Le Dictionnaire des Antiquités Grecques et Romaines de Daremberg et Saglio

Article PENATES

PENATES. Les Pénates font partie, à Rome et dans le Latium, d'où le culte est originaire', du groupe des divinités familiales qui représentent la sainteté du foyer domestique et qui, par leur action tutélaire, assurent la conservation des personnes, le renouvellement des forces dont ce foyer est le symbole. Nous avons montré dans quelle mesure le GENIUS, les LARES et les MANES (auxquels les Pénates sont apparentés, au point de se confondre souvent avec eux) sont eux aussi l'expression de cette religion de la maison 1: nous renvoyons à ces divers articles pour les questions communes, nous bornant à définir ici l'être des Pénates et leur rôle dans le culte privé et public des Romains. 1. Leur nom a été justement interprété dans l'antiquité par le mot penus, qui désigne le garde-manger ou la chambre aux provisions, et par celui de penetrale, qui désigne la pièce la plus reculée de lavieille maison romaine, oit d'ailleurs était placé le penus 3. Mais tandis qu'au regard de celui-ci les Pénates sont les pourvoyeurs de la subsistance des habitants, le penetrale suggère l'idée d'un lieu sacré où l'homme n'aborde qu'avec respect : ces deux points de vue confondus en un sentiment unique expliquent et la nature des divinités domestiques et l'essence de la piété romaine, dont les aspirations idéales sont pénétrées de préoccupations utilitaires. Le mot Penates n'a jamais été employé qu'au pluriel : il ne saurait donc correspondre à une personnalité unique 1. Les représentations plastiques des dieux du penetrale les constituent en triade 5 ; une place y° étant réservée au Lare, qui incarne la perpétuité de la race, il est à peu près certain qu'à l'origine les Pénates furent au nombre de deux, préposés à la conservation, l'un de la nourriture solide, l'autre des boissons °. En temps ordinaire la cella, distincte du penus, suffisait aux besoins journaliers de la famille; le pends était la ressource des temps où la terre cessait de produire'. Suivant la définition même des jurisconsultes, il était l'armoire aux aliments de conserve, ce qui explique que les Pénates étaient spécialement honorés au mois de janvier, en pleine période de repos agricole L'importance de leur culte se manifeste d'abord dans ce t'ait que, mis en apparence au rang des divinités secondaires, ils sont toujours appelés dii ou divi, alors que les Lares et le Genius ne le sont pour ainsi dire jamais : Penates apparaît alors, ainsi que Indigetes, IVovensides, comme un adjectif qui signifie protecteurs du penus, esprits du ménage en tant qu'il pourvoit à sa propre conservation Aussi Denys, ayant à traduire en grec leur nature intime, a pu justement les définir par le vocable de x'rriatot, ceux qui donnent ou conservent la richesse t0. La foi en leur pouvoir surnaturel se mesure à l'importance des services qu'ils rendent ainsi à l'homme, et la sainteté du penetrale n'est que la conséquence des ressources qui y sont entassées. L'autel propre des Pénates est le foyer dont le feu sert à la préparation des aliments 11; il occupe le fond de l'ATRIUM, redevable de son nom à la' fumée qui noircissait les poutres du toit, et ce toit s'ouvre sur le ciel libre par le trou qui s'appelait l'impluvium12. Dans cet étroit espace qui est le centre de la vie domestique chez les Latins sont réunis les éléments essentiels destinés à l'entretenir, le feu, l'eau et les provisions de bouche. Et le plus souvent, de la terre battue qui en constituait le sol, s'élevait un laurier, arbre toujours vert, symbole d'éternelle vigueur, moyen de purification 13. Les images des Pénates étaient placées devant le penus lui-même, à proximité du foyer,'" ; mais la divinité spéciale de ce foyer est VESTA, dont la personnalité est inséparable de celle des Pénates. Vesta n'est pas, comme eux ou comme les Lares, la divinité de telle famille, de tel foyer en particulier. Elle est, audessus d'eux, la représentation d'un principe de vitalité PEN 377 -PEN générale et le symbole complet de la religion domestique 1. Au moment du repas qui réunit maîtres, enfants et serviteurs, les images des Pénates sont dressées avec les plats et le père de famille leur offre, en guise de libations ou de sacrifices, les prémices de la nourriture dont la famille leur est redevable 2; la table elle-même, avec elle la salière, à raison du principe de conservation qu'elle contient, l'écuelle aussi ou plat d'argile dans lequel la nourriture a subi le feu du foyer, sont vouées aux Pénates et en reçoivent un caractère sacré Ce caractère passe même à certains gâteaux de croûte dure, liba, qui formaient un élément important de la nourriture du paysan latin ; Caton et l'auteur du Moretum nous en ont conservé la recette [LIBum] et Virgile a trouvé le moyen de donner aux mensae paniceae une place dans l'action de l'Éneide, où n'a été omis aucun détail concernant le culte des Pénates 4. Elles étaient, au milieu des champs ou en voyage, comme une réduction de la table familiale consacrée aux Pénates; c'est en l'honneur de ces divinités qu'on les consomme, à défaut d'une autre nourriture, et le repas que les compagnons d'Énée font à leur arrivée dans le Latium se termine par une invocation solennelle aux Pénates 3. Cependant ces pratiques et ces aménagements sont ceux de la haute antiquité et, plus tard, des milieux ruraux. Il va de soi qu'avec les conditions d'une vie plus luxueuse ils se modifient et que la cuisine, la salle à manger, la chambre aux provisions et le sanctuaire des Pénates, réunis d'abord dans l'espace de l'atrium, vont devenir distincts 9. C'est ainsi que dans beaucoup de maisons les images des Pénates et de Vesta sont reléguées à la cuisine [cuLIXA] ou peintes sur les murs de cette pièce, souvent aussi sur ceux du four familial. C'est aussi un tableau de ces usages rustiques qu'évoque Virgile, lorsque, transportant à la cour de Didon les pratiques romaines, il nous montre Énée et ses compagnons installés dans une pièce immense où cinquante servantes remplissent l'office de dresser le penus, c'est-à-dire, dans l'espèce, la table du festin, et d'honorer les Pénates en brûlant des parfums sur le foyer'. Le respect même dû aux Pénates et à Vesta réclame que leur divinité soit vénérée non plus dans le pèle-mêle prosaïque de l'atrium, mais dans un sanctuaire retiré; il en est ainsi dans des maisons opulentes dès la fin de la république. Cicéron mentionne, dans la demeure de Heius à Syracuse pillée par Verrès, une de ces chapelles domestiques dont le propriétaire avait fait un véritable musée Les fouilles de Pompéi ont permis de constater que, le plus souvent, l'autel des Pénates ou des VII. Lares était relégué dans le cavum aedium, alors que le foyer était érigé dans la cuisine pour la préparation des aliments ; ailleurs cet autel avec les images des Pénates continuait de figurer dans l'atrium 9. L'empereur Auguste avait maintenu au Palatium un compluvium deoruni Penatium, dans lequel il fit transplanter un palmier qui avait poussé spontanément entre les pavés de l'entrée 10. Les descriptions du palais de Priam et de la maison du roi Latinus à Laurente, chez Virgile, nous offrent des variantes d'installations analogues dont le poète avait le modèle sous ses yeux '1. L'être indéterminé des Pénates confondus avec les Lares et leur association avec Vesta, qui était elle-même considérée comme faisant partie des Pénates 12, eurent pour effet d'élargir peu à peu le cercle de ces divinités familiales, d'y faire admettre (sacrare, colere, inter Penates, inter Lares) des dieux quelconquesf3. Le Laraire de Heius avait fait une place à l'Eros de Praxitèle, à des images d'Hercule, de Fortuna et même de simples canéphores. De même que dans le culte public nous trouverons au nombre des Pénates de Rome les divinités de la triade Capitoline, Apollon, Neptune, etc., invoqués collectivement, sous la dénomination rituelle de dieux et de déesses et avec les épithètes, synonymes à ce point de vue, de penates et de patrii 14, ainsi, dans le culte privé, nous rencontrons parmi les Pénates, c'est-à-dire parmi les protecteurs attitrés d'une famille, les dieux et les héros les plus variés. Il en est que le maître de la maison honorait à ce titre parce qu'ils représentaient sa profession ; un marchand le donnait à Mercure, un boulanger à Vesta, un forgeron à Vulcain ; un peu partout on trouvait Jupiter, Hercules, Fortuna, Mars et, dans presque toutes les maisons de Pompéi, la Vénus Pornpeiana, protectrice de la ville en général et des habitants en particulier 16. Des motifs semblables avaient fait mettre au nombre des Pénates par Vitellius les images des affranchis Narcisse et Pallas; par Marc-Aurèle celles des maîtres qui lui avaient enseigné la sagesse ; par Alexandre Sévère celles des hommes les plus éminents du passé, d'Abraham, d'Orphée, d'Apollonius de Tyane, de Jésus-Christ et de Marc-Aurèle 1A ; Suétone rendit les mêmes hommages à une vieille statuette d'Auguste, cadeau de l'empereur Hadrien. Parfois ces images étaient de matière précieuse : Néron orna sa maison de statues en or et en argent, dans le nombre, celles des dieux Pénates dont Galba crut devoir continuer le culte f7. Ainsi se trouve justifiée, dans l'acception la plus large, cette définition que donne des Pénates un commentateur de l'Enéide : « Les Pénates sont tous les dieux que l'on 48 PEN 3îi PEN honore dans l'intimité de la maison ». De 1a maison ils expriment à la fois la signification matérielle, foyer de la famille au sens restreint ou patrie au sens étendu, et toutes les applications idéales Ils s'identifient avec les intérêts et les affections, avec les tristesses et les joies de ceux qui l'habitent; ils donnent à la pierre une vie intelligente et, sensible, les épithètes de patrii, de dulies, de cari, etc., qui sont celles des divinités tutélaires, passant tout naturellement à la demeure qu'elles représentent 3 . Ces dieux familiers, on ne les quitte pas sans un déchirement de coeur les défendre est le premier devoir, les attaquer est un Brime'. Ils souffrent quand le maître est lésé, ils sont spoliés ou avantagés en sa personne, ils divinisent la loi d'héritage comme ils assurent la perpétuité de la race '; ils évoquent l'idée des ancêtres et même ils contribuent à acclimater en Italie les pratiques de l'héroïsation ; mais il n'est pas exact de dire qu'ils en sont issus 6. C'est en invoquant les Pénates que le père fait à son fils les recommandations suprêmes et qu'il lui transmet l'héritage ; c'est au nom des Pénates que le fils en prend possession; de même se transmet le pouvoir des rois et l'obligation de perpétuer l'illustration de la race 7. Quand un foyer décline et tombe en ruine, quand le maître manque à ses devoirs de conservation ou qu'il est frappé d'exil, les Pénates sont victimes de ses fautes ou de son malheur 3. Enfin les Pénates représentent la propagation de la race, soit directement par la naissance des enfants, soit indirectement par la pratique de l'adoption ; l'enfant qui passe d'un foyer à un autre échange les Pénates de ses auteurs contre ceux de sa famille adoptive 3. D'une manière générale, ils sont inséparables de la maison dont ils sont, originaires et ils en suivent les vicissitudes ; comme elle, ils sont riches ou pauvres, illustres ou obscurs 10. En cas d'émigration ils s'en vont, idéalement et matériellement, avec les émigrants; les colonies ont à la fois leurs Pénates propres et ceux de la métropole ; dans la légende de la translation de Lavinium à Albe, de celle d'Albe à Rome i1_ est question des résistances qu'opposent les Pénates à cet acte et des compromis pieux qui forcent leur adhésion ii. Lu personnage de Plaute qui s'en va au loin prend congé en ces termes du foyer paternel : e Dieux Pénates de mes parents et toi Lare, père de ma race, je vous adjure de garder intact le bien de mes ancêtres! Moi je vais chercher d'autres Pénates, un autre Lare 12. » Tout ce qui ressortit à l'autorité du père, qui seul en principe a le droit d'accomplir les rites en leur honneur, ressortit aussi à la divinité des Pénates, serviteurs, esclaves et même, quand ils se réclament de leur protection, prisonniers de guerre. A plus forte raison sont-ils l'expression et les garants des droits de l'hospitalité ; Énée retrouve en Thrace des Pénates alliés à ceux de Troie ; Evandre ouvre sa porte au héros en l'invitant à visiter ses Pénates i3 L'horreur d'une violation des lois de l'hospitalité s'accroit en raison de la présence des Pénates qui en sont les témoins, et cette présence est un gage de sécurité pour ceux qui franchissent un seuil étranger''". II. Dans l'organisme religieux de Rome la famille n'est que l'image réduite de l'État ou, pour être plus exact, le culte public est, dans ses traits généraux, calqué sur celui de la famille. C'est ainsi que des temples publics en l'honneur des Pénates sont cités dès les premiers temps de la royauté romaine à Lavinium, à Albe, à Rome" ; et même à s'en tenir non seulement à la légende, mais à d'antiques monuments qui ont pu la motiver au lieu d'en être issus, ce serait des deux villes du Latium que le culte public des Pénates aurait émigré dans la ville des sept collines. De meure qu'à chaque foyer particulier le père de famille vénérait Vesta en compagnie des Pénates, ainsi à Rome, dans la Begin, résidence de l'autorité royale en qui la puissance politique se cumulait avec la fonction sacerdotale, brûlait le feu qui représente la vitalité collective de l'État et se dressait le pendes de Vesta, les Vestales partageant avec le roi le soin d'entretenir l'un et l'autre i6. Le penus était sous la protection de divinités aussi indéterminées que celles du foyer domestique et leur culte se confondait avec celui de Vesta : ces Pénates sont appelés patrii, cousine les Pénates prives; publici et Pénates Populi Romani pour les distinguer des autresi7. C'est eux qu'invoque Cicéron en disant qu'ils président aux destinées de la République ; en faveur desquels il en appelle à l'énergie du Sénat contre les fureurs de Catilina 13 ; c'est eux que Tite-Live aime à opposer aux Pénates privés quand il mêle les uns et les autres aux faits notables de l'histoire, sans chercher jamais à préciser leur nature, sans les affubler de noms empruntés à la légende primitive de Rome, moins encore aux souvenirs de la religion grecque i9 Avant l'invasion de l'Hellénisme, on n'en savait qu'une chose, c'est qu'ils étaient au nombre de deux, de sexe viril, armés de lances ; seuls, les modernes ont cru pouvoir les identifier, tantôt avec les fondateurs de Rome, Romulus-Quirinus et Remus, tantôt avec Faunus et Pieus, les représentants de la plus vieille religion de Latium 20. L'appareil de leur culte comportant, comme le culte des Pénates domestiques, certains ustensiles PEN 379 PEN sacrés, on confondit dans une appellation commune ces objets et les images des dieux; on en tit les sacra talalia, gages de la prospérité de l'État. lie tout était gardé au punas de Vesta et dérobé aux regards des profanes. Une fois seulement chaque année le pelais était ouvert, aux fêtes de Vesta ; mais même alors le mystère n'en était pas révélé tout entier et Denys nous apprend que de son temps il n'était paspermisàtoutlemonde dele contempler I. Il était sous la double garde des Vestales et des Pontifes, ces derniers ayant hérité des prérogatives sacerdotales du roi, peut-être aussi. à une époque très éloignée, sous celle du collège des Saliens z. Voilà pour la religion des Pénates au sanctuaire de la Regia. Non loin de là, également au centre de la ville, près de la route qui menait aux Carènes, au bas de la colline de relia, sur l'emplacement où la tradition mettait la maison des rois Titus Tatius et Tullius Hostilius, existait un second temple en l'honneur des Pénates, moins mystérieux que celui de la Regia'. Denys en parle comme d'une construction basse et sombre et nous apprend que les Pénates qui y étaient honorés avaient les traits de deux jeunes gens assis, tenant une lance dans la main. Sur le socle était gravée une inscription : DENATES, pour Penates. Des statues analogues, d'un art primitif, auraient existé, au dire du même historien, dans d'autres sanctuaires romains Celui qui était situé sub Velia est mentionné pour la première fois à propos d'un événement de l'an t67 av. J.-C.; Varron le signale parmi les stations de la procession des Argées et le monument d'Ancyre en commémore la restauration par l'empereur Auguste 6. Lorsque le culte des Dioscures grecs s'implanta à Borne, après la bataille du lac Régine. le couple des Pénates guerriers fut identifié par les archéologues avec Castor et Pollux 6 ; nous en avons d'abord une preuve indirecte dans l'inscription Jfagnis Dis qui, au témoignage de Servius. s'était ajoutée sur le socle à celle de Pénates, la seule dont parle Denys '. La numismatique nous en fournit d'autres plus explicites avec trois deniers du temps de la République, lesquels portent en effigie les tètes géminées des Pénates sous les traits des Dioscures 8, Le denier de la gens Fonteia est, a ce point de vue, le plus intéressant (fig. 5550) ; la tête des héros y est surmontée d'étoiles; les Fonte'ii étant origi naires de Tusculum, dont les frères d'Hélène, lucida aidera, étaient les divinités protectrices, leur représentation sur le denier ne saurait être douteuse s ; quant à l'identification avec les Pénates, elle est garantie par l'exergue P. P. = Penates publiai ou D. P. P. _n Dei Penates publiai, celui d'Antius portant Dei Penates en toutes lettres. La religion des Pénates au sanctuaire de la Regia était d'origine authentiquement romaine, contemporaine des premiers temps de la royauté. Il en était autrement de celle qui avait son centre au temple sub Velia; cellelà, l'opinion la rattachait au culte des Pénates de Lavinium 10. Quand, en 338 av. J.-C., la domination de Rome s'imposa au Latium, le sens politique des vainqueurs et leurs scrupules religieux furent d'accord pour maintenir à Lavinium la qualité de métropole sacrée du pays soumis et Rome reçut dans ses murs le culte qui y avait été pratiqué de toute antiquité : ce fut sans doute l'origine du temple sub "relia, véritable succursale de celui de Lavinium 7i. Tous les ans les prêtres de Rome s'y transportaient et offraient un sacrifice aux Pénates, à Vesta, à un Jupiter local surnommé Indiges. Quand les magistrats de Rome entraient en charge ou qu'ils en sortaient, quand les généraux allaient faire campagne, ils se rendaient à Lavinium accomplir des cérémonies spéciales". Une inscription trouvée à Pompéi et qui date du règne de Claude mentionne un flamine romain préposé au culte fondamental et originaire des Quirites de nom latin, culte célébré chez les Laurentins 13. C'est à la lumière de ces faits, garantis par une tradition invariable et par des monuments matériels, que Varron a pu écrire de Lavinium « qu'elle était la première ville de souche romaine fondée dans le Latium, puisque là résident les Pénates romains" ». Il faut renverser les termes de cette filiation et dire que certain culte des Pénates de Rome y fut transplanté de Lavinium. Comment cette religion de caractère national et dont tous les éléments, Vesta, les Pénates, Jupiter Indigos, cérémonies, sont communs aux Latins et aux Romains. a-t-elle pu adopter d'abord la personnalité d'Énée, héros homérique, et abdiquer ensuite au profit des dieux protecteurs de Troie importés par lui en Italie'? C'est là un problème complexe et ardu qui a mainte fois tenté les historiens et les archéologues; nous l'avons traité nousmême dans une monographie à laquelle nous nous bornons à renvoyer1Be Disons seulement ici que l'être vague PEN 3S0 -PEN et indéterminé des Pénates romains et latins, ayant rendu la confusion possible, en fournit encore la. meilIeure explication. Une fois admise l'émigration d'Enée vers l'Hespérie après la chute de Troie (cette émigration avait été chantée en Grèce par Arctinos déjà et par Stésichore 1), le Palladium d'Ilion et les objets sacrés emportés par le héros de la mère-patrie furent, par les historiens grecs préoccupés d'illustrer les choses romaines, identifiés avec les Pénates de Lavinium lesquels, dans le même temps, l'étaient avec ceux de Rome, comme ils l'étaient d'autre part avec les Dioscures ou avec les grands dieux de Samothrace 2. C'est encore un denier au nom de la gens Sulpicia (frappé vers 94 av. 3.-C.) qui consacre le souvenir des rapports religieux de Rome avec Lavinium et prépare l'absorption du culte des Pénates par la légende d'ÉnéeLe droit de ce denier représente les têtes géminées de deux héros juvéniles, cou ronnés de Iaurier avec, en exergue, D. P. P. = Dei Penates Publici ; le revers, deux généraux romains debout, vêtus du paludamentu2n, tenant une lance dans la main gauche et étendant la droite, comme pour la conclusion d'un accord, au-dessus d'une truie sous le ventre de laquelle on a pu distinguer trente porcelets (fig. 5551) 4. Cette truie et ses petits sont connus; ils sont la représentation symbolique de la confédération latine où entraient trente petites cités et dont le centre religieux était Lavinium. Leur image fondue en airain, monument aussi vénérable que celui de la louve et des jumeaux à Rome, se dressait sur la place publique de la ville sacrée 6. Si le monétaire Sulpicius a choisi ce sujet et celui des Pénates pour illustrer son denier, ce fut sans doute moins pour rappeler un fait antique que parce que lui-même, comme magistrat, avait joué un rôle dans quelqu'une de ces cérémonies annuelles où les autorités de Rome rendaient hommage, avec celles de Lavinium, aux sacra principia qui établissaient entre les deux cités des liens religieux 6. Le revers du denier de Sulpicius conserve à la scène son caractère national. Deux médaillons datant du règne d'Antonin le Pieux (fig. 5552-5553) y mêlent franchement les données de la légende d'Énée °. La truie figure sur l'une et l'autre avec ses trente porcelets dans le champ inférieur de la pièce; mais l'une représente en plus l'arrivée d'Énée dans le Latium en compagnie de son fils lulus, et l'autre nous montre le héros troyen portant sur les épaules son père Anchise, ce qui rappelle, sans prétendre le localiser à Lavinium, le dévouement d'Énée 8. Sur toutes les deux se trouve l'image d'un petit temple en rotonde, semblable à celui de Vesta sur le Forum Boarium de Rome ; devant le temple se dresse un autel qu'ombrage le laurier auquel la ville jumelle de Lavinium, Laurente, est redevable de son nom : temple, autel et laurier, dans le paysage de Lavinium, se rapportent, à n'en pas douter, au culte des Pénates °. Il est probable que des cultes semblables existaient dans toutes les villes du Latium ; mais il n'y a de témoignages formels, en dehors de Lavinium, que pour Albe et Préneste i0, peut-être pour Tusculum, avec le denier de la gens Fonteia dont nous avons parlé. On ne saurait dire de ces représentations, les seules que nous possédions des Pénates sous leur nom, qu'elles sont romaines et anciennes. Le type, dont parle Denys en l'identifiant à tort avec les Pénates de Troie et qui leur donne les traits de jeunes gens assis, armés de la lance, ou s'est perdu ou se confond avec celui des Lares Praestites qui eux-mêmes semblent avoir été calqués sur les Dioscures Dans l'usage commun, les figures des Pénates privés ne se distinguaient pas de celles des Lares, avec la personnalité desquels ils sont sans cesse confondus dans le langage S2. Remarquons toutefois que les Lares munis de la corne d'abondance ou versant à boire répondent mieux à l'idée des Pénates pourvoyeurs du garde-manger qu'à celle de génies créateurs de la race; il en est de même du Lare muni de la corne d'abondance [LARES]. Le bas-relief qui représente le Genius entre deux jeunes gens à la tunique courte avec une patère dans la main droite et que l'on désigne d'ordinaire sous le nom de Lares s'expliquerait bien mieux par l'association du Génie et des Pénates '3 : ce groupe en effet rappelle le vers connu d'Horace14 : « Quod te per Geniutn dextramque deosque Penates obsecro et obtestor. » On peut d'ailleurs considérer comme une des manifestations du culte public des Pénates l'usage de mêler leur nom à la formule du serment en général et, d'une façon particulière, à celle du serment qui accompagne la promulgation des lois et qui en assure l'exécution''. Ils y figurent à côté de Jupiter Optimus Maximus, personnification suprême de l'idée de justice [JUSTITIA] 16. C'est une table de style archaïque, trouvée à Bantia en PEN 381 PEN Apulie, à dater de 133 à 118 av. J.-C., qui nous en apporte le spécimen le plus ancien ' ; des textes plus récents, soit relatifs à des actes publics, soit empruntés au langage courant, en diffèrent à peine 2. A partir d'Auguste, la divinité impériale y entre en tiers avec Jupiter et les Pénates ; il arrive même qu'elle se substitue à ces derniers comme en impliquant l'idée 3. Un hommage du même ordre à la sainteté des Pénates nous est fourni par des inscriptions assez nombreuses ; tantôt ils en sont l'objet exclusif, avec la formule DIS PENATIBUS, tantôt ils le partagent avec des divinités variées, invoquées sous leur nom et souvent aussi à titre collectif Il en est, parmi ces inscriptions, qui sont dédiées par des esclaves, en témoignage des liens de solidarité qui les rattachent à la maison du maître ; d'autres émanent d'étrangers, qui affirment ainsi leur respect et leur gratitude pour la maison d'un bienfaiteur ou d'un hôte ; les Augustales d'Atina dédient un autel à Jupiter et aux Pénates d'un certain P. Nanonius Diophantes 6. Dans les Actes des Articles (11 septembre de l'an 39), il est fait mention d'un sacrifice offert aux Pénates de la maison des Domitius, pour la santé et le retour de Néron : la victime immolée étant une génisse, ces Pénates sont à interpréter par des divinités féminines 6 ; ailleurs, de mème, Penatibus est en apposition avec la formule rituelle dis deabusque, dans une intention analogue'. De même que l'empereur Auguste s'était fait une place sur les autels des Lares Compitales ainsi il profita du mouvement d'opinion créé par les poètes et les antiquaires, peut-être à son instigation, pour confisquer dans un intérêt dynastique le culte des Pénates publics. Élevé au grand pontificat, il se hâta d'ordonner une supplicatio en l'honneur de Vesta et des Pénates et leur dédia une édicule avec autel dans son palais e. Le Palatin devenait de ce fait, comme la Ltegia l'était resté jusqu'au déclin de la République, le centre du culte officiel de ces dieux ; les génies protecteurs de la race des Iules se virent confondus avec ceux de l'État. Ainsi la politique religieuse de l'empereur achevait l'oeuvre littéraire de Virgile en exploitant sa popularité. L'Éneide proclamant, grâce aux Pénates importés de Troie, la légitimité du pouvoir nouveau avec la prédestination de Rome à l'empire universel, prit l'importance d'un monument dynastique et national". Les Pénates du Palatin ne sont ceux de Lavinium, d'Albe et de la Ltegia romaine que parce qu'une destinée divine permettait de les rattacher en droite ligne aux dieux fondateurs et protecteurs de l'antique royauté d'Asie". C'est le Palladium sauvé du désastre de Troie, ce sont les objets sacrés emportés par Anchise et recueillis par Énée qui se retrouvent dans les images mystérieuses, dans les ustensiles vénérables conservés au penus de Vesta 19. Finalement Vesta elle-même, symbole collectif de la puissance tutélaire des Pénates, porte sur les monnaies impériales l'image du Palladium troyen, comme l'Athénée de Phidias soutient dans sa main la statuette de la Victoire f6. Le culte des Pénates, soit public, soit privé, subsiste sous les formes diverses que nous avons définies jusqu'à la ruine totale du paganisme; il fut même un des derniers à céder devant l'invasion des croyances nouvelles. Tertullien raille les païens de son temps d'honorer des dieux dont, le cas échéant, ils n'hésitent pas à mettre les images en gage. Lactance s'indigne que, sous le nom de Génies et de Penates, des chrétiens douteux continuent de vénérer des idoles dans leurs maisons, sous prétexte qu'elles sont un préservatif contre le malheur 1'. Nous avons cité ailleurs le texte du code Théodosien qui en 392 interdit officiellement ce culte ; mais on en trouve encore des traces en Italie trois années plus tard, avec une décision des magistrats d'une ville d'Apulie qui consacrent une table d'airain aux Pénates d'un personnage éminent, afin de reconnaître ses services16. J.-A. HILn.