Le Dictionnaire des Antiquités Grecques et Romaines de Daremberg et Saglio

Article NEXUM

NEXUM ou NEXUS'. La question de savoir en quoi consiste exactement le très ancien nexum offre tant d'incertitudes, et de récentes études ont soulevé à ce propos tant de questions nouvelles, qu'il faut suivre pas à pas les textes. Le témoignage fondamental émane de Varron 2 : « Nexum Manilius scribit omne quod per libram et aes geritur, in quo sint mancipia; Mucius, quae per aes et libram fiant, ut obligeutur, praeterquam mancipio detur. Hoc verius esse ipsum verbunt ostendit, de quo quaerit: Ham id est, quod obligatur per libram neque suum fit, iode nexum dictum. Liber, qui suas operas in servitutem pro pecunia quant debebat, dura solveret, nexus vocatur ut ab aere obaeratus. Iloc epopillio vomie sïllo dictature sublatttnz nn (ieret, et omnes, qui bottait?copiant jurarunt, ne tissent nexi, dissoluti. » Ce texte est visiblement corrompu; mais, les restitutions proposées s'inspirant généralement d'idées préconçues, nous l'avons reproduit tel quel. Nous y trouvons trois parties : deux définitions très différentes du mot nexum et, un commentaire de Varron. I.-Ladéfinitiondujurisconsul te 4ianilius(cos.60~lU.C.) identifie la notion du nexum et celle de l'acte juridique per aes et libram. Les actes per aes et Iibram devaient être fort nombreux au temps où la pecunia numterctta n'existait pas encore, et oit les lingots d'airain servant de monnaie devaient être essayés et pesés pour chaque versement d'espèces 3. Tout acte comportant remise de monnaie (vente au comptant, paiement, prêt, etc.) nécessitait une pesée solennelle et rentrait dans les actes per aes et libram. Pour Manilius, tout acte de ce genre s'appelait nexum. Ainsi la mancipation, mode solennel de transférer la propriété par une vente symbolique [MAxclPATlo , comportant une cérémonie per aes et libram, est un nexum (in quo sent mancipia, dit Manilius). Festus nous rapporte 4 une définition analogue d'iElius Gallus, qui appelle nexum « quodcumque per aes et libram geritur », et cite comme exemples d'actes de ce genre la testamenti factio (c'est-à-dire le testament pet' aes et libram), la nexi liberatio (c'est-à-dire la soleitio per aes et libram) et un acte un peu rilsLérieux qu'il nomme la nexi dation Ces définitions trouvent leur confirmation dans l'emploi que Cicéron fait du mot nexum. Il définit aussi le nexum : quod per C6/tant agitur 3 ; ailleurs il parle d'une traditio 110,2 e , désignant ainsi la mancipation, qui comprend en effet une tradition' réalisée dans une cérémonie per aes et libram. Malgré ces autorités, l'emploi de nexum pour désigner tout acte per aes et libram semble récent', car cet emploi est contraire à l'usage de la langue dans les Douze Tables. Un précepte des Douze Tables 2 dispose en effet : « Cunt nexum faciel mancipiumgue,uti Zingua nuncupassit, ita jus esto. » Si la mancipation n'était qu'une variété de nexum, l'addition ntancipiuruque ferait redondance10 II. La définition de Mucius Scaevola (cos. 6ti0 U. C.) est plus étroite. Varron la présente comme le contre-pied de celle de Manilius. Pour Scaevola, le nexum ne comprend que les actes per aes et libram qui ont pour but de faire naître une obligation : quae per aes et libram fiant, ut obligentur (se. personne ou /tontines)". Cela exclut la mancipation, acte translatif de propriété : praeterquam mancipio detur. Le texte porte, à vrai dire, la marque d'altérations visibles. On peut hésiter entre NEX --78 -NEX plusieurs corrections, et lire, tantôt, avec Spengel' et Iluschke °: praeterquam quom mancipio dentur, tantôt, avec Turnèbe : praeterquam quod mancipio detur, tantôt, avec Bruns 3 : praeter quae mancipio dentur, tantôt enfin, avec Mommsen: praeter quom inancipïo detur. Mais le sens ne varie pas sensiblement. D'après cette interprétation, il existerait, sous le nom de nexum, un mode général de contracter des obligations pécuniaires, qui comporterait comme élément nécessaire de forme une solennité per aes et libram. Le nexum serait un acte s'accomplissant par une pesée (réelle ou fictive selon les époques), devant témoins, comme la mancipatïon. Mais, tandis que la mancipation sert à transférer la propriété, le nexum servirait à faire naitre des obligations pécuniaires. Cette interprétation se confirme par deux textes, 1'1111 de Gains ", qui, à propos des applications de la sofutio per aes et libram, parle des dettes nées d'une cérémonie per aes et libram : « si qu id eo ?mutine debeaiur, quod per aes et libram gesturn sit », l'autre de Eestus ", d'après lequel l'argent dû en vertu d'un nexum s'appelait anciennement nexum aes : «. exum aes apud antiques dicebaturpecunia quae per nexum obligatur. » Telle est la doctrine dégagée en 1846 par Iluschke, et généralement admise depuis. Des critiques sérieuses ont amené à la reviser. Deux questions se sont posées. Le nexum constitue-t-il un acte obligatoire spécial, comportant une cérémonie par l'airain et la balance? Si l'on admet la négative, comment s'obliget-on dans l'ancien droit romain? Mitteis a nié que le nexum s'opéràt per aes et librani. Pour lui, nexum désigne tout acte productif d'obligations, avec ou sans cérémonial par l'airain et la balance. Sans doute, lorsqu'il n'existait pas encore de pecunia nurnerata, tout capitaliste qui versait de l'argent devait le peser, mais c'était là une nécessité matérielle, non une nécessité juridique. Dès que s'est généralisé l'emploi de la pecunia mimerata, la pesée a naturellement disparu. Manilius et ,Elius Gallus ne continuent à définir le nexum : « ()rune quod per libram et aes pentue », que par un désir de trouver un élément d'opposition doctrinale entre les anciens modes de s'obliger et les modes récents du jus gentium. Autre chose est le nexuin, autre chose le prêt accompagné d'une pesée. Lenel8 va plus loin. Non seulement le mot nexum ne désigne pas un acte per aes et libram, mais encore il n'y a pas de forme de contracter per aes et libram. Les textes qu'on rapporte à cette prétendue forme de contracter visent tout autre chose. Ainsi les mots nexum mancipiumque des Douze Tables s'appliquent, non à deux actes différents, mais à un seul et même acte, 1a mancipation. Mancipium désigne l'appré-hension matérielle de la chose (manu capere) ; nexum. l'acte qui crée le lien juridique (en l'espèce, la pesée). Scaevola distingue précisément ces deux aspects de la mancipation dans la définition que nous avons citée : quae per aes et libram fiant, ut obligentur (c'est le moment obligatoire, le nexum), praeter quam [quod] mancipio detur (c'est l'appréhension de la chose, le rnancipium) °. La nexi datio de la définition d'riElius Gallus n'est, comme la nexu traditio de Cicéron, qu'une mancipation 10. Enfin Gaius et Pestus lui-même, en parlant d'obligations nées per aes et libram ou per nexum, ne songent qu'à l'obligation de garantie (sanctionnée par l'action auctoritatis) issue de la mancipation, ou à l'obligation née d'un legs per damnationem dans le testament per aes et libram Ces objections contre l'idée d'un mode spécial de s'obliger per aes et libram semblent singulièrement fragiles. Le raisonnement de Mitteis aboutirait aussi bien à faire révoquer en doute le cérémonial per aes et libram dans la mancipation, pour laquelle son existence nous est formellement attestée, entre autres par Gains'. Il faut d'ailleurs faire violence aux textes pour nier qu'ils aient eu en vue un acte obligatoire per aes et libram, distinct de la mancipation ordinaire, et admettre que nexum mancipiumque est une expression toute faite, désignant par ses deux éléments intimement unis un seul et même acte, la mancipation. L'union intime de deux éléments constitutifs d'un même acte s'exprime dans la langue juridique parl'asyndeton, et cela non seulement à l'époque classique (p. ex. emtio venditio, locatio conductio, ope consilio), mais encore au temps des Douze Tables (p. ex. usus auctoritas, vinctus verberatus) 93. D'autre part, l'obligation de garantie qui pèse sur le mancipant ne peut passer pour un élément de la mancipation : c'est une obligation pénale, née du délit commis par la personne qui a mancipé ce qui ne lui appartenait pas 14. Dirait-on, par exemple, que l'obligation pénale de garantie des vices cachés, qui, d'après l'édit édilicien, incombe à celui qui a vendu un esclave sur le marché, constitue un élément de la mancipation par laquelle cet esclave a été transféré à l'acheteur'"? Gaius ne pouvait donc, en parlant d'obligations nées per aes et libram, viser l'obligation auctoritatis. Il ne pouvait pas davantage viser l'obligation née d'un legs per damnationem. Car on peut se demander si ce legs s'est jamais rattaché nécessairement à une mancie patio familiae ou à un testament per aes et libram 1E et, en tout cas, au temps de Gaius, il ne s'y rattachait plus L7. II faut donc bien que Gaius ait songé à un mode NEX tibranz (« omne quod per libraan et aes geritur ») ; mais Scaevola parle de choses qui sont engagées per aes et libram (« quae per aes et libram fiant ut obligentur,o : ici obtigentur a pour sujet quae, et non, comme l'opinion traditionnelle l'admet, un pluriel sous-entendu, homines ou personne) La confirmation de cette manière de voir se trouverait dans le commentaire de Varron. III. Varron en effet 9 approuve la définition de Scaevola et se base pour cela sur l'étymologie du mot : « Hoc verius esse ipsum verbum ostendit, de quo (pute-rit ». Il fait dériver nexum de neque suum (ou mieux nec suum) S0 : « Quod obligatur per libram neque suum fit, iode nexum d'ietum ». On peut bien obliger une personne ou une chose, non un acte juridique. Quod obligatur ne peut s'entendre que d'une chose. Sous le nom de nexum, Scaevola définit une chose donnée en gage d'une dette. Enfin la dernière partie du commentaire de Varron est relative au cas où l'objet engagé est le corps d'une personne libre : a Liber qui suas opéras in servitutem pro pecunia plain debet dut (debebat), duo solveret, nexus vocatur, ut ab aere obaeratus ». Ainsi nexum désigne la constitution d'un gage en garantie d'une dette". On peut engager soit une chose matérielle, soit une personne. De là deux applications du nexum, selon que le débiteur engage son propre corps ou un bien de son patrimoine. Il y a à prendre et à laisser dans ces hypothèses. Celle de Lenel est purement conjecturale : nous ignorons à peu près tout du vadimonium, et ce n'est pas assez de l'analogie des étiquettes vadimonium et wadiatio pour conclure à l'analogie des institutions qu'elles recouvrent. Dans le-système de Schlossmann, on peut accepter l'idée d'un nexum portant sur la personne du débiteur; on doit rejeter par contre celle d'un nexum portant sur des choses matérielles. Cette deuxième idée repose en effet sur une interprétation aventureuse des textes, Le style de Varron manque souvent d'aisance, mais Schlossmann exagère sa dureté en interprétant comme il le fait les mots quae per aes et libram fiant, ut obligentur j2. Obligare, avec un complément de chose, n'apparaît guère avant le vme siècle de Rome i9 dans la langue du droit laïque. Au temps de Scaevola, on rie trouve pas encore obligare rein, mais seulement obligare aligtient ". On ne saurait d'ailleurs expliquer id est, quod obligatur per libram neque suum fit, iode nexum dictum comme s'entendant d'une chose engagée. On n'a pas assez examiné le sens de l'adjectif possessif réfléchi sous dans la proposition quod... neque suum fit. Une grande lumière jaillit sur toute la question si l'on comprend le jeu de mots étymologique de Varrois Sous s'emploie toujours pour renvoyer au sujet grammatical de la NEX 79 spécial de s'obliger per aes et libram, et il ne reste que le nexum Comment d'ailleurs comprendre autrement la définition de Manilius : « 1lexum omne quod per libram et aes geritur, in quo sintmaneipia »? Sans doute Manilius a donné une définition du nexum trop large pour l'époque ancienne, mais ii ne faut pas lui prêter un.e définition contradictoire. Le nexum était un acte per aes et libram., et la mancipation en était un autre. On ne doit pas être surpris qu'à l'époque où le nexurn a commencé à tomber en désuétude, on ne l'ait plus très bien compris, et qu'on ait appliqué son nom aux autres actes plus usités per aes et libram. Les auteurs qui refusent au nexum le caractère d'un acte spécial servant à s'obliger per aes et libram en arrivent nécessairement à se poser une deuxième question : comment pouvait-on contracter une obligation dans l'ancien droit romain? Le simple accord de volontés ne suffit pas à faire naître une obligation sanctionnée. La règle nudum pactum obligationem non Inuit domine surtout le droit ancien 2. D'autre part, rien ne prouve que les formes usitées plus tard, celles de la sponsio par exemple, existent au temps des Douze Tables 3. Mais l'histoire comparative du droit fournit une indication. Chez les Germains, comme chez les Romains, la simple promesse du débiteur ne l'oblige pas juridiquement. Aussi le débiteur fournit-il régulièrement un gage (wadium) pour garantir sa parole. Ce gage consiste, soit dans un objet mobilier, soit dans une personne étrangère (caution), soit dans le propre corps du débiteur'. Les choses se passaient sans doute de même à Rome. Le débiteur pouvait assurer l'exécution de sa promesse en fournissant un gage. Et c'est à cet engagement que se rapportent tous les textes qu'on rattachait jadis au prétendu contrat per aes et libram. Reste à examiner si les textes corroborent cette conjecture, et à voir comment pouvait s'opérer l'engagement en question. Lenel croit que la wadiatio germanique a son équivalent dans l'énigmatique vadimonium du très ancien droit \'AIIMOVmM-j. Dans le vadimonium, un débiteur se donnerait luimême en gage'. C'est de ce vadimonium que procéderait la servitude pour dettes dont parlent plusieurs textes Mitteis pense à un engagement par transfert de propriété. Le débiteur transférerait la propriété de son corps comme garantie de sa dette Ce dernier système a été repris et développé par Schlossmann. Celui-ci part du texte de Varron que nous avons cité. L'opposition entre la définition de Manilius et celle de Scaevola n'a pas le fondement que l'opinion traditionnelle lui attribue. Celle-ci admet que Manilius et Scaevola entendent tous deux sous le nom de nexum un acte juridique. Il n'en est rien. Manilius seul parle d'actes accomplis per aes et NEX 80 NEC. phrase, c'est-à-dire à quod . Or c'est un non-sens que de dire qu'une chose cesse de s'appartenir à elle-même (quod... nec suant fit). Le sujet de la proposition doit être une personne, et la phrase tout entière se comprend de la façon suivante : l'homme' qui s'oblige per aes et libram, et qui cesse d'être suus «c'est-à-dire d'être sui juris), est appelé par suite nexum. La phrase liber qui suas operas... ne s'oppose donc pas à la précédente, elle en constitue le commentaire. On appelle nexum ou nexus un homme libre qui s'est obligé en se rendant esclave pour sa dette. Se nexum dare, c'est transférer à son créancier la propriété de sa propre personne', et la nexi datio dont parle iElius Gallus s'explique ainsi. Nexum, comme mancipium, désigne donc à la fois un acte juridique et l'homme qui en est l'objet. Il n'y a pas trace du prétendu nexum par lequel on engagerait une res in patrimonio'. De ce qui vient d'être dit se dégagent les conclusions suivantes : on appelle nexum un acte juridique par Iequel un homme engage sa personne physique en garantie d'une promesse. On appelle nexum ou nexus l'homme libre qui, en s'engageant, est passé sous la puissance d'autrui. Examinons maintenant comment se réalise le nexum ainsi entendu. Nous savons déjà qu'il comporte une cérémonie per aes et libram. Nous ne sommes pas renseignés, au moins directement, sur les formes de cette cérémonie. Mais nous savons comment s'éteignent les obligations qu'il fait naître. Il existe un mode d'extinction des obligations appelé solutio per aes et libram, qui s'applique notamment, dit Gains', au cas oü quid eo nomine debeatur quod per aes et libram gestum sit, c'est-à-dire au cas d'obligations nées d'un nexum. Or c'est un principe du droit romain ancien, et de tous les droits formalistes, que les liens de droit se délient par des solennités symétriques et inverses de celles de leur formation'. Nous sommes ainsi renseignés indirectement sur la formation du nexum par la description de la solutio per aes et libram. Celle-ci, d'après Gaiusa, a lieu de la façon suivante : « Adhibentur non minus quant quinque testes et libripens. Deinde is qui liberatur, ita oportet loquatur : Quod ego tibi Lot milibus condemnatus sum, me eo nomine a le solin) liberoque hoc acre aeneaque libre. flanc tibi libram primam postremamque expendo secundum legem publicam. Deinde asse percutit libram eumque dat ei a quo liberatur, veluti solvendi causa. » Il y a deux parties dans la solutio : un rite accompli par l'airain et la balance ; la prononciation de certaines paroles. Sans doute le nexum comprenait les deux mêmes éléments. La cérémonie per aes et libram du nexum doit être analogue à celle qui accompagne la solutio per aes et libram (ou la mancipation). Il faut réunir les deux parties (créancier et débiteur), cinq témoins romains et pubères au minimum, et un libripens (porteur de balance). Certains gestes solennels sont effectués à l'aide de la balance et d'une pièce d'airain (as, raudusculum). Mais la comparaison de la solutio per aes et libram ne nous soutient pas assez pour que nous puissions préciser la nature de ces gestes. En outre, des paroles (nuncupatio, nuncupata verba) sont prononcées : c'est elles que visent sans doute les Douze Tables dans le précepte : « Gant nexum faciet..., uti lingua nuncupassit, ita jus est() », qui leur assure une sanction civile. La nuncupatio comprend comme partie fondamentale une damnatio. La damnatio est une formule, orale ou écrite (damnas este...), par laquelle une personne met, sous certaines conditions, une obligation à la charge d'autrui. La damnatio est ainsi prononcée par le législateur contre celui qui violerait certaines lois (p. ex. loi Aquilia) ; par un citoyen contre toute personne qui troublerait la paix de ses cendres (damnationes sépulcrales), ou contre son héritier ,(legs per damnationem) ; par le juge, dans certaines instances, contre le défendeur convaincu'. Celui qui éteint sa dette per aes et libram déclare : « Quod ego tibi tot milibus condemnatus sam... » Il avait donc été l'objet d'une damnatio 1p. Le créancier l'avait prononcée contre lui, en lui disant : Sois obligé (damnas este...) d'effectuer telle prestation pécuniaire, à telle échéance ou dans telles conditions. Nous ignorons les termes exacts de cette for mule1s. L'important est que, comme toutes les formules de damnatio, elle devait comporter l'apposition de modalités, par exemple d'un terme et même d'une convention d'intérêts. Quelle est la signification des formes qui viennent d'être décrites ?On peut se demander si ce sont les formes d'un prêt ou les formes d'une vente. Pour la doctrine traditionnelle (Huschke)12, le nexum est originairement un prêt. Au temps de la monnaie pesée, le prêteur fait peser (et essayer) les lingots en présence des témoins, puis les remet à l'autre partie. Lorsque la monnaie comptée supplante la monnaie pesée, le prêt devient fictif: le créancier se borne à faire semblant d'effectuer NEX 81 NEX une pesée, et de remettre au débiteur un petit morceau d'airain représentant les lingots d'autrefois. Le précepte des Douze Tables relatif à la nuncupatio aurait pour but de consacrer cette façon de faire. Dès lors seulement le nexum pourrait servir à sanctionner des obligations nées d'une source quelconque (non seulement d'un prêt, mais d'une vente, d'une donation, d'une constitution de dot, etc.), pourvu que leur objet soit une prestation d'argent. Cette dernière condition résulte naturellement du caractère du prêt symbolique. Celle théorie ingénieuse a le tort d'être purement hypothétique. On ne peut tirer qu'un argument de symétrie de la solutio per aes et librorn, qui, d'après Gains, serait un paiement symbolique'. Le nexurn comporterait inversement une prestation fictive d'espèces. Mais rien ne dit que celle prestation soit effectuée à titre de prêt ou à tout autre titre. Comme Lenel le constate, aucun texte ne parle d'un prêt per aes et librant'. Pour d'autres, la cérémonie per aes et libram du nercum s'analyse en un transfert de propriété réalisé par une vente symbolique (mancipation). Le débiteur se mancipe lui-même au créancier, et le créancier convient avec lui en même temps (pacte de fiducie) [hmuClA1 de l'affranchir lorsqu'il aura payé sa dette. Cette mancipation parait attestée par Varron, qui, nous l'avons vu, parle de la perte de la liberté du débiteur (nexum.. quod... neque suant fit..). Le prix de vente est un prix fictif, la mancipation a lieu numrno atm'. Le créancier devient ainsi propriétaire du débiteur. Mais sans doute, comme il arrive d'ordinaire au cas de /Ni/ria celuicreditorel, il lui laisse la liberté à titre précaire, au moins jusqu'à l'expiration d'un terme convenu. A quel mouimst la mancipation fiduciaire intervientelle? Le nexum n'a pas joué le même rôle dans l'époque très ancienne, où il constituait le seul mode de contracter, et dans l'époque plus récente, où il coexistait avec les premiers contrats formels. A. Il a dé y avoir une époque ancienne où toutes les obligations étaient pénales. Le débiteur d'une composition pécuniaire n'obtenait un délai pour se procurer sa rançon qu'en mancipant son corps au créancier. Cette conclusion peut se tirer, nous le verrons, des dispositions de la Poetelia Papiria. Le ne.zurn était alors le seul mode de contracter, et il apparaissait déjà comme un moyen d'éviter les rigueurs d'une vengeance immédiate. B. Avec le temps se sont introduits des modes formels de s'obliger, et, notamment, le rite laïcisé du serment (sponsio, puis stipulation) : un débiteur obéré a encore pu éviter les rigueurs immédiates des voies d'exécution (sur la personne, et plus tard sur les biens) en engageant sa personne: cette suprême ressource lui permettait de gagner du temps. Par là s'expliquent les textes nombreux qui nous montrent des emprunteurs ruinés par l'accumulation des intérêts de leurs dettes, qui finissent par VII. se donner en nexum.: ('18 unciario /'entre /lfcto levota usura erra', sorte ihsa obruehantur inupes. nexumgue initiant t '. Par là s'expliquent aussi les textes qui nous montrent un fils contractant un ne.sum à raison des dettes de son père 0. La théorie qui voit une mancipation du débiteur dans la cérémonie per aes et Minant du rtexatn n'est pas entièrement nouvelle 7; mais elle a trouvé récemment des adhésions précieuses'. Pourquoi a-L-elle rencontré ,jusqu'à présent tant de résistances? Parce que, dit-on 0, la mancipation se prête mal au rôle qu'on lui assigne, et cela pour deux raisons : on ne peut se manciper soimême; on ne peut se manciper à terme. 10 On ne peut se manciper soi-même. Toutes les fois qu'il y va de la liberté d'une personne, cette personne ne peut agir directement ; un tiers doit agir polir elle (adsertor libertatis dans les cousue 1iberate.s, et, par suite, dans la manumi.s.sio vindjeta; acquéreur field' dans l'émancipation). Mais nous ne voyons pas de raison pour qu'un tiers n'intervienne pas aussi de la même manière dans le nexurn primitif, pour y jouer un rôle de complaisance 10. Les documents que nous possédons sur le nexunt présentent assez de lacunes pour que l'absence de témoignages sur une pareille intervention n'ait pas lieu de surprendre. D'ailleurs peut-on affirmer qu'on ne puisse se manciper soi-même ? La femme sui ,juris ne pouvait-elle pas se marier sous forme de coeu2tio (c'està-dire de mancipation), et les études de Karlowa 11 sur cette matière n'amènent-elles pas à penser qu'elle se mancipait elle-rnzme à son mari? La coemtio a disparu avec le temps. Telle est bien en effet la marche logique de l'évolution : anciennement on a pu employer la mancipation pour se soumettre à la puissance d'un maître; mais, à l'époque classique, on n'a pu l'utiliser (exception faite de quelques applications résiduelles de la coerntio) que pour aliéner la puissance qu'on avait sur certaines choses ou certaines personnes. '2o On ne peut se manciper à terme, cela n'est pas douteux. Cela résulte d'ailleurs, non de 1a nature de la mancipation, mais du caractère de perpétuité que les Romains attribuent au droit de propriété 12. Mais le nexunl ne comporte point une mancipation â terme, c'est-à-dire dans laquelle la simple échéance prévue doive résoudre le droit de propriété. Il comporte, ce qui est bien différent, une mancipation fiduciaire, c'est-à-dire dans laquelle l'acquéreur promet personnellement de retransférer la propriété à l'aliénateur après l'échéance prévue. Mais la Iilancipo(tion fié uciaire étai t-elle sanctionnée au temps des Douze Tables? Elle ne l'était pas par une action : les actions /iduciae remontent au vue siècle U. C. ". Elle ne l'était que par l'usureeeptiri /idue'iae. dont les caractères archaïques révèlent l'ancienneté. Mais l'usureceptio /iduciae ne devait pas s'appliquer à notre cas :un esclave ne s'affranchit pas par usucapion 1'. 11 NEX --82 -NEX Et, là résidait sans doute l'originalité du nexum ; c'est pour celle raison que nous l'avons qualifié d'acte sui generis ne se confondant pas avec la mancipation ordinaire. Il devait assurer au pacte de fiducie intervenu une garantie que le droit conlrminlui refusait. Cette garantie ne pouvait résulter que de l'élément du nexum, qui ne se rencontrait pas dans la mancipation ordinaire, de la damnatio. La damnatio, rite d'origine religieuse, comporte parfaitement l'apposition d'un terme ou d'une condition'. Cette hypothèse permet de décomposer le oe.xnnt en deux éléments : une mancipation fiduciaire, par laquelle le débiteur se met sous la puissance du créancier pour garantir son obligation, mais dans laquelle le pacte de fiducie n'est pas sanctionné ; une ttrrnanatio, par laquelle le créancier ordonne au débiteur: Sois assujetti esclave) 3 pour le paiement de telle somme, jusqu'à ce que tu t'acquittes. , Le débiteur, nous dit en effet Varron, est appelé nexus jusqu'à ce qu'il s'acquitte (dur soiveret), La sanction de la manus injectio, née de la damnatio, n'appartient au créancier pour s'emparer du. débiteur que jusqu'à ce moment. 'fout cela se confirme, en effet, si l'on étudie la sanction du ne:m.1m. Si le débiteur ne paie pas à l'échéance ce qu'il a promis, quels sont les droits du créancier ? Ici encore, puisque tout est obscur en notre matière, nous rencontrons de sérieuses difficultés. Certains auteurs sont tentés de construire a priori un système de sanctions du nexum. Le conçoit-on comme un prêt, réel ou fictif, c'est-à-dire comme un acte productifd'oblig'ations au sens moderne du mot? Le créancier, titulaire d'un droit personnel, devrait, semble-t-il, le faire valoir dans la forme de la legis actio per sacr'amentum in personam I Le conçoit-on, avec nous, comme un acte translatif de propriété sur la personne du débiteur ? Le créancier, titulaire d'un droit réel, devrait le faire valoir dans la forme de la legis ortie per sacramentum in rein. Ce n'est qu'après avoir triomphé dans son action que le créancier pourrait procéder à l'exécution. Les sources fournissent une solution très différente. Elles représentent le nexum comme directement exécutoire par voie de manus injectio', Parmi ces sources, il faut citer un grand nombre de textes littéraires, réunis par Huschke, qui se rattachent à l'histoire des luttes de la plèbe centre la. rigueur du système mettant les débiteurs à la merci des capitalistes patriciens ". Ces textes distinguent nettement deux catégories de prisonniers pour dettes: ceux qui le sont en vertu d'un jugement (judicati), et ceux qui le sont sans jugement (nexi), contre lesquels la minais injectio a donc été possible sans jugement. Nous ne pouvons insister ici sur tous ces textes, 'nais seulement sur le plus connu, de Denys dHalicarnasse3, qui se rapporte au projet de transaction présenté par Menenius :grippa à la plèbe soulevée. Menenius proposa deux réformes du régime des dettes, Tune relative aux débiteurs dont on saisit le corps pour défaut de paiement une fois l'échéance arrivée : E'i 'rnluv ratis~ETat...; l'autre relative à ceux qui, après une condamnation, sont adjugés à leurs adversaires : ilaoi rE L'opposition ainsi présentée ne se comprend que si les deux hypothèses sont vraiment différentes et si, par conséquent, aucun jugement n'est intervenu dans la première Les auteurs que ce texte embarrasses prétendent qu'il s'agit là, non de débiteurs contre qui on fait directement manu( injectio, mais simplement de débiteurs dont le corps est engagé en garantie de leurs dettes. Cette interprétation ne se soutient pas : il est question d'une saisie qui ne s'opère qu'après l'échéance passée sans paiement; or le corps du débiteur était engagé depuis le moment où le nexum était intervenu. En réalité, ces auteurs méconnaissent dans les textes la manus injectio donnée immédiatement, parce quils ne conçoivent la manus injectio que dans sa forme classique. c'est-à-dire comme une voie d'exécution s'appliquant à des créances pécuniaires. Il leur semble que manus injectio et droit personnel, revendication et droit réel s'appellent nécessairement. Mais on pourrait prouver s qu'en réalité la manus injectio ancienne a le caractère d'une action réelle portant sur la personne physique de l'obligé, et que le vinder (= is qui vindicat) y joue un rôle équivalent à celui que joue plus tard l'adsertor l'iber'tatis dans la vindicatio in servitutem intentée dans la forme du sacramentum. Le créancier non payé à l'échéance peut saisir n'importe oit sa garantie, c'està-dire le corps du nexus, dont il est propriétaire, pour exercer désormais son droit de propriété sur lui, le L'existence de la manus injectio comme sanction directe du nexum pouvait d'ailleurs se prévoir, puisque le nexum renferme une damnatio. Les damnationes, au moins celles de l'époque ancienne 10, donnent naissance à une manus injectio : par exemple, la damnatio prononcée par le juge, celle de la loi 4quilia, celle du legs per damnationem La damnatio produit ici les mêmes effets. Nous n'avons pas à rechercher la raison d'ètre de cette efficacité de la damnatio. Huscbke avait cru que l'obligation contractée per aes et libram devant cinq témoins et un libripens avait par sa forme même un caractère public, et constituait une véritable sentence judiciaire ; la damnatio du nexum se comportait ainsi comme une condamnation et donnait, à ce titre, ouverture aux mêmes voies d'exécution. Cette hypothèse méconnait l'enchaînement historique des faits, qui nous montre que la condamnation judiciaire est relativement récente, et postérieure à d'autres applications de la damnation. Mitteis n'a pas eu de mal à réfuter la théorie du caractère public du nexum 1'. Mais peut-être NEX -83 NEX pourrait-on expliquer autrement les effets de la damnatin, en établissant par exemple son caractère de rite religieux exsécratoire L Le nexum ainsi compris constitue un mode de s'obliger très primitif. Le créancier est trop fortement armé, et le débiteur trop à sa merci. Avec le temps, lorsque la propriété s'éloigne des formes collectives anciennes, on estime que c'est le patrimoine du débiteur, non son corps, qui doit constituer le gage offert au créancier. En outre, les progrès de l'organisation étatique viennent, restreindre l'exercice de la justice privée. Le nexum, atteint dans son principe, doit disparaître. Et en effet une loi importante a supprimé ou amoindri le nexum. Malheureusement, nous connaissons très mal cette loi. Varron, dans le passage que nous avons cité, l'attribue à C. Popillius voeare sillo (sic), dictateur. Ce nom ne nous a pas été transmis dans les listes de dictateurs que nous possédons. 11 est vrai que Popilius est parfois une forme ancienne pour Publilius ; mais alors nous ne savons pas à quel dictateur Publilius nous pouvons avoir affaire'. On corrige donc, et on lit Caius Poetelius Libo Visolus; c'est le nom d'un personnage qui aurait été dictateur en 441. Mais Mommsen a démontrés que la dictature de ce Poetelius est une interpolation des Fastes, si bien que l'indication de Varron nous amène à une impasse. Nous possédons, il est vrai, une autre version, rapportée par Tite-Live qui rattache la loi en question à une histoire de moeurs (visiblement apparentée aux anecdotes de Virginie ou de Lucrèce), et aux violences que le patricien Papirius aurait tentées contre son débiteur nexus, le plébéien Publilius : cet attentat aurait été l'occasion du vote d'une loi proposée par les consuls C. Poetelius et Papirius Mugilanuss. Valère Maxime' et Denys' reproduisent la même anecdote, mais avec des personnages autrement dénommés, et des tendances politiques différentes. Malgré les divergences et les contradictions intrinsèques de la tradition 3, on estime communément que la loi s'appelle Ioi Poetelia Papiria et se place en 428 L. C. Cette conclusion reste hasardeuse. La tradition relative à cette loi présente tous les caractères d'une tradition légendaire anticipant des faits bien postérieurs. Nous avons même une autre version, rapportée par Denys 9, qui attribue à Servius Tullius la réforme réalisée par la loi Poetelia Papiria (substitution du patrimoine à la personne comme gage des dettes). La loi Poetelia Papiria doit être sensiblement plus récente que la date de 428. Le contenu de la loi n'est guère moins incertain que sa date. Au texte de Varron, il faut ajouter un texte de Tite-Live : «Jussi (sont) eonsules ferre ad populum ne quis, nisi qui noxam meruisset, dance poenam lueret, in conpedibus aut in nervo teneretur; pecuniae credilae bon« debitoris, non corpus obit0xinnt e.ese. fta ne.xi s•oluli. cautannque in poslerum, ne net'taa'eattiti. Ce témoignage semble dire que la loi /'oete,li« l'apiri« a aboli le nexuin ". On admet, pourtant en général" qu'elle n'a fait que lui enlever sa force exécutoire, en même temps qu'elle atténuait les effets de la mandat ln ,?eetils en enlevant au créancier le droit de tuer ou de vendre son débiteur_ Désormais on ne pourrait faune valoir une créance sanctionnée par un ttexum qu'à la. condition d'intenter d'abord une action en ,justice. Mais les textes ne disent rien de tout cela. On le leur fait dire, parce qu'on veut les mettre en harmonie avec les témoignages qui nous montrent, le nexum, encore en vigueur après 428, par exemple à l'époque de Cicéron et de Catilina", ou au temps d'Aelius Gallus (vine siècle), qui parle du nexum comme d'une institution encore en vigueur. Peut-être la conciliation de ces témoignages contradictoires doit-elle se chercher ailleurs. Un citoyen, nous dit Tite-Live, rie peut plus aliéner sa liberté pour une dette, sauf dans un cas : « nisi qui nn.xar1 rneruis.set, donee poenam lueret. Il parait donc qu'on pouvait toujours contracter tin nexum en garantie d'une dette pénale. Le droit comparé nous amène à penser que la première obligation ex contractu fut celle de payer la composition volontaire due à raison d'un délit'. L'auteur d'un délit voulant se racheter en payant une poena, et n'ayant pas de quoi s'acquitter immédiatement, se donnait en gage de sa dette'. Ainsi l'application du nexum à raison d'une noxa11 serait la plus ancienne, el, aurait. survécu plus longtemps que les autres. L'abandon noxal de l'auteur du délit, quand cet auteur est un ètre en puissance, correspond peut-être à la même idée : la nexi datio n'est qu'une noxae deditio consentie par le débiteur sur sa propre personne. Les applications du nexunt après la loi Poetelia Papiria se limiteraient donc aux obligations pénates 17. Mais la loi en question aurait complètement aboli le nexum comme moyen de sanctionner des obligations contractuelles. Les nouveaux contrats formels (notamment la stipulation) devaient, eu effet, l'avoir rendu à peu près inutile. D'ailleurs, avec les progrès de la justice publique aux dépens de la justice privée, la dernière application du nexum a dü disparaître : lorsque prévaut le système des compositions égales, et que la répression des délits eomporte dans tous les cas l'intervention de la justice publique, le nexum n'a plus grande raison d'être. Aussi faut-il désormais intenter une action pour réclamer la poena, et cette action entraîne les voies d'exécution ordinaires. Toujours est-il que Festus parle du nexum comme d'une institution archaïque Ii et que Gaies ne cite les obligations per aes et lieraan qu'en passant, comme ne présentant plus de réelle importance pratique. P. LIUVEUN. NIM[