Le Dictionnaire des Antiquités Grecques et Romaines de Daremberg et Saglio

PATRICH

PATRICII. I. ROYAUTÉ Si l'histoire des rois, telle que nous l'avons, est une légende, on peut admettre l'existence d'une période royale, qui a duré plusieurs siècles [REx]. Dans cette période, les patriciens ont été non point une aristocratie, mais le corps même des citoyens, le populus, puisque les clients et la plèbe ne devaient pas encore avoir le droit de cité complet. Ils étaient répartis en familles, en gentes dont les membres s'appelaient pentues et aussi patres, en ce sens qu'eux et eux seuls étaient et pouvaient être patres', ou adjectivement patricii, ceux qui avaient un père 2. Le mot patricii devint plus tard substantif et désigna les descendants des anciens citoyens, tandis que le mot patres prit un sens plus étroit et s'appliqua officiellement soit, dans une théorie 3, à la partie patricienne du Sénat, soit, dans une autre théorie, à tous les sénateurs. Les patri ciens s'appelaient aussi Quirites [GENS, p. 1513], mot que remplaça dans l'État patricio-plébéien le mot cives, dont l'étymologie est incertaine. Nous renvoyons pour l'histoire de la famille patricienne au mot GENS. Nous ignorons le nombre primitif des gentes et les listes qu'on a pu dresser sont évidemment incomplètes ]GENS, p. 1515]. La légende qui en admet cent au début n'est qu'une hypothèse ; Varron donnait le chiffre de mille et il faut tenir compte du morcellement des familles. Nous ne savons pas, d'autre part, si les trois tribus des Ilanzrtes, des Titics, des Lueeres représentent les subdivisions d'une seule cité primitive ou la réunion à la cité du Palatin de deux cités voisines. Enfin la légende signale, probablement avec raison, l'introduction de nouvelles familles patriciennes sous la forme de la cooptation', par exemple des six gentes albaines (Gloelii, C.uriatii, Geganii, Julii, Quinctilii, Serviliij', et des é;laudii Les institutions qu'on peut attribuer à l'État patricien sont : une royauté [Brx'; la division en trente curies [CURiA, GENS, p. 1514] et en trois tribus [TRIBUS, l'assemblée des curies cosuTIA_ ; un sénat patricien. Ce sénat a peut-être été au début la réunion de tous les chefs des gentes ou de leurs représentants ; mais de bonne heure il a été constitué par un nombre fixe de sénateurs, dont la tradition attribue le choix au roi, et qui a été soit de cent, soit de trois cents selon l'hypothèse qu'on adopte sur le caractère des trois tribus; à l'époque historique, il est certainement de trois cents. Le service militaire n'incombe régulièrement qu'aux patriciens, seuls citoyens, à l'exclusion des clients et des plébéiens qui cependant ont dû être admis de bonne heure à titre auxiliaire. L'armée du peuple est ainsi composée normalement de la legio de 3000 hommes à laquelle peuvent être adjoints 1200 hommes pris parmi les non-citoyens ; les services de cavalier et de fantassin sont distingués d'après la fortune; l'unité de l'infanterie est la centurie de cent hommes, contingent de la curie, divisée en dix décuries, sous la direction du centurio; la legio, commandée probablement par les trois tribuni militum°, ne représente que le chiffre des hommes enrôlés, puisque le nombre total des patriciens est variable et nécessairement indéterminé 30 [ExERCITUS]. Il y a eu probablement au début trois cents cavaliers, celeres, commandés par les tribuni celerum, divisés en trois centuries et en dix tarmac de trente hommes, ayant chacune à leur tête trois décurions 11; ces trois centuries ont été de bonne heure, sous Tarquin d'après la légende 12, portées à six, les sex centuriae de trois cents hommes chacune, qui gardèrent une place è part 13 lorsqu'à une époque inconnue, sous Servius Tullius d'après la légende, la cavalerie des dix-huit cents hommes fut divisée en dix-huit centuries ; elles restèrent probablement patriciennes jusqu'à la réforme de la constitution de Servius, des comices centuriates, au ni" siècle av. J.-C." [EQUITES, COMITIA]. IL RÉPUBLIQUE. Une lente évolution, dont nous igno PAT -348 PAT rons les dates, ouvrit la cité aux plébéiens et transforma l'État patricien en un État patricio-plébéien où le populus comprit les patriciens et la plèbe'. Cette transformation est impliquée dans l'organisation de l'assemblée centuriate que la légende attribue à Servius Tullius [COMMA]. A quelle époque le Sénat a-t-il été ouvert aux plébéiens? D'après les vraisemblances historiques, confirmées par des textes au moment de la fondation de la République. Le chiffre de cent soixante-quatre plébéiens introduits alors au Sénat n'a d'ailleurs aucune valeur On connaît le tableau que l'historiographie grécoromaine a tracé de la lutte entre les patriciens et les plébéiens depuis la fondation de la République à la date hypothétique de 510, jusque vers l'époque de la loi Hortensia (entre 289 et 286). Les patriciens ont pour eux la possession exclusive des magistratures et des formules juridiques, les voix de leurs clients, le mécanisme du vote dans l'assemblée centuriate, les nominations de dictateurs pendant les crises, la continuité des guerres extérieures, l'appui de la religion romaine, de la science et du droit religieux, la puissance de la fortune immobilière, augmentée par l'accaparement de rager publicus', et de la fortune mobilière augmentée par l'usure'. Les principaux épisodes que l'histoire traditionnelle raconte de cette guerre de deux siècles entre les deux ordres sont : la première retraite (secessio plebis) sur le mont Sacré qui amène la constitution de la plèbe en communauté séparée, les leges sacra/mi, la création des tribuns et des édiles de la plèbe, peut-être aussi des dece,nviri litibus judicandis [TRIRUNOS PLEBIS] ; l'histoire de Coriolan; la lex Icilia de 492 ; la création des conciles de la plèbe; l'affaire de Spurius Cassius de 486 ; la loi Publilia de 471 sur l'élection des tribuns et la valeur légale des plébiscites 8; la période de troubles qui va de 471 au premier décemvirat (451) et qui comprend le procès de Quinctius Caeso, la surprise du Capitole par le chef sabin Appius Herdonius, l'augmentation du nombre des tribuns de cinq à dix, le plébiscite Icilien sur la répartition des terres de l'Aventin entre les plébéiens, la loi Aternia Tarpeia de 454 sur le taux des amendes infligées par les consuls, tribuns, édiles, censeurs [MCLTA] les deux décemvirats et la loi des Douze Tables, législation commune aux deux ordres ; la deuxième retraite de la plèbe sur le mont Aventin, puis sur le mont Sacré ; les lois Valeria Horatia de 449 qui confirment la loi des Douze Tables, obligent les consuls à y conformer leurs jugements, renforcent le droit d'appel au peuple, la provocatio ad populum, l'inviolabilité des tribuns et des édiles de la plèbe, et la valeur légale des plébiscites ; le plébiscite de Canuleius de 445 qui autorise les mariages entre les deux classes et crée le tribunat militaire consulori poteslate accessible aux plébéiens s ; la création de la censure exclusivement patricienne en 443 ou 435 ° l'affaire de Spurius Maelius soupçonné de tyrannie, l'affaire analogue de Marcus Manlius en 38410 ; les trois lois licinio-sextiennes de 367, votées après la réélection des mêmes tribuns pendant dix ans et qui contiennent une loi agraire, l'ouverture du collège des decemviai sacris faciundis aux plébéiens et l'obligation, respectée seulement depuis 342, de prendre un des deux consuls parmi les plébéiens ; la création de la préture et de l'édilité curules,d'abord exclusivement patriciennes, puis ouvertes aux plébéiens, l'édilité curule presque immédiatement, la préture en 337 " [PRAETOR] ; la conquête par les plébéiens en 361 de la censure, en 356 de la dictature ; l'exclusion légale en 339 des patriciens de l'une des places de censeur [CENSOR] ; l'ouverture aux plébéiens des collèges des augures et des pontifes par la loi Ogulnia de 300 12 ; la dernière retraite du peuple sur le Janicule ; enfin la loi Hortensia (entre 289 et 286) qui établit la validité inconditionnelle des plébiscites sans autorisation préalable du Sénat 13, et la divulgation par l'édile curule Cn. Flavius du calendrier judiciaire et des formules juridiques ou, dans un autre système, du droit civil, vers 3041. Il n'entre pas dans notre plan de faire ici la critique de ce tableau traditionnel de la lutte entre les deux classes, de montrer comment les matériaux amassés par les premiers annalistes latins, Ennius, Naevius, Fabius Pictor, Cincius Alimentus, Caton l'Ancien, Calpurnius Piso, ont été remaniés, arrangés par les historiens du dernier siècle av. J.-C., surtout par Varron, Valerius Antias, Licinius Macer, sur le modèle des luttes contemporaines, et finalement mis en oeuvre par Tite-Live et Denys d'Halicarnasse 10. Il est difficile de retrouver la réalité historique au milieu des incertitudes, des obscurités, des absurdités, des contradictions et surtout des répétitions et des anachronismes de l'histoire traditionnelle. Personne aujourd'hui n'accepte plus les épisodes de Spurius Cassius, de Spurius Maelius, de Manlius, d'Appius Herdonius, l'ambassade en Grèce, la seconde année du décemvirat, les premières lois agraires. Le développement réel du tribunat nous échappe complètement. La constitution dite de Servius est une constitution timocratique, qui, telle que nous l'avons, ne peut être antérieure à la réduction de l'as faite cinq ans avant la première guerre punique f9. La pacification de la plèbe par Valerius en 494 s'explique par celles de 342 et de 287. Il est impossible de concilier les lois Publilia de 471, Valeria Horatia de 44917 Publilia de 33916, Maenia1t entre 392 et 21920 sur la valeur légale des plébiscites, avec la loi Hortensia de 287 [CO3LITmAl '1. L'histoire du décemvirat est une série d'absurdités ; la loi des Douze Tables n'est pas un bloc compact; à côté d'un fond probablement très ancien, elle comprend toute l'élaboration juridique du Ive siècle av. J.-C.; et la codification décemvirale fait peut-être double emploi avec la codification du droit attribuée à Cn. Flavius". De la lutte entre la plèbe et le patriciat nous ne con PAT 349 PAT naissons donc avec quelque certitude que la période finale depuis les lois licinio-sextiennes jusqu'à la loi Hortensia. La noblesse patricienne se confond dès lors avec la noblesse plébéienne [NOBILITAS] ; son histoire rentre dorénavant dans celle du Sénat [SENATI.S. Les patriciens n'ont plus, en cette qualité, que les caractères, droits et privilèges suivants : 1° Il y a toujours incompatibilité des qualités de patricien et de plébéien ; un patricien peut devenir plébéien directement par une adoption ou une adrogation, indirectement par la transitio adplebem rGENS, p. 1609j. 2° L'interrex est toujours patricien [INTERREGNUM]. 3° Le princeps senatus est pris jusqu'à la fin de la République parmi les sénateurs patriciens, et autant qu'on peut le voir, dans les plus anciennes familles, les Aemilii, Claudii, Cornelii, Fabii, Manlii, Valerii [SENATUS] 1. 4° L'auctoritas senatus, c'està-dire la ratification d'abord postérieure, puis, à partir d'une époque inconnue, antérieure des résolutions du populus par le Sénat, appartient vraisemblablement jusqu'à la fin, mais de plus en plus réduite à une simple formalité, à la partie patricienne du Sénat, aux patres [AUCTORITAS PATRUM]2, Le soulier patricien sénatorial (calceus mulleus), attribué dès l'origine aux rois et aux patriciens sénateurs, paraît avoir eu jusque sous l'Empire, de plus que le simple soulier sénatorial, la boucle d'ivoire dite luna ou lunula [CALCEUS] 3. 6° C'est parmi les patriciens que se recrutent exclusivement les trois /lamines majores [ELAOIEN, p. 11601, le liedsacrorum [REX SACRORUM] et les deux collèges des Saliens [5AL1I], III. EMPIRE. A la fin de la République il n'y avait plus qu'un nombre infime de familles patriciennes [cens, p. 161.6]; César se fit donner par une loi Cassia le pouvoir, qui n'était plus exercé dans l'État patricio-plébéien, de concéder le patriciat, peut-être comme grand pontife, et au moyen d'une loi curiate La loi Saenia donna le même droit à Octave sans qu'il fût grand pontife '. Ses successeurs l'exercèrent également en qualité de censeurs jusqu'à Domitien 6, puis simplement comme empereurs A partir de Vespasien, probablement le premier empereur qui ne fût pas de naissance patricienne, le Sénat conférait le patriciat à leur avènement aux empereurs plébéiens 3. Mommsen a prouvé que les patriciens étaient dispensés de la gestion du tribunat et de l'édilité En outre, ,jusqu'à Sévère Alexandre ils paraissent n'exercer dans le vigintivirat que la fonction de triumvir inosle-talis, et il est probable que, comme questeurs, ils sont tous quaestores candirlati et quaestares pritu'ipis 1° Au Bas-Empire, Constantin créa le nouveau patricial, sorte de noblesse personnelle 11 Le patrice n'avait aucune fonction, mais un titre purement honorifique, à vie '; il était réputé père de l'empereur et passait avant tous les fonctionnaires, sauf le consul. Théodose Il refusa ce titre aux eunuques; Zénon le réserva aux anciens préfets du prétoire ou de Constantinople, consuls ou maîtres de la milice; Justinien dégagea les patrices de la puissance paternelle 13. On les trouve encore en Orient jusqu'à une très basse époque, en Occident sous les rois gotlls qui portent eux-mêmes ce titre", et dans d'autres royaumes barbares 1' Cu. Lrcnt.A1S. les enfants dont les père et mère étaient vivants s'appelaient àu.'tiaarç «florissants des deux côtés). C'est aussi le mot par lequel les auteurs grecs 2 traduisent les expressions latines patrimi et matrimi (pueri), patz'imae et matrimae 3 (puellae), qui signifiaient chez les Romains, d'après Pestaiset d'autres témoinsles jeunes garçons ou les jeunes filles, jouissant du mémo avantage 6. Servius affirme 7, il est vrai, qu'elles s'appliquaient àla progéniture des époux unis par la confarreatio. Les deux définitions se concilient', si l'on admet, d'une part, qu'il a sousentendu comme évidente la condition de survivance des père et mère; d'autre part, que ces définitions se rapportent à des époques différentes, qu'à lorigine étaient seuls réputés patrimi et matrinzi, tant que vivaient leur, parents, les enfants issus d'un mariage avec confarréation et, conséquemment, patriciens°, mais que plus tard la survivance des parents fut estimée suffisante, à partir sans doute du temps [454 = 300) oùlaloi Ogulnia10 rendit les sacerdoces accessibles à la plèbe : car désormais on ne put raisonnablement exiger des auxiliaires du culte. pris, nous allons le voir, dans cette catégorie d'enfants, une qualité qui n'était plus requise des prêtres eux-mêmes. En tout cas, pour un fait de 694= 160, Tite-Lise` parle de patrimi et matrinzi qui durent être en outre ingenui PAT 350 -PAT si la dénomination n'impliquait pas alors l'ingénuité, à plus forte raison n'impliquait-elle pas le patrieiatl. Les enfants qui avaient leur père et leur mère, considérés pour cela comme bénis des dieux, jouissaient de certaines prérogatives dans les cérémonies religieuses, où il importait que tout, personnes et, choses, fût aussi agréable que possible à la divinité. La préférence allait naturellement à ceux qui, possédant cet avantage assez commun, se recommandaient par d'autres mérites : la beauté, la pureté et spécialement une bonne naissance 2. II est très vraisemblable qu'en Grèce et à Rome' tous les jeunes auxiliaires du culte étaient pris parmi les enfants à père et mère survivants. Voici la liste des cas particuliers pour lesquels nous avons une certitude. Étaient 1cx,O7),etç, à Athènes, les vingt jeunes garçons qui exécutaient la course des Oschophories 4; celui qui dans les Pyattopsies portait l'eirésioné, rameau d'olivier orné de bandelettes et chargé de prémices, jusqu'au seuil du temple d'Apollon ; à Thèbes, celui qui conduisait la Daphnéphorie, marchant devant le porteur de l'arbre consacré à Apollon ; à Delphes, celui qui dans la cérémonie mystérieuse duSeptérion jouait le rôle d'Apollon 7 ; à Delphes et à Olympie, celui qui coupait les rameaux, là de laurier et ici d'olivier, dont on faisait les couronnes des vainqueurs ; en Attique et ailleurs, ceux qui accomplissaient certains rites dans les fêtes nuptiales'. A Rome, devaient être patrimi et matrimi les Saliens 10 et les Vestales ", au moment de leur entrée dans le collège ; le camillus du /l'amen Dialis et la camilla de la flaminica '12 [CaMILbas], la même sans doute qui tissait pour elle le manteau appelé mu." ; les quatre jeunes garçons qui assistaient les Arvales dans leurs sacrifices 1' ; ceux qui escortaient la tensa dans la pompe des jeux''; celui qui précédait avec une torche et ceux qui menaient par la main la mariée dans la deductio16. La présence et la participation de patrimi et rnatriini des deux sexes sont signalées trois fois dans les supplications fai tes pour expier des prodiges, en 534= 220 ", en 564 190 Çdix jeunes garçons et dix jeunes filles) 13, en 016 108 (trente jeunes garçons et trente jeunes filles)19. _nt Dans le premier cas ils chantèrent un hymne, dans les deux autres nous ne savons au juste quel fut leur rôle. Aux jeux séculaires d'Auguste, en 737 --17, l'hymne composé par Horace fut chanté par vingt-sept patrimi et matrimi et un nombre égal de patrimae et Citatrïntae 20. Des patrimi et matrimi des deux sexes chantèrent aussi un hymne à la consécration par Gains du mausolée d'Auguste 21 ; d'autres assistèrent les Vestales dans la purification de l'etnplacement, sur lequel Vespasien fit reconstruire le Capitole =2. L'opinion traditionnelle que les enfants de cette catégorie étaient les plus agréables à la divinité influença peut-être Elagabal quand il choisit parmi eux ses victimes humaines ". En dehors des cérémonies religieuses et toujours pour la même raison, l'intervention des enfants à père et mère survivants était sans doute recherchée dans mainte circonstance comme porte-bonheur. Nous savons du moins qu'ils passaient pour avoir la main heureuse dans les tirages au sort Pu1Lrara FAniA.