Le Dictionnaire des Antiquités Grecques et Romaines de Daremberg et Saglio

Article ORACULUM

ORACULUM (MavTeiov, xp7 arrptov). Au sens propre, le mot oraculum désigne la réponse (ypr,ap.ds) d'un dieu ou d'un héros divinisé, consulté en un endroit déterminé par un mode quelconque de divination 1 ; par extension, et très souvent, soit les interprètes autorisés du dieu, la corporation sacerdotale qui administre son sanctuaire et transmet ses réponses soit le sanctuaire lui-même, le lieu consacré où se font les révélations 3. Dès les plus anciens temps, la divination a été en usage chez les populations helléniques. Les légendes de l'âge héroïque et les poèmes homériques mentionnent une foule de devins, même des familles où le don de prophétie était héréditaire. Mais ces devins ne pratiquaient guère que la divination inductive; quand par hasard ils annonçaient directement l'avenir, c'était dans un accès de clairvoyance ou d'inspiration, ou à la suite de songes. Les oracles proprement dits ne se sont constitués que plus tard, avec la divination intuitive, et probablement sous l'influence des cultes orientaux [DIVINATIO. Le caractère essentiel des oracles, c'est d'être localisés, fixés au sol. La faculté divinatoire n'y est plus le privilège d'un individu ou d'une famille; elle est réservée au dieu lui-même, qui se manifeste plus ou moins directement, mais toujours en un lieu déterminé, adopté une fois pour toutes, et suivant des rites consacrés. C'est là ce qui établit une différence nettement tranchée entre la divination des oracles et celle des devins indépendants. A la rigueur, un oracle peut se passer de tout intermédiaire entre le dieu et le consultant ; il peut n'avoir ni organisation ni prêtre. Cependant, en fait, la plupart des oracles, et tous les oracles importants, sont administrés par un corps sacerdotal ; et, d'ordinaire, ils comportent l'intervention de prophètes ou de devins. Le plus ancien des oracles connus parait être l'oracle de Zeus à Dodone, qui commençait à s'organiser au temps où furent composés les poèmes homériques". On peut attribuer également une haute antiquité aux oracles de Gaea, dans les sanctuaires de Delphes ° et d'Olympie De même, Apollon prophétisa de bonne heure à Delphes', mais directement ; la Pythie n'y apparaît que plus tarde. Les oracles commencèrent à se multiplier et à se constituer définitivement probablement dans le courant du vue siècle avant notre ère. Fort nombreux aux temps de Pindare et d'Hérodote, ils le sont devenus de plus en plus jusqu'à l'époque romaine. La plupart des dieux et beaucoup de héros ont donné des consultations. Mais Apollon a été le dieu prophétique par excellence ; il avait reçu de Zeus la science de toutes choses' , et il en a fait libéralement profiter les hommes. Il est représenté comme dieu prophétique sur une foule de monuments, bas-reliefs, vases peints, fresques, monnaies, cistes, pierres gravées [APOLLO]. Il a révélé l'avenir sur tous les points du monde grec. Son oracle de Delphes, qui a servi de modèle à tant d'autres oracles, et qui a exercé une action si puissante sur le développement de la civilisation hellénique, sur l'organisation politique,religieuse,coloniale,financière,artistique, a été vraiment le berceau de la chresmologie grecque [DIVINATIO]. Nous ne pouvons songer à esquisser ici, même sommairement, l'histoire très complexe des oracles grecs10. Nous laisserons également de côté le détail des méthodes de divination, les Sibylles et les devins [DYVINATIO, 5IBYLLAE]. Nous donnerons seulement une classification des oracles proprement dits, des sanctuaires plus ou moins officiels qui étaient voués à la divination, et qui étaient administrés généralement par des corporations sacerdotales ou des collèges de prêtres et de prophètes. Nous étudierons ensuite l'organisation des oracles, dispositions matérielles, personnel, modes de consultation. Nous terminerons par quelques observations sur la rédaction des réponses, sur les recueils d'oracles, sur les inscriptions et les ex-voto qui se rapportent directement aux révélations divines. systèmes de classification, qui tous présentent des avantages et des inconvénients. Le classement géographique est évidemment le plus simple ; mais il est aussi le plus artificiel ; il mêle des institutions de nature ou d'époques très diverses, et donne une idée assez inexacte de la réalité historique. Le classement par méthodes divinatoires serait le plus rationnel ; mais il est impraticable, puisque nous ignorons les rites de nombreux sanctuaires, et que souvent plusieurs systèmes de divi ORA 215 -ORA. nation ont été employés dans un même temple. Le classement par divinités semble, à première vue, très artificiel; cependant, il se ramène en partie au précédent, puisque tels ou tels rites prédominaient dans les divers sanctuaires d'un même dieu ; et, dans le détail, il peut souvent se concilier avec la classification géographique, Nous adopterons un système mixte. Nous passerons en revue successivement les oracles d'Apollon, classés dans l'ordre géographique : les oracles des autres divinités helléniques, dans l'ordre alphabétique; les oracles des héros ; les oracles des morts ; Ies oracles orientaux hellénisés ; les oracles italiotes 1 Oracles d'Apollon. Phocide : Delphes 2 ; Abae 3. Béotie Akraephia (Apollon Ptoos) 4 ; Eutresis 5 Hysiae ; Tégyre 7 ; Thèbes (Apollon Ismenios) Thèbes (Apollon Spodios) 9. Thessalie : Dernetrias (Apollon Koropaioe( 1Ô. Eubée Orobiae (Apollon Selinuntios)' 1. Argolide: Argos (Apollon Diradiotès) 42; Argos (Apollon Lykios) 13 Cyclades : Délos (Apollon Delios)f4, Thrace: Deraea, près Abdère 15. Lesbos : Antissa (Apollon Myrikaeos)16 ; Methymna (Apollon Napaeos) 17 ; Mitylène (Apollon Maloeis) 18, Asie Mineure : Adrastea, en Troade 19 ; Chalkedon 20 ; Claros, près Colophon (Apollon Klarios) 2i ; Cyanea (Apollon Thyrxeus) 22 ; Gryneion 23 ; llylae ou Hieracome, près Magnésie du Méandre" ; Milet (Apollon Didymaeos; à Didymes) 25 ; Patara, en Lycie 20 ; Seleukia, en Cilicie (Apollon Sarpedonios) 27 Thymbra, en Troade (Apollon Smintheus ou Thymbraeos) 28; Zeleia, en Phrygie 29. Syrie: Daphné, près Antioche 30. Dacie : Oracle d'Apollon Grannus 31, 20 Oracles des autres divinites_helleniques. Aphrodite : Paphos 32. Asklepios : Athènes 33 ; Cos 34 ; Epidaure 36 ; Pergame 36 Trikka37 ; et la plupart des Asklepieia, dont on connaît une centaine [ASKLEPIEION]. Athéna Chalinitis: Corinthe 38 Déméter-Gaea : Patrae, en Achaïe 39. Dionysos : Amphikleia, en Phocide '3; chez les Sacres de Thrace al Gaea :.Egira, en Achaïe 42 ; Delphes 43 ; Olympie Glaukos: Délos Héra Akraea : Corinthe e.6. Héraklès: Boura, en Achaïe 47 ; Gadès, en Bétique Hyettos, en Béotie 49 ; Thespies 50 Hermès : Pharae, en Achaïe °'. Ino-Pasiphaé: Epidauros Limera, en Laconie 52 ; Tha-lamac, en Laconie 33. Nymphes Sphragitides : sur le Cithéron 5'4. Nyx : Mégare ". Pan: Caesarea Paneas, en Syrie 76 ; Lykosoura, en Arcadie 57 ; Trézène" Pluton-Hadès: Acharaca. dans la vallée du Méandre ,Fana, en Macédoine 60 ; Hiérapolis, en Phrygie 61 ; Limon, en Mysie 62. Poseidon Hippios : Onchestos, en Béotie 63 Thémis: Delphes 6''. Zeus: Dodone (Zeus Dodonaeos)6.; Olympie (Zeus Olympios)66 ; Libye (Zeus Ammon) 67 ; Aphytis, en Chalcidique (Zeus Ammon) 6s 3e Oracles des héros. -Alexandre : Parion 68 Amphiaraos : Oropos 'a; Thèbes". Autolykos : Sinope 72. Glykon: Abonotikos, en Paphlagonie 73. Hemithea : Castabos, en Carie 75. Machaon : Adrotta, en Lydie '5. Menestheus : près Gadès, en Bétique 76, Mopsos et Amphilochos : Mallos, en Cilicie :7. Neryllinos : Alexandria Troas 78, Podalirios : Adrotta, en Lydie 73. Protésilas : Eléonte, en Thrace 80. ORA ---216ORA Sarpédon : en Troade'. Tirésias : Orchomène, en Béotie 2. Trophonios : l.ébadée 3. Ulysse : en Étolie, chez les Eurytanes 4. 4° Oracles des morts (NExuoNav'ceia, ,12uxo7cou7cEï01, XxpwvEia, 'Aopvot). Ephyra, en Thesprotie 5. Heraclea, dans le Pont 6. Phigalie, en Arcadie 7. Cap Ténare, en Laconie'. 5° Oracles orientaux plus ou moins hellénisés. Aphrodite Aphakis : Aphaka, en Syrie'. Apis: Memphis10 Apollon égyptien: divers oracles en Égypte ". Apollon syrien: Hiérapolis, en Syrie12. Arès égyptien : divers oracles en Égypte la Artémis égyptienne : divers oracles 14. Athéna égyptienne: divers oracles'''. Besa et Antinoos: Antinoé, en Égypte 16. Caelestis-Ourania: Carthagel7. Héraklès égyptien: divers oracles". laribolos : Palmyre 19, Isis : Philae, en Égypte" ; oracles dans la plupart des temples d'Isis du monde gréco-romain [Isis]. Léto égyptienne : Buto, en Égypte ". Marna : Gaza, en Palestine 22 Mên-Lunus : Carrhae, en Mésopotamie 23 ; Neo-Caesarea, dans le Pont". Sérapis: Ale xandrie";Canope";Memphis"; oracles dans la plupart des sanctuaires gréco-romains de Sérapis 26. Zeus Belos: Apamée, en Syrie 2". Zeus Dolichenos: Douché, en Syrie" Zeus égyptien: divers oracles en Égypte 31 Zeus Helios: Heliopolis, en Syrie 32. Zeus Kasios: près Antioche, en Syrie". Zeus Nikephorios: Nikephorion, sur l'Euphrate". Zeus Panemerios : Stratonicée, en Carie 35. 6° Oracles italiotes. Albunea: Tibur 36 Averne: près Cumes 37. Calchas : au mont Drion, en Apulie". Camenae: près Rome 39. Clitumnus: Mevania46 Esculape: Rome 41. Faunus : Tibur 42. Fortune: Antium" ; Préneste i'". Géryon: Patavium 45. Picus: Tiora Matiene as Podalirios: au mont Drion, en Apulie49. Sibylle: Cumes4". Sorts: Caere"; Faléries 50. Téthys (Y) : en Étrurie 61 . Vaticanus: Rome 52. d'oracles du monde gréco-romain, on ne peut guère affirmer que leur existence. Pour d'autres, dont plusieurs très importants, nous avons des renseignements plus ou moins explicites, qui permettent de reconstituer à peu près l'aménagement d'un temple-oracle, la composition du personnel, les modes de consultation. Dispositions matérielles; aménagement d'un templeoracle. En ce qui concerne les dispositions matérielles, on peut ramener les oracles connus à cinq ou six types. Parfois, la révélation divine a pour instrument une simple fontaine: on y consultait le dieu, soit à l'aide d'un miroir, comme à Patrae53, soit en jetant dans l'eau quelque objet, comme à Epidauros Limera54. Certains oracles, qui comptaient parmi les plus anciens, étaient des gouffres, des crevasses du roc, d'où sortaient des voix prophétiques ou des vapeurs inspiratrices. Tels étaient les gouffres de Gaea à Aegira d'Achaïe ", à Delphes", à Olympie51. Tels encore, les oracles nécromantiques, les Charonia ou Plutonia établis près des soupiraux de l'enfer, au lac Aornos en Thesprotie, au lac Averne près de Misène, à Phigalie, au Ténare, à Héraclée Ailleurs s'ouvraient de véritables grottes, comme celle d'Héraklès à Boura en Achaïe", ou celle des Nymphes Sphragitides sur le Cithéron n. A Claros, le prophète d'Apollon était inspiré par une fontaine sacrée qui coulait dans une caverne". Des grottes à incubation dépendaient du sanctuaire de Dionysos à Amphikleia en Phocide'', et du Plu tonion d'Acharaca dans la vallée du Méandre 62. Celle d'Hiérapolis en Phrygie était remplie d'exhalaisons mortelles, auxquelles les Galles pouvaient seuls résister63. La plus célèbre de ces cavernes était celle de Trophonios, à Lébadée en Béotie. C'était une profonde crevasse ouverte dans le flanc de la montagne, au-dessus du temple et du bois sacré de Trophonios. On y accédait par une plate-forme circulaire, entourée d'un parapet de marbre blanc qui supportait une grille de bronze. Avec une échelle, on descendait dans un étroit caveau, d'où partait une galerie horizontale, qui s'enfonçait très loin dans les profondeurs de la montagne 6'". Dans certains sanctuaires, où l'on pratiquait l'extispicine, les révélations se produisaient en plein air sur 011A 217 OBA un grand autel construit avec la cendre des victimes. Des autels de ce genre existaient dans l'Attis d'Olympie dans le sanctuaire d'Apollon Spodios à Thèbes au Didymeion de Milet et à Pergame '. Mentionnons enfin l'aménagement des oracles-cliniques d'Asklepios, où des portiques étaient spécialement disposés pour l'incubation ]ASIILEPIEION, INCUBATIO]. Des constructions de ce genre ont été découvertes dans les fouilles de 1'Asklepieion d'Athènes ", et à Épidaure, où l'Abaton comprenait deux portiques juxtaposés, l'un à deux étages s. Beaucoup plus compliquée était la disposition des grands templesoracles d'Apollon. A Delphes, la Pythie prophétisait dans une partie réservée et souterraine du sanctuaire, dans l'adyton; là s'ouvrait une profonde crevasse, au-dessus de laquelle était posé le trépied, et où coulaient les eaux de la fontaine Kassotis e. Plutarque men tionne en outre la salle de consultation de l'oracle'. Les fouilles récentes ont permis de constaterl'existence du gouffre ; mais l'intérieur du temple est si mal conservé et si encombré de blocs, que bien des détails restent obscurs. Le Didymeion de Milet n'est encore déblayé qu'en partie; et cependant c'est là qu'on a pu le mieux étudier les dispositions adoptées dans les grands temples-oracles (fig. 5421) 8. Le sanctuaire d'Apollon à Didymes n'avait ni opisthodome ni entrée à l'ouest. Il comprenait trois salles rectangulaires, de dimensions et de niveaux différents. C'était d'abord un grand vestibule, large de 25 mètres, profond de 15 m. 80. On l'appelait le prodomos. Il était divisé en cinq nefs par quatre rangées de trois colonnes, qui faisaient suite aux colonnades du double portique extérieur. Au fond de la nef principale, par un escalier de plusieurs marches, on montait jusqu'à une porte monumentale. Cette porte donnait accès au chresmographion. salle de consultation de l'oracle (14 m. 60 de largeur ; 8 m. 80 de profondeur). A droite et à VII. gauche, des portes latérales ouvraient sur les cages de deux escaliers conduisant à un étage supérieur où étaient probablement le trésor, les archives, la chambre des prytanes. Pendant la consultation de l'oracle, les fidèles se tenaient dans le chresmographion. Par une petite porte, qui faisait face à celle du prodomos, ils pouvaient apercevoir l'adyton, la statue du dieu, et la prophétesse sur son trépied. Le naos (ou cella) était situé à 5 mètres au-dessous du sol du péristyle. On y descendait du chresmographion par un escalier d'une quinzaine de marches, qui dans sa partie centrale était divisé en trente demi-marches. Le naos était une salle rectangulaire, de vastes proportions : 56 mètres de long sur 25 mètres de large. Les murs étaient décorés de pilastres, et bordés d'un dallage. Au fond, sous une édicule, se dressait la statue d'Apollon, oeuvre de Kanakhos. Le reste de la salle était à ciel ouvert. Au centre, le dallage s'interrompait et laissait voir le sol naturel : à cet endroit était l`adyton proprement dit, avec la source inspiratrice, l'omphalos, les lauriers sacrés. C'est là, sur son trépied, que la prophétesse rendait ses oracles, aussitôt recueillis par le prophète en fonctions. II est fort probable que ces dispositions reproduisaient à peu près celles du temple de Delphes. Personnel des oracles. Quelques oracles secondaires, comme plusieurs des fontaines ou des grottes mentionnées plus haut, semblent avoir été accessibles à tout venant et n'avoir pas comporté d'intermédiaire entre les consultants et la divinité. Mais ce sont là des exceptions, qui peut-être même disparaîtraient, si nous étions mieux renseignés. Ce qui est sar, c'est que tous les oracles importants étaient desservis par un personnel assez nombreux de prêtres, de prophètes ou prophétesses et autres fonctionnaires. Malheureusement, pour aucun sanctuaire, nous ne connaissons d'une façon complète la composition de ce personnel. Nous ne pouvons que relever des traits épars. Encore faut-il remarquer qu'on ne saurait toujours distinguer nettement, parmi les fonctionnaires d'un temple, ceux qui étaient attachés spécialement au service de l'oracle. Originairement, laplupart des sanctuaires prophétiques paraissent avoir appartenu à des familles sacerdotales. Des castes de ce genre sont mentionnées en beaucoup d'endroits : à Dodone, les Helles, appelés aussi Selles ou Tomoures ; à Delphes, les Thralcides et les Deukalionides, parmi lesquels on tirait au sort les membres du collège des Saints ("Oatot)10 ; à Didymes, les Branchides et les Evangélides" ; à l'oracle bachique des Satres de Thrace, la caste desBessesl2; au Ploutonion de Hiérapolis, les Galles"; à Paphos, les Kinyrades et les Tamirades" ; dans les oracles d'Asklepios, les Asklépiades [ASRLEPIEION]. Longtemps ces familles avaient dirigé à leur guise leurs sanctuaires respectifs. Peu à peu, elles s'éteignirent ou perdirent la plus grande part de leur autorité; là où elles subsistèrent, elles ne purent guète conserver que des privilèges honorifiques. Partout les cités intervinrent plus ou moins directe 28 ORA -A219 ---ORi tesses inspires. A Olympie, les devins pratiquaient 1'empyromancie et Interprétaient les signes dans la flamme des sacrifices ; on suivait les rites d'Olympie à Thèbes, dans les deux sanctuaires d'Apollon 2. Dans les oracles nécromantiques, on évoquait les morts 3. quelquefois en songe 4. A Epidauros Limera, on jetait des gâteaux dans la fontaine; s'ils enfonçaient, le présage était heureux 6. A Patrae, après avoir invoqué Gaea-Déméter, on posait à plat sur la source un miroir, où le malade apparaissait guéri ou mort G. A Boura, en Achaïe, on pratiquait la cléromancie ; devant la statue d'Héraklès se dressait une table à compartiments ; après une prière, le consultant jetait quatre dés sur la table; un tableau indiquait la signification des coups La divination par les sorts était égalementen honneur dans les oracles italiens d' Antium G, de Caeré 9, de Faléries 70, de Préneste'-'. A Pharae, en Achaïe, les fidèles s'approchaient de la statue d'Hermès, et lui posaient leur question à l'oreille; au sortir du temple, la première parole qu'ils entendaient était la réponse du dieu t2. Dans l'oasis de Zeus Ammon, la statue divine s'expliquait par des signes de tête; mais on connaissait aussi la divination par les arbres et par le vol des oiseaux13. L'une des méthodes les plus répandues était l'incubation ou iyatiglv,,atç [INCEBATIO]. Elle était pratiquée non seulement dans tous les sanctuaires d'Asklepios [Assois PiEIoz ], mais encore dans beaucoup d'oracles proprement dits : notamment dans les sanctuaires d'Ino-Pasiphaé à Thaiamaed'Amphiaraos à Oropos et à Thèbes 16, de Dionysos à Amphikleia ", d'Apollon à Patara u, de Pluton à Acharaca 19, de Mopsos à Malles en Cilicie 20, de Faunus à Tibur2', et dans la plupart des temples de Sérapis ou d'Isis ['sis]. Ordinairement, les fidèles, après diverses cérémonies, étaient mis directement en rapport avec le dieu, qui leur répondait par un songe, ou qui leur apparaissait lui-même (iictpàotea) pour les guérir ou leur indiquer le remède". Mais, dans certains sanctuaires, la consultation se faisait par procuration. A Patara, la prêtresse d'Apollon passait la nuit dans le temple, où elle recevait en songe la visite du dieu; au matin, elle rapportait la réponse aux questions posées20. Au Ploutonion d'Acharaca, les clients logeaient chez les prêtres, qui pratiquaient eux-mêmes l'incubation et ordonnaient le traitement d'après leurs songes ; les fidèles n'étaient conduits dans la grotte que par exception, et, après toutes sortes d'épreuves, on les y laissait sans nourriture, jusqu'à ce qu'ils eussent des hallucinations24. A Lébadée, l'oracle de Trophonios imposait à ses clients une procédure très compliquée et des rites fort étranges. C'était d'abord une longue série de cérémonies préliminaires. On se purifiait dans la chapelle du Bon Génie et de la Bonne Fortune; on faisait des ablutions dans le ruisseau d'Herkyna; on offrait divers sacrifices à Tro 'Amnios et à plusieurs dieux, sous la surveillance d'un devin qui observait les présages. Enfin, l'on immolait un bélier noir sur la fosse d'Agamède. Si tous les présages étaient favorables, le consultant était autorisé à tenter l'aventure. Il était conduit par deux jeunes garçons au ruisseau d'Herkyna, où il était lavé et frotté d'huile. Il buvait l'eau de deux fontaines sacrées, Léthé et Mnémosyne. II se prosternait devant une vieille statue de Trophonios, oeuvre de Dédale. Puis il se dirigeait vers la grotte, vêtu d'une tunique de lin, chaussé de sandales, et ceint de bandelettes. Il descendait par l'échelle, introduisait ses jambes dans.l'ouverture latérale du caveau, et attendait, tenant dans chaque main un gâteau de miel. Soudain, il se sentait attiré dans la galerie souterraine, comme par un tourbillon ; avec une rapidité vertigineuse, il était entraîné dans l'adyton intérieur. Il y recevait la réponse du dieu, qui se manifestait par des visions merveilleuses ou des paroles surnaturelles. Parfois, il recevait de grands coups sur la tête, et restait longtemps évanoui. Il était ramené en arrière par la même méthode qu'à l'arrivée. et rejeté brusquement hors du souterrain, Ies pieds en avant. Retiré de l'antre, il demeurait hébété pendant des heures, et mélancolique à jamais. Les prêtres le plaçaient sur le siège dit de iInenlosyne, en le questionnant sur ce qu'il avait vu ou entendu. Puis on le transportait dans la chapelle du Bon Génie, où il se remettait peu à peu. Pendant ce temps, un prophète interprétait les récits du patient et rédigeait l'oracle en vers 2'. Les choses se passaient plus simplement dans le sanctuaire de Delphes, que l'on peut prendre comme type des oracles d'Apollon. Primitivement, le dieu de Delphes ne donnait audience qu'une fois l'an, le septième jour du mois Bysios ou Pythios, anniversaire de la naissance d'Apollon et de la fondation de ,l'oracle 26. Plus tard, on accorda les consultations en tout temps, sauf les jours néfastes (x7cofpôsç27 ; au début du ne siècle de notre ère, elles avaient lieu une fois par mois28. Avant l'audience, la Pythie se purifiait avec l'eau de la fontaine Kastalie, buvait de l'eau de la fontaine Kassotis, faisait des fumigations de laurier et de farine d'orge, revêtait un costume somptueux, mâchait une feuille de laurier, prenait à la main une branche dix même arbre ; enfin, elle montait sur son trépied, au-dessus du gouffre, dans l'adyton 26. Avant d'être admis à consulter l'oracle, les fidèles avaient subi une épreuve, pour savoir si le dieu agréait leur demande 30. Cette épreuve comportait surtout le sacrifice d'un animal, chèvre, brebis, sanglier ou taureau, et l'observation des signes pendant cette cérémonie 3t. Les clients agréés pouvaient être admis dans la salle de consultation, pièce voisine de l'adyton a2. Le sort fixait l'ordre des consultations", sauf pour les privilégiés qui avaient obtenu par un décret spécial la 7tpoµxvxE(a 34. Introduits à tour de rôle, les clients posaient ORÀ 218 ORA ment dans l'administration des oracles, qu'elles firent surveiller par leurs magistrats et dont elles confièrent la direction à des prêtres élus ou tirés au sort. A Dodone, le chef du corps sacerdotal portait le titre de naiarque (vx(xFxoç) 1. A Delphes, l'oracle fut administré par les prêtres d'Apollon; au H° siècle avant notre ère, ils étaient au nombre de deux, et nommés à vie A Didymes, les Branchides avaient été expulsés au temps des guerres médiques ; dans le nouveau Didymeion, qui s'éleva après Alexandre, les prêtres furent élus ou tirés au sort annuellement Les chefs de ces collèges sacerdotaux étaient d'ailleurs assistés de divers magistrats ou fonctionnaires religieux. A Dodone, à côté du naïarque, nous trouvons un « prostate de Zeus Naios et de Diona » 4. Dans le sanctuaire thessalien d'Apollon Koropaios, à côté du prêtre et du prophète, figure un « secrétaire du dieu » (ypafuaTEï,ç Toll Oeoé), qui était chargé entre autres d'inscrire les consultants et de leur remettre ensuite une copie de la réponse Les interprètes du dieu étaient les prophètes (ripo?;yTOç) ou prophétesses (7tpo'FiiTtç). Nous constatons leur présence dans beaucoup de sanctuaires : à Delphes 6 ; au Ptoon d'Akraephia 7 ; à Demetrias 3 ; à Cyzique 9 ; à Methymna 10 ; à Claros" ; à Didymes 12 ; à Aphrodisias 13 ; à Rhodes ; à Marseille f6; dans l'oasis de Zeus Ammon 16 ; à Philae ". On distingue, d'après leurs fonctions, deux catégories de prophètes. Les uns étaient les interprètes directs de la divinité, dont ils recevaient l'inspiration, et dont ils étaient l'instrument passif. C'étaient quelquefois des hommes : par exemple, au Ptoon d'Akraephia'3, et à Claros 19; le plus souvent, c'était une femme. La plus célèbre de ces prophétesses est la Pythie de Delphes. Elle était choisie par les prêtres entre toutes les filles du pays 20; à la suite d'un enlèvement qui fit scandale, on décida qu'on la désignerait désormais parmi les femmes de plus de cinquante ans21. Aux époques oit l'oracle fut le plus prospère, on vit simultanément en fonctions jusqu'à deux ou trois Pythies 22. Afin de ne pas compromettre leur autorité, les prêtres avaient soin d'élire des femmes très ignorantes23. En dehors de Delphes, nous connaissons divers sanctuaires où des prophétesses jouaient un rôle analogue : c'était le cas dans l'oracle des Besses en ThraceL4, et au Didymeion, du moins sous l'Empire romain 26. Les prophétesses de Dodone portaient le nom de Peleiades; du temps d'Hérodote, elles étaient au nombre de trois 26. D'autres Péleiades étaient probablement attachées au sanctuaire de Zeus Ammon, en Libye 2i. A côté de ces prophétesses ou de ces prophètes inspirés, existaient généralement d'autres prophètes (7rpopiT7 ç), gens avisés et de sang-froid, véritables fonctionnaires, qui dirigeaient la consultation, assistaient la prophétesse en délire, notaient ses paroles incohérentes, et rédigeaient la réponse du dieu. A cette classe appartiennent la plupart des prophètes mentionnés dans nos inscriptions. C'étaient de grands personnages, les vrais directeurs de l'oracle. Ils étaient éponymes au Ptoon d'Akraephia26, et au Didymeion, où l'on dressait des listes de prophètes29. A Delphes, c'étaient peut-être les prêtres d'Apollon qui remplissaient ces fonctions. Les auteurs parlent tantôt d'un seul prophète delphique30, tantôt de plusieurs•" ; la contradiction disparaît, si l'on admet que ces témoignages visent tantôt le prophète en fonctions, tantôt le collège des prophètes. A Didymes, on ne mentionne qu'un seul fonctionnaire de ce nom; il était nommé pour un an, généralement par le sort, sur une liste dressée d'avance, mais pouvait être réélu ; comme les autres magistrats, il témoignait sa reconnaissance à ses concitoyens par les libéralités d'usage 32. Dans l'oasis de Zeus Ammon et dans le temple d'Isis à Philae, le collège des prophètes avait pour chef un archiprophete 32 Dans quelques sanctuaires, où l'on pratiquait l'extispicine, les prophètes étaient remplacés par des devins (p.â.vTtç). C'était le cas à Olympie, où l'oracle avait pour interprètes des devins, qui appartenaient aux trois célèbres familles des !amides 34, des Klytiades 35, et des Telliades36. Des inscriptions trouvées à Paphos, dans le sanctuaire d'Aphrodite, mentionnent un mantiarque (p.avT(x.p/oç, p.ccrTtsp iç), qui était. probablement le chef des devins préposés aux consultations 7. Enfin, autour de nombreux oracles, on rencontrait des exégètes, officiels ou libres, qui avaient pour profession d'expliquer les réponses du dieu ; c'était sans doute l'occupation des Modes de consultation. Les modes de consultation variaient beaucoup d'un oracle à l'autre ; suivant les pays ou les temps, ont prévalu tels ou tels genres de divination, et, par suite, telle ou telle procédure. Des méthodes très différentes ont été en usage, successivement ou simultanément, dans un même sanctuaire, Par exemple, à Dodone, on a pratiqué tour à tour, et peut-être en même temps, la divination par les bruissements du chêne, par le vol des colombes, par la source, par l'incubation, par les sorts, par le bassin de bronze qu'on frappait avec un fouet à chaînettes de métal, et dont on interprétait les sons [DIVINATIO, JUPITER]. Même à Delphes, on avait connu primitivement des procédés analogues, voix de Zeus, murmures des sources, révélations des songes, vol des oiseaux, empyromancie; ces diverses méthodes ne furent éliminées que peu à peu, au profit de la divination intuitive, et peut-être ne disparurent jamais complètement n. Dans les oracles d'Apollon prédominait la révélation directe, par ,la voix de prophètes ou de prophé ORA --220 ORA leur question de vive voix ou par écrit, sur des tablettes encadrées de laurier '. La Pythie entrait en extase; un prophète recueillait ses paroles, les interprétait, et rédigeait la réponse en vers 2. Le consultant emportait son oracle : sur une tablette scellée, s'il n'était qu'un intermédiaire 3. S'il voulait être sûr de comprendre, il soumettait la réponse du dieu à un exégète de profession t. Partout les rites étaient fixés minutieusement, soit par la tradition, soit par des lois ou des décrets. C'est ce que montre bien un curieux document, qui a été trouvé à Demetrias en fhessalie, et qui se rapporte au sanctuaire d'Apollon Koropaios. Le décret date du ne siècle avant notre ère; il précise les règles pour la consultation de l'oracle local. Il détermine le rôle du prêtre d'Apollon, des divers magistrats, du prophète et de ses subordonnés. Le secrétaire du dieu » recevra les demandes des fidèles, et inscrira leurs noms sur un tableau. Les clients consulteront l'oracle dans l'ordre d'inscription, sauf pour ceux qui ont obtenu la n.pop.avraix. Fonctionnaires et consultants devront avoir des vêtements propres et une tenue convenable ; ils devront être couronnés de laurier. Les consultations auront lieu la nuit. La réponse sera inscrite sur un rrts .xtov, qui recevra les sceaux des magistrats et du prêtre. Le lendemain matin, le secrétaire du dieu remettra à chacun la tablette où sera écrit l'oracle qui le concerne s. On voit qu'à Demetrias les choses se passaient à peu près comme à Delphes. D'après toutes ces indications, on peut reconstituer les traits essentiels d'une consultation dans un grand oracle à révélation directe. 1° La consultation était précédée de diverses cérémonies, purifications, sacrifices, observation des présages. Ces cérémonies préliminaires avaient un double objet : constater si la demande était agréée par le dieu ; préparer les fidèles en les purifiant [LUSTRATIO]. A Oropos, on s'abstenait de vin pendant trois jours, puis l'on jeûnait complètement pendant un jour; enfin, l'on immolait un béliers. De son côté, le prophète ou la prophétesse se purifiait pour se rendre digne de recevoir l'esprit divin. A Aegira, la prêtresse de Gaea buvait du sang de taureau '. Dans le sanctuaire argien d'Apollon Diradiote, la prêtresse sacrifiait de nuit un agneau et goûtait le sang de l'animal pour se procurer l'extase 3. Dans une grotte de Dionysos en Thrace, les prêtres buvaient beaucoup de vin avant de rendre leurs oracles 9. 3° Les fidèles restaient généralement en dehors de l'adyton, dans une salle spécialement affectée aux consultations. Tel était le chresmographion de Didymes", qui rappelle l'Œkos de Delphes". A Claros, les clients se tenaient devant l'entrée de la grotte sacrée; le prêtre demandait simplement leurs noms, descendait dans la grotte, buvait de l'eau de la fontaine, et répondait en vers aux questions que chacun lui avait posées mentalement 12. 4° Les consultations avaient lieu dans l'ordre fixé par le sort, excepté pour les privilégiés qui avaient reçu par 5° Ordinairement, les questions étaient posées par écrit, sur des tablettes. Beaucoup de ces tablettes en plomb ont été trouvées à Dodone13; d'autres sont mentionnées par Lucien "t. On pouvait, àla rigueur, consulter un oracle en gardant l'anonyme, même sans formuler nettement sa demande, en laissant au dieu le soin de la deviner75. A Mallos, en Cilicie, on pouvait dormir dans le temple en portant sur soi un billet cacheté où était la question". 6° Le prophète ou la prophétesse en extase étaient assistés de fonctionnaires, appelés aussi prophètes, qui recueillaient les paroles et rédigeaient la réponse. 7° Cette réponse était remise au consultant par écrit, sur une tablette, qui était souvent scellée, comme à Delphes et à Demetrias. 8° Outre les frais des sacrifices ou purifications préliminaires, le consultant devait payer un droit de consultation ; taxe d'ailleurs très modique en certains sanctuaires : à Malles de Cilicie, elle n'était que de deux oboles". Une redevance du même genre, et sans doute plus considérable, devait être exigée à Delphes, où tant de décrets confèrent l'TE),sa aux bienfaiteurs du temple ". A Epidaure, Asklepios veillait lui-même à ce qu'on lui payât ses honoraires, et ne manquait pas de punir les clients de mauvaise foi 19. A Oropos, après avoir consulté l'oracle, on devait jeter dans la source une monnaie d'or ou d'argent 20 Nous avons cru inutile d'entrer dans le détail des questions posées aux dieux. En réalité, on les consultait sur toutes choses, depuis les pluspuériles jusqu'aux plus graves : c'est ce que montrent notamment les consultations de Dodone et d'Epidaure 2f. CRIPTIONS ET EX-VOTO. Des réponses d'oracles, plus ou moins authentiques, nous sont parvenues en assez grand nombre22. Beaucoup sont citées et reproduites par des auteurs anciens. C'est ainsi que bien des oracles de Delphes nous ont été conservés par Hérodote" ; des oracles de Delphes ou de Dodone, ou d'autres sanctuaires, par les orateurs attiques ou par Pausanias 24, par les compilateurs du temps de l'Empire ou par l'Anthologie grecque25. D'autres, comme nous le verrons, sont connus par des inscriptions 26. D'après ces documents, on peut se faire quelque idée de la rédaction des oracles. Nous prendrons naturellement pour type les réponses de Delphes, qui ont servi presque partout de modèles. Rédaction des oracles. Le dieu de Delphes, ou son prophète, répondait généralement en hexamètres épiques, et en dialecte ionien, Hérodote cite un oracle en trimètres ïambiques, qui datait du vie siècle avant notre ère 27. Nous possédons aussi des réponses en distiques élégiaques ou autres mètres ; mais la plupart sont apocryphes, ou, tout au moins, très suspectes. D'ailleurs, Apollon ORA 221 ORA parlait aussi en prose, et cela, dit-on, dès les plus anciens temps : témoin l'oracle célèbre qui avait consacré la constitution de Lycurgue et qui était conservé dans les archives de Sparte I. Cependant, les réponses en prose paraissent avoir été assez rares jusqu'à la fin du ve siècle ; elles étaient devenues d'un usage courant au temps de Plutarque 2. Ajoutons que certains oracles nous sont parvenus sous une forme assez altérée ; beaucoup, qui étaient primitivement en vers, ont été résumés en prose par les historiens ou les compilateurs. Apollon parlait toujours en son nom, à la première personne. Il aimait à dérouter un peu ses clients, à cacher sa pensée sous les métaphores, les énigmes, les mots à double entente. Il aimait aussi à moraliser, et certaines de ses réponses sont empreintes de la plus haute philosophie. On lui reprochait, il est vrai, d'être trop politique, d'avoir des trésors d'indulgence pour les puissants du jour. En cela, comme en toute chose, la plupart des oracles grecs ont imité leur grand confrère de Delphes. Plusieurs d'entre eux avaient cependant des traditions et des formules indépendantes. Par exemple, les réponses du Zeus de Dodone, rédigées aussi en hexamètres, débutaient généralement par la formule : « L'esprit de Zeus indique... `0 TOV ~tbc arµa:vEt... n, et se terminait par cette recommandation : Sacrifier à Achéloos »). Recueils d'oracles. Les corporations sacerdotales qui administraient les sanctuaires prophétiques conservaient avec soin, dans leurs archives, une copie des questions adressées à leur dieu, et une copie des réponses D'autres exemplaires étaient gardés par les individus ou les Mats qui avaient consulté l'oracle. Quand une cité voulait interroger un dieu. elle se faisait représenter par des théores ou ambassadeurs sacrés, qui prenaient ordinairement le nom de théopropes (BEOap6not) 2. Même pour correspondre avec l'oracle de Didymes, qui lui appartenait, Milet nommait des députés : nous possédons un décret des Milésiens relatif à une commission de théopropes qui avait été chargée de demander l'avis d'Apollon Didymaeos sur les modifications à apporter au cérémonial des fêtes d'Artémis 8. Athènes et Sparte avaient des magistrats particuliers dont le rôle consistait non seulement à aller interroger l'oracle de Delphes et sans doute les autres oracles, mais encore à interpréter les réponses. A Sparte, ces théopropes-exégètes étaient nommés par les rois, au nombre de quatre ; ils s'appelaient les Pythiens (Ilétwt) A Athènes, des fonétions analogues étaient remplies par les IIuOdZpv1arul ou IluOaf xi ". Les oracles rapportés et interprétés par ces ambassadeurs étaient déposés dans les archives officielles. A Athènes, on les conservait sur l'Acropole 9. A Sparte, on les confiait à la garde des Pythiens et des rois 10. Outre ces exégètes officiels, qui étaient de vrais magistrats, il y avait dans les pays grecs beaucoup d'exégètes libres, collecteurs et commentateurs d'oracles ; on les appelait les chresmologues (yplauo),dyot)". Parmi ces chresmologues, dont le métier parait avoir été assez lucratif, on cite Amphilytos d'Acarnanie ", Anticharès d'Eléon 13, Diopeithès1' lophon de GnosseLamponit, Lysistratos d'Athènes 17, Stilbidès 19, enfin le célèbre Onomacrite, éditeur des Oracles de Musée comme des poèmes homériques 19. Par l'industrie des chrestologues il se créa toute une littérature d'oracles, plus ou moins apocryphe, qui semble avoir été très populaire dès la fin du ve siècle avant notre ère. Mnaséas de Patrae avait cornposé un Recueil d'oracles delphiques (àe),citxïly yp-rlaµwv cuvaywyiij) 20; longtemps après, Plutarque écrivit plusieurs ouvrages sur les réponses de la Pythie (IIEpi Tai, pfwv, etc.). En mème temps circulaient des recueils d'oracles attribués à de vieux poètes ou à des devins légendaires : Oracles (Xo-r;aµoi) d'llésiode 23, d'Orphée 22, de Musée 23, d'Epiménide2'", de Lykos 211. On estimait plus encore les Oracles de Bacis28. Pour renouveler le genre, on fit appel à l'exotisme, à la nécromancie, même au charlatanisme : d'où les Oracles scythiques (Xpriayr( ExuOtxoi) d'Abaris27, les Oracles d'Hécate28. les Oracles d'Apollonios de Tyane29. Des esprits graves prenaient au sérieux cette littérature, et Porphyre prétendait en tirer une philosophie religieuse 30. Un de ces recueils eut une fortune singulière, et grossit de siècle en siècle jusqu'à la tin de l'empire romain ; ce sont les fameux Oracles sibyllins [sIBYLLAE(. Les plus anciens dataient au moins du ve siècle avant notre ère, puisque Aristophane et Platon y font allusion U1. On sait le succès qu'eurent à Rome les Livres sibyllins [LIBRI[. D'autres collections se formèrent et se développèrent sans cesse dans le monde grec; elles servirent les rancunes des Juifs contre Rome, puis s'ouvrirent aux prophéties menaçantes des chrétiens 32. Outre les Livres sibyllins, Rome eut aussi ses recueils d'oracles : par exemple, les Carmina Marciana, que l'on attribuait à un légendaire prophète de Mars, et que le Sénat fit placer dans les archives de l'État à côté des Sibyllins 33 ; les Oracles de Carmenta 3", et de Sérapis 33a A. certains moments, ce genre de littérature prit un tel développement, que le gouvernement s'en inquiéta. En 213 av. J.-C., le Sénat fit saisir par le préteur Atilius de nombreux recueils d'oracles et de recettes magiques 36 L'empereur Auguste retira, dit-on, de la circulation et fit brûler plus de deux mille livres de prophéties grecques ou latines 37. Tibère, en l'an 19, ordonna d'expurger tous les ouvrages qui contenaient des prédic EvrPo8A 1A E?oYTAI KAEo Y TAITONAIA KAI`rA\ 0R A •222 ORA lions'. Mais nous ne savons rien de précis sur ces oracles qui pullulaient dans le monde romain, inscriptions relatives aux oracles. Les documents épigraphiques qui se rapportent aux oracles sont aujourd'hui assez nombreux. Nous nous contenterons d'indiquer ici les principales séries : l° Questions posées aux dieux. Une riche série de ces documents a été découverte à Dodone : une centaine de lames de plomb, où sont inscrites des demandes adressées à l'oracle par les fidèles (fig.. 5422). Ces inscrip ions datent des époques les plus diverses; la plus ancienne est du Vie siècle avant notre ère. Sur deux plaques figure aussi la réponse 2. D'autres questions, posées à l'Apollon de Delphes ou à l'Apollon de Didymes, sont reproduites dans un décret athénien de l'année 352 av. J,-C.3 et dans un décret de Milet'. La réponse de l'oracle est gravée à la suite de la demande dans des inscriptions d'Anaphé et d'Halicarnasse ". fiéponses du dieu. Aux réponses mentionnées ci-dessus, ajoutons des fragments d'oracles trouvés à Delphes 7 ; des oracles d'Apollon Pythien découverts à Délos 3, à Magnésie du Méandre fl, à Tralles 'O; des oracles d'Asklepios à Trézène'', de Trophonios au Ptoon d'Akraephia t2. Dans le temple de Zeus Ammon en Libye, on voyait des autels votifs où on lisait des questions posées au dieu par les Eléens, les réponses du dieu, et les noms des théorest". 3° Listes de prophètes., Des catalogues de ce genre ont été récemment découverts au Didynteion". On peut joindre à cette série les documents (lu Ptoon où figurent des prophètes éponymes i5. 44° Lois ou décrets fixant les rites de la consultation. -A cette catégorie de documents appartient la curieuse inscription de Démétrios, qui a été analysée plus haut: règlement relatif à l'oracle local d'Apollon Koropaios, au lie siècle avant notre ère '°. 50° Documents cléromantiques. Par exemple, la table cléromantique (Tpa7CE~04étxVTEtov) d'Attalia en Pamphylie'7, le fragment trouvé à Colosses '8, et les dix-sept sorts en bronze, découverts près de Padoue, qui proviennent peut-être de l'oracle de Géryon 19. 6° Listes de guérisons miraculeuses. -Des listes de ce genre existaient dans beaucoup de temples-oracles à incubation, notamment dans les Asklepieia, à Epidaure, à Cos, à Trikka, au Sérapeum de Canobos20. On a retrouvé deux des grandes stèles d'Épidaure, où est consigné le récit de nombreux miracles21, D'autres procèsverbaux de guérisons proviennent de l'Asklepieion de Rome, situé dans file du Tibre°°. On petit rattacher à cette série d'autres documents analogues, comme l'inscription d'Épidaure où Julius Apellas raconte en détail le long traitement qu'il a suivi sur les indications répétées du dieu23, ou les hymnes de reconnaissance gravés sur des stèles à l'Asklepieion d'Athènes 2', ou une ordonnance médicale de l'Asklepieion romain 23 7° Documents relatifs ù des innovations ou des réformes religieuses faites en vertu d'oracles. Par exemple, une inscription de Délos reproduit un oracle d'Apollon Pythien qui ordonnait aux habitants de Cyzique d'offrir des sacrifices à Kora; suit un décretdes Déliens accordant une place aux Cyzicéniens pour y déposer une copie de l'oracle26. Un décret des Milésiens décide que l'on consultera Apollon de Didymes sur une modification à apporter au culte d'Artemis 21. A Chies, la famille sacerdotale des Klytides fait régler par un oracle le détail du culte de son Zeus Patroos 28 A Magnésie du Méandre, à la suite d'un prodige, on consulte Apollon de Delphes, qui ordonne d'élever un temple à Dionysos, et d'aller chercher à Thèbes trois Ménades pour fonder autant de thiases29. Un oracle de Trophonios, trouvé au Ptoon, recommande de consacrer la ville de Léhadée à Zeus Basileus et à Trophonios, la ville d'Akraephia à Apollon Ptoos30. Le peuple athénien consulte Apollon pour savoir s'il faut modifier la parure d'une divinité 71, En 352, il demande l'avis du même dieu sur une question plus grave, à propos de terrains qui étaient consacrés aux grandes déesses d'Éleusis ; il envoie à Delphes une ambassade chargée de poser les deux questions suivantes, gravées d'avance sur deux tablettes d'étain: Vaut-il mieux louer les terres pour en employer le produit à la construction d'un portique à Éleusis? Vaut-il mieux les laisser en friche en l'honneur des déesses32 '? 8° Doc nnrnts relatifs à des donations ou de des fondations, fi-n vertu d'oracles. Un oracle ordonne de consacrer à Asklepios la maison et le jardin d'un certain Démon, en nommant ce Démon prêtre d'Asklepios ; suit une dédicace de Démon, constatant qu'il a agi « conformément à l'oracle »33. A Anaphé, d'après une prescription analogue, un temple est construit à Aphrodite, par un certain Timotheos, sur un emplacement accordé par le peuple'. A Halicarnasse, pour obéir à un oracle, un citoyen du nom de Poseidonios cède des immeubles à Oi3A --223 OfiA des sanctuaires, et fonde des sacrifices périodiques ', 9° Dédicaces et proscynémes. -Les documents de cette classe sont innombrables, et se rencontrent jusqu'a Philae, au temple-oracle d'Isis Mais ils ressemblent à ceux qu'on rencontre dans les temples ordinaires, et, le plus souvent, on ne peut reconnaître ceux qui se rapportent spécialement à l'oracle. Ex-voto. Les offrandes affluaient naturellement dans les grands sanctuaires prophétiques et dans les oracles médicaux, surtout à Delphes, à Didymes, dans les Asklepieia, dans les temples de Sérapis et d'Isis. L'énu. mération en serait interminable et inutile : nous pouvons rarement distinguer, entre tant d'offrandes, celles qui ont été consacrées à cause d'un oracle ; et l'on offrait dans les temples-oracles, comme ailleurs, des objets (le tout genre (DOLVARIIIM] Nous citerons donc seulement quelques ex-voto dont la dédicace contient la mention expresse d'un oracle. Les mentions de ce genre ne sont pas rares dans les auteurs: rappelons seulement les offrandes de Crésus à Delphes et ailleurs 3, la riche parure que les Athéniens envoyèrent à Dioné, la. déesse de Dodone, sur la demande de deus Dodonéen', et le trépied d'argent, avec une très vaniteuse dédicace en vers, qui fut offert à Asklepios par le rhéteur Aristide, le plus convaincu des malades imaginaires 3. Un certain nombre d'inscriptions attestent également que des ex-voto étaient parfois consacrés en vertu d'un oracle : xazz lxavcs:xt 6 ; « secundum interpretationem oraculi n ' ; « seeunduen interpretationein Apollinis Clarii r 3 .Nous connaissons notamment une série d'offrandes réclamées et obtenues par Zeus DoliehenOS, xec'r x=).euaty, Oll « ex »ISSU », On u jUSSo » On « ex praecepto, ex visa, ex , onitu » e. En 222 de notre ère, dans le sanctuaire souterrain de Caesarea Paneas (Syrie), un certain Agrippa offrit une statue d'Écho, à la suite d'un oracle reçu en songe". Les ex-voto des temples-oracles d'Asklepios, en raison de leur caractère spécitique, présentent un ut1ret particulier. C'était l'usage de faire au dieu nnc offrande, après une guérison miraculeuse [xksci LA ai u, ASi,LFPiEio N, DoNARILMj. Sur les stèles d'l pidaure, il est question de tableaux votifs et de coupes". Asklepios, mécontent d'une de ses clientes, une Athénienne, lui ordonne de lui envoyer un porc en argent, comme monument de sa sottisei2. On consacrait d'ailleurs, dans les Asldepieïa, des objets de toute sorte : stèles, bas-reliefs votifs, tableaux, hymnes, surtout des images de membres guéris, des yeux, des oreilles, des seins, des bras, des mains, des pieds. des jambes, etc. Tout cela était minutieusement catalogué dans les inventaires L3. P. Mosorncx.