue, si, par sa faute, le paiement ne peut être fait à l'échéance ".
3° Pour garantir le paiement de la dette à l'arrivée du navire, le créancier exige ordinairement un gage ou une hypothèque". Le plus souvent ce gage porte sur une partie de la cargaison 15, parfois sur le navire ".
On peut, en cas d'insuffisance, hypothéquer des marchandises chargées sur d'autres navires'". Dans ce cas, l'hypothèque ne porte que sur le reliquat du prix de vente (si muid superfuisset) des objets engagés [RYPoTHECA, p. 366] ". On ne peut l'invoquer tant que les créanciers qui supportent les risques de ces navires n'ont pas été désintéressés. Il faut en outre deux conditions : 1° que le droit du créancier, qui a acquis cette hypothèque subsidiaire, soit devenu certain par l'arrivée à bon port du navire dont il a pris les risques à sa charge ou par l'expiration du délai pendant lequel il doit les supporter ; jusque-là son droit n'est pas parfait et l'hypothèque qui le garantit est affectée de la même modalité; 2° qu'il n'ait pu obtenir satisfaction grâce à l'hypothèque grevant Ies objets qui sont à ses risques : par exemple, si le prix de vente de ces objets n'aurait pas suffi pour le désintéresser; ou si elles ont péri avec le navire dans la suite du voyage, mais après le délai pendant lequel les risques sont à sa charge 20.
Conformément au droit commun., les mêmes marchan dises peuvent être hypothéquées successivement à deux ou plusieurs créanciers qui prennent à leur charge les risques du même navire, Le conflit entre ces créanciers se résout par application de la règle : Prior ternpore potior jure. La préférence se détermine d'après la date des créances [IIYPOTIIECA, p. 367]. Cette règle souffre
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exception, lorsque la seconde hypothèque' a été consentie dans l'intérêt du premier créancier aussi bien que dans celui de l'armateur : l'argent a été prêté en cours de voyage, pour faire face à des besoins urgents : réparation, armement du navire, achat de vivres pour l'équipage. Dans tous ces cas l'on peut dire que le second capitaliste a rendu service au premier et lui a conservé son gage, car sans son intervention le navire n'aurait pu arriver à bon port'.
4° En général, le paiement doit être fait un certain nombre de jours après l'arrivée'. Il faut que l'armateur ait le temps nécessaire pour vendre les marchandises et réaliser le bénéfice sur lequel il compte pour acquitter ses dettes. Mais bien des circonstances peuvent l'empêcher de vendre à date fixe et à de bonnes conditions. En prévision de cette éventualité, il peut convenir avec son créancier que l'argent lui sera laissé quelque temps encore; mais comme cet argent n'est plus soumis aux risques de mer, la convention change de caractère : ce n'est plus une opération aléatoire, c'est un prêt soumis au droit commun, quant à la prestation des intérêts' : il faut une stipulation spéciale, et l'on doit se conformer à la règle sur le taux légal [MUTUUM, t. VI, p. 2132].
Cette transformation de la trajecticia pecunia en mutuum n'était ordinairement consentie par le créancier que sous une condition. La prorogation de l'échéance avait pour effet d'immobiliser l'esclave chargé de recevoir le paiement, de le retenir à l'étranger sans profit pour son maître. Il était juste d'accorder au créancier une indemnité pour la privation des services de son esclave. Cette indemnité était fixée à tant par jour 6. La convention était confirmée par une stipulation de peine'. L'indemnité promise pour les services de l'esclave était considérée comme un supplément d'intérêts pour l'argent prêté. De là deux conséquences : 1° on applique à cette obligation la règles qui arrête le cours des intérêts lorsqu'ils atteignent un chiffre égal à celui du capital' ; 2° le total des sommes dues en vertu de la stipulation d'indemnité pour les services de l'esclave et de la stipulation d'intérêts proprement dite, ne peut excéder le taux légal de l'intérêt".
cet égard deux périodes à distinguer, l'une antérieure, l'autre postérieure au milieu du It° siècle de notre ère.
jr' Période. Anciennement la convention relative à la trajecticia pecunia n'avait par elle-même aucune valeur juridique. C'était l'application de la règle: ex nudo pacte inter cives Romanos actio non oritur ". Cette règle reçut, il est vrai, de bonne heure une excep
Lion en cas de prêt (mutuum). Mais entre ce contrat et notre convention il y avait des différences si profondes que, durant plusieurs siècles, on ne paraît pas avoir eu la pensée de faire rentrer la trajecticia, pecunia dans le mutuum. Le nlutuuin est un contrat à titre gratuit ;la promesse d'intérêts qui peut l'accompagner est accidentelle et fait nécessairement l'objet d'un contrat distinct. La trajecticia pecunia est un acte à titre onéreux : la promesse de payer une somme supérieure à celle qu'on a reçue est essentielle, c'estla.raison d'être de la convention. Dans le mutuum, l'obligation de rembourser une quantité équivalente à celle qu'on a touchée a pour fondement la promesse faite au prêteur; en vertu de son engagement, l'emprunteur reste obligé, alors même qu'il aurait perdu, par cas fortuit, soit la somme qu'on lui a remise, soit celle qu'il destinait au paiement [MUTUUM, p. 2133, § IV, n. 49]. Rien de pareil dans la trajecticia pecunia : l'armateur est libéré si l'argent qu'on lui a confié périt avec le navire ; son obligation éventuelle est le prix du risque contre lequel on l'a garanti.
Pour rendre efficace notre convention, il était d'usage, à la fin de la République ", de stipuler une peine en cas d'heureuse arrivée du navire et faute de paiement dans un certain délai" Cette peine était, conformément au droit commun, encourue de plein droit"; elle l'était même si le débiteur était mort et que personne n'eût encore accepté sa succession'''. Si l'on avait négligé de fixer un délai pour le paiement, une sommation était nécessaire" pour mettre le débiteur en demeure [MORA, p. 2000]. Si le débiteur était absent et n'avait pas laissé de représentant, une constatation de l'absence par témoins tenait lieu de sommation".
Dans le cas même où l'on avait fixé un délai pour le paiement, il était d'usage d'adresser une sommation au débiteur pour exiger la somme promise à l'esclave qui avait accompagné le navire 18. Cette sommation n'était pas indispensable pour faire encourir la peine" ; elle servait à faire connaître la volonté de l'esclave de toucher, pour subvenir à ses besoins, une partie de ce qui lui était dû. Au lieu de le payer chaque jour, on lui remettait de temps à autre, sur sa demande, la somme correspondante au nombre de jours écoulés.
2° Période. Vers le milieu du ne siècle de notre ère, une conception nouvelle se fait jour; la trajecticia pecunia est traitée comme une variété de mutuum. La stipulation de peine n'est plus nécessaire pour rendre la convention juridiquement obligatoire. La remise de l'argent suffit pour transformer la convention en un contrat réel, lorsque les parties sont d'accord sur les
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clauses de l'acte'. Pour faire accepter cette idée nouvelle, il a fallu 1° dédoubler la convention primitive, la décomposer en deux pactes ayant pour objet, l'ùn le remboursement de la valeur reçue, l'autre le paiement d'une somme supplémentaire à titre d'intérêts ; 2° admettre que le second pacte suffit pour obliger l'emprunteur à rendre plus qu'il n'a reçu. Le dédoublement de la convention, et par suite le rapprochement de la trajecticia pecunia et du mutuum, a été facilité par un double usage signalé par Papinien : le premier consistait à convenir, à défaut de paiement à l'échéance, que l'armateur conserverait, à titre de prêt, la somme qu'il' n'avait pu acquitter. Il a semblé que, s'il avait la qualité d'emprunteur après l'échéance, on pouvait lui attribuer la même qualité dès le jour du contrat : avant comme après l'échéance,l'argent qu'il a reçu est la cause première de son obligation 2. Le second usage est plus remarquable encore : on admit qu'il y aurait trajecticia pecunia alors même que le capitaliste serait, par une convention spéciale, exempt des risques de mer. L'armateur reste obligé en cas de perte du navire. L'analogie avec le mutuum est ici évidente : comme le débiteur d'un genre, l'armateur n'est pas libéré par la perte fortuite de la chose. Mais, par voie de conséquence, il n'y a plus de motif pour autoriser le capitaliste à exiger le prix d'un risque qui n'est plus à sa charge : comme un simple prêteur, il ne peut réclamer des intérêts supérieurs au taux légal'.
Telles sont les clauses qui ont familiarisé les Romains avec l'idée que la trajecticia pecunia est tantôt un véritable mutuum et tantôt un mutuum soumis à des règles particulières. Parmi ces règles, celle qui répugnait le plus au caractère du mutuum est relative aux intérêts : le mutuum étant un contrat à titre gratuit, il faut un contrat distinct, une stipulation, pour avoir droit à des intérêts. Un simple pacte est insuffisant. Mais, au cours du second siècle, on admet d'une manière de plus en plus générale que le pacte adjoint in continenti à un contrat fait corps avec le contrat et participe à son efficacité [PACTUM] 4. Assurément cette règle n'a jamais été appliquée au mutuum proprement dit mais la faveur due au commerce maritime, jointe au caractère aléatoire de la convention, aparu justifier une extension de la règle à la trajecticia pecunia. Telle est la doctrine soutenue au temps de Marc-Aurèle par Q. Cervidius Scaevola'' et sous Alexandre Sévère par Paul A dater de cette époque, la trajecticia pecunia est régulièrement présentée comme un mutuum', le prix du risque comme des usurae maritime', le capitaliste comme un foenerator10. Le contrat reçoit bientôt après le nom de nauticum foenus.
La doctrine nouvelle n'eut pas pour effet de porter atteinte à la liberté des parties, quant à la fixation du profit maritime. On mit d'accord la théorie avec la règle consacrée par la coutume en disant qu'on pourrait ici convenir de payer des intérêts illimités (inftnitae usurae)" , mais seulement pour la durée du risque 92
IV. SANCTION, La sanction de notre convention
donne lieu à des difficultés qui peuvent être résolues, au moins en partie, si l'on tient compte des aspects divers sous lesquels se présente la trajecticia pecunia suivant les époques.
Dans la première période, la convention a été sanctionnée par une action de droit strict. Cela n'est pas douteux pour le cas où le créancier a stipulé une peine en cas d'inexécution, et Labéon atteste que tel était l'usage général. Que si les parties se sont contentées de confirmer la convention par une stipulation ordinaire, c'est encore une action de droit strict qui la sanctionne. Mais cette voie de procédure, qui ne conférait au juge que des pouvoirs très limités", ne répondait guère aux besoins du commerce maritime : elle ne permettait pas de tenir compte du préjudice subi par le demandeur par suite de l'inexécution du contrat, et ce préjudice pouvait être important. Faute de paiement en temps utile, le créancier n'a pu acquitter une dette qu'il avait contractée sous une clause pénale, ou dont il était tenu envers le fisc, il n'a pu libérer des objets donnés en gage ou grevés d'une hypothèque ; il a donc encouru une peine peut-être très forte; ses biens ou quelques-uns d'entre eux ont été vendus à vil prix par lé fisc ou par les créanciers. Ou bien encore il devait employer l'argent à acheter des marchandises qu'il espérait revendre avec un gros bénéfice : c'est une spéculation manquée1i.
Tout cela montre l'utilité de faire à l'avance une stipulation de peine ; mais pour le cas où elle n'aurait pas été faite, on avait la ressource d'utiliser une action créée par le Préteur pour remédier à l'insuffisance des actions de droit strict, l'action de eo quod certo loco (dari oportet). Le Préteur avait promis dans son édit de modifier la formule de l'action de droit strict dans le cas le plus ordinaire où le débiteur, soit à dessein, soit par nécessité, avait continué son voyage et ne se trouvait pas au lieu convenu pour le paiement15. Le texte primitif de l'édit ne semblait viser que l'intérêt du défendeur, mais sous Auguste, Labéon démontra que l'édit devait avoir une portée générale, et qu'on devait tenir compte également de l'intérêt du demandeur. Cette opinion ne tarda pas à prévaloir et fut consacrée par l'Édit perpétuel". Désormais le juge, saisi de l'action de eo qupd certo loco, est autorisé à prendre en considération, comme un arbitre, l'intérêt respectif de chacune des parties". 11 peut, suivant le cas, condamner à une somme inférieure ou supérieure au chiffre de la stipulation 98.
Pour la seconde période, la nature de là sanction a donné lieu à des divergences. La solution la plus simple consiste à appliquer au nauticum foenus la sanction même du mutuum. C'est la conséquence logique de la doctrine nouvelle qui rapproche ces deux contrats. La difficulté est d'expliquer comment l'action certae pecllniae creditae confère ici au juge le pouvoir de condamner à une somme supérieure à celle qui a été livrée 'il. Aussi a-t-on proposé de voir dans le nauticum foenus un pacte sanctionné par le Préteur pérégrin au moyen
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d'une action in factum' ; mais, s'il en était ainsi, on ne comprendrait guère pourquoi les commentaires sur l'édit ne s'occupent pas de ce pacte prétorien Quelques auteurs ont songé à une condictio ex lege 3, mais il n'y a pas trace d'une loi rendue en cette matière, et la manière dont s'exprime Paul prouve que c'est la jurisprudence qui a donné effet au pacte `. Cujas s et Savigny ont pensé que le rapprochement établi entre le nauticum foenus et le mutuum ne prouve pas leur'identité absolue. Il en serait du nauticum foenus comme de l'échange qui a été rapproché de la vente sans se confondre avec elle 7 : ce serait un contrat innommé, sanctionné par l'action praescriptis verbis. Cette manière de voir s'appuie sur un texte de Paul qui semble présenter le nauticum foenus comme un contrat do ut des 3 ; elle a l'avantage de donner une action de bonne foi qui laisse au juge toute latitude pour apprécier équitablement les rapports des parties. On a objecté que la théorie des contrats innommés n'a été admise qu'aux u° et me siècles et que le nauticum foenus est bien antérieur; mais cette objection perd sa force si l'on admet la distinction que nous avons établie entre les deux manières d'envisager la trajecticia pecunia. Plus grave est l'objection tirée de la concession de l'action de eo quod cerlo loto dans un fragment d'Ulpien : ce texte parait bien prouver qu'au III° siècle, comme à l'époque antérieure, le nauticum foenus fut sanctionné par une action de droit strict. Dans ce cas spécial, le pacte adjoint in continenti au mutuum fut sanctionné par l'action du contrat. La même faveur fut admise au milieu du ni' siècle, pour le pacte adjoint au prêt de denrées 10 [MUruuM, p. 2132, n. 9].
convention qui fait courir au créancier un risque, comme le prêt à la grosse. Tel est le cas où l'on prête de l'argent à un pêcheur pour qu'il se procure les engins nécessaires, sous la condition que, si la pêche est fructueuse, il rendra plus qu'il n'a reçu et que, dans le cas contraire, il sera libéré. On applique à cette convention des règles analogues à celles du nauticum foenus. Cette généralisation a été proposée par Q. Cervidius Scaevola 1t, et c'est peut-être pour la justifier qu'il a eu l'idée de rapprocher la trajecticia pecunia du mutuum. D'après Scaevola, on peut, en remettant une somme d'argent qui devra être rendue sous une condition déterminée, convenir que le débiteur restituera plus qu'il n'a reçu : il suffit que le créancier prenne à sa charge le risque à courir. Il n'est pas nécessaire de conclure une stipulation de peine. Le supplément convenu est le prix du risque.
La règle s'applique non seulement au cas où la réal
sation de la condition dépend du hasard (si le débiteur fait une bonne pêche, s'il est vainqueur aux jeux athlétiques), mais même au cas où l'inaccomplissement de la condition dépend de la volonté du débiteur. Il y a là pour le créancier un événement fortuit contre lequel il tient à se prémunir. Par exemple, il a prêté une somme d'argent que l'emprunteur est dispensé de rendre s'il affranchit tel esclave, mais qu'il doit restituer avec un supplément s'il n'affranchit pas cet esclave. La seule restriction apportée à l'application de la règle, c'est que la convention ne dégénère pas en un pari : la loi ne sanctionne pas les dettes de jeu.
VI. RÉFORMES DE JUSTINIEN. La doctrine de Scaevola et de Paul, qui firent rentrer la trajecticia pecunia dans la catégorie du mutuum, eut au Bas-Empire une conséquence inattendue. Justinien, dès le début de son règne, par une constitution de 528 f2, appliqua au prêt à la grosse les règles restrictives du taux de l'intérêt f3. La seule concession qu'il fit consista à élever à 12 pour 100 le taux maximum qui était de 6 pour 100 en matière civile, de 8 pour 100 en matière commerciale. En cas de contravention, la promesse était réduite de plein droit au taux légal. Cette atteinte à la liberté des conventions en cas de prêt à la grosse ne pouvait manquer de porter un coup funeste au commerce maritime. Justinien n'avait pas vu qu'il mettait, en bien des cas, les armateurs dans l'impossibilité de faire couvrir leurs risques. Le prêt à la grosse rendait aux Romains des services analogues à ceux que procure aujourd'hui l'assurance maritime 1i. Entre les deux contrats il y a la plus grande analogie. « Ce sont, a dit un auteur, deux frères jumeaux auxquels le commerce maritime a donné le jour 17. » Une différence essentielle les sépare : dans le prêt à la grosse, le capitaliste avance l'argent à l'armateur ; dans l'assurance, il l'indemnise du préjudice subi. Par suité, le prix du risque est plus élevé dans le prêt à la grosse ; on est obligé de tenir compte au prêteur de la privation de son capital. Mais, dans tous les cas, le prix du risque est variable suivant les dangers de la navigation : il ne saurait être tarifé par la loi. Le taux fixé par Justinien était conforme à l'usage des banquiers de Constantinople, mais il eut le tort de prétendre l'appliquer à tout l'Empire. Les intéressés ne tardèrent pas à se plaindre. Les banquiers byzantins eux-mêmes demandèrent si, en consacrant l'un des usages de leur place de commerce, on avait entendu abroger les autres. Justinien chargea le préfet d'Orient, Jean le Cappadoce, de faire une enquête. On constata l'existence des usages suivants i6, qui furent confirmés en 540 par la Novelle 106 :
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Io Le profit maritime était fixé à un huitième du capital, soit 12 1%2 pour 100, sans égard à la durée du voyage ni à la route suivie, qu'il s'agit d'un voyage simple ou double (aller et retour) ; 2° un délai de vingt jours était accordé à l'emprunteur pour vendre la cargaison et se libérer envers le créancier; passé ce délai, le banquier avait droit aux intérêts de terre, soit 8 pour 100 ; 3° on pouvait convenir de payer le profit maritime partie en argent, partie en nature : un boisseau de blé ou d'orge par sou d'or de capital, plus 10 pour 100 en argent. Huit mois étaient à peine écoulés, et la Novelle n'avait encore été publiée qu'à Constantinople et dans quelques provinces, lorsque des protestations énergiques se firent entendre. Justinien rapporta sa décision de l'année précédente : ce fut l'objet de la Novelle 110. Il laissa subsister la constitution de l'an 528 qui avait été insérée dans son Code. La pratique n'eut que la ressource d'imaginer de nouvelles combinaisons pour procurer au commerce maritime une garantie contre les risques de mer, dans les cas où la restriction du profi tmaritime au tauxlégal rendait inapplicable le nauticum foenus. EDOUARD Con.