Le Dictionnaire des Antiquités Grecques et Romaines de Daremberg et Saglio

Article ORIGO

ORIGO. En droit public romain, le mot origo dési ORI 237 ORI gne la cité où l'on est né'. On emploie dans le même sens le mot domus, lorsqu'on veut spécifier le nom d'une personne : après le cognomen, la cité d'origine est indiquée à l'ablatif et précédée du mot domo 2. La cité d'origine peut être distincte de celle qu'on habite et où l'on a son domicile [nomIClLIUM] ; on est, dans ce cas, bourgeois d'une cité, insola d'une autre [INCOLA]. Aux premiers siècles de la République un citoyen romain n'appartenait à une cité locale que dans des cas exceptionnels : tels étaient les citoyens d'Ostie '. Avec l'extension du territoire, c'est l'inverse qui eut lieu : la plupart des citoyens romains appartiennent à une cité locale déterminée a ; ils sont à la fois citoyens de l'État romain et membres d'une cité particulières. Ils ont deux patries : la patrie commune, Rome', et une patrie spéciale, la cité où ils sont nés. Cette dernière est leur origo ou domus. Il en était ainsi au temps de Cicéron. Il y a cependant des citoyens romains qui n'ont pas de patrie spéciale : tels sont les descendants des vieilles familles originaires de Rome, ou les pérégrins gratifiés de la cité romaine, mais qui n'appartiennent à aucune cité de l'Empire. On a fini par étendre la notion de l'origo à Rome même 8, mais elle n'avait guère ici d'intérêt pra tique par suite du défaut d'organisation municipale de cette ville°. La détermination de la cité d'origine était très importante, soit pour les citoyens romains qui n'étaient pas nés à Rome, soit pour les non-citoyens. Ces personnes jouissaient de certains droits; elles étaient soumises à certaines charges. L'ensemble de ces droits et de ces charges, variables suivant les cités, forme le jus originis10. 1. Acquisition du « jus originis ». Le jus originis s'acquiert de quatre manières" : 1° Par la naissance. L'enfant, né en légitime mariage, prend l'origo de son père'. Peu importe que sa mère appartienne à une autre cité, ou qu'il soit né dans la cité maternelle13. L'enfant né hors mariage'", de même que l'enfant issu d'un mariage non conforme au droit civil13 suitl'originede sa mère. Par un privilège spécial, quelques cités ont obtenu que les enfants légitimes appartiennent à la cité d'origine de leur mère : tel est le cas d'Ilion et de Delphes. La même faveur a été accordée par Pompée aux cités du Pont '6. Le jus originis s'applique dans les provinces aussi bien qu'en Italie : un rescrit de Gordien en signale une application pour la province d'Aquitaine ". En présence de ce texte on ne saurait s'arrêter au doute soulevé par un fragment d'Ulpien, d'après lequel, pour déterminer quels sont les provinciaux, on doit s'attacher au domicile et non à la naissance". Ce fragment relatif à la formule de l'action en restitution de la dot n'a pu avoir, dans la pensée d'Ulpien, une portée générale". Les enfants nés dans un bourg (vïcus), sont réputés originaires de la cité dont ce bourg dépend 20. 2° Par l'affranchissement.L'affranchi prend l'origo de son patron 21, même si le patron est une femme 22, il transmet cette origo à ses enfants et à ses propres affranchis 23. Lorsque le patron est bourgeois de deux cités, comme il arrive dans quelques cas exceptionnels, l'affranchi appartient également aux deux cités 2"; de même si, avant son affranchissement, il était la propriété indivise de deux maîtres originaires de cités différentes 2i. En cas d'affranchissement par fidéicommis, l'affranchi prend l'origo du fidéicommissaire, et non celle dn testateur 2a. 3° Par l'adoption. L'adopté garde l'origo qu'il tient de sa naissance, mais il en acquiert une autre, celle de l'adoptant, lorsqu'elle est différente de la sienne". On ne veut pas que l'adoption soit un moyen d'échapper aux charges de la cité d'origine de l'adopté. Cette double origo se transmet aux enfants de l'adopté, même à ceux qui ont été conçus depuis l'adoption, bien qu'on ne puisse ici redouter aucune fraude 2a. 4° Par l'« adlectio». Ce mode d'acquisition du jus originis a dû être assez rare en pratique. Il consiste dans la concession du droit de cité locale par la cité elle-même. 11 est mentionné dans un édit d'Hadrien 29 ; on en connaît un curieux exemple relatif à un citoyen romain (domo Roula) qui obtint six droits de cité locaux". C'est une exception : l'adlectio devait être restreinte aux individus qui ne faisaient partie d'aucune cité locale et probablement à ceux qui étaient déjà soumis à l'Empire. La loi Pompeia permit aux villes de la Bithynie de donner à leur gré le droit de cité, pourvu que ce soit à des citoyens, non d'une ville étrangère, mais de quelque autre ville de la province 3f. Dion Cassius dit que certaines villes de la Grèce vendaient leur droit de cité72. II. Perte du « jus originis» . Il est de principe qu'on ne peut renoncer à son origo, ni directement, ni indirectement en se faisant naturaliser dans une autre cité romaine. Mais on peut se faire naturaliser dans une cité qui n'est pas romaine 3:, et dans ce cas l'origo est perdue en même temps que la nationalité. C'est pour cela que le citoyen romain, qui se fait inscrire dans une colonie latine, perd sa qualité de citoyen romain 3F. Plus tard, on admit qu'on pouvait être à la fois bourgeois d'une cité et citoyen romain. L'origo fondée sur la naissance ne peut être perdue par la volonté de l'intéressé 3s. Elle ne peut pas l'être non plus par une déclaration erronée ou mensongère 3s. Constantin punit celui qui, par une fausse déclaration, cherche à se soustraire aux charges de sa cité d'origine : il l'oblige à supporter les charges du décurionat dans cette cité et dans celle où il est domicilié". L'origo est perdue avec la cité romaine en cas deinaxisna ORI 238 ORN ou de media capitis deminutio. Les condamnés à la peine de l'interdiction de l'eau et du feu, de la déportation, des travaux publics à perpétuité deviennent pérégrins apolides Il en est de même, suivant certains jurisconsultes, du citoyen qui a été régulièrement livré à un peuple ennemi, lorsque celui-ci refuse de le recevoir ; selon d'autres, le citoyen deditus restait en ce cas citoyen romain 2. L'origo acquise par l'affranchissement est inamissible, comme celle qui est acquise par la naissance. Au contraire, celle qui est acquise par l'adoption peut être effacée par une émancipation subséquente 3. L'origo se perd en vertu d'une décision impériale autorisant un changement de cité. On en trouve deux applications : 1° lors de la création d'une cité nouvelle ou de l'agrandissement d'une cité, les citoyens désignés pour en faire partie perdent leur droit de cité originaire et acquièrent un droit de cité nouveau : c'est ce qui a lieu par exemple en cas de déduction de vétérans; 2° à titre de privilège individuel III. Effets du « jus originis » . L'origo conférait, dans le principe, des droits de grande valeur, tels que le droit de participer à l'administration de la cité par l'entrée au sénat municipal, le jus honorum. Plus tard, ces droits devinrent l'occasion de charges très lourdes. Sous l'Empire, la détermination de l'origo est importante 1° quant à la lex originis ; 2° quant aux munera. Divers textes signalent un autre intérêt, quant au tribunal compétent pour connaître des contestations survenues entre deux citoyens ; mais on a établi précédemment que le forum originis est moins important, au point de vue pratique, que le forum domicilii [JURISDICTIO, p. 731]. 1° Lex originis. La lex originis est prise en considération dans un certain nombre de cas : a) en matière de mariage : un sénatusconsulte du temps d'Hadrien distingue le mariage civil du mariage secundum leges moresque peregrinorum 6; b) en matière de cautionnement : l'obligation du fade promissor, intransmissible d'après le droit romain ', était transmissible d'après le droit de certaines cités 8 [INTERCESSIO, p. 552] ; c) en matière de testament : le pérégrin teste suivant le droit de sa cité'. La coutume locale, de même que la lex originis, est prise en considération : a) pour l'interprétation des contrats 10; b) pour la garantie contre l'éviction 11 ; c) en matière d'intérêts moratoires 12 [MORA, p. 2000] ; d) pour le taux des intérêts dus par un gérant d'affaires" [USURAE]. 2° Munera. C'est à ce point de vue surtout que le jus originis présente un grand intérêt pratique. On doit supporter les charges personnelles et les charges mixtes dans la cité à laquelle on appartiens par son origine [Muxos, p. 2038]. Des mesures rigoureuses sont prises pour qu'on ne puisse se soustraire à cette obligation". On a fini par l'étendre au domicile, de sorte que le citoyen, originaire d'une cité, domicilié dans une autre, supporte les munera dans les deux cités 16. Par exception, la femme mariée avec un citoyen d'une autre cité, est dispensée des munera dans sa cité d'origine". Cette exception ne s'applique pas si le mariage n'est pas légitime ". Une autre exception est admise en faveur des sénateurs : le membre d'une cité locale, appelé au Sénat de Rome, est exempt des mune'ra dans sa cité d'origine 1S. Au Bas-Empire, la notion de l'origo a été appliquée au colonat. L'origo désigne le domaine où est né un colon adscripticius 19. Constantin interdit à ce colon de quitter le domaine où il est né. L'enfant dont les père et mère sont colons est colon originalis. L'enfant d'un ingénu et d'une colona est attribué au domaine auquel sa mère est attachée [COLuNus, p. 1323]. ÉDOUARD CUQ.