Le Dictionnaire des Antiquités Grecques et Romaines de Daremberg et Saglio

Article OPPUGNATIO

OPPUGNATIO. Sous ce titre qui ne devrait proprement s'appliquer qu'au siège des places fortes, nous résumerons ce qui a trait à la défense et à l'attaque, opérations qui se commandent l'une l'autre et que les Grecs désignaient sous le nom commun de Tx rio?,topxT1Ttxoi, Pendant longtemps la poliorcétique resta en enfance chez les Grecs. On en peut juger par ce qui est raconté du siège de Thèbes', vers le xule siècle. Étéocle, qui commandait les assaillants, ne trouva .rien de mieux que de diviser sa troupe en sept corps dont chacun surveillait une des sept portes de la ville; de son côté Polynice, qui ~~ Il 1 I_I_I 1u I_II ,ry n~ OPP -209 OPP dirigeait la défense, avait divisé sa troupe en autant de détachements et faisait des sorties fréquentes. Les opérations traînant en longueur, les deux chefs résolurent d'en finir par un combat singulier; ils y perdirent tous les deux la vie et le siège se termina par une sortie vigoureuse où les assiégés taillèrent en pièces leurs ennemis. Le siège de Troie ne nous montre point', dans l'Iliade, des procédés beaucoup plus perfectionnés. En fait de machines de siège on ne voit guère que le fameux che val de bois, qui pourrait bien n'avoir été qu'une sorte de bélier faisant brêche dans le rempart en dissimulant des travailleurs pour creuser une mine sous le mur2.Ce procédé était en effet déjà en usage dans l'Orient, au moins depuis le xi' siècle, puisque Saül attaqua les villes des Amalécites les unes avec des machines, les autres avec des boyaux de mine (FéyN.mriv ûaovdµotç)'. C'est encore par une galerie souterraine [cuNlcuLUSl, commencée à l'abri d'un tertre éloigné de 15 stades de la ville de Chalcédoine, assiégée par Darius en l'an 520, que les Perses arrivèrent à prendre la forteresse en débouchant sous la place du marché, qu'ils reconnurent aux racines des oliviers dont ilsla savaient plantée'. En 498, au siège de Milet 5, les Perses semblent avoir employé pour la première fois les mines, non à déboucher subrepticement dans l'intérieur de la ville assiégée, mais à faire tornber des remparts en plaçant au-dessous de leurs fondations des étais de bois auxquels on mettait le feu. En 429 nous voyons apparaître en Grèce, au siège de VII. Platées s, les béliers [AHIES] pour abattre les murs et les terrasses (y' .uT«) pour amener les assaillants et leurs machines au niveau des créneaux, procédés depuis longtemps usités en Orient, ainsi que le prouvent les bas-reliefs tirés despalais ninivites(fig.5410et5411;voir AUGER, ARIES, ExEHCITIS, p. 905 A) qui remontent aux' siècle avant notre ère. -mima Au début du Ive siècle, Denys, tyran de Syracuse, voulant faire la guerre aux Carthaginois, réunit autour de lui les plus habiles artisans des nations voisines qui apportèrent avec eux les inventions de l'Orient et y introduisirent leurs propres perfectionnements. Dans les guerres de Philippe de Macédoine et d'Alexandre le Grand, les machines de jet, jusqu'alors peu usitées, deviennent d'un usage courant et on arrive à en construire d'assez puissantes pour lancer des projectiles pesant 10 talents ou 260 kilogrammes [TOHMENTUM]. En 340, au siège de Byzance, Polyeidos, de Thessalie, ingénieur de Philippe, perfectionne la tortue bélière (fig. 5412). Un peu plus tard Dyadès et Chaaréas, disciplesde Polyeidos et ingénieurs d'Alexandre, construisent des tours d'attaque mobiles sur des roues; ils inventent le trépan, sorte de bélier qui glissait sur des rouleaux (fig. 541.3), ainsi que des engins propres à arracher les créneaux et à escalader les murailles. Ænéas, qui paraît avoir été un des ingénieurs de Philippe de Macédoine, puis Dyadès et son contemporain Philon d'Athènes composèrent, pour décrire ces machines et donner les règles à suivre dans leur construction, des traités aujourd'hui perdus en partie, mais qui ont servi presque exclusivement à la confection des écrits postérieurs dus à Philon de Byzance (Le' siècle av. J.-C.), à Athénée', à Vitruve (ne siècle ap. J.-C.), à Apollodore et à tous les auteurs byzantins jusqu'au xe siècle p. 27 OPP 210--OPP Potard, Maizeroy, Guischard et les écrivains militaires du xvute siècle qui se sont occupés de l'histoire de l'antiquité, ont prêté aux Grecs et aux Romains les procédés de leur temps; leurs études ne doivent donc être consultées qu'avec beaucoup de réserves. En réalité une attaque régulière par terre, même aux plus beaux temps de la poliorcétique ancienne, se réduisait presque uniquement à ceci. L'assiégeant établissait son ou ses camps et se fortifiait à la fois contre les sorties de la ville et les entreprises d'une armée de secours. Pendant que, dans des lieux dérobés aux vues de la place et à portée du point d'attaque projeté, il faisait construire les tours mobiles et les machines de jet, il opérait des démonstrations, tantôt d'un côté, tantôt de l'autre, de telle sorte que les assiégés s'épuisassent en préparatifs de défense. Des terrassiers à couvert sous des tortues (x6.1 UÉç ye) tévri, musculus) (fig. 5414) aplanissaient le terrain sur lequel devaient se déployer les approches, comblaient les mares, les canaux, coupaient les arbres, enlevaient les chaussetrapes et ouvraient les chemins pour les tours. A proximité et en arrière de ces travailleurs, des soldats se tenaient prêts à les secourir, à l'abri dans des galeries couvertes (&1R7TEaoJe)ùv, vinea) (fig. 5415), établies parallèlement à la place dans des lieux favorables situés hors de la portée des gros projectiles de la défense. Ces galeries étaient formées par des pieux de 0 m. 06 de diamètre et de hauteurs inégales, terminés à leur partie inférieure par des pointes métalliques pour pouvoir s'enfoncer dans le sol. de Héron). On les plantait à 1 m. 30 les uns des autres, on les reliait à leur partie supérieure par des traverses en bois, puis on garnissait les parties exposées aux projectiles, de peaux et d'étoffes qu'on avait soin de ne pas tendre trop de manière qu'elles pussent céder un peu sous l'effort des coups. L'ensemble de ces galeries prenait souvent le nom de portique (a'ro(i, partiras) ; c'était de là que partaient les mines et les galeries d'approche. Ces dernières étaient de deux espèces, suivant que la ville assiégée se trouvait en plaine ou au sommet d'une pente. Dans le premier cas, l'assiégeant, qui avait surtout à craindre des coups plongeants, s'avançait à peu près directement à fleur du sol, en protégeant la tête de ses ouvrages au moyen d'une tortue faite avec des poutrelles et des branches d'osier vert entrelacées dite tortue d'osier (yepoyeamv4), dont le front à hase triangulaire présentait aux coups de l'ennemi une arête oblique très résistante et qui était fixée au sol à l'aide de solides pointes en fer'. En arrière on élevait des portiques dont on couvrait la partie supérieure avec de triples clayonnages et des corbeilles pleines de paille, d'algues ou d'autres corps mous, souvent protégés contre l'incendie par des peaux fraîches ou des matelas mouillés [CENTO, cILIcIUM]. Dans le second cas, où le principal danger était constitué par les masses que l'ennemi précipitait du haut de la pente, l'assiégeant creusait de véritables tranchées obliques de manière à arrêter les corps roulants au moyen d'une épaisse levée de terre soutenue par un fort clayonnage, et des espèces de chevalets en charpente qui dé viaient et affaiblissaient le choc ; en tête on plaçait toujours une tortue triangulaire beaucoup plus résistante que celle dont on se servait en plaine et à laquelle on donnait le nom d'éperon (Ëp.ôo),ov). Ces approches s'effectuaient sous la protection d'énormes tours en charpente, cuirassées, sur les trois côtés exposés à l'ennemi, avec de larges lames de fer et des corps mous propres à amortir les chocs, munies de réservoirs d'eau et de tuyaux allant jusqu'aux étages supérieurs pour éteindre les incendies, mobiles sur des systèmes de roues faisant corps avec les essieux comme dans nos wagons, et pouvant se diriger vers un point déterminé au moyen d'une série de déplacements à angle droitcbtenus par le déplacement des essieux Les tours étaient armées d'une artillerie suffisante pour combattre avec avantage les grosses machines de jet de l'ennemi. Quand on avait comblé le fossé ou qu'on l'avait traversé à l'aide d'une tortue portant à l'avant un pont-volant (lt.xêatpa), on faisait brèche aux murailles soit à l'aide du bélier, soit avec des mineurs qui attaquaient directement la maçonnerie au pic à roc (fig. 5416). Ces mineurs, abrités par une tortue spéciale (ipuxtipil) yeaGin) (fig. 5417), s'enfonçaient dans l'épaisseur du mur, y creusaient une vaste chambre et en soutenaient le plafond par des étais dont la combustion déterminait la chute d'une partie du rempart. Les béliers étaient faits avec de grosses pièces de bois qu'on armait d'une tête de fer [Âmes]. On assemblait généralement plusieurs poutres de façon à avoir une pièce de 20 à 30 mètres de long et on l'entourait tout entière de très forts câbles enroulés et recouverts de cuirs bruts. Un bélier construit par Hégétor de Byzance 1 avait OPP --211-OPS 56 mètres de long ; l'extrémité la plus mince, formant tête, avait O m. 31 sur 0 m. 63 de section et l'extrémité opposée 0 m. 62 sur 0 m. 29. La tortue qui le protégeait et qui était construite en forme de tour pour contenir les défenseurs, avait une hauteur de 32 mètres et une base carrée de même dimension. Elle pesait 100 tonnes et nécessitait les efforts de cent hommes pour être mise en mouvement, probablement à l'aide de cabestans et de moufles. Ces énormes engins, qu'on appelait vulgairement hélépoles, étaient très souvent munis aux étages inférieurs de ponts volants (aauôéxxt, sambucae), qu'on abattait tout à coup entre la tour et le haut du mur et par lesquels les soldats se précipitaient dans la place forte'. Les Romains, qui comme les Orientaux disposaient d'armées nombreuses, employaient volontiers, pour arriver au sommet des remparts, des chaussées [AGGER], composées de terre consolidée par des charpentes et des clayonnages. César rapporte 2 que l'agger qu'il avait fait construire devantAvaricum avait une hauteurde30 pieds et une largeur de 330. Les soldats composant les colonnes d'assaut s'avançaient vers les brèches en formant avec leurs grands boucliers rectangulaires (scutum) une sorte de tortue (testudo) 3 qui couvrait à la fois leurs têtes et leurs flancs, ainsi qu'on peut le voir représenté dans les bas-reliefs de la colonne Trajane et de la colonne Antonine.(fig. 5418). Les assiégés se garantissaient des projectiles au moyen d'étoffes épaisses qu'ils tendaient au-dessus des créneaux ; ils s'opposaient à l'effet du bélier soit par des sorties, soit en écrasant la tortue au moyen de lourdes pierres taillées en coin, soit en rompant son effort au moyen de pièces de bois ou même de barres de plomb qu'on laissait tomber sur lui et qu'on retirait ensuite au moyen de cordes, soit enfin en le soulevant au moyen d'une sorte de pince qu'on appelait loup [Lupus]. Contre les tours et les terrasses on employait l'incendie et les contremines. En dehors de l'attaque en règle, on employait souvent le blocus (obsidio) contre les places qui étaient. comme Alésia, bien fortifiées, mais mal approvisionnées'. Il consistait essentiellement en l'établissement de camps séparés ou de lignes continues (munitiones, brachial. reliant entre elles des redoutes (castella). Il y avait aussi l'attaque brusquée (oppuynatio repen tina), caractérisée par l'escalade des murs au moyen de divers procédés dont la figure 5419 indique deux variétés, l'une au moyen de filets de cordes munis de crochets qu'on jetait sur les créneaux, l'autre au moyen de chevilles de fer fichées dans les joints du murLes soldats ont traversé le fossé plein d'eau dans une sorte de caisse grossièrement figurée qui avait été amenée à l'abri sous une tortue de terrassier. Enfin il était un autre moyen, qui est de tous les temps et que Philon recommande en ces termes : « Avant tout, essaie de corrompre les généraux ou les autres chefs en leur donnant de l'argent et en leur promettant des récompenses ; car, si tu parviens ainsi à les mettre de ton côté, tu es sûr de la victoire. Il n'y a pas de stratagème qui puisse être comparé à celui-là ; et, quand la ville sera prise, tu t'indemniseras largement de tes dépenses sur les biens des vaincus'. » ALBFBT DE ROCHAS.