Le Dictionnaire des Antiquités Grecques et Romaines de Daremberg et Saglio

Article ORPHEUS

ORPHEUS ('O; per ç, dorien "Opp-iç'). Héros, devin, musicien et,poète légendaire de Thrace. I. LÉGENDE D'ORPHÉE. La légende d'Orphée n'appartient pas, semble-t-il, au cycle primitif des traditions héroïques. Son nom n'apparaît ni dans les poèmes homériques ni chez Hésiode; et ce n'est probablement pas l'effet d'un hasard. Cependant, Orphée était déjà célèbre au vie siècle, comme Argonaute et comme poète, même comme devin et comme fondateur des vieux cultes. Il est cité par Ibycos 2, et par Pindare 3 ; dès ce temps-là, commençaient à circuler sous son nom divers poèmes, oeuvres d'Onomacrite ou d'autres ¢. Un peu plus tard, Orphée est mentionné par Eschyle par Phérécyde 6, par Hellanicos 7 ; Hérodote connaitlesniystères orphiques 8. La légende est assez complète dès la fin du ve siècle. Euripide montre Orphée charmant les puissances infernales célébrant les orgies bachiques entraînant par ses chants les pierres, les arbres et les bêtes ". L'auteur du Rhésos le met en rapport avec les Muses, et lui attribue l'institution des mystères f2. Aristophane le considère comme un des plus anciens poètes et comme l'inventeur des initiations religieuses 13. Enfin, Platon parle souvent du rôle d'Orphée comme musicien et poète, comme fondateur de cultes et apôtre de la civilisation''' ; il raconte son expédition aux enfers15. Désormais, la légende est fixée dans ses traits essentiels ; elle sera seulement complétée sur quelques points, surtout par des détails romanesques. Pour les poètes comme pour la foule, même pour la plupart des philosophes et des historiens, Orphée était un personnage réel, antérieur à la guerre de Troie, un des héros de l'expédition des Argonautes, auteur de la Théogonie et des autres ouvrages dits orphiques. Les gens bien informés prétendaient même distinguer deux Orphéesf6, ou quatre, jusqu'à six ou sept 17. Cependant, Hérodote déclarait" qu'à son avis aucun poète n'était antérieur à Homère et à Hésiode. Plus tard, on attribuait à Onornacrite, à Cercops ou à d'autres, la plupart des livres orphiques19. Il semble même qu'Aristote ait contesté l'existence d'Orphée20. Pas plus que les anciens, la critique moderne n'a pu déterminer avec précision si la légende cache un fond de réalité historique 2' D après la tradition ta plus répandue, Orphée était originaire de Thrace et descendait d'Apollon ; il était fils d'Oeagros, roi de Thrace, et de la muse Calliope 22. On le considérait généralement comme un roi des Cicones 23. D'autres prétendaient qu'il était né à Pieria, près de l'Olympe 24. On le mettait en relations avec quelques-uns VII. des vieux aèdes de la Thrace. Il était le frère de Linos26. On faisait de Musée soit son maître 26, soit son disciple, ou son fils, ou son petit-fils27. Musée est mentionné assez fréquemment dans les ouvrages orphiques ; il figure dans les Argonautiques28 ; c'est à lui qu'est adressé le soi-disant Testament d'Orphée 29, et qu'est dédiée la collection-des Hymnes 30 On attribuait à Orphée de nombreux voyages. On le conduisait jusqu'en Égypte'', d'où il aurait rapporté l'institution des mystères et la doctrine de l'autre vie 32. Les chrétiens prétendirent même qu'il avait connu en Égypte les livres de Moïse, et qu'il leur avait emprunté le meilleur de son enseignement ". Mais un seul des voyages d'Orphée devint populaire : son expédition en Colchide avec les Argonautes. Jason, sur le conseil de Chiron, avait emmené le musicien thrace pour désarmer les Sirènes, apaiser les querelles, et donner la mesure aux rameurs 3''. D'après Phérécyde, il est vrai, ce n'était pas Orphée, mais Philammon, qui avait joué ce rôle sur le navire Argo 35. Cette protestation n'eut pas d'écho. Orphée resta l'un des héros des Argonautiques; sur ce point, les poètes étaient d'accord avec la tradition des Orphiques, comme le prouvent les Argonautica écrites au Ive siècle de notre ère et mises sous le nom du fondateur mythique de la doctrine36. On attribuait même à Orphée une prétendue dédicace du navire Argo, composée, disait-on, après le retour des Argonautes, quand Jason consacra son vaisseau à Poseidon37. Une autre légende, immortalisée par Virgile, menait Orphée jusqu'aux enfers. Le héros s'était épris de la nymphe Eurydice. Il la séduisit par les sons de sa cithare, et il l'épousa. Un jour, poursuivie par le berger Aristée, Eurydice fuyait à travers les prairies, quand elle fut piquée par un serpent. Elle mourut de sa blessure. Orphée en fut inconsolable. Il descendit aux enfers pour y réclamer sa femme et réussit à gagner par ses chants Pluton et Perséphone. Il obtint qu'on lui rendrait Eurydice ; mais les dieux infernaux y mirent pour condition qu'il marcherait devant elle et ne se retournerait pas avant d'arriver sur la terre. Orphée manqua à sa promesse, et, de nouveau, perdit Eurydice 38, Cette légende n'apparaît tout à fait complète qu'au temps de Virgile. Cependant Euripide savait déjà qu'Orphée avait charmé les puissances infernales 39. Platon avait raconté son voyage aux enfers, mais selon lui les dieux ne lui avaient laissé voir qu'un fantôme d'Eurydice 40. Sur la mort d'Orphée, les traditions variaientbeaucoup. D'après la légende la plus populaire, le héros était devenu misogyne après la perte d'Eurydice. II repoussa l'amour des femmes de Thrace, détourna du mariage les autres hommes, et refusa de chanter dans les fêtes. Il fut 31 ORP -2!42 ORP mis en pièces par les Ménades, au bord de l'Hèbre. Ses membres épars furent réunis et enterrés par les Muses. Sa tête et sa lyre, jetées dans le fleuve, furent entraînées par les flots sur la côte de Lesbos. Là, sa tète fut ensevelie par les habitants ; sa lyre, emportée au ciel par les Muses, y devint une constellation Suivant une autre tradition, Orphée fut déchiré par les Ménades, parce qu'il avait abandonné le culte de Dionysos pour le culte d'Apollon 2 ; et l'on comparait sa mort à celle de Dionysos Zagreus, déchiré par les Titans On racontait encore qu'Orphée s'était tué lui-même après sa malheureuse expédition aux enfers 4, ou qu'il avait été foudroyé par Zeus pour avoir révélé aux hommes les mystères'. L'exégèse moderne a cherché de différentes façons à expliquer les causes et les diverses péripéties de ce drame e. Mêmes divergences sur le lieu de la sépulture. On admettait généralement que la tête avait été ensevelie sur la côte de Lesbos, près d'Antissa; mais on ne s'entendait point sur le lieu où reposaient les débris du corps. On racontait qu'ils avaient été transportés par les Muses à Leihethra, au pied de l'Olympe, où les rossignols chantaient sur le tombeau ; on visitait une autre sépulture d'Orphée à Dion, près de Pydna, et nous possédons le texte de l'épitaphe qu'on y lisait'. Un oracle de Dionysos avertit les habitants de Leibethra que leur ville serait détruite le jour où l'on aurait découvert les ossements d'Orphée 9. On ne saurait guère concilier ces traditions contradictoires. A en croire Cicéron, Orphée n'aurait jamais été l'objet d'un culte L0. Cependant, le héros avait un sanctuaire à Pieria". Il avait rendu des oracles dans l'île de Lesbos, à l'endroit où avait été ensevelie sa tête. Ces oracles avaient même eu tant de succès, qu'Apollon s'inquiéta de la concurrence et réduisit Orphée au silence en prophétisant à sa place 17. Plus tard, Alexandre Sévère plaça dans son lararium une image d'Orphée, à laquelle il rendait un culte 13, Enfin, saint Augustin nous dit qu'Orphée, sans être considéré comme un véritable dieu, était cependant préposé aux mystères infernaux34 Ce témoignage d'Augustin correspond sans doute à la réalité des faits. Orphée a pu recevoir en divers endroits les honneurs divins; mais il est resté un héros, même pour les Orphiques, qui vénéraient en lui, non un dieu, mais le révélateur de la vraie religion. L'orphisme tendait d'instinct au monothéisme; c'est probablement pour cette raison que le culte de son fondateur mythique s'est si peu développé. En revanche, la légende dOrphée s'est répandue d'assez bonne heure, du vse au Ive siècle, dans toutes les parties du monde grec. On la retrouve, sous diverses formes, en Macédoine et en Thrace, sur les côtes d'Asie Mineure, dans les îles de la mer Égée, à Delphes, en Béotie, à Eleusis et à Athènes, à Egine, à Sicyone, en Laconie, en Epire, à Cyrène et en Lgypte, en Italie et en Sicile 13. Il est probable que cette extension géographique de la légende correspond à celle de l'orphisme. et ce réseau de traditions locales au réseau des confréries orphiques. En tout cas, l'on vénérait partout la mémoire d'Orphée ; on voyait en lui, non seulement l'un des plus anciens aèdes, mais encore un grand inventeur, le fondateur des mystères et de nombreux cultes ; on lui attribuait l'un des premiers rôles dans l'histoire de la civilisation. Depuis le vie siècle, Orphée fut considéré comme l'un des principaux musiciens et poètes des temps primitifs. On le mettait à côté d'Homère, d'Hésiode, de Musée, de Linos; on faisait même de lui un ancêtre d'Hésiode et d'Homère 16. Inspiré par Apollon ou par les Muses, il avait créé le mètre héroïque 17; il avait inventé ou perfectionné la lyre ou la cithare, ou encore il l'avait reçue d'Apollon ou d'Hermèsi". On lui donnait pour fils Rythmonios, personnification du rythme 19. Par ses chants et par les accords de sa lyre, il avait exercé un pouvoir miraculeux sur les hommes, même sur la nature : il avait su charmer les arbres, attirer les pierres, arrêter le cours des fleuves, adoucir les bêtes sauvages 20. On honorait aussi dans Orphée l'un des pionniers de la civilisation 21, Il avait interdit le meurtre et appris aux hommes à préparer leur nourriture 22, Il leur avait enseigné l'agriculture 23, les vertus des plantes et l'art de la médecine 21, l'écriture 25, la philosophie 26. On le considérait parfois comme l'initiateur de l'amour grec 27. C'est surtout dans les légendes relatives aux religions grecques, qu'Orphée occupait une place prépondérante. Diverses traditions le mettaient en rapports directs avec bien des divinités, avec Apollon, Hélios et les Muses, avec Dionysos et les. Satyres, avec Artémis, Hécate, Hadès et Perséphone2". Orphée avait été un très habile devin, un maître en extispicine 29; il avait inventé l'ooscopie ou divination parles oeufs [DIVINATIO], dontil avait donné les règles dans un poème intitulé Ootloytiea on Ooscopica".11 passait même pour avoir créé ou perfectionné la magie [MAG1A1 n. Il avait fondé ou popularisé plusieurs cultes importants, le culte d'Apollon 32, surtout le culte mystique de Dionysos 33. II avait institué les orgies bachiques", les cérémonies orphiques [olPHICI], les Ëleusinies, même tous les mystères 35. H avait fixé le rituel des initiations et des purifications 36 [LUSTBATIO]. Il avait exercé autant d'influence sur la ORP --243 -ORP religion que sur la poésie et la musique '. Le vieil aède, le compagnon des Argonautes, était devenu peu à peu une sorte de prophète, d'une intelligence et d'une puissance surhumaines, instrument et révélateur de la divinité, à la fois prêtre et magicien, poète et théologien, philosophe et devin, apôtre de la civilisation et bienfaiteur de l'humanité. Ainsi s'explique la séduction mystérieuse qu'exerçait sur les Grecs le nom d'Orphée, symbole de progrès matériel et moral. Les origines de la légende devaient être fort anciennes, puisque dès le vie siècle, les premiers Orphiques connus plaçaient leurs spéculations et leurs rituels sous le patronage et le nom respecté du héros thrace. si chère aux poètes, a été aussi l'une des plus familières à l'art grec, surtoutà l'art industriel. Les auteurs anciens mentionnent des peintures et des groupes de sculpture où figurait le héros. Parmi les peintures , deux sont célèbres : la fresque de Polygnote dans la Lesché de Delphes 2, et le tableau décrit par Philostrate , où l'on voyait Orphée sur le navire Argo, apaisant la mer par ses chants . Parmi les statues, nous rappelle rons d'abord celles dont parle Pausanias : sur l'Hélicon, un Orphée assisté de Telétê, déesse des mystères, et entouré d'animaux t ; à Therae, en Laconie, dans le temple de Demeter, un xoanon d'Orphée 5 ; à Olympie, un groupe d'Orphée, de Zeus et de Dionysos D'autres monuments sont connus par divers témoignages. En Béotie, dans un bois des Muses voisin de l'Olmeios, on apercevait Orphée et les Muses, entourés d'animaux', Des groupes analogues se voyaient dans la région de l'Haemos et à Pieria, au pied de l'Olympe A Rome, au Lacus Orphei, se dressait un groupe d'Orphée charmant les animaux10. Toutes ces oeuvres sont perdues. Nous ne connaissons même aucune statue antique qui représente sûrement Orphée ". En revanche, nous possédons beaucoup d'autres monuments où figure certainement le héros : quelques fresques 12 plusieurs bas-reliefs f 3, des plaques ou des ustensiles de bronze 14, de nombreux vases peints 1', des lampes, des pierres gravées, des monnaies90, et un grand nombre de mosaïques, trouvées dans toutes les régions de l'Occident'". Nous n'essaierons point de passer en revue tous ces monuments '8. Nous nous contenterons de caractériser brièvement le type figuré du héros, et d'indiquer les principales scènes où il joue un rôle. Orphée parait avoir été inconnu de l'art archaïque; les plus anciens vases où il se montre datent de la première moitié du v° siècle". Primitivement, l'on prêtait au héros le type et le costume grecs ; c'est encore ainsi que Polygnote l'avait représenté dans la Lesché de Delphes 20. Vers la fin du v°siècle, on commença à lui donner le costume thrace" : le bonnet pointu en peau de renard [ALOPEICIS] d'où sortait une longue chevelure; les grandes bottes thraces en peau de faon (rii'4iaa voêpinv) ; le long chiton brodé, et le manteau thrace (o px). Sur les beaux bas-reliefs qui représentent Orphée avec Eurydice et Hermès, et dont l'originaI remonte à la seconde moitié du ve siècle, le héros porte un costume mixte : coiffure et bottines thraces, chiton et manteau grecs 22. Sur les vases peints d'Italie qui reproduisent des scènes infernales, les artistes ont attribué à Orphée une physionomie orientale : bonnet phrygien, manteau très léger flottant sur les épaules et fixé devant par une agrafe, chiton brodé très long, à manches, tombant jusqu'aux pieds, une véritable robe, comme en portaient les prètres u. C'est avec une robe de ce genre que Virgile se représentait Orphée 24 Cependant, l'art alexandrin et gréco-romain s'est montré, sur ce point, très éclectique : Orphée y figure ordinairement avec le costume thrace 20, souvent avec le costume grec ou un costume mixte, parfois même, entièrement nu 26. Voici les principales scènes où parait le héros : le Orphée chez les Thraces. Tel est peut-être le sujet représenté sur une fresque de Chiusi ; cependant, l'identification reste incertaine 2'. En tout cas, la scène se reconnaît sur plusieurs vases peints. Le plus beau est une amphore attique, trouvée à Grêla : on y voit (fig. 5430) Orphée jouant de la lyre, assis sur un rocher, regardant le ciel, et entouré de quatre guerriers thraces, en costume national, qui l'écoutent avec surprise 26. 2° Orphée et les Muses. C'est le sujet d'une fresque de Pompéi, qui décorait le fond d'un péristyle. Orphée jouant de la cithare, et Héraklès Musagète, s'y mêlent au 01W 244 ORP choeur des Muses. Les noms des personnages sont inscrits près de chacun d'eux; parmi les Muses figurent Euterpe, Thalie, Melpomène, Terpsichore'. 3° Orphe', avec des Satyres ou des Nymphes. Un bas-relief montre Orphée entouré de Satyres'-. Une hydrie attique, découverte à Nola, représente Orphée citharède assis sur un rocher; devant lui, un guerrier thrace et une femme ; derrière, un Satyre, et une autre femme qui s'approche'. Sur d'autres vases, Orphée chante au milieu des N 'mphes'`. 4' Orphée charmant les animaux. C'est de beaucoup la plus populaire de toutes les scènes où figure le héros. Elle est reproduite par des centaines de monuments, qui datent presque tous de l'époque hellénistique ou gréco-romaine' : des fresques a, des bas-reliefs et des sarcophages des patères à libation 3, des miroirs 9, des plaques de bronze, des lampes, des pierres gravées, des monnaies de Thrace ou d'Alexandrie1t, surtout des mosaïques ". La scène présente toujours les mêmes traits essentiels au milieu ou à la partie supérieure du tableau, Orphée assis sur un rocher et jouant de la lyre ; autour de lui, ies bêtes. Les artistes se sont souvent ingéniés à varier les poses des auditeurs, et à introduire au milieu d'eux des animaux exotiques. Parmi les monuments les plus caractéristiques,nous citerons une fresque de Pompéi (fig. 5430) une fresque de la Villa d'Hadrien 13, la mosaïque de Blanzy ", la mosaïque trouvée à Uthina dans les Thermes des Laberii", enfin la curieuse caricature d'Hadrumète, où l'on voit Orphée, sous la figure d'un singe, charmant les animaux aux sons de sa lyre 16 5° Orphée Argonaute. Un tableau, que décrit Philostrate, représentait Orphée sur le navire Aryo, calmant la mer par ses chants 17. La même scène, simplifiée naturellement, est reproduite sur une métope du vie siècle qu'on a récemment découverte à Delphes, et qui provient d'un des trésors ; le héros y est appelé "Opus 13. 6° Orphée dans le monde infernal. Polygnote, dans la célèbre fresque qu'il exécuta pour la Lesché de Delphes et où il peignit la Nekyia homérique, avait montré Orphée dans le bois de Perséphone, sur un tertre, vêtu d'un costume grec et jouant de la cithare f9. A l'imitation de Polygnote, bien des artistes anciens ont conduit Orphée dans le monde infernal. Sur plusieurs bas-reliefs funéraires, on voit Orphée dans l'Hadès 20. Une série de vases, découverts dans l'Italie méridionale, représentent le héros dans le palais de Pluton, jouant de la cithare, ou se tenant recueilli près du trône de Perséphone. Ces vases ont donné lieu à bien des discussions. Divers savants ont proposé des interprétations mystiques ; ils ont vu dans ces peintures le souvenir de scènes orphiques, et ont prétendu qu'Orphée y jouait le rôle de mystagogue, d'intercesseur en faveur des initiés [FNF,EBI, p. 509j. On admet généralement aujourd'hui que les scènes figurées sur les vases italiotes sont purement décoratives et relèvent simplement des traditions mythologiques 2f 7° Orphée et Eurydice. -Les scènes de ce groupe ont un rapport étroit avec les précédentes ; elles en diffèrent surtout par la présence d'Eurydice. Elles ont également un caractère in fernal ou funéraire. Sur quelques-uns des vases italiotes dont nous venons de parler, Eurydice est auprès d'Orphée 22. Sur une fresque ,trouvée dans un tombeau d'Ostie, Orphée se dirige vers la porte de l'Enfer, que gardent Cerbère et le Janitor Orci ; il tourne la tête vers Eurydice; à l'arrière plan , vers la droite, on aperçoit Hadès sur son trône 23. La composition est plus simple et plus harmonieuse dans le beau bas-relief attique qui représente les adieux d'Orphée et d'Eurydice, et dont il existe trois répliques, au Musée de Naples, à la Villa Albani, au Louvre (fig. 5432) : Orphée se retourne tristement vers Eurydice, qui pose la main sur son épaule; à gauche, Hermès tient le poignet d'Eurydice, qu'il s'apprête à ramener aux Enfers 24. Des scènes analogues se retrouvent sur un vase de bronze et sur des monnaies" S° Mort d'Orphée. La mort d'Orphée n'est guère représentée que sur des vases peints. Les artistes paraissent avoir tous adopté la tradition la plus répandue, suivant laquelle le héros fut tué par les Ménades. Mais ils se sont attachés à varier les détails de la scène. Sur une coupe à fond blanc du ve siècle Orphée renversé élève sa lyre d'une main pour parer le coup que va lui porter une Ménade armée d'une hache; sur une amphore de Vulci de composition analogue, le héros est assailli par plusieurs femmes ~6. Sur un vase de Nola (fig. 5433), ORP ORP 2Ï5 le héros renversé lève aussi sa lyre en l'air; une Ménade le transperce de son thyrse; deux autres se préparent à le lapider '. Un vase de Chiusi montre la même scène, avec quelques modifications : Orphée est de même renversé à demi; à gauche, deux femmes lan cent sur lui de grosses pierres ; à droite, une Amazone le menace de sa lance 2. 90 Orphée rendant des oracles . Cette scène n'a été signalée jusqu'ici que sur un vase attique de la fin du ve siècle (fig. 5434). L'artiste s'est inspiré des traditions suivant lesquelles la tête d'Orphée avait été ensevelie sur la côte de Lesbos et y prophétisait. Au milieu, surgit du sol la tête du héros ; un jeune homme assis note sur un diptyque l'oracle rendu; à droite, Apollon étend un bras protecteur au-dessus de la tète inspirée 3. dire quelques mots des monuments chrétiens où figure Orphée, monuments moins nombreux qu'on ne l'a dit, mais qui n'en présentent pas moins un grand intérêt 4. On peut s'étonner d'abord que le héros Thrace, l'aède des Argonautes, l'initiateur des mystères, le révélateur de l'orphisme, ait trouvé place aux Catacombes. On a imaginé là-dessus bien des hypothèses, dont plusieurs aventureuses Le plus simple est d'interroger les intéressés, c'est-à-dire les chrétiens des premiers siècles. Les fidèles croyaient qu'Orphée avait connu en Égypte les livres de Moïse, et que dès lors il avait professé le monothéisme On allait plus loin; on admettait que, comme les Sibylles, il avait entrevu et prêché la doctrine du Verbe ''. Enfin, on le considérait comme une sorte de précurseur du Christ : Orphée charmant les animaux était l'image du Christ attirant les âmes Les livres orphiques étaient familiers à Clément d'Alexandrie et à plusieurs autres apologistes. Le recueil des Orphica contient même bien des interpo lutions chrétiennes. Les fidèles y retrouvaient avec plaisir plusieurs de leurs doctrines favorites: l'unité divine, le péché originel, la nécessité d'une purification, les joies du Paradis réservées aux élus. Puisque Orphée avait sur tant de points pensé comme eux et qu'il s'était d'ailleurs inspiré de Moïse, ils n'avaient pas de scrupule à le considérer comme un des leurs, tout au moins comme un précurseur. Ils acceptèrent donc la légende si populaire de l'Orphée charmeur, et peu à peu le tournèrent en symbole. C'est ce que montre bien l'étude des monuments conservés. Les scènes figurées, qui presque toutes représentent Orphée charmant les animaux, se répartissent entre deux classes, où l'on suit l'évolution du type. A l'origine, les artistes se contentent de copier l'art païen; plus tard, ils interprètent et idéalisent la physionomie d'Orphée. A la première catégorie appartiennent deux peintures du cimetière de Domitilla. C'est d'abord un plafond : au milieu d'un cadre octogonal, qu'entourent huit compartiments à scènes bibliques, Orphée, vêtu d'une tunique flottante et coiffé d'un bonnet phrygien, est assis sur un rocher et joue de la cithare; à droite et à gauche, un arbre où perchent un paon et d'autres oiseaux ; aux pieds du chanteur, divers animaux, dont un lion, un cheval, une tortue, un serpent 9. Une autre fresque, au fond d'un arcosolium, montre Orphée dans la même attitude et le même costume, entre deux arbres et des oiseaux ; à droite, deux lions ; à gauche, un boeuf et deux chameaux 90. Ces deux fresques sont étroitement apparentées à l'art païen. Tout autres sont les peintures de la seconde catégorie. La figure du héros, moins personnelle et moins vivante, y devient un symbole. Dans un arcosolium du cimetière de Priscilla, Orphée n'a plus autour de lui que les animaux symboliques, familiers à l'art chrétien : le bélier, la brebis, le chien, la colombe (fig. 5435) ". La scène est encore plus simple et plus abstraite sur un plafond du cimetière de Calliste : Orphée, transformé en « Bon Pasteur », n'a plus pour auditeurs que deux brebis 1 C'est ce dernier type qu'adoptèrent les sculpteurs chrétiens. Sur un sarcophage d'OsLie (fig. 11436), Orphée, en costume romain du temps, n'est plus caractérisé que par le bonnet phrygien, équivalent conven tionnel du bonnet thrace; il ne joue que pour une colombe et un bélier, d'ailleurs très attentifs; la scène laisse une impression toute mystique 2. Mêmes caractères sur des sarcophages de Porto Torres et de Cacarens sur une pyxis de Brioude s, sur un sceau de Spalato 5. On a récemment découvert à Jérusalem, près de la porte de Damas, une mosaïque où est représentée une scène analogue. Cette mosaïque se trouvait dans un cimetière chrétien, et parait elle-même chrétienne. Orphée s'y montre avec sa physionomie symbolique, comme dans les fresques les plus récentes des Catacombes ; près de lui sont deux femmes, Theodosia et Georgia, en qui l'on a voulu reconnaître des saintes '. Si l'interprétation est justifiée, cette mosaïque de Jérusalem, qui date probablement du Ive ou du ve siècle, marquerait la dernière étape dans l'évolution du type. Orphée ne serait plus seulement un symbole de christianisme; associé à des saints, il serait devenu luimême une sorte de saint. Mais il convient d'attendre de nouvelles découvertes, avant d'admettre cette conclusion. En Occident, aucun des monuments chrétiens où figure Orphée ne paraît postérieur au Ive siècle. Et l'on s'explique aisément pourquoi. A force de simplifier et d'idéaliser la scène, on en avait supprimé tous les traits caractéristiques : Orphée disparut sans doute de l'art chrétien, parce qu'il s'était identifié avec le Bon Pasteur. P. MONCEAUX. Orphici). Membres des confréries dites orphiques, soi-disant disciples d'Orphée, adeptes des doctrines qu'on lui attribuait, initiés à ses mystères. 1. ORIGINES DE L'ORPHISME. -Les origines de l'Orphisme sont confuses, et semblent très complexes. Orphée n'apparaît dans la littérature qu'avec Ibycos et Pindare ' ; les premiers ouvrages orphi ques, à notre connaissance, ont été recueillis ou composés dans la seconde moitié du vie siècle, au temps de Pisistrate 2. Sur la période antérieure, on ne sait rien de certain ; la question des origines relève donc de la légende ou de l'hypothèse. Ce n'est pas à dire qu'on ne doive tenir aucun compte des traditions. La popularité d'Orphée et le succès de l'Orphisme, dès la fin du vie siècle, font supposer que les origines de la doctrine étaient déjà lointaines. Les traditions peuvent contenir un fond de vérité; le difficile est de le dégager. Les récits, les explications ou les suppositions des anciens, sont contradictoires, et les modernes n'ont pas mieux réussi à se mettre d'accord. Il est fort possible que l'Orphisme soit une combinaison d'éléments très divers. Suivant la tradition la plus répandue, Orphée avait emprunté à l'Égypte tout l'essentiel de sa doctrine, les règlements de ses mystères, les prescriptions de son rituel funéraire'. C'est encore l'opinion qui prévaut chez les savants modernes ; et l'on ne peut nier qu'elle soit fondée en grande partie. On constate de singulières coïncidences entre la cosmogonie des Orphiques et celle des Égyptiens, entre le mythe de Dionysos Zagreus et le mythe d'Osiris, entre les prescriptions ou les rites de l'Orphisme et ceux des cultes égyptiens. La théorie de la migration des âmes, qui tenait tant de place dans les enseignements des Orphiques, était, suivant Hérodote, originaire de la vallée du Nil' ; et le rituel funéraire des confréries orphiques, tel que nous le connaissons par les auteurs ou les inscriptions, présente beaucoup d'analogies avec le Livre des morts'. I1 paraît donc incontestable que l'Égypte, directement ou indirectement, a fourni bien des éléments à la doctrine des Orphiques. Cependant, l'on a le droit de juger trop ORP --247 ORP simpliste ce système commode, qui par l'influence égyptienne prétend expliquer tout l'Orphisme, comme d'ailleurs le Pythagorisme, les mystères d'Éleusis, tous les mystères. Pour s'en tenir à cette conclusion sommaire, on est obligé de négliger d'autres témoignages, et même des faits certains. D'après les Orphiques, dont l'opinion a bien ici quelque importance, leur doctrine et leur culte étaient d'origine thrace : c'est en Thrace qu'avait vécu Orphée, et c'est là qu'il avait institué ses mystères'. Cette tradition s'accorde pleinement avec celle qui faisait venir de Thrace les mystères bachiques, que l'on identifiait souvent avec les mystères orphiques, et dont la fondation ou la transformation étaient attribuées également à 0rphée2. Une autre légende rattachait l'Orphisme au culte des Cabires. Orphée lui-même avait été initié aux mystères de Samothrace. Au milieu d'une tempête, les Argonautes, sur le conseil de l'aède, firent voeu de relitcher dans cette île et de s'y faire initier. Aussitôt s'apaisa l'orage. Jason et ses compagnons tinrent leur promesse. Ils abordèrent à Samothrace ; conduits par Orphée, qui avait précédemment reçu l'initiation, ils se rendirent au sanctuaire des Cabires, et furent initiés à leur tour3, D'après cet ensemble de faits et de légendes, on ne peut douter que la Thrace ait joué, comme l'Égypte, un rôle important dans la genèse de l'Orphisme. D'autres traditions mettaient Orphée en rapports avec la Phrygie, notamment avec le roi Midas; bien des gens pensaient que le culte de Zagreus était venu de Phrygie, et le grand dieu des Orphiques a été souvent confondu avec le Sabazios des Phrygiens 4. On cherchait aussi en Crète l'origine de l'omophagie et du mythe de Zagreus, que l'on identifiait avec le Zeus de l'Ida [OMOPRAGIA Ajoutons que l'Orphisme s'est développé en partie sous l'influence de Pythagore et de son école, puisque bien des ouvrages orphiques étaient l'oeuvre de Pythagoriciens Enfin, s'il fallait en croire les chrétiens des premiers siècles, Orphée lui-même aurait fait beaucoup d'emprunts aux livres de Moïse' [ORPREOS]. Mettons à part les livres de Moïse, que les chrétiens ont fait intervenir ici, comme ailleurs, par habitude d'esprit, en vertu de cette idée fixe que toute vérité venait nécessairement de la Bible. Mais toutes les autres traditions ont trouvé de sérieux défenseurs ; toutes se peuvent justifier par des textes et de bonnes raisons. Qu'est-ce à dire, sinon que les origines de l'Orphisme sont multiples? Elles sont à la fois en Égypte, en Thrace, en Phrygie, en Crète, dans les loges pythagoriciennes. Ou plutôt, elles sont surtout en Grèce, dans cette Grèce du vie siècle où fermentaient les esprits et les âmes, où s'éveillaient de nouvelles curiosités et des besoins nouveaux. La mythologie homérique et les vieilles religions nationales avaient pu suffire à des peuples jeunes, à ces tribus naïves de laboureurs et de soldats, de commerçants et de marins, qui façonnaient les dieux à leur image, et qui aimaient trop la bataille ou le gain pour s'inquiéter beaucoup des mystères de l'au-delà. Au vie siècle, l'esprit grec s'ouvre à la philosophie, à la science, à la vie morale ; et, pour l'élite, c'en est fait de la belle sérénite d'autrefois, toute d'ignorance et d'insouciance, Désormais, à quiconque réfléchissait ou s'inquiétait, les religions officielles parurent bien sèches. On n'y trouvait aucune réponse aux deux questions qui de tout temps ont tourmenté la pensée consciente d'elle-même : explication du monde, destinée humaine. Et de nouvelles religions naquirent, des religions savantes, secrètes et libres, qui prétendaient apporter la solution, mais en la réservant à leurs adeptes. Les mystères sont nés, avant tout. du développement naturel des conceptions helléniques; mais ils ont beaucoup emprunté à l'Orient, parce que, du côté de l'Orient, les Grecs étaient partout en contact avec des peuples de civilisation plus ancienne, qui s'étaient déjà posé les mêmes questions. L'Orphisme n'est que la plus savante, la plus philosophique, et, en principe, la plus pure de ces religions libres. Il est né du culte mystique de Dionysos, qui apparaissait alors dans la Grèce proprement dite et y avait l'attrait de la nouveauté. Parmi les adorateurs du dieu, il a recruté une élite. Dans sa doctrine et dans son rituel, il s'est développé suivant la loi de toutes les religions, empruntant aux traditions helléniques, aux mystères orientaux, aux cultes exotiques, aux philosophies, tout ce qui répondait à son idéal, théories, croyances, rêveries et pratiques. Ainsi posé, le problème des origines de l'Orphisme prend un aspect nouveau. Quels sont au juste les emprunts au Pythagorisme, à la Crète, à la Phrygie, à la Thrace, à l'Égypte? Il serait fort intéressant de le déterminer avec précision ; et malheureusement nous ne pouvons saisir que des détails ou hasarder une hypothèse. Mais ce n'est pas là l'essentiel. L'important serait de savoir exactement ce que l'Orphisme a fait de ces éléments d'emprunt, comment cette religion mystérieuse, née ou développée sur le sol de la Grèce, et recrutée dans l'élite des Hellènes, a pu satisfaire pendant des générations sa clientèle de choix, se renouveler plusieurs fois, et se survivre même quelque temps en face du christianisme. Or, il faut bien l'avouer, ni les débris de la littérature orphique, ni les nombreux témoignages de l'antiquité, ni les travaux des savants modernes ne nous donnent la clef de cette énigme. A la question des origines se rattache celle des rapports de l'Orphisme avec les autres mystères. Certains savants ont aperçu partout le rayonnement de l'Orphisme, dans la religion comme dans la philosophie, dans la littérature, dans l'évolution morale, jusque dans l'art, Qu'il y ait des analogies entre les divers mystères, c'est évident; et il n'y a pas lieu de s'en étonner, puisque tous sont nés des mèmes besoins. Qu'il y ait eu des emprunts, c'est probable ; et nous en avons même la preuve sur quelques points. Cependant, l'on doit se garder de conclure, d'une analogie, à un emprunt. Les anciens avaient constaté des ressemblances entre l'Orphisme et les mystères des Cabires ; d'où la légende qui faisait d'Orphée un initié de Samothrace s. De même, les traditions qui plaçaient en Crète, en Phrygie, en Égypte, les origines de l'Orphisme, prouvent que l'on ORP 2!t8 ORP remarquait des analogies entre les mystères orphiques et les mystères crétois, phrygiens ou égyptiens La question est plus complexe en ce qui concerne le Pythagorisme, les mystères bachiques, et les mystères d'Éleusis. On a signalé des rapports frappants entre l'Orphisme et le Pythagorisme : théories communes, vie ascétique, prescriptions semblables 2. Hérodote et Plutarque paraissent même identifier les deux doctrines 3. On racontait que Pythagore avait été initié à l'Orphisme C'est probablement une légende; car rien ne prouve qu'il ait existé des confréries orphiques dès le temps où vivait le philosophe. Il est certain, au contraire, que le Pythagorisme a réagi sur l'Orphisme. Quand se disloquèrent les communautés pythagoriciennes, vers la fin du vre siècle, beaucoup de leurs membres semblent s'être affiliés aux thiases orphiques. Ils y apportèrent naturellement leurs doctrines et leur goût des spéculations. Beaucoup des premiers ouvrages orphiques ont été écrits par des Pythagoriciens, Cercops, Brontinos, Zopyros, Arignoté, Persinos, et autres 5. Mais on exagère assurément, quand on prétend retrouver dans les Orphica la doctrine de Pythagore, à peine modifiée. Entre l'Orphisme et les mystères bachiques, les rapports sont multiples. Les deux religions avaient été instituées également par Orphée ; elles honoraient le même dieu, Dionysos, tout en lui donnant des surnoms différents ; elles sont identifiées par Hérodote et par bien d'autres écrivains Cependant, il n'est pas douteux que les mystères orphiques, réservés aux membres des confréries orphiques, aient été réellement distincts des autres mystères de Dionysos. On peut établir une première distinction entre les religions proprement dionysiaques, qui étaient des religions officielles, et les religions bachiques, qui étaient généralement des religions libres. Les premières consistaient surtout en cérémonies et en pratiques nettement réglementées; dans les autres se donnaient carrière les initiatives individuelles, les dévotions extatiques, les transports divins, ou les spéculations théologiques. Dans le groupe même des religions bachiques l'Orphisme avait une physionomie à part. Tandis que les autres encourageaient les manifestations bruyantes, les extases, les courses échevelées des Bacchantes ou des Ménades, les mystères orphiques, plus recueillis et plus graves, donnaient la première place aux exposés de doctrine et à l'observance d'une vie ascétique. Ce caractère particulier de l'Orphisme, dans le groupe des religions dionysiaques et bachiques, est comme symbolisé par la légende qui faisait d'Orphée, non pas le créateur, mais le réformateur des mystères bachiques 7 : dans la grande Église populaire de Dionysos-Ba cchos, les Orphiques formaient une Église mystique, une élite de dévots, pour qui l'essentiel était la doctrine, la pureté de la vie, la préparation à la mort et aux existences futures. La question la plus controversée, et la plus embrouillée, est celle des rapports de l'Orphisme avec les mystères d'Éleusis. Les analogies sont évidentes : rituel du voyage aux Enfers, doctrine théologique, introduction à Éleusis du culte orphique de Dionysos Zagreus. D'après F. Lenormant et la plupart des savants, l'influence de l'Orphisme aurait été toute-puissante sur les mystères éleusiniens, qui auraient été complètement transformés par des Orphiques, surtout par la famille sacerdotale des Lycomides jCEBES, ELEUSINIAI. On a contesté récemment ce rôle des Lycomides ; des inscriptions de Delphes semblent prouver au moins qu'ils n'ont pas pris la place des Kéryces dans l'office de la dadouchie a. D'après d'autres savants, les affinités entre Éleusis et l'Orphisme s'expliqueraient simplement par l'imitation commune de l'Égypte 9. Les deux thèses paraissent exagérées. La plupart des analogies viennent de l'action des idées du temps, qui s'exerçait également sur tous les mystères. Mais, dans certains détails de la doctrine ou du rituel, les coïncidences sont si nettes qu'il est difficile de ne pas admettre des emprunts. C'était l'opinion des anciens. Au Ive siècle, les Athéniens considéraient Orphée comme le fondateur des mystères d'Éleusis t0. Longtemps après, Pausanias écrivait, à propos d'un détail du culte : « Celui qui a vu les mystères d'Éleusis ou qui a lu les livres appelés orphiques, celui-là sait ce que je veux dire 1t, » Parmi les Hymnes orphiques, figure une invocation à la Déméter d'Éleusis 72. Nous croirions volontiers que les emprunts ont été réciproques. Les Orphiques étaient, avant tout, des théologiens ; les mystères d'Éleusis, institution d'État, avaient surtout réglementé les pratiques. Il est donc naturel de supposer que l'Orphisme a exercé une action sur la doctrine d'Éleusis, et les mystères d'Éleusis sur le rituel des Orphiques. Ce ne sont là que des hypothèses. Le fait certain, c'est que tous les mystères avaient beaucoup de traits communs, et que tous cependant avaient leur physionomie propre. Les analogies étaient assez importantes pour que des observateurs superficiels aient pu identifier les mystères orphiques avec les mystères égyptiens, crétois, phrygiens, bachiques ou éleusiniens. Entre toutes ces religions sœurs, l'Orphisme parait s'être distingué par la préoccupation constante des choses de l'au-delà, par la sévérité des prescriptions, surtout par le goût des spéculations théologiques. Il attirait surtout l'élite et s'obstinait à déchiffrer l'énigme du monde : par là, les mystères orphiques étaient vraiment ]es mystères entre les mystères. Il. LA DOCTRINE ORPHIQUE, Religion libre, née de curiosités intellectuelles et d'inquiétudes morales, non point localisée dans un sanctuaire, mais partout répandue, accessible à tous par l'initiation, soumise à des influences diverses et forcément ouverte aux nouveautés, l'Orphisme, autant qu'une religion, a été une philosophie : une philosophie mobile, collective et anonyme, toujours en voie de transformation. Successivement, l'Orphisme s'est rapproché du Pythagorisme, du Platonisme, du Stoïcisme, du Néo-Platonisme, du Christianisme. Logiquement, si nos informations étaient moins incomplètes, on devrait distinguer autant de formes de la philosophie mise sous le nom d'Orphée, depuis l'Orphisme pythagoricien jusqu'à l'Orphisme chrétien. ORP -29 ORP Malheureusement, à cause de l'insuffisance de nos données, on doit renoncer à appliquer systématiquement cette méthode historique. On doit se résigner souvent à étudier l'Orphisme en bloc, ce qui expose à bien des méprises : par exemple, le mythe de Phanès, qui tient tant de place dans nos Orphica, est presque sûrement une addition assez tardive. La philosophie orphique a entrepris de répondre aux deux grandes questions qui tourmentèrent l'esprit grec depuis le vi° siècle : explication du monde et destinée de l'homme. Les Orphiques ont donc eu, d'une part, un système cosmogonique et théologique, d'autre part, une doctrine métaphysique sur l'aine. Le système cosmogonique était exposé dans les poèmes qu'on appelait des Théogonies. Comme il évoluait de siècle en siècle, les Orphiques écrivirent successivement plusieurs Théogonies, dont nous possédons des fragments. La plus ancienne, connue sous le nom de Theogonia antiquissima, datait au moins du vr siècle avant notre ère. D'après les fragments que lui attribue le dernier éditeur, elle aurait eu bien des rapports avec le système d'Hésiode 1. En voici le contenu. Au commencement régnait Nyx ou la Nuit. De Nyx naquirent Ouranos et Gaea; d'Ouranos et de Gaea, Okeanos et Téthys ; d'Ouranos et de Téthys, les Titans, Kronos et Rhéa ; de Kronos et de Rhéa, Zeus et quelques dieux ; puis les autres dieux et les héros. Cette doctrine paraît bien sommaire, et bien peu orphique. Nous ne doutons pas que la Theogonia antiquissima ait renfermé autre chose, notamment les mythes d'Éros et de l'oeuf cosmique 2, peut-être aussi la légende de Zagreus, mise à la mode par Onornacrite3. Apollonios de Rhodes nous a conservé le résumé, d'ailleurs fort incomplet, d'une autre Théogonie. Orphée, dans le poème, chante les origines du monde. La terre, la mer et le ciel étaient confondus. La Discorde intervint, et ils se séparèrent. Le soleil, la lune, les étoiles, se fixèrent dans le ciel; la terre prit sa forme. Le monde fut gouverné par Ophion et Eurynome, (lui furent ensuite précipités dans l'Océan par Kronos et Rhéa, détrônés à leur tour par Zeus. Dans cette cosmogonie apparaissent deux traits nouveaux: le rôle de la Discorde (Neixo;), souvenir d'Empedocle, le mythe d'Ophion d°Eurynome, dont on ignore la provenance. Beaucoup plus caractéristique est la Théogonie dite d'Heltanicos et de Tlieronyinos, composée sans doute par deux Grecs de Phénicie vers la fin du ne siècle avant notre ère. En voici l'analyse, d'après les fragments qu'on y rapporte. A l'origine, rien que de l'eau et du limon. De cette boue cosmique naît un dragon ailé à trois têtes, tête humaine, tête de lion, tète de taureau : c'est le Temps toujours jeune (Xadvoç ây-11paoç), appelé aussi Héraklès. Le Temps s'unit à la Nécessité ('Alpâarsla ou 'Avzyx-t;). De leur union sort l'oeuf cosmique, un oeuf gigantesque, qui bientôt se sépare en deux parties : la portion supérieure devient le ciel; la portion inférieure forme la terre. De l'oeuf naît aussi un dieu à ailes d'or, dont la tête humaine est surmontée d'un dragon, et dont les flancs portent des VI I. têtes de taureau. Ce dieu est Protogonos ou Phanès, identifié avec Zeus ou Pan. C'est le créateur ou plutôt l'ordonnateur du monde Cette cosmogonie était assurément très complexe. Des conceptions tout asiatiques, les monstres familiers des mythologies orientales, s'y mêlaient à des conceptions orphiques de divers âges, l'oeuf cosmique, les mythes de Phanès et de Protogonos. La plus populaire et la plus complète des Théogonies orphiques était la Théogonie dite des Rhapsodes ou con.. tenue dans les Rhapsodies : c'est aussi celle que nous connaissons le mieux, celle dont nous possédons ou à laquelle on attribue le plus grand nombre de fragments. Les savants modernes sont loin de s'entendre sur la date de cet ouvrage : les conclusions proposées vont du vie siècle av. J.-C. au ire siècle de notre ère La divergence de ces conclusions vient sans doute d'un malentendu. Les fragments de la Théogonie des Rhapsodes nous ont été conservés surtout par les néo-platoniciens et les chrétiens, qui croyaient y trouver la vraie doctrine d'Orphée. La rédaction définitive de cet ouvrage paraît être d'époque assez basse. Mais les éléments essentiels du système peuvent être fort anciens, et remonter en partie jusqu'au vl° siècle. Voici l'analyse sommaire de la Théogonie des Rhapsodes, d'après les fragments recueillis par le dernier éditeur. A l'origine était Chronos ou le Temps. Il produisit l'Ether et le Chaos, dont l'union eut pour résultat l'apparition de l'oeuf cosmique, un oeuf énorme en argent. De l'oeuf sortit un dieu, qui avait de nombreuses têtes d'animaux : à la fois mâle et femelle, il contenait le germe de tout. Ce dieu était Phanès ; niais on lui donne aussi d'autres noms : Protogonos, Éricapaeos, Mètis, Éros. Quand le dieu fut né, la partie supérieure de l'oeuf cosmique devint le ciel ; la partie inférieure devint la terre. Phanès régna sur l'univers. II était le soleil du monde intelligible; il créa le soleil du monde naturel, puis la lune. Ii eut deux enfants : Nyx ou la Nuit, et le monstre Echidna. Nyx enfanta Ouranos et Gaia, dont naquirent les Titans, les Cyclopes, et autres êtres monstrueux. Un des Titans, Kronos, détrôna Ouranos, puis, à son tour, fut détrôné par son fils. Pour assurer son pouvoir, Zeus imagina de dévorer ou d'avaler Phanès, resté le grand dieu du monde intelligible. Il devint ainsi la divinité suprême et universelle; sa volonté n'eut plus de limites que dans les arrêts de Diké ou de la Justice. Dans le reste de leur cosmogonie, les Orphiques suivaient le système d'Hésiode, en y mêlant quelques légendes nouvelles comme le mythe de Dionysos Zagreus, et en rapprochant les uns des autres les principaux dieux jusqu'à les identifier entre eux et avec ZeusPhanès, le dieu souverain 7. Cette Théogonie des Rhapsodes, par le nombre et l'importance des fragments conservés, est évidemment la seule qui nous permette d'entrevoir dans leur ensemble les doctrines orphiques sur l'origine du monde. Mais, en même temps, elle risque de donner une idée fausse du véritable Orphisme. celui du v° siècle. C'est une synthèse d'éléments très divers, de conceptions divergentes. On y voit s'étager, comme dans l'ordre des temps, les systèmes 32 ORP 2à0 ORP successifs de cosmogonie, où, tour à tour, le premier rôle avait appartenu à Chronos, à Nyx, à Éros, à Zeus, à Dionysos, à Protogonos, à Phanès. Pour concilier toutes ces théories, les Orphiques alexandrins ou gréco-romains ont imaginé de faire entrer ces premiers rôles d'autrefois dans une hiérarchie nouvelle, ou même de les identifier. Chronos garde sa place à l'origine des choses ; mais Nyx est rajeunie, et devient la fille de Plumés; l'antique Éros, Protogonos, et bien d'autres, disparaissent dans l'ombre du même Phanès, dont ils ne sont plus que des formes ou des noms; Zeus, pour éviter des compétitions possibles, avale son ancêtre Phanès ; Dionysos Zagreus, assimilé lui-même à Phanès, à Protogonos, à Éros, n'est qu'une autre incarnation de Zeus, son représentant dans le monde des Orphiques, le dépositaire de son pouvoir. Voilà, sans doute, d'ingénieuses combinaisons; mais il est probable que Pindare, même Euripide ou Platon, auraient peine à y reconnaître l'Orphisme de leur temps. Nous ne pouvons aujourd'hui qu'entrevoir ces altérations ou transformations successives ; nous ne saurions marquer nettement les étapes de l'évolution. La Theogonia antiquissima, dont nous avons seulement quelques débris, est trop incomplète ; la Théogonie des Rhapsodes est trop complexe, trop encombrée d'éléments hétérogènes. Du bloc des Orphica on peut tirer seulement des indications générales, non point sûres, mais vraisemblables, sur le développement de la cosmogonie orphique : au début, elle ne devait guère s'écarter du système d'Hésiode; puis elle s'est attachée au mythe d'Éros et de l'oeuf cosmique ; elle a adopté, au temps de Pisistrate, la légende de Dionysos Zagreus ; plus tard, elle a reçu le mythe de Phanès; enfin, est venu l'âge alexandrin et gréco-romain, période de syncrétisme, où l'on s'est efforcé surtout de recueillir, pour les concilier ou les fondre, toutes les théories antérieures. La théologie de l'Orphisme n'est pas moins confuse que sa cosmogonie. Elle oscille de la mythologie au symbolisme, du polythéisme au monothéisme. Rien de plus bigarré que le panthéon des Orphiques. Ils conservèrent naturellement les principaux dieux des cultes officiels, surtout Zeus, Dionysos, Hadès, Déméter et Perséphone. Ils remirent en honneur quelques vieilles divinités que délaissait un peu la piété populaire : par exemple, Nyx', Ouranos2, Gæa3, Téthys`, Chronos 5, les Corybantes°, les Curètes 7 ou Pane. Ils développèrent ou modifièrent certains mythes, comme la naissance de Perséphone et l'histoire de son enlèvement par Hadès 10, comme les aventures de Déméter ou Déo à Eleusis, où l'on substitua Baubo à lambé ", comme le voyage de Déméter aux Enfers 12. Enfin, les Orphiques adoptèrent de nouveaux dieux, surtout le Zagreus des Crétois et des Phrygiens ". Suivant la légende, Zeus avait eu de Déo ou Déméter une fille nommée Perséphone. Un jour, sous la forme d'un serpent, il se glissa près de Perséphone, et la viola. De cette union naquit Zagreus, le dieu chasseur à tête de taureau. Zeus le confia à Apollon et aux Curètes; il le prit en grande amitié ; il le faisait asseoir sur son trône et lui confiait ses foudres. Héra, jalouse, excita les Titans contre le jeune dieu. Les Titans surprirentZagreus, s'approchèrent de lui en lui montrant des jouets, puis le tuèrent, le coupèrent en plusieurs morceaux qu'ils firent bouillir et dévorèrent. Le coeur seul échappa, et fut recueilli par Pallas. Zeus, prévenu par Hécate, foudroya les Titans, et chargea Apollon d'ensevelir le coeur de Zagreus à Delphes, sous le trépied ou 1'Omphalos : autour de ce coeur se développa une vie nouvelle, et Zagreus ressuscita. Suivant une autre tradition, Zeus fit dissoudre le coeur dans un breuvage, qu'il but lui-même ou fit boire par Sémélé; et Zagreus reparut sous la forme du Dionysos thébain'". Ce mythe, d'origine crétoise ou phrygienne 15, fut, dit-on, introduit dans l'Orphisme par Onomacrite 16. Ily prit vite une place prépondérante. Dionysos Zagreus devint la divinité principale des Orphiques. On l'identifia avec le dieu suprême des cosmogonies ou des mythologies, avec Zeus et Hadès, avec Phanès et Protogonos, avec Antaugés, Éros, Métis, Ericapaeos et Eubouleus. On fit de lui un autre Zeus, qui tenait de son père l'empire du Ciel, de sa mère l'empire des Enfers : symbole de la vie universelle, personnification divine et sensible de l'âme du monde f7. Non contents de transformer les mythes en symboles, les Orphiques inventèrent ou adoptèrent des dieux tout abstraits, sans légende, sans figure, sans personnalité, simples expressions métaphysiques de leurs conceptions cosmogoniques. De ce nombre étaient quelques-uns de leurs dieux les plus vénérés : l'Éros cosmiquete, Protogonos 19, Antaugès 20, Eubouleus2f, Ericapaeos 22, Hippas23, Métis 24, Misé 25, Mnémosyne 2e, Phanès21. Il suffit de considérer l'étymologie de tous ces noms, pour s'apercevoir que ce sont de purs symboles, sans consistance ni réalité concrète. On a simplement divinisé des termes de métaphysique. Ce panthéon des Orphiques, très complexe et très incohérent, est donc un singulier amalgame de divinités populaires et personnelles, de divinités exotiques, de divinités archaïques à demi allégoriques, et de divinités franchement symboliques. Si l'on en jugeait par le nombre des dieux dont nous connaissons les noms, la théologie orphique aurait abouti à un polythéisme renforcé. En fait, dans les récits mythologiques, par exemple, dans l'histoire des aventures de Zeus ou de Dionysos, ou de Déméter ou de Perséphone, les dieux populaires conservaient leur personnalité distincte ; on entrevoit qu'il en était de même, pour les dieux de toute sorte, dans les parties les plus anciennes des Théogonies. Mais, de plus en plus, dans l'enseignement des Orphiques, les dieux tendirent à se confondre tous, au moins les ORP 25'1 ORP dieux principaux, ceux qui avaient joué un rôle dans la formation du monde. Des témoignages précis prouvent que l'on identifiait Zeus avec Éros, avec Hadès, avec Phanès, avec Protogonos, avec Dionysos Zagreus ; en réalité, pour les théologiens des confréries, tous ces soidisant dieux orphiques n'étaient que des noms différents, ou des formes variées, ou des incarnations successives d'un même dieu'. Du chaos de la mythologie orphique se dégageait une sorte de monothéisme, ou plutôt un demi-panthéisme, où le dieu souverain symbolisait la vie universelle. Cette doctrine se résumait en formules expressives comme celle-ci : « Zeus est un, Hadès est un, Hêlios est un, Dionysos est un ; il y a un seul dieu en toutes choses » 2 ; ou encore : « Zeus est le premier, Zeus à la foudre éclatante est le dernier ; Zeus est la tète, Zeus est le milieu; tout vient de Zeus » 3. Parfois, la théologie orphique semble incliner à la dualité divine, même à la conception d'une trinité rnystique : Éros, Dionysos, Protogonos, sont qualifiés de litpu'nç ; Dionysos est appelé 'tpupuviç, tipiyovoç, le dieu aux trois naissances, aux trois natures par allusion, sans doute, au triple mythe de Zagreus, du Dionysos thébain, et du Dionysos infernal. Il est vrai que ces qualifications se trouvent dans des poèmes de date assez basse. Augustin songeait probablement à des textes orphiques de ce genre, quand il félicitait Orphée d'avoir connu la doctrine du Verbe, la distinction du Père et du Fils 6. La théologie orphique, telle qu'elle se présente à nous dans les Orphica et dans les analyses des auteurs anciens, est donc incohérente. Elle juxtapose des conceptions très diverses, même contradictoires. Elle flotte entre la mythologie traditionnelle ou exotique, l'allégorisme et le symbolisme, entre le polythéisme vulgaire, le monothéisme, et le panthéisme. Mais nous avons tout lieu de croire que cet amalgame est, en grande partie, l'oeuvre du syncrétisme alexandrin, et que les vrais Orphiques avaient mis plus d'ordre et de logique dans leur idéal divin. En outre, on ne doit pas oublier que l'Orphisme se composait de confréries indépendantes, isolées, soumises à des influences variées ; rien ne prouve que toutes aient eu exactement le même panthéon. De plus, les divers dieux ont été sans doute introduits dans le monde orphique à des époques différentes : il suffit de rappeler l'initiative d'Onomacrite inaugurant la religion de Zagreus, ou l'histoire de Zeus avalant Phanès pour réconcilier deux systèmes cosmogoniques. Enfin, tous les membres d'une même confrérie n'avaient pas nécessairement la même conception de la divinité. La plupart des initiés devaient s'en tenir à un derni-polythéisme, en accordant la première place aux dieux particuliers de l'Orphisme ; seuls, les théologiens ou les esprits d'élite, sous l'influence de la philosophie, devaient viser consciemment au monothéisme. La théologie de nos Orphica est donc un amas confus de con ceptions et de croyances, qui ont varié selon les temps, les pays ou les personnes. Nous ne pouvons guère distinguer aujourd'hui ce qui appartient à chaque génération, à chaque contrée, à chaque groupe de théologiens. Ce qui attirait surtout les prosélytes, c'était la préoccupation de la destinée humaine. Aussi la plupart des initiés devaient s'intéresser principalement à la doctrine sur l'âme. Sur ce point, les enseignements de l'Orphisme paraissent avoir été beaucoup plus précis, plus uniformes, et moins variables Les Orphiques croyaient à la nature divine de l'âme, et à une déchéance, à un péché originel. L'âme, créée par les dieux, avait d'abord vécu au ciel ; elle avait été exilée à la suite d'un péché, le 7rxaxtbv 7ciV0oç dont parle Pindare les teyxaa âp.xptisti.xrx auxquels fait allusion Jamblique 0. Nous ne savons en quoi consistait cette faute. D'après l'explication vulgaire, l'homme était né du sang des Titans, meurtriers de Zagreus; de par sa naissance, il était l'ennemi des dieux ; mais, en même temps, il avait en lui quelque chose de divin, qu'il tenait des Titans Outre la souillure commune à tout être humain, on admettait une souillure particulière et héréditaire dans certaines familles 1l. En expiation du péché originel, l'âme a été condamnée à la vie terrestre ; elle a été emprisonnée dans un corps, qui est comme son Pourtant, elle est immortelle. Elle tend d'instinct, ou doit tendre, à retrouver sa pureté primitive. Quand elle y est parvenue, elle est transportée au ciel ou dans les Iles Fortunées 93. En attendant, elle est condamnée à passer de corps en corps, même dans des corps d'animaux, par une série d'incarnations (ÉVO'M.1.xTwaEtç). C'est ce qu'on appelait le « cercle de génération »14. L'âme doit chercher à s'affranchir des liens du corps, à secouer le joug du péché ; elle n'y peut réussir que par l'initiation, les purifications et la piété, les extases, les jeûnes, l'observance des rites et d'un régime particulier 15. Quand viendra l'heure de la mort, rame de l'initié saura se guider aux Enfers, grâce aux instructions du rituel funéraire et aux formules qu'elle aura apprises. Elle évitera la source du Léthé, où les profanes ont l'imprudence de se désaltérer; elle ne boira qu'à la sourde vivifiante de Mnémosyne 7B. Elle répétera les paroles qui désarment les dieux infernaux et leur permettent de reconnaitre les initiés [ELEOSINIA] 17. Si elle est complètement purifiée, elle trouvera grâce devant Dionysos-Hadès et devant. Coré-Perséphone; elle sortira du « cercle de génération » pour se mêler aux héros, pour retourner près des dieux et devenir elle-même une divinité 16. Si elle n'a pas encore effacé la tache originelle, elle devra recommencer une nouvelle vie terrestre ; et, en attendant, elle séjournera aux Enfers. Mais, pendant cet intervalle entre deux existences, l'âme de l'initié sera déjà privilégiée. Dans de belles prairies et dans les bois sacrés de Perséphone, ORP ORP elle mènera une vie calme et pure, égayée de conversations et de jeux, en compagnie des dieux souterrains'. Au contraire, les profanes seront plongés dans un bourbier, au milieu des ténèbres 2. Les criminels seront relégués au fond du Tartare, et sans doute torturés par des démons; ou bien, comme les Danaïdes, ils seront condamnés à puiser sans cesse de l'eau dans un crible 3 [INFERI]. D'ailleurs, ces peines infernales, comme les récompenses des initiés, ne sont que relatives et temporaires : le vrai châtiment est dans le retour indéfini aux existences terrestres, comme la vraie félicité est dans le retour au ciel après expiation complète. Telle était la doctrine orphique, autant que nous la pouvons reconstituer aujourd'hui. Les principaux traits étaient la tendance au monothéisme ou au panthéisme, le goût du symbole, la conception d'un idéal de pureté et de bonheur divin, le principe d'une destinée différente pour les initiés et pour les profanes. On a souvent exagéré l'action de l'Orphisme sur les autres mystères, sur la philosophie, sur la littérature, sur le progrès moral, sur toute la vie hellénique. Rien ne prouve que cette action ait été décisive ; tout fait supposer, au contraire, qu'elle ne s'est guère étendue en dehors du cercle des initiés ou d'une élite intellectuelle. L'Orphisme n'a jamais été populaire; il était trop abstrait pour cela, trop philosophique, trop symbolique. Aux mystères d'Eleusis, il a peut-être emprunté plus de rites qu'il ne leur a apporté de mythes et de doctrines. On lui a attribué le développement du culte de Dionysos ; c'est de ce culte, au contraire, qu'il paraît être né. On ne voit pas qu'il ait beaucoup contribué à enrichir ou modifier les traditions et les religions vulgaires : tout au plus peuton relever quelques détails, comme le nom de ce Phanès qui, suivant la légende, avait inauguré à Phiionte le culte de Dionysos Lysios C'est seulement chez des philosophes et des poètes que l'influence de l'Orphisme est bien visible. Les derniers Pythagoriciens s'enrôlèrent volontiers dans les confréries orphiques, dont les doctrines ont également séduit Pindare, Euripide, surtout Platon et les Néo-Platoniciens L'Orphisme paraît avoir contribué à répandre en Grèce une nouvelle conception des Enfers, età orienter les esprits éclairés vers le monothéisme ou le panthéisme. RITUEL FUNÉRAIRE. Ce que nous connaissons le moins; c'est l'organisation intérieure et matérielle de l'orphisme. Un fait certain, c'est qu'il a eu des ramifications dans tout le monde grec, depuis le vIe siècle avant notre ère jusqu'au début de la période byzantine. Mais comment se groupaient ses adeptes? Naguère on parlait couramment d'une grande secte orphique, presque un ordre religieux, qui aurait enserré l'Orient hellénique dans un réseau de communautés étroitement liées entre elles. Rien absolument n'autorise cette hypothèse. On constate seulement l'existence d'associations particulières, de thiases, qui avaient pris Orphée pour patron, et qui suivaient les règles de la vie orphique° ; peut-être aussi, de prêtres indépendants, qui se recommandaient du nom d'Orphée pour évangéliser ou exploiter le public 7. Sur ces thiases mêmes [TRIASUS], nous. sommes très mal renseignés ; et il est probable que l'organisation en a été assez différente suivant les pays ou les temps. Vers la fin du ve siècle, nous voyons qu'une de ces confréries, sans doute celle d'Athènes, avait un prêtre (tepaé;), et qu'on n'y était pas admis sans une initiation en règle. Le philosophe Antisthène se fit initier aux mystères orphiques ; le prêtre lui vantait le bonheur qui, dans ]'Hadès, attendait les initiés : « Pourquoi donc ne meurs-tu pas tout de suite ? » lui répondit Antisthène'. Les initiés, comme dans les autres mystères, s'appelaient mythes (zéatr,ç); dans les cérémonies, ils portaient aussi le nom mystique de Bacchos °. Les inscriptions orphiques de la Grande Grèce, qui datent du Ive ou du lite siècle avant notre ère, nous fournissent quelques renseignements sur les cons fréries locales. Là, les initiés s'appelaient les Purs (KxOaooi) 10, ou les Saints (E'iyet:ç) ". Plusieurs de ces thiases paraissent avoir eu pour devise la formule énigmatique «"Ept1oç i; yzX' iicatov », ce qui signifiait sans doute : « Chevreau, j'ai bu le lait »'2. La plupart des Hymnes orphiques que nous possédons ont été composés presque sûrement pour le rituel d'une confrérie, vers le début de l'ère chrétienne. Ils contiennent une série d'indications sur les titres que portaient les initiés ou Suivant quelques érudits, on devrait considérer comme un thiase orphique la confrérie athénienne des Iobacchoi, connue par une inscription du temps d'Hadrien ; dans ce document, qui renferme de curieux détails sur le règlement, le personnel et le culte de l'association, figure un dieu nommé Proteurythmos, que l'on a proposé d'identifier soit avec Orphée, soit avec Protogonos 21. Mais ce n'est là qu'une hypothèse ; rien ne prouve que l'inscription se rapporte à un thiase orphique. On a vu que les membres des confréries italiotes s'appelaient eux-mêmes les Purs, les Saints (KaOapoi, Eéayeïç) 22 Ces termes, ou d'autres analogues ("Octoç, EUe.poç, `Ayvdç), reparaissent sans cesse dans les Hymnes orphiques 23. C'est que les initiés devaient se soumettre à un régime particulier, conforme à leur idéal de pureté; c'est ce qu'on appelait la « vie orphique » (ipiinxbç 0(oç), la « vie sainte » (àyvbç Ploç)". Ce genre de vie est celui qu'Euripide attribue à Hippolyte. Thésée dit à son fils : « Maintenant glorifie-toi, interdis-toi hypocritement la chair des animaux, proclame Orphée ton maître, et mène la vie bachique, honore la fumée de tous ces livres 25. » ORP Nous connaissons quelques traits du règlement qui fixait ce régime. Les initiés portaient des vêtements blancs, symbole de pureté et de chasteté Ils se purifiaient sans cesse 2, et cherchaient à provoquer des extases qui les mettaient en rapport direct avec la divinité 3. Ils s'interdisaient des sacrifices sanglants 2, Ils suivaient un régime végétarien, ne touchaient point à la chair des animaux, ni même aux fèves, ni peut-être au poisson ou aux oeufs Enfin, ils proscrivaient l'emploi des étoffes de laine pour l'ensevelissement des corps, et, sans doute aussi, pour les cérémonies religieuses 6. Nous ne savons presque rien de précis sur le culte. Les cérémonies d'initiation étaient dirigées par un prêtre 7 ; elles devaient ressembler à celles des autres mystères, notamment à celles du culte de Sabazios, que décrit Démosthène 8 [ELEUSINIA, MYSTERIA[. Le culte était secret 9 ; il constituait de véritables mystères (p)uc rlpta, tiEae ai, 4yta)10. Comme nous l'avons vu en étudiant le système théologique et cosmogonique, les dieux orphiques étaient fort nombreux. Chacun d'eux, évidemment, avait droit à sa part d'hommages ; mais ils pouvaient être honorés par groupes, d'autant mieux que beaucoup d'entre eux se confondaient dans l'unité du dieu suprême. Quoi qu'il en soit, les inscriptions orphiques d'Italie mentionnent toute une série de divinités, Phanès, Protogonos, Euklès, Eubouleus, Dionysos, Perséphone, Mnémosyne, Gaea, Ouranos ". D'après le recueil des Hymnes orphiques qui nous sont parvenus, et qui ont été composés probablement pour les cérémonies d'un thiase, nous pouvons juger encore de la variété un peu incohérente du panthéon de cette confrérie 12. Mais il est à croire que partout l'on honorait principalement Zagreus, avec qui l'on identifiait d'ailleurs la plupart des autres dieux. On voit par les Hymnes avec quelle facilité les noms des autres divinités devenaient des épithètes ou des surnoms du Dionysos infernal l3. Ajoutons que les Hymnes mentionnent une fête collective en l'honneur de tous les dieux 14. Les cérémonies principales, les mystères proprement dits, se célébraient la nuit 13. Voici, semble-t-il, les éléments essentiels de ces mystères : une série de purifications et de prières, notamment une prière en forme d'hymne où un prêtre implorait pour toute l'assistance la protection des dieux 16 ; des sacrifices non sanglants et révélation ou la représentation de légendes sacrées, comme le mythe de Zagreus, l'enlèvement de Perséphone, ou la descente dans l'Hadès (iopoi Xdyot)18 ; enfin, le rite de l'omophagie et la révélation des formules liturgiques qui devaient guider rame aux Enfers. L'omophagie était l'un des rites du culte dionysiaque, surtout du culte de Zagreus ; elle consistait à dépecer un taureau vivant et à en manger la chair crue [OMOPRAGIA]. 253 ORP Elle était probablement originaire de Crète 19. Elle présente un étrange contraste avec les autres prescriptions de la vie orphique, toute d'abstinence ou de pureté. On ne sait si elle fut introduite dans le culte dès le vat siècle, au moment où Onornacrite popularisa le mythe de Zagreus 20. En tout cas, elle devait être en usage au vt siècle, d'après les allusions qu'y font Euripide et Aristophane 71. Quelques passages des Hymnes orphiques font supposer qu'elle était encore pratiquée vers le début de l'ère chrétienne22. Pour les Orphiques, le taureau dévoré en commun parait avoir été une représentation symbolique du dieu lui-même, de Zagreus mis en pièces par les Titans, peut-être aussi d'Orphée déchiré par les Ménades 23 foRPHEUs) ; en mangeant les chairs crues du taureau, on s'identifiait avec le dieu, on entrait en communion avec Zagreus 2=. Après le rite de l'omophagie, l'élément principal des mystères devait être la révélation des formules sacrées ou magiques qui permettraient aux initiés de se guider dans leur voyage aux Enfers, et de se faire reconnaître par les dieux infernaux. Quelques-unes de ces formules -ss PA NI ACAICNAWE P I Mid' IPTH8y4oAp\tZ o' nous sont connues par une curieuse série d'inscriptions métriques, gravées sur des lamelles d'or, qui ont été découvertes dans des tombeaux, et qui résument les instructions données au mort sur la route à suivre ou les paroles à prononcer. La plupart de ces inscriptions datent du Ive ou du tut siècle avant notre ère, et ont été trouvées dans l'Italie méridionale, aux environs de (3--DN; (tuN3qtlIO,W 15\~ ~✓(j~i! AP U!0CA ›, oMn'Ad Lsà~~ vL rt a~~ Ctd-I /rt77, \ W f'OAIJ o ) fnc 0.i aau op `1 T ,cl v Vliva,ct`/o[àv \îsiP'l) Petilia et de Thurii 25. Trois autres tablettes, qui reproduisent d'ailleurs une même formule, proviennent, de la nécropole d'Eleutherna, en Crète (fig. 5437) et ont été, gravées sous l'Empire romain, sans doute au temps des Antonins 26. Une dernière tablette, du 1°' ou du ale siècle de notre ère (fig. 5438), vient d'être découverte près de OR.P 23/, --ORP Borne, dans la tombe d'une femme nommée Caecili Secundina'. Il est à remarquer que toutes ces tablettes, de provenances et de dates si diverses, reproduisent intégralement ou en abrégé les mêmes formules, empruntées évidemment à un rituel funéraire. L'étude comparée des inscriptions prouve que ce rituel a été employé dans des régions bien différentes et pendant bien longtemps, au moins depuis le Ive siècle avant notre ère jusqu'au ue siècle de notre ère. C'était certainement un rituel orphique, comme le montrent l'identité des doctrines sur l'autre vie, surtout les noms des divinités qui figurent dans les inscriptions, et les ressemblances des formules trouvées dans les tombes avec certains passages des Ilyannes ou des fragments orphiques L'une des inscriptions n'a pu être déchiffrée complètement, et paraît contenir un grimoire inintelligible, où l'on relève seulement des noms de divinités orphiques'. tes autres tablettes forment deux groupes assez distincts, qui correspondent à deux étapes du voyage infernal'. Les documents du premier groupe renferment des instructions sur la route à suivre et la conduite à tenir lors de l'arrivée aux Enfers. En entrant dans l'Hadès, l'âme apercevra àsa gauche, près d'un cyprès blanc, une source qu'elle devra éviter avec soin, la source du Léthé. Elle se dirigera à droite vers une autre fontaine, aux eaux fraîches, la fontaine de Mnémosyne. Elle y trouvera des gardiens. Elle leur dira, : a Je suis fille de la Terre et dt1 Ciel étoilé. J'ai une origine céleste, sachez-le vous aussi. Je suis desséchée par la soif, je meurs de soif tout de suite, donnez-moi de cette eau fra,iche qui sort du lac de Mnémosyne. e Alors les gardiens lui permettront de boire à la source divine ; elle pourra obtenir de régner avec les héros, de devenir elle-même une divinité lies inscriptions du second groupe indiquent au mort comment il doit se présenter devant les dieux infernaux, et quel langage il doit leur tenir. Il leur dira : « Je viens de chez les Purs, reine pure du monde souterrain, et ous, Euklès, Eubouleus et autres dieux immortels ; moi aussi, je me flatte d'appartenir à votre race bienheureuse. Mais j'ai été dompté par la Moire et les autres dieux immortels .. Je me suis échappé da terrible cercle de couleur, et, de mes pieds rapides, je me suis élancé vers la couronne désirée. Je me suis réfugié dans le sein de DCspoina, reine du monde souterrain. Perséphone répondra : « Heureux, bienheureux, de mortel tu deviendras dieu '.» Dans chacun des deux groupes, les formules présentent des variantes ; elles sont plus ou moins complètes, plus ou moins développées ; parfois, elles sont si abrégées, qu'elles tournent au grimoire magique et prennent des airs d'amulettes. Mais elles se rapportent sûrement à un même rituel, qui datait au moins du Ive siècle avant notre ère, et dont l'usage s'est répandu dans les confréries de l'Italie méridionale, de Rome, de Crète, et probablement de bien d'autres pays. Ce rituel résumait tes prescriptions relatives au voyage des Enfers. Les meute conservés par les inscriptions nous renseignent avec assez de précision sur la partie des mystères orphiques où l'on révélait aux initiés les formules secrètes, et où on leur donnait les instructions nécessaires pour l'autre vie. nous avons eu principalement en vue l'Orphisme primitif, proprement hellénique, celui qui s'est développé, dans les pays grecs, du vie au ive siècle. Mais l'Orphisme a eu la vie longue. Depuis le Iv' siècle, il s'est répandu en Orient et en Occident, non sans subir beaucoup d'altérations ou de transformations. Religion libre, ouverte à tous, sous réserve d'une initiation préalable, philosophie mystique, sans défense contre les imaginations et les rêves de ses adeptes, l'Orphisme s'est déformé dans deux directions différentes : dans le sens du charlata nisme, et dans le sens des spéculations panthéistiques, Dès le temps de Platon, bien des charlatans se réclamaient de l'Orphisme. C'étaient les Orphe'otélestes (ô o1AEOi^cEi,eTi-r,Ç) , soi-disant initiateurs aux mystères orphiques, souvent confondus avec les Métragyrtes, les adorateurs de Sabazios ou autres dieux orientaux. Les plus effrontés, prêtres ou devins mendiants. se promenaient avec un âne qui portait leurs ustensiles sacrés traînant partout une liasse de leurs livres saints, promettant une expiation facile pour les crimes des vivants et des morts, exploitant par tous les moyens les superstitions populaires B. Les plus avisés restaient chez eux, attendant les clients, qui ne manquaient pas : le Superstitieux de Théophraste va chaque mois, avec sa femme et ses enfants, consulter un Orphéotéleste 9. Ces pieux industriels se donnaient surtout pour des purificateurs de consciences ; mais ils pratiquaient aussi la divination, le prophétisme, l'exégèse des oracles. Ils avaient d'autant plus de succès, que leur enseignement et leurs prétentions étaient, en apparence, assez conformes à la véritable doctrine orphique. Ils faisaient appel aux mêmes livres sacrés; ils admettaient également le péché originel, le bonheur futur des initiés, le châtiment des incrédules. Ils n'en faussaient pas moins la doctrine en cherchant à l'exploiter ; ils ne demandaient aux coupables aucun effort, n'exigeaient d'eux que des pratiques et des honoraires; ils se chargeaient, au besoin, de punir les ennemis de leurs clients §0. Ils abusaient tarit des formules magiques, que, pour bien des gens, orphisme devint synonyme de magie [MAGIA], et que l'on attribuait à Orphée de véritables recettes magiques ". On devine ce que devenait l'Orphisme entre les mains de ces charlatans et de leurs dupes. Même pour beaucoup de vrais initiés, le principal attrait du Paradis orphique était dans la perspective des joyeux banquets et de l'ivresse perpétuelle des élus'2 Depuis le Ive siècle, l'Orphisme ne s'altéra pas moins dans sa doctrine, sous l'influence des écoles philosophiques, surtout du syncrétisme alexandrin. De ces influences, nous avons surpris bien des traces dans le système cosmogonique, dans la théologie, dans le panthéon. Pour voir le syncrétisme à l'oeuvre, il suffit ORP --25 5 -OHP d'ouvrir le recueil des Hymnes, où se rencontrent tant de dieux d'origines si diverses, et où se heurtent tant de conceptions opposées. La philosophie orphique des derniers temps présente bien des analogies avec le Stoïcisme, le Néo-Pythagorisme, ou le Néo-Platonisme ' ; elle inclina de plus en plus vers le panthéisme et le mysticisme. Il a existé des confréries orphiques jusque sous l'Empire romain. Lactance semble dire que, de son temps, elles célébraient encore des mystères En tout cas, nous avons des preuves indirectes de la persistance de ces thiases. La société athénienne des lobaechoi, au rte siècle de notre ère, si elle ne se rattachait pas directement à l'Orphisme, en avait du moins subi l'influence Vers le même temps, la ville d'Eleutherna, en Crète, renfermait certainement une confrérie orphique, comme le montrent les inscriptions liturgiques sur lames d'or qui ont été trouvées dans la nécropole (fig. 1431)'. A l'époque romaine appartient aussi le thiase orphique pour lequel ont été composés les Hymnes 6. A Rome même, sousles premiers empereurs, nous constatons l'existence d'une confrérie analogue ; à cette société était affiliée Caecilia Secundina, dont la tombe nous a conservé l'une des tablettes orphiques (fig, 5438)', On retrouve d'ailleurs le nom d'Orphée jusque dans la topo graphie de l'ancienne Rome. Dans la cinquième région, on voyait une fontaine connue sous le nom de Locus Orphei D'après une description de Martial, c'était une fontaine monumentale, située en haut de Subura. Elle était entourée de marches et d'un mur demi-circulaire. qui lui donnait l'aspect d'un théâtre ; au sommet se dressait une statue d'Orphée, charmant des bêtes sauvages et des oiseaux Le Locus Orphei paraît avoir donné son nom au quartier environnant. Une inscription mentionne les Orfenses ; c'étaient sans doute les habitants d'un vitras Orphei, voisin de la fontaine °. Et ce nom s'est conservé, à travers le moyen âge, dans celui de plusieurs églises bâties près des Thermes de Trajan? : S, Aga ta in Orfea, S. Lucia in Orfea, S. Martino in Orfea 70. Le souvenir d'Orphée et de l'Orphisme est resté vivant dans le monde gréco-romain. En Italie, en Afrique, en Gaule, dans tout l'Occident, on a trouvé d'innombrables mosaïques qui représentent Orphée charmant les animaux [ORPUEUS]. Virgile s'est inspiré des conceptions orphiques dans sa description des Enfers [INFERI]. Lucain avait composé un poème sur le même sujet, Orpheus Gatachtlroniusli, Il n'est guère de poètes qui n'aient parlé d'Orphée ; au début du ve siècle, dans ses Dionysiaques, Nonnos met en vers les légendes et les enseignements orphiques '~. La littérature orphique elle-même suffirait à prouver la survivance de la doctrine. La majorité des poèmes conservés ou connus, les Argonautiea, les Hymnes, les Lithica, bien d'autres ouvrages, datent de la période alexandrine ou de la période gréco-romaine; quelques k Ea sacra etiam nunc Orphies nominantur e 3 Wide, At.hen. iïiteh, uns, du siècle de notre ère. La plupart, des renseignements sur l'Orphisme nous viennent des érudits de l'époque romaine ou byzantine, surtout des commentateurs de Platon et d'Aristote. Les Néo-Platoniciens, notamment Proclus et Jamblique, doivent beaucoup à l'Orphisme, dont ils exposent volontiers les théories pour les adopter ou les discuter ou les concilier avec d'autres systèmes L'influence sur le Christianisme n'est pas moins certaine, non seulement sur les sectes gnostiques, mais sur le Christianisme orthodoxe des premiers siècles, La figure d'Orphée, aux Catacombes, devint l'un des symboles du Christ; on admit que le vieil aède s'était inspiré des livres de Moise, et qu'il avait entrevu la vérité divine iORP49EIJSj, Par lé, se trouvait sanctifiée toute la littérature orphique, Elle est familière à saint Justin, à Clément d'Alexandrie, à Lactance, l saint Augustin d'autres ne se génèrent pas pour l'enrichir de leurs interpolations. En fait, comme Pont reit,aequé las apolo gistes chrétiens, il y e bien des points communs entre le Christianisme et l'Orphisme, au moins l'Orphisme néoplatonicien de leur temps : unité divine, doctrine du Verbe, péché originel, nécessité d'une purification, exhortation à la pureté et à la chasteté, préoccupation de l'autre vie, conception du Paradis, rapport du refrigeriumavec la source deMnémosvne. Par l'inter=médiaire du Néo-Platonisme, l'Orphisme a exercé une action sur le Christianisme des premiers âges. V, LITTÉRATURE napmQrraE, -. De l'o-rpie soue est sortie toute une littérature poétique, à la fois coemogoniqu':, théologique, mythologique et liturgique. Cette littérature, née des besoins de l'enseignement et du culte. n'a cessé de se développer et de se renouveler pendant plus de mille ans, depuis le vie siècle av. I-C. ,jusqu'au tir siècle de notre ère. Nous ne possédons plus que trois ouvrages complets, les Argonautica, les Lit/Heu, le recueil des Hymnes, et de nombreux fragments d'autres ouvrages'. Des listes de livres orphiques ont été dressées par Clément d'Alexandrie, Suidas, Lascaris' Tous res ouvrages étaient mis sous le nom d'Orphée, et étaient considérés comme authentiques par la plupart des anciens. Cependant, tout le monde n1'aceeptait pas cette attribution. Aristote paraît avoir douté de l'existence d'Orphée t5. On répétait couramment que certains poèmes étaient l'oeuvre d'Onomacrite, de Cercops ou d'autres Pythagoriciens". La littérature orphique avait même été l'objet de divers travaux critiques'-`. Les plus anciens livres orphiques sur lesquels nous ayons quelques renseignements précis, dataient davte siècle avant notre ère ; ils furent composés en Attique, quelques-uns peuh-titre en Beotie ou en Sicile i6. Suivant une tradition assez vraisemblable, Onomacrite, éditeur des Oracles de Musée'', recueillit les ouvrages antérieurs attribués à Orphée, et en forgea d'autres 2° ; c'est lui aussi qui mit en honneur la légende de Zagreus 2'. OSC 2:16 OSC Phérécyde s'occupa également des poèmes orphiques 1. Plusieurs Pythagoriciens, Cercops, Arignoté, Brontinos, Persinos, 7opyros, mirent sous le nom (l'Orphée quelques-uns de leurs livres '. Dès la fin du ve siècle, l'Orphisme avait déjà une assez riche littérature. Platon parle de poèmes orphiques débités par des rhapsodes, de rituels qui circulaient sous les noms d'Orphée et de Musée, de divers ouvrages dont il cite des fragments Au Ive siècle, la famille sacerdotale des Lycomides parait avoir précisé ou complété le rituel orphique 4. Le péripatéticien Eudémos recueillit et édita l'une des Théogonies °, Enfin, il n'est pas douteux que divers poèmes dits orphiques aient été composés ou interpolés par des Alexandrins, des Néo-Platoniciens, des Juifs ou des Chrétiens'. PAO1. Moscaoix. OSCILLATIO.--Jeu de la balançoire. Labalancoireellemême s'appelait oscilluln' (aiwoa) 2. Le mot français s'applique, dans l'usage, à deux appareils de formes différentes, que les anciens ont connus l'un et l'autre : 1° La bascule, planche posée en équilibre sur un support central; deux personnes se placent chacune à une extrémité, l'une en face de l'autre, de manière à se faire contrepoids; quand une des deux pèse sur son point d'appui et le fait descendre, l'autre monte, puis redescend à son tour, et ainsi de suite alternativement. C'est la scène que représente la figure 5439, d'après une peinture de vase de l'Italie méridionale'. Entre les deux femmes qui se font face on voit accourir l'Amour, les ailes éployées ; on a supposé avec vraisemblance que le jeu pouvait prendre la forme d'une lutte ; chacun des joueurs pouvait s'efforcer de faire perdre l'équilibre àson adversaire et de le renverser de sa place ; le vainqueur était celui que rien n'ébranlait. La bandelette que l'Amour tient entre ses mains semble en effet un prix destiné à récompenser une des deux femrnes debout sur la. bascule. Même scène dans la figure 5410 ; deux satyres agenouillés aux extrémités d'une planche se balancent en se te nant par les mains'. On a prétendu que l'appareil très élémentaire qui servait à ce jeu de bascule était ce que les Grecs appelaient aéTaspov hypothèse ne parait pas suffisammentjus tiflée par les descriptions qu'en ont laissées les anciens 2' L'escarpolette, siège suspendu par des cordes à une poutre transversale, et auquel on donne l'élan par une poussée. La charmante peinture de vase que reproduit la figure 5/41 montre une jeune fille grecque qui s'amuse à ce jeu avec l'aide d'une de ses compagnes. On remarquera que le siège est pourvu de quatre pieds, de telle sorte qu'il pouvait être posé à terre et servir à deux fins'. l,a même disposition se retrouve dans une autre peinture, où l'on voit un satyre et une jeune femme prendre part àla Pète bachique des Balançoires [AiORA, fig. 196]. Ailleurs le siège est quelquefois pourvu d'un dossier 7. Les Grecs ont encore appelé aid'pa. un appareil qui servait, dans la tragédie, à enlever au ciel les dieux et les héros [MACHINA, p. 1471] ; l a chaise à porteurs a été ai issi OSC 257 OSC OSCILLUM. Ce mot, dont l'emploi dans la langue latine ne remonte pas pour nous au delà du temps de Varron', mais qui est certainement beaucoup plus ancien, ne figure que dans un seul texte littéraire, le passage célèbre des Géorgiques 2 où Virgile chante à sa manière, c'est-à-dire en y mêlant des souvenirs helléniques, les origines rustiques du théâtre en Italie. Il y parle à la fois de masques d'écorce dont les acteurs du drame populaire se seraient, aux fêtes de LIBER PATER, couvert le visage et d'oscilla qui, doucement balancés aux branches d'un pin, présagent la fertilité au vignoble vers lequel le dieu aura tourné sa face auguste. L'oscillum, àce compte, serait l'effigie même du dieu, et il semble que les masques, dont il est question d'abord, en soient distincts 3. Cependant, si l'on recourt aux commentateurs anciens de Virgile, qui ont écrit d'assez longues notes sur ce passage l'opinion aurait donné le nom d'oscilla, non pas à une représentation de Bacchus sous forme de tête ou de masque, mais à celle des têtes ou faces des victimes immolées en son honneur. Oscillum viendrait de os et d'un verbe archaïque : cillere pour movere ; ou encore du nom des Osci, race de l'Italie méridionale, chez lesquels l'usage des oscilla dans le culte aurait pris naissance. Aucune de ces interprétations n'a de valeur scientifique : ce n'est pas par le mot, mais par les faits archéologiques que l'on doit expliquer l'oscillum et marquer sa place dans le culte. Celui qui frappe tout d'abord, c'est que l'oscillum et l'oscillatio sacrée, dans la religion des Latins, offrent une ressemblance certaine avec les pratiques de l'xï«1pa ou i(fipa des Attiques, qui fait partie, elle aussi, du culte de Bacchus et y a sa légende [MOKA] 5. A la fête de 1'alwpx les Athéniens attachaient aux arbres, par des noeuds coulants appelés, eux aussi, aïààpat, des cordes en manière de balançoires, et sur ces cordes se balançaient des jeunes filles, plus tard des poupées ou des masques, tandis que l'on chantait un hymne appelé â)vïyrts, dont un poète, Théodore de Colophon, avait écrit les vers s. Les oscilla des Latins sont-ils une importation du rite de l'atodpa pratiqué en Attique, comme l'ont pensé certains interprètes, ou la manifestation d'une religion commune à deux races soeurs, il est difficile d'en décider. Remarquons seulement que le culte des Romains offre des cas nombreux de sacrifices simulés où la victime humaine est remplacée par des mannequins, des poupées ou des figures qui, le cas échéant, peuvent revêtir les formes d'un masque'. Mais ce qui, en l'absence de textes littéraires, et devant la confusion des commentaires, VII. reste douteux, s'éclaire à la lumière des monuments figurés et de la tradition archéologique. Boetticher, qui a consacré aux oscilla un important chapitre de son livre sur le culte des arbres dans l'antiquité, nous permet d'affirmer, d'abord que la suspension des oscilla est un épisode de la décoration de l'arbre sous lequel se célébrait le Couros bachique 3 ; ensuite que le nom d'oscillum peut s'appliquer indistinctement au masque du dieu lui-même, à ceux des principaux personnages de son thiase, et par extension des acteurs du culte, et même à toute espèce de dons employés à orner l'arbre sacré'. La cérémonie avait la valeur d'un sacrifice de propitiation et de lustration ; les Orphiques y voyaient un acte de purification par l'air, comme il y en avait par le feu ou par l'eau 10. Comme telle on la rencontrait aussi dans la fête des semailles et même dans la célébration des Féries latines sur le mont Albain, où on la rattachait à la légende du roi Latinus". Elle s'accomplissait même dans l'intérieur des maisons, le nom d'oscilla étant donné à des phallus formés d'un assemblage de fleurs qui, suspendus entre les colonnes des portiques, étaient heurtés et mis en mouvement à coups de tête par les assistants 12. Les oscilla rustiques, faits de matière périssable, les masques surtout qui étaient en écorce ou en bois grossièrement sculpté, ont péri ; mais nous les retrouvons dans l'art récent sous la forme de disques en marbre ]CLIPEUS, fig. 1668 à 1670j, en bronze, en terre cuite, percés à la partie supérieure de trous ou munis de griffes en métal, par où passaient les cordes de suspension H. Ces disques représentent soit sur l'une des faces, soit le plus souvent sur les deux, des masques de théâtre, des personnages en pied ou isolés on groupés dans des scènes d'un caractère symbolique. Un monument antique nous en montre l'emploi (fig. 5442) : l'oscillum, qui a la forme d'un petit bouclier uval, est suspendu par une corde à la branche d'un arbre et porte sur l'une des faces l'image en pied d'un personnage ; auprès est un autel". Ailleurs des masques tragiques ou comiques sont accrochés à des thyrses que brandissent ou Bacchus ou les personnages de son thiase (fig. 5413)1". On en voit plusieurs réunis sur un grand candélabre en marbre du Musée du Lou 33 OS1 -..Q 25S -()ST vre (lig. 544) Le beau vase en agate connu sous le nom de coupe des Ptnlc nées (fig. 1185) nous offre la table même du é omes, abritée sous une tente formée entre de teps et de oliviers ; sur le fond des draperies et du feuillage se détachent des masques variés dont deux cornus, qui ne sont autre chose que des oscilla'. De témoignages cités par Grimm il résulte que l'usage de suspendre aux arbres des tètes réelles, tout au moins d'animaux, afait partie, dans l'antiquité , d'autres cultes que ceux des Grecs et des Romains. C'est ainsi qu'il faut interpréter , et non par des figures d'animaux peints sur des étendards , les « effigies de bêtes Jfauves arrachées aux forêts et aux bois sacrés des Germains , dont pa le Tacite, En plein moyen age, chez lO peuples de ra^ ; 'tique il est question d'arbres qui sont l'objet d une ration païenne et auxquels on suspendait, hommage t quelque divinite obscure, des têtes d'animaux tués à la chasse. ,1.-A. Han, OSHIIS ("O~lplc,' Gogo.i, -Dieu égyptien dont le culte, adopté ar ;-m Grecs t1 `.gypte depuis la fondation d Iles:anO, -e. se répandit dans tout le _onde grécosemain t ., jouit d'une popularité extraordinaire jusq P a.ux joa:s du paganiism Suivant la légende, Osiris, inventeur de tous les arts etcivilisaLeur de l'Égypte, fut mis à mort par Set, le dieu du mal, qui dépeça son cadavre et en cacha les morceaux en divers endroits Isis, épouse d'Osiris, finit par les retrouver après de longues recherches et leur donna la sépulture 7isisj. Ce dieu bienfaisant, symbole du soleil qui féconde la nature, avait eu d'Isis un fils, Morus ou Harpocrate LHARPOCRATES. en qui il se réincarnait. Plutarque, dans son traité sur Isis et Osiris, a raconté longuement le mythe de la Passion et de la Résurrection du dieu égyptien ; il en a exposé les différentes versions et discuté le sens. Ce qui ressort clairement de son témoignage, comme de beaucoup d'autres, c'est qu'en général, les Grecs, et après eux les Romains, ne distinguaient pas Osiris de Sérapis' ; c'est sous le nom de Sérapis qu'ils l'adoraient et leurs artistes ne conçurent jamais pour ses images une autre forme que celle qu'ils attribuaient à Sérapis. Sérapis, c'est Osiris hellénisé ; nous renvoyons à ce nom `sERAprs[. Cependant l'identification ne fut jamais poussée au point que le nom d'Osiris disparût complètement dans le culte égypto-grec pratiqué par les Grecs et les Romains en dehors de l'Égypte. I1 subsiste notamment dans les hymnes, les formules de prière, etc. 2 i1 Rome même, nous voyons des confréries élever une chapelle « à Isis et à Osiris ». IIorace peint un mendiant qui invoque « le saint nom d'Osiris s », tandis qu'il cherche à attendrir les passants sur ses infirmités simulées. Il est probable que ce nom resta surtout lié à la célébration des mystères oh étaient commémorées les diverses péripéties du mythe isiaque. En l'an 416, if y avait encore à Faléries (Étrurie) une fête publique en l'honneur d'Osiris Son nom est le seul qui convienne aux petites figurines émaillées, de fabrication proprement égyptienne, colportées à travers tout le monde ancien et que l'on retrouve en si grande quantité dans les tombeaux de l'époque romaine e. G. LAFAFE.