Le Dictionnaire des Antiquités Grecques et Romaines de Daremberg et Saglio

PAEAN

PAEAN. I. Le péan, l'une des variétés les plus importantes du chant religieux des Grecs, s'appelle nxtiv chez les Doriens, 're«twv en Attique et en Ionie, 3cxn wv dans l'épopée. Mais la forme complète et primitive du nom parait être ivtatiij(ov, qui se lit dans l'hymne homérique à Apollon' : c'est la désignation homérique du refrain caractéristique du péan ; le refrain a donné son nom au poème tout entier, comme l'exclamation iL Birye à l'iobacchos, ô olaaia.fe au dithyrambe, etc. Nous ne nous arrêterons pas aux étymologies plus ou moins aventureuses qui ont été proposées dans l'antiquité ou de nos jours pour le nom du péan ou le refrain 3! PAF. -269 PAF s'est retrouvé inscrit au fond de l'Égypte, sur une stèle de Ptolémaïs'. A Trézène, le culte d'Asclépios était plus ancien qu'à Athènes, et là encore il y avait un péan classique, celui du poète indigène Isodamos 2. Parmi les autres divinités auxquelles furent plus ou moins certainement adressés des péans, on peut citer Zeus Soter et Zeus de Dodone 4, Poseidon Athéna°(?), Déméter' (?), Sérapis 8, Eiréné °. Une mention toute spéciale est due à Dionysos, parce que nous avons conservé en grande partie le plus ancien probablement des péans écrits en son honneur, celui qui fut commandé à Philodamos de Scarphée pour la fête delphienne des Théoxénies, vers 339 av. J.-C.". L'un des refrains de ce curieux poème, Eboï r) 'Ia6axZ' 'IE ratâv, associe de la manière la plus hardie les anciennes invocations traditionnelles de l'iobacchos et de l'iépaian. Le poète cherche à justifier son innovation par un mythe : quand Dionysos arriva en Thessalie, les Muses, racontet-il, le couronnèrent de lierre et, dansant en rond autour de lui, le proclamèrent immortel et péan ; Apollon luimême préludait à leurs chants. « En prenant le nom de Péan, dit excellemment M. Weil, Dionysos devient un autre Apollon; les deux dieux se rapprochent... en attendant qu'ils se confondent". » IV. Après avoir épuisé la liste des dieux et des héros, on en vint à adresser des péans à de simples mortels, exaltés par leurs exploits ou l'adulation. Athénée, c'està-dire Hermippe, cite cinq exemples de péans de ce genre f2, nettement caractérisés par le refrain ir ratzv ; ils avaient été chantés en l'honneur de Lysandre à Samos, de Ptolémée Soter à Rhodes, de Cratère à Delphes (le poème était d'Alexinos), d'Hagémon à Corinthe, d'Antigone et de Démétrios Poliorcète à Athènes (oeuvre d'Hermippos de Cyzique). Cette liste aurait besoin de revision ; Hagémon n'est pas un personnage historique, mais un vieux roi demi-fabuleux; dans certains cas, l'éloge du général ou du roi vainqueur était sans doute lié à celui du dieu sauveur, de manière à éviter le basphème. La preuve que tout au moins avant la fin du Ive siècle le sentiment public n'aurait pas toléré l'adoration brutale d'un homme, c'est qu'A_ristote fut accusé de sacrilège pour avoir consacré à la mémoire de son protecteur, le tyran Hermias d'Atarneus, une ode où de bons juges voyaient un péan, malgré l'absence du refrain péanique et quoique le poète s'adressât officiellement à la Vertu ('Aperct), non à son ami. A l'époque macédonienne, on se montra moins scrupuleux. Comme Antigone et Ptolémée, Flamininus eut ses autels; à Chalcis, du temps de Plutarque 14, on chantait encore le péan où son nom était associé à ceux de Zeus et de Rome et qui se terminait par l'irrvocation iv(c Ifatâv, et 'DITE Mu,TEp. Plus tard, les em pereurs morts sont honorés par des hymnes et des« péans où jeunes gens et jeunes filles mêlent leurs voix". V. Le péan de table (rcoee v auf aon'vxdçl se rattache au péan cultuel : tout festin, à l'origine, procède d'atu sacrifice, et le vin ne peut être bu par les hommes qu'après que la divinité en a reçu sa part sous forme de libation ; le péan accompagne naturellement le sacrifice ou la libation. On comprend donc qu'il ne soit question spécialement du péan symposiaque que lorsque les festins se furent laïcisés ; il y représente alors la survivance de l'élément religieux, les voµtd(t.Eva yépz de la divinité". On le rencontre dès le vue siècle simultanément en pays dorien, ionien et éolien (lesbien)'? et partout il parait avoir été organisé à peu près de même. Il avait une solennité particulière dans les grands repas militaires des Doriens de Crète et de Lacédémone (â.vipcïa, auaa(rta), dans les repas sacramentels des corporations religieuses (Al«aot) 93, et dans les banquets de noces où il prend le nom de yoN.r),toç 7eatâv'9 ; mais il ne devait pas manquer non plus dans les festins privés. Sa place y est marquée après le repas (âEïavov) proprement dit, quand on enlève les « premières tables », qu'une partie des convives prend congé et que la « buverie » (auv.ardato'e) commence pour les autres 'LCOENA]. A ce moment, chez les Athéniens du moins, on mêle l'eau et le vin dans trois cratères, la première coupe de chaque cratère est offerte en libation (l'une aux dieux olympiens, l'autre aux héros, la troisième à Zeus Soter), et c'est après la troisième libation que toute la compagnie, le rameau de laurier en main, chante en choeur le péan : de là son épithète de 'cottidairovooç 20. Si dans le courant de la soirée il devient nécessaire de préparer un nouveau cratère, on procède à une nouvelle libation et à un nouveau péan 21 ; parfois aussi la séance se termine par une libation et un péan, mais cette fois, semble-t-il, chanté par l'amphitryon seul 22. Au contraire, le péan principal, celui da début, est toujours chanté en choeur 23, et c'est pour cela que tous les hommes bien élevés devaient savoir y faire leur partie. L'accompagnement était confié à l'autos 24. Le péan s'adressait, en principe, à Apollon Péan 25, quoique la libation fût offerte à Zeus Soter' mais, comme dans le cuite, d'autres dieux pouvaient être invoqués, par exemple Apollon Musagète 58, Poseidon 27, Hygie ", la Vertu". On choisissait d'ordinaire un morceau court et classique, connu de tous, par exemple de Stésichore, de Phrynichos (?)., de Pindare ". Le péan symposiaque doit être soigneusement distingué des autres airs chantés par les convives au cours du banquet, par exemple, les airs de Tyrtée chez les Lacédémoniens ou les axd)tta chez les Athéniens". Ces airs diffèrent du péan : 1° par leur exécution monodique (xvà' éva) ; 2° par leur caractère pro Phi --270 _-PÀE fane : seul le péan est lin chant 1°eiigieux, une prière; c'est lui que Xénoplfane' a en vue quand ïl écrit: Il reste vrai que le péan fut, comme les scolie, entraîné dans le changement des moeurs et l'oubli des anciens usages : dès le ive siècle, Antiphane se plaint qu'on ne chante plus ni le « Télamon e, ni le péan, nit' « Harmo dios S'il reparaît plus tard, c'est par un goût de renaissance archéologique. V1h----l'eous n'avons pas à écrire l'histoire littéraire du péen3. Rappelons seulement que, maigre la diversité des époques et des styles individuels, le péan offre quelques caractères uniformes, qui tiennent à son origine et à sa destination : il a une allure joyeuse et confiante, qui s'oppose volontiers à la tristesse du thrène 4 ; mais sa joie ne dégénère jamais en exubérance et en désordre; on oppose son calme, sa « gravité réglée » au délire et à l'enthousiasme du dithyrambe 3 : c'est l'antithèse classique d'Apollon et de Dionysos. Beaucoup de péans, notamment ceux de table, étaient de courtes compositions, qui se résumaient en une invocation et un éloge de la divinité ; d'autres, par exemple les péans chantés aux grandes fêtes, avaient des proportions plus considérables, un style chargé d'épithètes descriptives, qui admettait l'audace des alliances et la nouveauté des mots. En général, on peut y distinguer trois parties : 1° une invocation au dieu, parfois accompagnée d'un appel aux fidèles; à° un ou plusieurs récits ou tableaux mythiques ; 3° une prière terminale, qui est de rigueur Le récit mythique varie à l'infini, selon le dieu invoqué et l'occasion de la fête : ainsi, dans le péan imaginé par Apollonios de Rhodes, le thème du récit est la victoire d'Apollon sur le dragon ; dans celui d'Alcée, c'est le séjour du dieu chez les Ilyperboréens et son retour à Delphes 8, dans celui d'Aristonoos, la purification d'Apollon à Tempé et son retour sous la conduite d'Athéna; dans celai de Philodamos, l'apothéose de Dionysos. Ce dernier péan mêle à ses récits mythiques des allusions à des préoccupations actuelles et des prescriptions très positives de l'oracle delphique; il est probable qu'il en était déjà ainsi dans les péans de Pindare. Les deux hymnes delphiques accompagnés de notes musicales, quoiqu'ils ne soient pas des péans, se rattachent par leur structure littéraire au même principe et peuvent donner une bonne idée de la composition et même du style d'un péan d'apparat. Les péans rituels du culte d'Asclépios à Athènes et à Épidaure ont une forme plus simple : la généalogie du dieu y est au premier plan. La structure métrique du péan présente les plus grandes variétés. Tout d'abord, il peut être composé xvvx aT(xov : c'est le cas des péans en hexamètres, qui sont peut-être les plus anciens 9; d'autres fois il est divisé en courtes strophes similaires 70, ou se compose d'une grande strophe et d'une antistrophe correspondantes" ; à l'époque de Pindare, la structure épodique est probable, mais nous n'en avons pas d'exemple certain. Plus tard, sous l'influence du dithyrambe, le péan devient souvent une composition libre et astrophique, lege soluta, dont l'unité rythmique ne réside plus que dans la prépondérance de certaines mesures et le retour plus ou moins régulier du refrain 1z. Après l'hexamètre, qui peut remonter à la période achéenne. le péan emploie d'autres xn)è,a dactyliques d'origine dorienne et les dactylo-épitrites familiers à Pindare et à Simonide 13. L'anapeste et les iamboanapestes, rythmes de marche, caractérisent les péans prosodiaques' 4 ; les xwAachoriambico-iambiques et glyconiques paraissent d'origine lesbienne et conviennent aux péans dansést3. Enfin, on trouve l'ionique mineur dans le péan d'Isyllos, sans doute sous l'influence du dithyrambe contemporain. On s'étonnera peut-être de ne pas rencontrer dans cette énumération le péon proprement dit -di, et son équivalent le crétique -v-. C'est qu'en effet, quoi qu'on en ait dit, nous ne connaissons aucun fragment certain de péan où ces rythmes soient employés '8; leur éthos enthousiaste 'r convient d'ailleurs mal à l'allure grave du péan et caractérise l'hyporcheme93. Si donc, comme ii est probable, il existe un rapport étymologique entre Tcrbv, le poème, et rtataw ou itatrzv, la mesure '9, il faut admettre avec M. Henri Weil" que le terme rythmique péon désignait à l'origine exclusivement le grand péon de dix temps, , appelé plus tard irai« v éreioéatioç , et non le rcatàv ôtâyutoç de cinq temps. Cette mesure à 5;'4 est une de celles auxquelles on peut, sans violence, soumettre le refrain 1 itcat°7wv, et peut-être les péans de Thalétas étaient-ils composés 'dans ce rythme inégal mais majestueux 42. Le refrain péanique, é7i`Pp~ICa, btcipOeyla.a, iat6pwv€;64a, ittép..vtov rcatwvtxdv (ou encore ircgldç), se présente sous des formes très variées qui se prêtent à tous les caprices du mètre et du poèteL3 : i~ IIx(xv (ou Ilanrrsv), il 11., hi) II,, devenu banal dès le Jvr siècle, ne suffit pas à caractériser un péan", mais est-il du moins nécessaire pour qu'il y ait péan? C'était l'avis d'Hermippe, qui en concluait que PAL l'ode d'Aristote à la Vertu n'était pas un péan ; mais ce n'était pas l'avis de Didyme, et Athénée lui-même qualifie de péan l'ode d'Ariphron à Hygie, où le refrain manque ; il y a apparence qu'il manquait aussi dans les grands péans de Pindare, de Simonide et de Bacchylide 2. Dans les péans parvenus jusqu'à nous, l'acclamation péanique, quelquefois encadrée dans une phrase plus étendue, se présente ordinairement à la fin de chaque couplet (ipSiivtov) et vers le milieu (;r.eeaµvtov). Dans les poèmes astrophiques, elle s'intercale capricieusement, mais elle revient généralement à la fin de chaque coupure du sens et toujours à la fin du poème entier. On a supposé que, même dans les péans chantés par une seule voix, le refrain était toujours repris en choeur. VII. Nous ne possédons la mélopée d'aucun péan grec et nous avons peu de renseignements littéraires sur ce sujet. Alcman, Simonide Pindare, Baeehylide avaient, parait-il, composé de nombreux péans en mode dorien 3 ; un fragment d'un péan de Pindare qui vante la solennité du dorien était sûrement mélodisé dans cette harmonie'. Inversement, celui où il raconte l'origine de l'harmonie lydienne devait être tiré d'un péan en mode lydien', et les péans « lesbiens » mentionnés par Archiloque étaient sans doute chantés en mode éolien, Dorienne ou non, la musique du péan, comme il convient à son style grave, est classée dans le rp6°oç -r»uzceTrixéç ', et le grand nombre des exécutants ne permet pas de croire qu'on y eût accumulé les difficultés. La mélopée chromatique des hymnes de Delphes ne eonvient nullement au péan de la bonne époque ; il est vrai que dès le temps de PIaton, à en croire ses doléances, tous les genres, tous les styles étaient mêlés. Le péan est en principe et dès l'origine un chant choral, ce qui n'empêche pas qu'un péan, une fois classique, pouvait être à l'occasion chanté en monodie : le dieu Pan, disait-on, en avait donné l'exemple en chantant un péan de Pindare 8 ; Pythagore chantait de même, aux sons de la lyre, les péans de Thalétas'. Dans les exécutions solennelles, clans le péan symposiaque proprement dit, le chant choral est la règle. Comme pour tous les hymnes grecs, ce chant est à l'unisson. Le choeur est nombreux, Les exécutants sont, selon les cas, des hommes faits t péan symposiaque, péan des Hyacinthies), des jeunes garçons ", des jeunes filles"; nous n'entendons jamais parler, du moins à l'époque grecque", de choeurs mixtes, qui auraient dû chanter à I'octave, Le choeur a un chef qui porte le nom dei «oywv. Le sens de ce terme n'est pas très clair : il semble que le chef de choeur entonne seul les premières mesures du péan pour donner, en quelque sorte, le La à ses compagnons ; puis ceux-ci emboitent le pas''`. On réduirait trop le rôle du choeur en le bornant à la reprise du refrain ; il est plus PA E probable que celui-ci était entonné par l'assistance tout entière, comme une sorte d'amen, Le péan est chanté tantôt en marche, tantôt de pied ferme. A la première catégorie appartiennent certains péans prosodiaques, reconnaissables à. leurs rythmes anapestiques ; le péan décrit dans l'hymne homérique à. Apollon" est aussi de ce genre. Mais tous les péans chantés au cours d'une procession, comme par exemple celui d'Isyllos, n'étaient pas proprement prosodïaques : le choeur s'arrêtait à certains reposoirs, chantait l'hymne, puis reprenait sa marche iO. Le péan symposiaque parait avoir été chanté assis ou même couché ; quant au péan cultuel non prosodiaque, les choreutes le chantaient groupés autour de l'autel du dieu. Tantôt il se danse, dit Athénée, tantôt non'". » Parmi les péans dansés, on doit ranger la plupart de ceux de Delphes 26; de Thèbes 19, de Lacédémone 20, le péan national oies Mantiuéer-ss-".; etc. ll faut, d'ailleurs, se représenter cette danse comme grave et tempérée, très différente de celle qui accompagnait le dithyrambe ou l'hyporchème. C'est sans raison qu'on a fait intervenir ici la pyrrhique ou les danses erétiques proprement dites. Le péan primitif de Crète et de Delphes s'accompagnait de la lyre ou de la cithare22; ordinairement c'était le chef de choeur lui-même, jeune garçon ou adulte, qui maniait l'instrument 23, Plus tard la flûte, admise non sans difficulté dans le culte apollinien, doubla la lyre2" ou même la remplaça entièrement, notamment dans le péan prosodiaque 2' ; dans ce cas, les fonctions d'instrumentiste et de chef de choeur (i xp»uv) sont naturellement distinctes. Pollux nous apprend que l'instrument employé à l'accompagnement des péans (sans doute à Delphes) étaitl'«b?bç nu@txdç, de grandes dimensions et d'une sonorité grave n. (Nous avons déjà parlé de l'emploi de la flûte dans le péan symposiaque et de la trompette dans le péan militaire. TH. RrluncR.