Le Dictionnaire des Antiquités Grecques et Romaines de Daremberg et Saglio

Article PELLES

PELLES (A€pµzrn). Les peaux d'animaux ont été constamment usitées dans l'antiquité comme vêtements et comme couvertures. On trouvera aux articles coniARIils et confus ce qui concerne la préparation du cuir et ses emplois divers. Il ne s'agit ici que des peaux non tannées ni corroyées ni dépouillées de leur poil; pour les empêcher de se corrompre on devait les plonger dans un bain d'alun et de sel marin tcoRIARlus, p. 15069. La fabrication des tissus de laine lcANA3, exige un certain développement de l'industrie et de la civilisation. Les peuples primitifs de l'Europe se vêtaient de peaux de bêtes 1. Il en était ainsi chez les Grecs à l'origine', D'après Pausanias, les Locriens Ozoles tiraient leur nom du verbe ?gEty (répandre une odeur) parce qu'ils s'habillaient de peaux de bêtes qu'ils appliquaient toutes fraîches sur leur corps '. On attribuait à Pelasgos l'invention des vètements en peau de porc'. Le costume que les oeuvres d'art de l'époque classique donnent à plusieurs personnages de la fable, héros et dieux, est une survivance des anciens usages : Héraklès portait une peau de lion HEitrf LES, p. 1181, Dionysos et sa suite des peaux de faon Inari-anus, p. 620; NEBRlS ; l'égide en peau de chèvre [AEGIS) était un attribut caractéristique de Zeus [fi Pli EH, p. 692j et d'Athéna MINER VA, p. 1911]. L'une des figures du vase François (fig. 5544), représentant Hermès, nous montre comment on adaptait sur le corps les dépouilles des animaux : elles étaient agrafées symétriquement sur la poitrine et sur le dos, les pattes de devant croisées sur les épaules, les pattes de derrière retombant le long des cuisses eULEs, fig. 3770, 3779, 3781, etc.l. Les Grecs au temps d'Homère employaient encore assez souvent des vêtements de peau 6: c'était le costume des bergers, des pauvres et parfois des guerriers. Eumée s'enveloppe d'une peau de chèvre pour garder son trou peau' ; Athéna jette une vieille peau de cerf sur les haillons d'Ulysse déguisé en mendiant 3 ; Paris et Ménélas 10 revêtent la peau d'une panthère pour combattre, Agamemnon " et Diomède 12 celle d'un lion, Dolon" celle d'un loup. D'autre part, on recouvrait les lits et les sièges avec des peaux de boeuf 11, de chèvre 1', de mouton i6, de lion et d'ours 14 ; celles des chèvres servaient à fabriquer des coiffures qui protégeaient la tète contre les rayons du soleilf6 et des outres où l'on renfermait le vin et l'eau 19 : avec celles des boeufs, très résistantes, on fabriquait des boucliers 20, des casques'', des souliers", etc. Hésiode met en scène un habitant de la campagne qui fait lui-même ses vêtements et ses chaussures avec des peaux d'animaux qu'il taille et qu'il coud". Plus tard on trouve en Grèce des souliers de peau 2l', peau de renard, d'invention thrace'', comme ceux dont sont coulés quelques-uns des cavaliers qui défilent sur la PEL 372 PEL frise du Parthénon(ALOPFIIlns, fig. 229, eto1PUEUS]. Desfourrures continuent à être employées en guise de couvertures; sur le vase de Sosias (fig.5545) les sièges des divinités sont revêtus de peaux de bêtes fauves très reconnaissables'. Des dépouilles d'animaux sauvages tiennent lieu de cuirasses aux montagnards arcadiens 2. On n'a pas renoncé tout à fait au costume des âges primitifs. Les Barbares lui restent fidèles : les Éthiopiens s'habillent de peaux de lions et de panthères '', les Lyciens de peaux de chèvres 3, les Perses et les Babyloniens portent une étoffe garnie d'un côté de mèches floconneuses imitant la fourrure et qu'on appelle xauvzx-riç Chez les Grecs eux-mêmes, les petites gens, surtout à la campagne, continuent à se servir du vêtement de peau pour vaquer à leurs occupations 7. Les bergers l'ont porté en tout temps «fig. 5546, voir aussi fig. 519, 5538). Le théâtre imite la réalité : les esclaves dans les tragédies, les paysans dans les comédies paraissent devant les spectateurs avec cet accoutrement ". Tous les manteaux de peau ou de cuir sont réunis sous le nom général on distingue cependant parmi eux plusieurs catégories, qu'énumère Pollux : la ' t?eéoa, tunique en peau de chèvre avec un capuchon, très répandue (JHPHTHERA) ", la ntn6?a, en peau de chèvre ou de mouton, avec manches, dans laquelle on s'enveloppe pendant la nuit ", la xzT(UVZx-ri, très grossière, en peau de mouton '', la nnd)aç, habit des esclaves''' et des soldats55, etc. D'autre part, Théocrite cite la fa(T'rl des Siciliens '", Dion Chrysostome la xonnég.er, 17 llésychius le xdanoçqui sont tous des manteaux de berger. Les animaux à fourrure étaient assez abondants en Grèce, surtout, à ce qu'il semble, en Béotie]° et en Arcadie 20. Cependant les Grecs faisaient une trop grande consommation de peaux de bêtes pour qu'il neleur l'Ut pas nécessaire d'aller en chercher au dehors. Ils s'approvisionnaient principalement sur la côte septentrionale du Pont-Euxin, où les pasteurs nomades de la Sarmatie apportaient les produits de leur élevage et de leur chasse". Quant aux dépouilles des fauves d'Afrique, elles venaient de Libye", c'est-à-dire surtout, selon toute vraisemblance, de la Cyrénaïque", si riche en animaux féroces24 et peuplée de colonies grecques. En Italie comme en Grèce les peaux de bêtes formèrent d'abord tout le costume des indigènes et plus tard elles restèrent en usage parmi les campagnards et les esclaves. Properce rappelle le souvenir des patres pelliti qui siégeaient jadis au Sénat de Rome ". Juno Sospita, vieille divinité nationale des Italiques [JUNO, p. 687], était toujours représentée avec une peau de chèvre 2o. Columelle parle à deux reprises des fourrures à manches, pelles énanicatae, que portaient ordinairement les esclaves ruraux". Plusieurs statues de l'époque impériale nous montrent (fig. 5547 et PEDuM, fig. 5538) des paysans vêtus d'habits de peau 2". Nous connaissons le nom d'une tunique en peau de mouflon particulière aux Sardes, la mastruca 29 ; l'emploi des fourrures parait être demeuré toujours très répandu en Sardaigne 30. Dans toute l'Italie les paysans avaient aux pieds de hautes bottes de peau appelées perones 31 et sur la tête le GALERUS, coiffure en peau de loup 32, originaire peutêtre d'Arcadie 33, attribuée par Virgile aux premiers habitants du Latium3Æ. Les fourrures d'ours jouaient un certain rôle dans l'équipement militaire ; les poètes font mention de guerriers qui en sont revêtus, comme l'Aceste del'Énéide31 et ce cavalier apulien de la seconde guerre punique cité par Silius Italicus'"; dans l'armée romaine elles étaient portées par les signiferi et les cornicines 31 (fig. 1953, 1956). Avec les peaux d'hippopotame, dont les Égyptiens du temps d'Hérodote faisaient des hampes de lances u, on confectionnait des casques et des cuirasses impénétrables39. Les Romains recouvraient leurs machines de guerre avec des cuirs bruts, coria cruda, et des étoffes en poil de chèvre [clLtclui;'ie ; c'est aussi avec des peaux de chèvres qu'étaient faites les tentes [TENTOIuuM] ; de là vient l'expression sub pellibus, si fréquente PEI.. 373 PEL chez les auteurs latins pour désigner le service militaire t. L'emploi des pelleteries fines comme vêtements de luxe fut assez restreint sous la République; Cincius est le premier à le signaler Sous l'Empire, au contraire, il se répandit largement. Les Barbares d'Afrique et d'Occident avec lesquels les Romains se trouvaient alors en rapport faisaient grand usage des fourrures, comme ceux d'Orient : les Troglodytes africains vivaient nus ou habillés seulement de peaux de bêtes 3 ; les Maures allaient au combat vêtus de peaux de lions, d'ours et de panthères ; les Gétules se couvraient le corps de peaux de brebis 5, les Libyens de peaux de chèvres 6, les Maces des environs de Tingis de peaux de boucs ' ; les Celtes, Gaulois et Germains, se couchaient sur des peaux de loups et de chiens 8 et chassaient le renard pour s'emparer de sa dépouille ' ; un manteau de peau de renne, le RHENO, était une pièce de leur costume 10. Pline, parlant d'un chevalier romain originaire d'Arles, dit qu'il appartenait à une famille notable, où l'on portait des fourrures, insigne sans doute de quelque magistrature locale, gente paterna pellitus 1'. Dans l'Europe orientale, Ovide décerne le qualificatif de pelliti aux Coralles12 et aux Gètes'3 riverains du Pont-Euxin; les Scythes, au témoignage de Sénèque, se taillaient des manteaux dans les peaux des renards et des martres''; on employait aussi le poil du castor [CASTORANI VESTES] ; plus tard, au temps des invasions barbares, Ammien Marcellin déclare que les Huns s'enveloppent dans des fourrures de martres''. On appréciait à Rome les dépouilles des bètes fauves auxquelles les Barbares donnaient la chasse '° : Varron connaît le gaunacum", qui n'est peut-être que le xxuvâxr,ç des Perses ; les Romains adoptèrent le rheno des Germains1e et désignèrent sous un nom grec, sisyrae, des couvertures et des robes de fourrure ". Le jurisconsulte Paul range tous les vêtements de peau sous la dénomination commune de pelles indutoriae 20 ; le Digeste reconnaît leur importance : vestis etiam ex pellibus constabit2'. Cependant, au ve siècle les empereurs essayèrent, sans grand succès, de réagir contre l'abus de ces parures exotiques : une loi de 416 avait interdit à Rome le port des sisyrae". Aux pelles indutoriae s'opposaient les stragula pellicia 23, tapis et couvertures de lit en peaux de bêtes, et spécialement de chevreau 24, de cerf 2' ou d'ours 26. Il est nécessaire enfin de rappeler la grande place que tenaient les dépouilles d'animaux dans la médecine superstitieuse des Anciens : les peaux de chèvre 27, de chevreuil 28, de cerf'', de loup 30, d'hyène 31, de castor 32, de phoques 33 avaient mille vertus magiques pour guérir les maladies, conjurer la. morsure des serpents, détourner la foudre, écarter les mauvais sorts, etc. Le commerce des pelleteries avait pris une très grande extension à l'époque impériale3'. Les Romains faisaient venir des peaux de bêtes de toutes les régions d'élevage sur lesquelles s'exerçait leur domination, comme la Sicile 33 et l'Asie Mineure 36, et des contrées barbares avec lesquelles ils étaient en relations d'échanges, comme la Germanie 47. Strabon cite un certain nombre de centres de ce commerce : les îles Cassitérides 33. la Bretagne 39, les pays des Alpes au nord de Gênesr0, l'Illyricum, qui envoyait ses peaux au marché d'Aquilée11, la côte septentrionale du Pont-Euxin, avec le grand marché de Tanaïs42 D'après le Périple de la Mer Erythrée, les peaux du pays des Sères, 2:-ilotxà EOµxTa, étaient apportées aux bouches de l'Indus 4 ; de là, par mer et par caravanes, elles gagnaient Alexandrie et l'Europe. Pline confirme ce renseignement : les Sères, dit-il, envoient dans l'Inde du fer, des vêtements et des peaux 4t ; le .Llahabarata cite également comme produits commerciaux les peaux, les laines et le fer, et dans le Ramayana les fourrures figurent parmi les objets précieux offerts en présents de noces par le roi Videha à sa fille". On sait que le nom de Sères désigne l'ensemble des peuples de l'Asie intérieure dont la soie était la principale source de richesses46. Heeren se demande s'ils exportaient des pelleteries proprement dites ou des cuirs fins ; la première hypothèse lui parait la plusvraisemblable: il suppose qu'une bonne partie des robes magnifiques qu'on vendait à Babylone venait de l'Inde et du pays des Sères 47. Un édit de Marc-Aurèle inséré au Digeste donne la liste des objets soumis à un droit de douane, species pertinentes ad vectigal t8 ; il s'agit des articles de luxe auxquels s'appliquait le portorium d'Italie 49; les pelles parthieae et les pelles babylonicae sont citées parmi eux. Les peaux du pays des Parthes ont été mentionnées aussi par Corippus " et celles de la Babylonie par l'auteur anonyme de l'Expositio totius mundi, qui nous représente la ville de Caesarea en Cappadoce comme le grand marché des pelleteries asiatiques°1. L'inscription bilingue, en syriaque et en grec, datée du 8avril 137, qui nous fait connaître le tarif de l'octroi municipal de Palmyre, frappe toutes les peaux d'animaux d'une redevance de deux as chacune K2. En Afrique, sous le règne de Septime Sévère, le tarif de Zraïa, qui fixait les droits PEL 37 4°EL de douane it percevoir aux frontières de la Numidie, n'oubliait. pas de parler des peaux de moutons et de chèvres : de tout temps les indigènes de l'Afrique du nord se sont livrés à l'élevage sur les hauts plateaux. Le principal document que nous ayons sur le trafic des pelleteries dans le monde romain est l'édit de Dioclétien'. il énumère différentes sortes de peaux et détermine le prix de vente maximum de chacune d'elles. Il est question d'abord des pelles /lahnlonicae de première et de seconde qualité (pr"irtlae, secundae for^rnae), des pelles Trallianae, des pelles / /iu'ii ces ; on entendait sous ces noies des cuirs lins et ornés, très recherchés: on les évalue selon les cas de cinquante à cent deniers. Ensuite sont indiquées des peaux plus communes, les unes tannées(confecfae), les autres non tannées (in feeioe), dont le prix varie de douze douze cent cinquante deniers : peaux de boeuf, de chèvre, de mouton. de chevreau, d'hyène, de chevreuil, de mouton sauvage, de loup, de martre, de castor, d'ours, de loup cervier, de phoque, de léopard, de lion 3. La longueur même de cette énumération témoigne de l'importance qu'avaient à cette époque les peaux d'animaux dans le commerce et l'industrie des Romains. Les fourreurs et marchands de pelleteries s'appelaient pelliones ` ou pellar'ii 5; ces termes se traduisaient en grec le premier par lEpte.aedoauot, le second par r,EÀÀoppâuot ' ; le nom de pellonarii ne se rencontre que dans des inscriptions apocryphes '; les gaunacar'ii devaient être des marchands qui vendaient les vêtements de peau nommés ,gaunuca. Plaute fait allusion, dans un passage assez obscur, aux rangées de pieux auxquels le pel/io suspend les pelleteries ". Varron parle des boutiques où l'on prépare et vend les peaux d'animaux, peldesuinae et non pelloriae tabernec 11. Les fourreurs d'Ostie et du Poilus Tt' ajani s'étaient groupés en corporation, corpus pellionuin Ostiensiuut et Por'ten.sio,a 11 c'est dans ces ports qu'on déchargeait les cargaisons de fourrures qui venaient d'Afrique et d'Orient; les ,pellimes avaient leur lieu de réunion, leur schola, sous le Forum d'Ostie; nous possédons l'inscription qui en marquait. l'emplacement t'. Alexandre Sévère frappa d'un impôt (i.t'ciigal) les pelliones en même temps que plusieurs autres corps d'artisans 13. Constantin, au contraire., les exempta des charges fiscales `~. Maornrm Brsstcx, 1 Corp. biser. lat. Vlll, 4508, ligne 17. -2 Voir dans ce document Vlll, 1-41; tt. 127 (emnmoutaire). 3 Dans son commentaire très développé Blümrer a réuni sous e.ltaque non: d'animal (en utilisant surtout le livre de o. Keller, Tkiei'e des klass. Alterth.) ia plupart des textes anciens relatifs aux usages qu'on faisait de sa peau big. L, ai, le mot est écrit: poliones. ' l'ion. Mat. IV, 7. u GI. Philos. L'iittio r, Griech. Vasettgentltlde, Weimar, 1797-1800, I, 3, p. 184-192 Mongez, be/tetsses ;in klctss. 4tterthunt, Leipzig, 1869, p. 90 sq. ; Becker-Gbll, Claarikles, Hermann, IV), Fribourg et Tübingen, 1882, p. 176; Ov-. Müller, Privatalterthitm. Nordtirngen, 1867, p. 396; O. Keller, Thiene des ktass. Alterlhums, Innsbruck