Le Dictionnaire des Antiquités Grecques et Romaines de Daremberg et Saglio

Article PEREGRINUS

PEREGRINUS. [A l'époque primitive le peregrinus se confond avec l'uosris; c'est le citoyen appartenant à un Etat souverain, allié à Rome et protégé par une convention d'amitié ou d'hospitalité [HosPITIUM] '. De bonne heure le mot hostis ayant été réservé pour l'hôte devenu ennemi 2, le mot peregrinus seul a gardé le premier sens. Il embrasse d'abord non seulement les étrangers de la catégorie indiquée, mais même les Latins et les alliés italiques 3 ; il exclut l'étranger qui n'appartient à aucun Etat allié et pour lequel il n'y a pas de mot spécial 'd; Au point de vue commercial, les relations de cet étranger avec Rome ont toujours été soumises à des restrictions de plus en plus étroites ; sous l'Empire il ne pénètre sur le territoire romain qu'avec une autorisation, ne commerce qu'à certains endroits déterminés [Dans la suite, quand Rome est devenue la capitale d'un empire, peregrinus signifie surtout les sujets provinciaux de Rome, non citoyens ni Latins, et indique une condition juridique 6 La qualité de pérégrin se transmet par la naissance, selon les mêmes règles que le droit de cité: s'il y a conubium, l'enfantsuit la condition du père; sinon, celle de la mère, avec cette restriction, établie peut-être avant la Guerre Sociale par une loi Minicia 7, que l'enfant d'une Romaine et d'un pérégrin suit la condition du père excavations of ancient Boni, p. 388 sq. (avec la bibliographie), et 0. Richter, diendo, n'a pas grande valeur. 2 Varron (Ibid. 5, 33) distingue ragez. hostieus de Gai. 1, 79; Varr. L. c. 5, 33 ; plus tard au sens étroit peregrinus ne comprend plus [CIVITAS, CONUBIUM]. La qualité de pérégrin est en outre acquise : en bloc par l'incorporation du pays à l'empire romain, individuellement par la perte du droit de cité romaine qui résulte de l'exil ou de la déportation. Pour la condition des latins Juniens et des dediticii, nous renvoyons aux articles LIBERTUS (p. 12081210) et DEDITICII. Le pérégrin n'a pas les trois noms romains ; la formation de son nom varie selon les pays NOM Nj ; en général, c'est un cognomen suivi de celui du père au génitif; dans l'Afrique, le gentilice et le prénom sont purement factices; le vrai nom individuel est le cognomen La situation générale du pérégrin est réglée par la lex provinciae, par les lois et sénatus-consultes qui l'ont complétée 9; elle varie dans une certaine mesure selon qu'il appartient à une ville libre avec ou sans traité, ou à une ville stipendiaire'rPROVINCIA] ; mais abstraction faite de ces différences peu importantes, la situation du pérégrin est la suivante. Pour le droit public, étant privé du droit de cité, il est exclu de tous les droits politiques. Il est astreint au service militaire, sous la République seulement quand il y a des levées extraordinaires, sous l'Empire régulièrement, soit dans les légions où il acquiert immédiatement le droit de cité, soit dans les corps auxiliaires [AUxILIA, DIPLOMA, ExERCrres]. Pour le droit privé, il n'a, sauf concession spéciale, ni le commercium ni le conubium i0 il est exclu de la factio testamenti, active et passive, qui se rattache aux droits politiques " ; au début de l'Empire on admet qu'il peut recevoir par fidéicommis d'un Romain, mais cette concession disparaît sous Hadrien 12; les soldats citoyens peuvent instituer des pérégrins héritiers ou légataires''. Le pérégrin ne peut sans doute pas avoir la propriété romaine ; il est vraisemblablement réduit àla propriété du droit des gens, avec les modes d'acquisition qu'elle comporte, l'occupation et la tradition 14 ; il ne peut participer à une mancipation ni à une in jure cessio, ni acquérir la propriété par usucapion. 11 garde ses droits de propriété, sous la réserve, dans les villes stipendiaires, du paiement de l'impôt foncier [sTI_PENDIuM, TRIBUTUM] ; le sol provincial, sauf en cas de concession du Jus ITALICUM, n'est pas susceptible de propriété quiritaire "'. [A Rome, dès l'époque primitive, le pérégrin a participé dans une certaine mesure à la législation romaine, a pu ester en justice, d'abord vraisemblablement par l'intermédiaire de son hôte 16, puis de bonne heure seul: c'est indiqué par la vente trans Tiberim qui subsiste longtemps dans le droit romain '', par le droit de commerce accordé par réciprocité aux Carthaginois sur le territoire romain dans le second traité avec Carthage' s, par la disposition des Douze Tables qui, d'après une des interprétations les plus probables, déclare imprescriptible l'action en garantie pour cause d'éviction quand un étran 4 Les mots exter, externes, extraneus n'ont qu'un sens géographique vague. Voir Mommsen, Droit publie, 6, 2, p. 217, note I. 5 Pour les Germains, Tac. les Perses et les Romains ne se fait qu'a Nisibe d'après le traité de 297, plus tard en outre, sous Theodose II, à Callinicns et Artaxata (Pelr. patr. fr. 14; Cod. (Hust. p. 314, peut s'entendre de l'assistance en justice de l'hostie. 17 Gel!. 20, 1, PER -390 PER ger est en cause 1, par le texte de Festus sur le status dies par la très ancienne procédure judiciaire de la recuperatio [RECUPERATORj Les règles de fond appliquées à Rome aux pérégrins ont dépendu d'abord des dispositions du traité conclu avec leur ville; puis on a du chercher à établir une certaine uniformité entre les traités; enfin la création vers 272 av. J.-C. du préteur pérégrin, nécessitée par l'affluence des étrangers à Rome, a facilité, sinon la création, au moins l'application aux pérégrins du droit spécial dit jus gentiumEDICTUM ; ,n;s, p. 734, 738-40; PRAETOR]. Ce droit forme d'abord un droit subsidiaire pour combler les lacunes des traités spéciaux et des droits indigènes, plus tard le droit commun de l'Empire, pour tous les procès soumis à des tribunaux romains entre des individus qui ne sont pas exclusivement citoyens, mais seulement pour les relations du commerce privé. Le pérégrin est naturellement soumis aux lois pénales et aux règlements de police de Rome Pour la forme, la procédure paraît être très libre; de bonne heure on a dû inventer des actions spéciales; dès 171 des récupérateurs sénatoriaux jugent un procès de concussion intenté par des pérégrins contre des Romains ; en cette même matière et même dans d'autres procès les pérégrins, quoique exclus en principe de la legis actio, peuvent aussi employer la legis actio, sacramente, dès la loi Calpurnia de 147 av. J.-C. [REPETUNDAE] °. Le préteur pérégrin envoie le pérégrin (levant un juge, un arbitre ou des récupérateurs le juge peut être pérégrin 3; dans tous ces cas l'instance constitue non un judieiuni legitimum, mais un judicium iinperio continens. Dans les provinces, le maintien général des législations locales (suce leges, 'iLct vdptot) 7, favorisé par le respect des Romains pour les anciennes nationalités, amène comme conséquence le maintien du droit indigène des étrangers pour les points essentiels, mariage, fiançailles, questions d'état et de liberté, puissance paternelle tutelle et capacité, droit de succession, testament. Le mariage n'est valable et ne produit tous ses effets que s'il est conforme à la loi du pays 9. Elle règle le régime des biens matrimoniaux, les droits de la femme "1. Les Romains reconnaissent comme valables toutes les formes pérégrines d'affranchissement et le maître n'a sur son esclave que les droits conférés par la loi indigène " [LIBERTUS]. Les droits de patronat se perdent avec l'acquisition du droit de cité romaine; il faut une concession spéciale pour les garder 12. La puissance paternelle se règle sur le droit personnel; encore sous l'Empire les Phrygiens vendent leurs enfants 13 et les Grecs pratiquent l'APOKERVEIS ; le pérégrin devenu citoyen romain doit obtenir en outre la patria potestas pour garder ses droits sur ses enfants t'°; il n'y a qu'aux enfants trouvés, qui n'ont plus de famille, qu'on applique le droit romain '9. Le choix et les obligations du tuteur 13, les successions suivent aussi le droit local", Les pays grecs et orientaux conservent en outre l'enregistrement des actes dans l'àpyeiov ou ypemipund.xlov 18, l'habitude de rédiger pour les contrats un écrit, des ypa(ag.vrnia, que le droit romain ne considère pas comme nécessaires ", des pratiques qu'il condamne, par exemple les réductions volontaires en esclavage, les peines conventionnelles pour divorce, les clauses pénales dans les testaments i0 ; dans la procédure l'emploi des Bées', du .e(p.-gµa proposé par le demandeur 21. Sous la République le droit romain ne modifie que fort peu le droit indigène et ne le remplace que dans les villes qui deviennent volontairement pendus" : l'extension de lois romaines aux provinces est très rare "._ Sous l'Empire elle devient plus fréquente; on applique ainsi aux provinces les lois Julia de cessione bonorum, Atilia de dandis tutoribus, la loi Aelia Sentia par un sénatusconsulte rendu sous Hadrien pour la partie relative aux esclaves affranchis en fraude des créanciers, la loi Julia de maritandis ordinibus, au moins pour une partie", la loi Juliadefundodotalid'aprèsquelques jurisconsultes la loi Apuleia de sponsu 20 ; [les sénatus-consultes de l'époque d'Hadrien qui règlent l'état des enfants nés de mariages mixtes 27 et plusieurs rescrits impériaux, par exemple celui d'Antonin qui défend aux maîtres de punir sans raison leurs esclaves, la loi qui ordonne aux gouverneurs de nommer des curateurs aux adolescents 28, la dévolution au fisc, sauf les privilèges locaux, supprimés définitivement par Dioclétien, des biens des pérégrins morts intestats 29. Dès le troisième siècle ap. J.-C. prévaut probablement la théorie que les constitutions impériales l'emportent, le cas échéant, sur le droit indigène 30. Entre pérégrinsle droit des obligations est aussi le droitindigène, sauf sur quelques points où l'autorité romaine combat des usages provinciaux, tels que les contrats avec stipulation d'amendes au profit du fisc 31, les pactes au sujet d'un héritage, les stipulations post mortem, les donations entre époux 32. Entre Romains et pérégrins ce sont les règles et les formes du jusgentiuln qui sont employées.] Le pérégrin participe valablement à tout contrat consensuel ou quasi-contrat 33 ; il peut s'obliger par tout contrat re, même par prêt de consommation ou mutuum, bien qu'il soit striai jaris 3'', par les contrats verbaux dans la forme /ide promittis ou dabis, même suivant les Sabiniens opposés sur ce point aux Proculiens par contrat littéral nominibus transcripticiis, au moins s'il y a novation a re in personam àla différence du cas de transcri PER 391 --PER ptio a persona in personam[Des deux côtés il y a pénétration des droits en présence; ainsi à la rigueur un Romain peut employer en province l'usucapion mobilière par la possession d'un an 2, se servir comme créancier du droit local, s'il le trouve plus favorable 0 ; inversement l'habitude grecque de rédiger les conventions par écrit pénètre dans la pratique romaine ; le pérégrin peut s'engager envers un Romain par les modes de son droit, chirographis et syngraphis En outre le juge romain peut combler les lacunes du droit provincial par l'application subsidiaire de son propre droit; ainsi pour la situation des enfants nés de femmes libres et d'esclaves, dans un certain cas, c'est la règle du jus yentium c'est-à-dire du droit romain qu'il applique 6 ; c'est à l'imitation de la loi romaine qu'il juge le cas des enfants trouvés", qu'il déclare irrévocable l'affranchissement sans forme, quand la loi du pays ne dit rien à ce sujet ; les procurateurs fiscaux étendent abusivement aux fonds provinciaux l'édit d'Auguste contre la vente des biens litigieux 3. Gains 9 proclame un principe général important, à savoir que toutes les plaintes du droit civil peuvent être étendues par fiction, conformément à l'équité, à des pérégrins ; il cite l'action Tardi, l'action injuriae de la loi Aquilia ; et en effet dès l'époque de Cicéron nous voyons dans les mains des provinciaux l'action quod metus causa, l'in integrum s'estitutio'0; ils pratiquent le jus vadimonii, offrent la caution judicatum solvi contre la menace d'une missio in bona Les deux organes de cette pénétration du droit romain sont l'empereur avec ses rescrits et le gouverneur qui dans son tribunal, au conventus, peut appliquer aux étrangers presque toute la procédure romaine, toute la partie de son édit qui ne fait pas corps avec le jus civile. Cicéron paraît distinguer en ce sens deux parties de l'édit du gouverneur 12 ; des morceaux de cet édit sont rédigés spécialement pour la province ; ainsi Cicéron fixe le taux de l'intérêt 13, Pour la compétence et la procédure au criminel, nous renvoyons pour les villes libres à l'article JUDICIA PUBL1CA (p. 654) ; les villes stipendiaires gardent, dans une mesure que nous ne connaissons pas bien, la juridiction criminelle sur les pérégrins" ; mais les affaires importantes vont devant le gouverneur'" [JUDïCIA PeaLICA, p. 655-56 ; il renvoie quelquefois des pérégrins à l'empereur 16, Pour le civil, il faut distinguer les villes libres et les villes stipendiaires. En théorie, les tribunaux des villes libres ont leur complète indépendance et jugent même les Romains; mais on constate des empiétements du gouverneur pour la justice administrative, à l'égard des corporations 16, des dettes des villes 79, de l'empereur pour le droit d'asile 20 ; pour les litiges entre deux villes il y a souvent recours au Sénat romain'', qui renvoie quelquefois la décision à une ville tierce 22; quelquefois les arbitres envoyés par une ville grecque à une autre jugent d'après des règles fixées par le gouverneur ". D'autre part on voit s'introduire l'usage de l'appel devant le gouverneur ou l'empereur 94. Les villes stipendiaires gardent aussi leurs tribunaux qui jugent les petits procès jusqu'à une somme inconnue, mais seulement entre les indigènes P ; les Romains, les Italiens et les étrangers, même demandeurs, n'y sont pas soumis 0" ; les indigènes peuvent préférer la juridiction du gouverneur'' ; on trouve aussi en Sicile la pratique des arbitres compromissaires 98, Tous les autres procès, procès des villes entre elles `19 ou avec les particuliers 30, procés des Romains entre eux ou avec des pérégrins, d'étrangers de villes différentes vont au conventus devant le gouverneur qui emploie le jury civil avec un seul juge ou avec des récupérateurs, à son choix, sauf s'il y a une clause spéciale d'un traité 31 [JUDEx, JUDICII:M, p. 636'. Entre deux étrangers le juge juré est pérégrin32; entre un Romain et un pérégrin, le juge unique ou les récupérateurs ne doivent sans doute pas être de la nationalité du défendeur", En Sicile les litiges entre une ville et un habitant d'une autre ville vont devant le sénat d'une troisième ville 3'`; et la loi Rupilia avait établi, à l'imitation de la procédure attique, un intervalle de trente jours entre le dépôt d'une plainte et le jugement 33. La loi de Caracalla donne le droit de cité romaine à presque tous les habitants de l'empire, ingénus et affranchis, sauf peut-être pour le moment aux habitants de régions qui n'ont pas encore l'organisation urbaine, dans la Corse, la Sardaigne, dans quelques districts des Alpes 36, sauf aussi aux déportés et aux catégories encore maintenues des Latins Juniens et des déditices [C1vlTAS]. Les droits particuliers des villes libres disparaissent, sauf quelques débris, Le droit romain est maintenant le droit personnel de tous les habitants de I'empire 37 ; mais Rome laisse encore subsister longtemps légalement beaucoup de coutumes locales, de débris de droits indigènés 38 comme droit coutumier subsidiaire, et des privilèges particuliers surtout en matière administrative 39 ; en outre, sur beaucoup de points le droit grec se maintient énergiquement en face du droit romain, jusqu'à la fin de l'Empire, comme le montre le livre de droit syrien du ve siecle4Q, surtout pour la puissance paternelle 65, PER 392 PER la tutelle, le mariage, les dots, les héritages '.] A l'époque de Justinien, après la suppression des Latins Juniens et des déditices 2, il n'y a plus de pérégrins que les habitants de quelques districts à la frontière, les Ethiopiens, les Lazes, les Tzanes, les Abasges, les individus étrangers à l'empire, mais qui y séjournent, et les colons ou soldats barbares, admis eux et leurs affranchis sur le territoire de l'empire comme colons, déditices, lites, 1213]. On peut assimiler à des pérégrins les individus privés du droit de cité, mais non de la liberté par une condamnation à la déportation ou aux mines ; leur mariage civil est maintenu quand telle est l'intention des deux parties'. Le sol provincial n'a plus qu'une différence nominale avec le sol italique soumis aussi au tribut, et Justinien les assimile complètement l'un à l'autre en abolissant en 531 les formes de la mancipatio et de la cessio in jure encore réservées théoriquement au sol Rome, dès le règne de Marc-Aurèle et Verus 2, à dé hauts personnages de rang équestre [EQUITES, p. 788] ; par la suite, àun très grand nombre de fonctionnaires inférieurs. Le perfectissimat (per• fectissimatus)3 comportait des exemptions de charges et des privilèges quant à la juridiction dont relevaient ceux qui l'avaient obtenu et aux peines qui pouvaient leur être appliquées. Au Ive siècle il avait remplacé entièrement l'équestrat ; il était accordé comme récompense des services rendus dans des emplois subalternes et surtout de la durée des services. Il finit par être une pure décoration, avilie à force d'être prodiguée. E. S.