NOX La Nuit est, dans la mythologie grécoromaine, au nombre des figures qui sont redevables d'une personnalité divine à la poésie et à l'art, sans jamais y avoir obtenu des autels et un culte populaire. Dans l'épopée homérique, elle est présentée comme la mère du Sommeil et de la Mort [,rloas' et appelée celle qui subjugue les dieux et les mortels'. En somme, des épithètes solennelles et son intervention, toute de circonstance, en vue de soustraire Hypnos au courroux de Zeus, font chez Homère sa seule divinité'. La Théogonie d'Ilésiode lui attribue une lignée de treize enfants dont la plupart ne sont que des abstractions personnifiées; elle représente les ténèbres sublunaires tandis qu'Erebos est l'expression de la nuit souterraine'.
A ces traits sans grand relief, la poésie des âges suivants en ajoute de plus expressifs. Eschyle fait de la Nuit la mère des Erinyes et l'invoque en compagnie des plus augustes divinités; ce poète est le premier qui parle du char sur lequel elle accomplit sa course dans le ciel, de ses chevaux noirs, du voile sombre constellé d'astres dont elle s'enveloppe'. Il caractérise son action morale en l'appelant né fpdv'q (la bonne conseillère), épithète qui prend dès lors la valeur d'un nom identique à 1'j 5. C'est Euripide qui achève de déterminer sa personnalité en lui donnant l'allure artistique 6 ; dans le même temps la céramique et peut-être aussi la tapisserie précisent ses attributs en lui accordant un rôle dans la figuration des fables divines'. Un passage de la tragédie d'Ion décrit Ouranos qui rassemble l'armée des étoiles ; Hélios qui pousse ses coursiers vers l'occident; Hespéros qui s'élance à leur suite et la Nuit qui se lève, debout sur un quadrige et drapée de voiles sombres e. Il est difficile de décider si le poète parle d'après une (ruvre d'art réelle ou si ses brillantes métaphores ont inspiré les artistes qui s'emparent de la figure de la Nuit. Même éclat d'images chez Aristophane, qui dans les Grenouilles invoque sa
divinité, et dans les Oiseau;' renouvelle sa généalogie en imitant Hésiode 9. Dès lors, la poésie grecque a épuisé tout ce qu'elle croit pouvoir trouver pour la peindre d'épithètes ou la munir d'attributs ; lis Latins euxmêmes innovent à peine et se bornent à traduire. En poème orphique donne à la Nuit un sceptre; Ovide la couronne de pavots, fleur jusqu'alors réservée au sommeil 10; Virgile l'appelle humida, par assimilation avec l'Aurore et d'autres divinités de la rosée matinale". Les Latins toutefois ont, plus que les Grecs, une tendance à accentuer le caractère terrifiant des ténèbres nocturnes, en les assimilant à celles de la mort et des enfers; elle n'est plus tant, pour eux, l'inspiratrice des sages résolutions, que celle des craintes et des soucis12. Et enfin, toujours dans le même ordre d'idées, ils la font présider aux pratiques de la magie, avec Hécate, et lui donnent une place dans la région sinistre des enfers".
Nulle part., chez les Grecs et chez les Romains, il n'est explicitement question de sanctuaires ou d'autels érigés en l'honneur de la Nuit. Les prières qu'on lui adresse sont d'invention purement poétique 1' et il ne semble pas que des sacrifices, tantôt d'un agneau noir, tantôt d'un coq, aient eu une autre valeur". . On cite toutefois des oracles rendus en Grèce sous son inspiration, l'un à Mégare, l'autre, sans détermination de lieu, en compagnie d'Apollon ; Pindare même lui aurait attribué le plus ancien de tous les oracles. H est évident que la puissance prophétique de la Nuit est en rapport avec son nom d'euupdvr;L6
Malgré la précision apparente des traits que l'art et la poésie de concert donnent à sa divinité, on n'est jamais sûr de l'identifier sur les monuments". C'est que d'autres figures féminines, celles de
par exemple, sont représentées montées sur des chars, drapées dans des voiles amples ou munies d'ailes ; et comme ces deux divinités ont plus de réalité religieuse, il n'y a place pour la Nuit que dans des groupes oit l'on a pu tout d'abord identifier celles-là 13e Ainsi Helbig a conjecturé que, sur le
sarcophage de Prométhée, la femme voilée qui est groupée avec Séléné et Thanatos représente la Nuit 1Y ; de même, sur le sarcophage de la villa Médicis qui représente le retour dans l'Olympe des trois déesses après le jugement de Pâris, la femme drapée qui est à la droite
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de Séléné'. On a supposé également qu'elle figure sur la frise de Pergame en tunique flottante, la tête couverte d'un voile, sa main droite balançant une hydrie autour de laquelle s'enroule un serpent, tandis que sa gauche fait mine de saisir le bouclier d'un géant; mais rien n'est moins certain que cette identification 2. Nous en dirons volontiers autant des deux figures mélancoliques et voilées que nous offre la colonne Trajane (fig. 5336), et d'une figure endormie qu'on voit sur une lampe, portant dans ses bras un génie ailé, tandis qu'à côté le génie PhosphorosLucifer prend son essor une torche à la main J.-A. HH.D.