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PATRIA POTESTAS. DROIT GREC. Dans le droit grec primitif, comme d'ailleurs dans toutes les anciennes législations, la puissance paternelle paraît avoir été organisée, non dans une vue de protection de l'enfant, mais dans l'intérêt presque exclusif du père. C'est là une conception qui dérive de la situation même du père de famille, qui apparaît, avant tout, comme le chef du culte domestique'. Certain passage de Denys d'Halicarnasse 2 pourrait toutefois laisser croire que les anciens législateurs de la Grèce, comme Solon, Pittacus et Charondas, avaient organisé la puissance paternelle d'après des vues analogues à celles qui ont prévalu chez les législateurs modernes, en n'accordant au père de famille qu'un droit de correction et d'exhérédation 3. Mais nous estimons, au contraire, que le caractère de la puissance paternelle a été originairement le même à Athènes qu'à Rome ; seulement, dans la première de ces deux cités, il s'est modifié dans le sens moderne beaucoup plus rapidement qu'à Rome, à raison de certaines circonstances à la fois d'ordre économique, d'ordre politique et d'ordre intellectuel'. Ainsi à Athènes, où la population, à la différence de ce qui avait lieu à Rome, était plutôt commerçante qu'agricole, les nécessités de la vie obligeaient les membres d'une même famille à déployer fréquemment leur activité dans des contrées lointaines et, pour le succès de leurs opérations commerciales, il était nécessaire qu'ils jouissent d'une indépendance incompatible avec l'ancienne conception de la puissance paternelle. D'autre part, à Athènes, la famille eut à compter de bonne heure avec une association religieuse indépendante de l'État, et qui, composée de divers citoyens se rattachant plus ou moins à des ancêtres communs, possédant le même culte, les mêmes divinités spéciales, eut une tendance toute naturelle à s'immiscer dans le gouvernement des diverses familles qui se rattachaient à elles et à contrôler les pouvoirs de leur chef : nous voulons parler de la phratrie. En présence de celle-ci, la famille cessa de former un groupe autonome et absolument indépendant. Ce qui contribua aussi à adoucir les rapports des pères avec leurs enfants, ce fut la communauté de vie militaire et politique qui, dans l'armée et les assemblées publiques, réunissait le père et le fils. Enfin l'esprit philosophique, qui se développa à Athènes d'assez bonne heure, contribua fortement à modifier les bases de l'organisation de la famille. On en arriva à cette notion de la puissance paternelle que nous donne Aristote lorsqu'il dit que l'autorité du père sur ses enfants est « toute royale » et qu'elle a pour fondement l'âge et l'affection '. Aussi, dans le droit grec, et à Athènes spécialement, la puissance paternelle, dès le ve siècle av. J.-C., fut-elle réglementée suivant des prin
cipes semblables à ceux qui, à Rome, n'ont fini par être admis que dans le droit impérial, et encore assez tard.
A Athènes, d'ailleurs, les liens de la puissance paternelle ne se sont ainsi relâchés que vis-à-vis des fils. Cette puissance a, au contraire, toujours subsisté, sinon avec la rigueur primitive, du moins avec le même caractère, à l'égard des filles, car celles-ci sont toujours en puissance de kyrios [EVRIOS].
La puissance paternelle ayant pour principe et pour condition la communauté du culte domestique, ne peut s'étendre que sur les enfants qui participent à ce culte, c'est-à-dire sur les enfants nés du mariage ou sur les enfants adoptifs [ADOPTIO]. Quant aux enfants naturels, qui sont exclus de l'âyytaTEia tepuv, s'ils sont soumis à la reverentia envers leur père, ils ne sont point assujettis à sa puissance [xoTHOI].
Effets de la puissance paternelle. Un des droits les plus considérables que l'on ait jamais fait dériver de cette puissance, le jus vitae necisque, a-t-il été admis par la législation athénienne? Nous le croyons, car nous avons à ce sujet le témoignage d'Eschine' qui admet l'existence à une certaine époque du droit du père de condamner à mort sa fille, lorsque celle-ci s'était laissé séduire. Que ce droit du père se soit étendu sur les fils en puissance aussi bien que sur les filles, c'est ce qui résulte également, à notre avis, du droit incontestable qu'il possède d'exposer les enfants nouveau-nés, car l'exposition peut quelquefois n'être qu'un meurtre déguisé. Le jus vitae necisque a dû cependant disparaître d'assez bonne heure à Athènes. Contrairement à l'opinion de certains rhéteurs 8, nous estimons que ce droit n'était plus reconnu au père à l'époque de Solon
Un droit analogue qui appartient au père de famille, est celui d'exposer les enfants nouveau-nés [ExrostTlo]_
La puissance paternelle, dans sa conception primitive et religieuse, conférant au chef du culte domestique un pouvoir absolu sur la personne physique des membres de la famille, lui donne, à plus forte raison, le droit de les faire sortir de celle-ci sans mettre leur vie en danger, c'est-à-dire au moyen d'une vente. Cette vente pouvait avoir lieu souvent par des considérations d'intérêt : c'est ainsi qu'au témoignage de Plutarque 10, avant les réformes de Solon, beaucoup de pères de famille se trouvaient contraints par la misère de vendre leurs enfants et aucune loi ne les en empêchait. La vente des filles de citoyens fournissait aussi un élément au concubinati'.
Solon, sans supprimer entièrement le droit du père de vendre ses enfants, le restreignit dans des limites assez étroites : il ne l'autorisa plus qu'à l'égard des filles, et encore dans le cas où celles-ci étaient surprises en faute par leur père 1z. La prohibition de la vente des enfants entraîna la suppression du droit de les engager pour la sûreté d'une dette contractée par le père de famille, droit qui subsista plus longtemps dans d'autres citésf3.
Le droit de correction du père est incontestable et va jusqu'à battre son enfant pour arriver à se faire obéir 14.
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L'abus du droit de correction ne paraît même pas avoir été une excuse pour l'enfant, afin de se soustraire à l'accomplissement des obligations d'aliments et de respect dont il est tenu envers son père et d'échapper à la ^roaar, xxxuéaswç formée contre lui '. Mais les obligations de l'enfant cessent lorsqu'il a été prostitué par son père, car il y a là un abus manifeste de la puissance paternelle 2.
La puissance paternelle confie encore au père de famille plusieurs autres droits sur la personne de ses enfants. Ainsi elle lui permet de faire sortir un fils de la famille en le faisant entrer par voie d'adoption dans une famille étrangère [(DOPTIO I, Elle entraîne aussi certains effets en ce qui concerne le mariage des enfants rsi trRiMoxn;M]. Un autre effet de la puissance paternelle consiste dans le droit pour le père de donner par testament un tuteur à ses enfants pour le cas où il viendrait à mourir avant qu'ils ne fussent sui juris 3. La, patria potestas comporte en outre le droit pour le père non seulement de donner un nomà l'enfant au moment de sa naissance, mais encore de modifier ultérieurement ce nom en portant ce changement à la connaissance des intéressés au moyen d'une proclamation par l'organe du héraut '. Enfin cette puissance donne au père le droit d'expulser son fils de la
Quant aux effets de la puissance paternelle relativement aux biens de l'enfant, il nous semble que le père devait avoir non seulement l'administration des biens composant la fortune personnelle de ses enfants mineurs, tels que ceux ayant pu leur advenir de la succession de leur mère, mais encore la jouissance de ces mêmes biens, à la charge d'employer les revenus de ces biens à l'entretien et à l'éducation de l'enfant. Cela est certain pour le cas où les biens advenus à l'enfant sont ceux qui formaient la dot de sa mère t. A la majorité de l'enfant, le père restitue et rend compte G.
Les droits du père sur les biens de ses enfants nous paraissent entraîner sa responsabilité à raison des délits commis par ces derniers, en tant du moins qu'on peut établir à la charge du père une négligence ou un défaut de surveillance. Mais on ne voit pas que le droit attique ait admis à l'égard des enfants quelque chose de semblable à l'abandon noxal des Romains '.
Quant à la responsabilité du père à l'égard des obligations contractées par son enfant mineur, elle ne saurait, si on l'admet, être bien étendue. A Athènes, en effet, le fils de famille se trouve frappé de l'incapacité presque absolue de contracter et, à supposer qu'il puisse s'obliger, il le peut tout au plus jusqu'à concurrence d'un médimne d'orge s. La responsabilité du père ne saurait donc dépasser elle-même cette limite.
Extinction de la puissance aaternelle. Cette puissance prend fin, en premier lieu, par la mort du père de famille. Celui-ci peut toutefois faire survivre, dans une certaine mesure, cette puissance à sa mort, en nommant à ses enfants mineurs un tuteur testamentaire.
La servitude encourue jure civili, qui entraîne la dissolution du mariage [MATRiaie',VmM], met fin de même à la puissance paternelle. On ne saurait admettre, en effet,
qu'un citoyen, même mineur, puisse être soumis à la puissance d'un esclave e.
L'adoption met fin également à la puissance paternelle, car, à Athènes comme à Rome, elle rompt tout lien civil entre l'adopté et sa famille naturelle. Par contre, l'adopté, s'il est encore mineur, tombe sous la puissance paternelle de l'adoptant 10.
Le mode normal d'extinction de la puissance paternelle, c'est la majorité du fils: quant aux filles, la puissance paternelle est perpétuelle. La question de savoir à quel tige le fils devient majeur, ne parait plus douteuse : le traité d'Aristote sur la constitution politique des Athéniens nous a donné à ce sujet des renseignements, à notre avis, décisifs ". L'àge de la majorité est de dix-huit ans accomplis à Athènes 12. Il est d'ailleurs le même, selon nous, pour tous les Athéniens, sans qu'il y ait à faire de distinction entre les orphelins et les fils d'épicières, d'une part, et ceux qui, d'autre part, ont encore leur père au moment où ils veulent être inscrits sur le registre civique.
La majorité, qui entraîne l'extinction de la puissance paternelle, met lin également aux pouvoirs du tuteur dans le cas où l'enfant. ayant perdu son père, se trouvait en tutelle. Le citoyen majeur a la libre disposition de son patrimoine et les actes de gestion et d'aliénation qu'il passe relativement à ses biens sont parfaitement valables, sans que d'ailleurs il passe par une période de demi-capacité semblable à celle des mineurs qui, en droit romain, sont pourvus d'un curateur, même après la cessation de la tutelle, jusqu'à rage de vingt-cinq ans. Ayant la libre disposition de ses biens, le citoyen athénien majeur de dix-huit ans peut faire un testament ou une adoption". La majorité confère également l'exercice des droits résultant de 1 anchistie et qui n'étaient jusqu'alors qu'à l'état latent. Ainsi le fils inscrit sur le registre civique devient le kyrios de ses soeurs, en sa qualité de plus proche anchisteus. La déclaration de majorité donne enfin, en principe, la capacité d'ester en justice sans aucune autorisation ni assistance'''.
L'àge de la majorité n'était point fixé de la même manière dans toutes les villes grecques et il était, tantôt plus reculé, tantôt plus avancé qu'à Athènes. Ainsi tasos, les jeunes gens sont majeurs à vingt ans seulement15, à Tyane à vingt et un ans''', et d'après une inscription laconienne, cinq ans après la puberté 11. Par contre, une inscription de Dymé fixe la majorité à dixsept ans accomplis". D'après Denys d'Flalicarnasse" Pittacus et Charondas auraient adopté dans leurs législations le même âge que Solon, c'est-à-dire dix-huit ans Le même âge se rencontre peut-être aussi à Sparte". A Delphes, la majorité commence, de même qu'à Athènes, lorsque les jeunes gens =7zi è;e-rEÇ rettan . A Gortyne enfin, la majorité parait avoir commencé, comme à Athènes, à la fin de la dix-huitième année, quand Io jeune homme est devenu Spo ceûç, c'est-à-dire lorsqu'il a le droit de s'exercer au gymnase public 22.
Dans la législation de Gortyne, les enfants sont bien soumis au pouvoir du père, mais ce pouvoir est assez
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limité et, pas plus qu'à Athènes, n'a rien de commun avec la patria potestas romaine. En effet, le fils, même glu vivant du père, a la libre jouissance et disposition des biens qu'il a pu acquérir par son travail ou qui lui sont advenus à titre de succession, comme par suite du prédécès de sa mère. La loi ajoute que le fils ne pourra ni aliéner, ni donner en hypothèque les biens de son père vivant, ni en exiger le partage 1. Elle décide toutefois 2 que, dans le cas où un enfant est frappé d'une condamnation pécuniaire, il doit être apportionné par avance oie ce qui doit lui revenir ultérieurement dans la succession de ses parents. Il a donc, même du vivant de son père, une sorte de copropriété dans le patrimoine de la famille, analogue à celle que Gaius' à Rome reconnaissait aux sui heredes.
DROIT ROMAIN. La patria potestas qui, à Rome, est la base de l'organisation familiale, y est organisée, comme dans le droit grec primitif, dans l'intérêt du chef de famille (paterfamilias) et non de l'enfant. Elle n'appartient jamais à aucune femme, pas même à la mère. D'autre part, pour en être investi, il faut être sui juris. En conséquence, l'enfant qui a plusieurs ascendants mâles dans la ligne paternelle, par exemple son père et son grand-père, est sous la puissance de ce dernier, chef de la famille, et non de son père 1. Il n'y a pas d'âge qui libère l'enfant de cette puissance, il y reste soumis tant qu'il n'est survenu aucune des causes d'extinction que nous indiquerons ulterieurelnent.
L'intérêt du paterfamilias en vue de qui est organisée la puissance paternelle, n'est d'ailleurs lui-même qu'un moyen d'atteindre un but plus élevé, un but politique, conforme aux idées aristocratiques qui ont longtemps gouverné Rome : « La loi veut assurer la conservation des idées religieuses par l'unité du culte privé, la conservation des fortunes par l'unité de patrimoine, la conservation des moeurs et des traditions nationales par la souveraineté d'une seule volonté. De chaque famille elle fait une petite cité où règne le pères. »
Avec son caractère particulier et ses effets exorbitants, la patria potestas romaine ne pouvait évidemment appartenir au jus pentium : elle appartient au jus civile'. Cette puissance pouvait sans doute être organisée chez d'autres peuples d'après les mêmes principes et avec la même énergie qu'à Rome; mais la classification (le la patria potestas parmi les institutions du droit civil emportait cet effet que les juges romains ne pouvaient la faire respecter qu'au profit d'un père romain, sur un fils également romain.
Sources de la patria potestas. La puissance paternelle appartenant au paterfamilias en sa qualité de chef du culte domestique ne peut exister que sur les enfants qui participent au culte privé du chef de famille. Les sources de la puissance paternelle sont, en conséquence, originairement au nombre de trois : le mariage ou justae nuptiae [MATxiMONIUM], l'adoption [AIJOPTIO] et la légitimation.
En ce qui concerne spécialement les enfants nés en légitime mariage, ils n'entrent pas de plein droit dans la famille de leur père : il faut, à l'époque classique, comme à l'époque antique, le consentement du chef de
famille. Ainsi, originairement, il fallait que ce dernier, à qui l'on présentait l'enfant lors de sa naissance, l'eût pris dans ses bras et manifesté par là la volonté de le faire sien'. Pour faire entrer l'enfant dans la famille et l'associer au culte domestique, il fallait, en outre, une cérémonie nommée LUSTRATIO. Il importe peu que l'enfant soit issu ou non d'un mariage avec manus : l'acquisition de la puissance sur l'enfant n'est nullement la conséquence de la manus acquise sur la mère [MANUS].
La puissance paternelle peut, à une époque postérieure, s'acquérir sur les enfants issus d'un mariage du droit des gens (non justae nuptiae) dans deux cas prévus par la loi Aelia Sentia (anniculi causae probatio et, erroris causae probatio) 8. Ici l'acquisition de la puissance paternelle coïncide avec l'acquisition du droit de cité romaine par les père et mère ou celui d'entre eux qui ne l'avait pas. Au surplus, la concession du droit de cité obtenue par un pérégrin pour lui-même, sa femme et ses enfants, ne suffit pas à faire tomber ces derniers sous la puissance paternelle : il faut pour cela une décision spéciale du prince 0.
La légitimation, autre source de la patria potestas et qui date seulement de l'époque chrétienne, est un procédé par lequel on fait tomber sous sa puissance et, par conséquent, normalement entrer dans sa famille civile, ses enfants naturels d'une certaine catégorie, c'est-à-dire ceux issus du concubinat. Tant que le concubinat parut régulier aux yeux de l'opinion [coNCUBINATUS], on ne songea point à organiser des moyens spéciaux pour remédier à la condition originaire des enfants qui en naissaient ; cette condition n'avait rien de honteux, et le père pouvaitacquérirlapuissance sursesenfantsaumoyen de l'adrogation. Mais plus tard quand, sous l'influence du christianisme, le concubinat, tout en restant autorisé en droit, fut regardé comme une union dégradante, et les enfants qui en étaient issus considérés comme entachés d'une souillure morale, on pensa qu'il était équitable d'admettre le père à convertir son union irrégulière en mariage légitime. De là la légitimation par le mariage subséquent des deux concubins. Puis, à côté de ce mode normal de légitimation, la pratique en introduisit deux autres, par rescrit du prince et par oblation à la curie.
La légitimation par mariage subséquent fut autorisée, pour la première fois, à titre temporaire, par une disposition de Constantin, en faveur des enfants déjà nés. Zénon renouvela 150 ans plus tard le bienfait de son prédécesseuri0. En à17 seulement, l'empereur Anastase enleva à la légitimation par mariage son caractère de faveur exceptionnelle et transitoire et l'introduisit dans le droit comme une institution régulière et stable, ouverte non seulement aux concubins présents, mais aussi aux concubins futurs".
Justinien maintint l'institution, mais en la subordonnant aux conditions suivantes : 1° il faut qu'au jour où peut se placer la conception de l'enfant, il n'existât pas d'obstacle légal au mariage des père et mère, ce qui exclut toute légitimation des enfants adultérins ou incestueux, des enfants nés d'un citoyen et d'une étrangère, etc.; 2° un instrumentum dotale (contrat de mariage) doit être rédigé pour bien marquer l'intention des concubins de transformer leur union en justae nup
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tint? ; 3° il faut enfin qu'il y ait consentement ou tout au moins absence d'opposition de la part de l'enfant, qui ne peut devenir alieni juris malgré luit. L'effet de ce mode de légitimation est de conférer aux enfants la plénitude des droits résultant de la filiation ex justis nuptiis 2.
Justinien introduisit un autre mode de légitimation, pour le cas où le mariage serait impossible soit matériellement par la mort ou l'absence de la concubine, soit moralement, à raison de sou indignité. Il fut permis alors au père de solliciter un rescrit impérial, qui produisait exactement les mêmes effets que le mariage 3.
Le dernier mode de légitimation, par oblation à la curie, n'est plus, comme les précédents, inspiré par une pensée morale de réhabilitation et par un sentiment de bienveillance envers les enfants naturels : il est d'ordre purement fiscal et a pour but d'assurer le recrutement des curies municipales, responsables de la rentrée de l'impôt, responsabilité onéreuse qui, jointe à d'autres charges fort lourdes, écartait les citoyens de la curie [cexlA]. La fonction de curiale avait été déclarée héréditaire. Mais comme les enfants nés ex concubinatu ne suivaient pas la condition de leur père, ils échappaient à cette hérédité onéreuse, ce qui produisait un vide dans la curie toutes les fois qu'un décurion mourait sans enfant légitime. Théodose le Jeune et Valentinien permirent au père de légitimer les enfants nés du concubinat en les offrant à la curie de leur patrie et en leur donnant les `35 arpents de terre nécessaires pour être curiales, si ce sont des fils, en les mariant à des décurions et en les dotant de 25 arpents, si ce sont des filles.
La légitimation par oblation à la curie ne produit pas des effets aussi complets que les autres modes, car l'enfant ainsi légitimé n'entre pas dans la famille de son père et n'a aucun rapport de parenté avec les parents de son père. Il tombe seulement sous la puissance de celui-ci et a les droits de succession d'un enfant légitime'.
Effets de la puissance paternelle. La puissance paternelle confère, à Rome, à celui qui l'exerce une autorité absolue, qui ne différait guère à l'origine de celle qui appartenait au paterfamilias sur les autres personnes de sa maison, à savoir sur la femme, dans la forme la plus ancienne du mariage, celle avec manus [MANUS], sur les personnes in Inancipio kNCIPIUM] etsur les esclaves. Ces différentes catégories de personnes alieni juris se trouvaient vraisemblablement, à l'origine, soumises à une puissance identique, portant probablement un nom commun (manus?) et dont les variétés n'ont apparu qu'avec le temps.
D'une manière générale, la personnalité de ces différentes personnes s'absorbe en quelque sorte dans celle du paterfamilias. Aussi d'abord l'enfant en puissance, celui que l'on nomme /ïliusfamilias, n'a pas de culte distinct, mais il participe aux sacra du père, et ces sacra lui deviendront propres quand il héritera de son père.
Le pouvoir du père sur la personne du filiusfantilias est analogue à celui du maitre sur l'esclave. Le fils de famille peut, en effet, à certains égards, être considéré, de même que l'esclave, comme un objet de propriété.
VII.
Ainsi le père peut réclamer les enfants en puissance, comme les esclaves, par les actions qui sont la sanction du droit de propriété, c'est-à-dire par l'action en revendication, complétée plus tard par des interdits spéciaux (de liberis exhibendis, ducendis) Al'époque classique, le père mancipait encore valablement son fils ° et, jusque dans la législation de Justinien, le fils peut faire l'objet d'un furtume. Le père peut, d'autre part, exposer ses enfants, c'est-à-dire les abandonner, s'il ne veut pas en garder la charge, comme il peut abandonner les esclaves et les animaux Le paterfamilias peut aussi aliéner ses enfants comme ses esclaves, et, s'il aliène un enfant, celuici tombe in ntancipio de l'acquéreur 1M4NCIPIU3i].
Investi, comme magistrat et justicier, d'un droit de juridiction domestique, le paterfamilias peut frapper ses enfants en puissance de tous châtiments corporels, même de la mort (jus vitae necisque). Il exerce ce pouvoir souverainement, sans autre restriction que l'obligation morale de consulter un conseil de parents, mais sans être obligé de suivre ses avis'. C'est encore par une conséquence du pouvoir du père sur la personne de ses enfants en puissance que ceux-ci ne peuvent se marier sans le consentement paternel [MATRI9LONIi'mi].
Celui qui est placé en puissance paternelle ne pouvant logiquement exercer cette puissance sur d'autres, il en résulte que le /iliusfamilias ne peut lui-même exercer la patria potestas ni sur ses propres enfants, ni sur sa femme considérée, par l'effet de la manus, comme étant loto fliae. C'est donc au pater que revient le droit de puissance sur les enfants de ses fils et c'est lui qui exerce la manus sur la femme de son fils.
La propriété du père sur le fils n'exclut pas cependant complètement la personnalité du fils. II ne dépend point, en effet, du père d'ôter à celui-ci ni la liberté, ni le droit de cité 70. En ce qui concerne l'application du droit public, le fils est assimilé à un père de famille. Ainsi, dès qu'il a atteint l'âge légal, il fait partie de l'armée ; il jouit du jus suffragii ainsi que du jus hanorum1l.
C'est donc seulement dans l'intérieur de la famille et dans les rapports de droit privé que le fils reste pleinement sous la dépendance de son père.
Quant aux biens, le fils de famille se trouve à peu près, en fait, dans la situation d'un esclave. Il ne peut, en effet, avoir de patrimoine propre. Sans doute, à la différence d'un esclave, traité juridiquement comme une chose, le fils de famille est théoriquement capable d'acquérir en son nom la propriété, les créances, les hérédités. Mais les acquisitions qu'il peut ainsi réaliser profitent, comme celles de l'esclave, au paterfamilias 12. Si le père laisse des biens à son fils, la propriété n'en reste pas moins au père, absolument comme celle des biens remis à l'esclave. Ils constituent, au profit de l'enfant, ce que l'on nomme un pécule profectitium (quod e paire pro/iciscilur), révocable à volonté, et qui, bien que grossi par les acquisitions réalisées par le fils, ne cesse point de faire partie du patrimoine du père. La seule utilité de ce pécule était d'initier le fils de famille au rôle d'administrateur qu'il aurait un jour à remplir. Au point de vue
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passif, d'autre part, le fils ne peut obliger le père. Toutefois si le fils s'est obligé par un délit, le créancier peut, comme pour un esclave, intenter, pendant la durée de la puissance, l'action noxale contre le père.
Si le fils de famille ne peut, tant qu'il est en puissance, posséder un patrimoine propre, on le considère cependant comme copropriétaire du patrimoine paternel et, quand il succède à son père, il ne recueille pas un droit nouveau, mais prend plutôt l'exercice d'un droit qui lui appartenait déjà : pour ce motif il est qualifié d'heres sous.
L'antique patrie potestas romaine, dont nous venons de tracer les grands traits, tendit à se modifier et à s'atténuer clans sa rigueur sur la fin de la période républicaine. C'est qu'en effet l'unité d'existence et d'autorité qu'impliquait cette puissance dans la famille pouvait bien convenir « à un État petit et pauvre, à une population respectueuse de ses traditions, dépourvue d'esprit critique et d'esprit d'entreprise' », Mais, à Rome, longtemps avant la fin de la République, l'ancienne cité romaine avait perdu son caractère pour se transformer en un grand empire et s'était imprégnée des idées libérales venues de Grèce. De plus, les Césars étaient peu disposés à maintenir les traditions anciennes qui assuraient à la famille une vie à part dans l'État et garantissaient son indépendance vis-àvis de l'omnipotence impériale. Aussi la législation des empereurs fit-elle des brèches successives au pouvoir souverain du père de famille, à ce point que, dans le droit de Justinien, il ne reste guère de la patria /infestas que le nom.
Tout d'abord le pouvoir du père sur la personne de l'enfant, sous 1°influence de cette idée que la puissance paternelle in pietate debet non in atrocitate consistere 2, subit des restrictions importantes. Le droit de maltraiter l'enfant et de ie tuer disparut par l'effet de diverses décisions impériales. Ainsi Trajan contraint le père qui maltraite son fils à l'émanciper 3. Une décision d'Adrien, en condamnant à la déportation un père de famille qui avait tué son fils. supprima les pouvoirs du père comme juge domestique `. Constantin condamne même, d'une manière générale, à la peine du parricide, le père meurtrier de son fils". Le jus vitae necisque a donc disparu et il ne reste au père qu'un droit de correction, assez étendu ailleurs, et qui permet au père, soit d'infliger luimême des corrections légères, soit de demander au magistrat l'application de peines plus graves. D'autre part, l'exposition des enfants fait perdre au père son droit de puissance et Justinien assure en ce cas, à l'enfant, la qualité de sui juris3. Quant à la vente des enfants, déjà interdite par Dioclétien, la prohibition fut reproduite par Constantin, qui permet cependant aux parents de vendre les nouveau-nés en cas d'extrême misère'. Enfin Justinien supprime l'abandon noxal du fils de famille e.
En ce qui concerne les biens de l'enfant, l'ancien principe qui frappait le fils de famille de l'incapacité d'avoir un patrimoine fut aussi gravement modifie par la création successive du -vi''iitm castrense et quasi-castrense et du peculiunie 'ev ,u tous trois distincts de l'ancien peculium pro ferti' //tin.
La faveur faite à l`armée sous le Haut-Empire par
l'introduction du PECIILrüM CASTRENSE fut étendue par
le Bas-Empire aux fonctionnaires et au clergé chrétien par l'introduction de la théorie du peculium quasicastrense. A partir de Constantin, des institutions impériales assimilèrent progressivement aux biens acquis dans le service militaire par les fils de famille ceux acquis par eux dans les fonctions de la cour, de l'État et de l'Église, sous le nom de peculium quasi-castrense. Le nom même de ce pécule montre qu'il était, en principe, soumis aux mêmes règles que le pécule castrense.
Le peculium castrense ni le peculium quasi-castrense ne procédaient d'une idée de justice : le premier était né des besoins du despotisme militaire, le second des petitesses de l'esprit de cour. Le peculium adventitium est fondé, au contraire, sur cette considération d'équité que le père de famille ne doit pas s'enrichir d'une fortune qui n'est pas son oeuvre et qui ne lui a pas été destinée. Or il était particulièrement inique de voir la succession de la mère, dont les enfants étaient héritiers légitimes depuis le sénatus-consulte Orphitien,aller, par application des anciennes théories, s'engloutir dans le patrimoine du père qui pouvait la dissiper. Constantin décida que cette succession resterait la propriété des enfants, et que le père en aurait seulement, sa vie durant, l'administration et la jouissance ". Plus tard, l'impulsion une fois donnée, on fit entrer dans ce pécule adventice tous les biens provenant, à un titre gratuit quelconque, soit de la mère, soit des ascendants maternels, puis les dons faits par le conjoint ou le fiancé". Enfin Justinien y comprit tous les biens acquis à n'importe quel titre qui ne faisaient pas partie des pécules castrense ou quasi-castrense, ou qui ne provenaient pas du père t2.
Des biens formant le pécule adventice, l'enfant n'a que la nue propriété, le père en conservant l'administration et l'usufruit. Le père étant ainsi intéressé à ne pas émanciper son enfant, pour ne pas perdre l'usufruit, qui était la conséquence de sa puissance paternelle, on atténua ce danger en permettant au père émancipateur de retenir, comme prix de l'émancipation, un tiers du pécule adventice, proportion qui fut convertie par Justinien en usufruit de la moitié". L'enfant, d'ailleurs, même dans le droit de Justinien, ne pouvait pas disposer par testament du pécule adventice"`. Mais, en cas de décès du fils de famille, ce pécule formait l'objet d'une véritable succession ab intestat, à laquelle étaient appelés les enfants du défunt, à leur défaut ses frères et soeurs, et enfin les ascendants mâles de la ligne paternelle".
En définitive, sous Justinien, de l'ancien principe que l'enfant de famille est incapable d'acquérir pour luimême et que toutes ses acquisitions profitent au père, il ne reste plus grand'ehose, si ce n'est le droit d'administration et de jouissance sur le peculium adventitium et la pleine propriété du pécule profectice.
Extinction de la puissance paternelle. Cette puissance, abstraction faite de la mort de l'enfant, prend fin par la mort du paterfamilias. Cet événement rend sui juris ceux des fils de famille qui, au jour du décès, se
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trouvaient sous la puissance immédiate du défunt, c'està-dire les enfants des deux sexes primo grade et les petits-enfants issus d'un pèreprédéeédé. Quant ?Iceux qui, lors du décès du pater, n'étaient pas sous sa puissance immédiate, ils tombaient sous la puissance de celui qui jusque-là les séparait du pater'.
La puissance paternelle s'éteint encore, a partepatrisfamilias, soit par la perte de la cité par celui-ci, la puissance paternelle, à raison de son caractère d'institution du jus civile, ne pouvant appartenir qu'à un citoyen romain, soit par la perte de la liberté par le pater'.
L'extinction de la puissance paternelle peut enfin résulter de l'élevation de l'enfant à certaines dignités sacerdotales, qui paraissaient incompatibles avec la situation faite aux alieni juris. Ainsi, dans l'ancien droit, les fils de famille échappaient à la puissance paternelle lorsqu'ils étaient inaugurés flammes de Jupiter, les tilles lorsqu'elles devenaient vestales'. Sous Justinien, il n'est plus question de ces dispenses, mais des constitutions de ce prince accordent exemption de la puissance paternellb aux patrices, aux évêques et à toutes les personnes que leur dignité affranchissait de la curie'.
Les différentes causes d'extinction de la puissance paternelle que nous venons de signaler présentent ce caractère commun qu'elles n'entraînent pas la rupture du lien d'agnation et que l'enfant devient sui juris sans sortir de la famille où l'avaient placé la naissance, l'adoption et la légitimation. D'autres causes brisent, au contraire, ce lien d'agnation et font perdre à l'enfant tous ses droits de famille. En d'autres termes, l'enfant subit, dans les cas suivants, une capitis deminutio [CAPET]. Les causes de cette seconde catégorie comprennent : 1° la perte de la civitas par l'enfant; 2° la perte de sa liberté ; 3° son adoption ; 4° la constitution de la manus sur la fille de famille, tant que subsista cette institutions [MANUS];
5° l'émancipation [EMANCIPATIO, °. L. BPACCIIET.