Le Dictionnaire des Antiquités Grecques et Romaines de Daremberg et Saglio

Article POSSESSIO

POSSESSIO. DROIT GREC. Dans certaines législations, comme à Rome (voir infra), la possession a une importance juridique considérable. Dans le droit grec, au contraire, la possession parait n'avoir joué qu'un rôle très effacé. Sans doute, l'usage et la jouissance, qui sont les manifestations de la possession, sont considérés par les Grecs comme les éléments essentiels du droit de propriété'. Mais ni le législateur, ni même les jurisconsultes n'admettent l'existence d'une possessio separata a proprietate, instituant un droit distinct du droit de propriété et protégée comme telle par des voies de droit spéciales. On a voulu voir, il est vrai, dans les actions chose d'analogue aux interdits romains [INTERDICTUM] ou aux actions possessoires du droit moderne. Mais on peut soutenir, avec raison, selon nous, que les actions xaorxoC et ivotx(ou ne sont point des préliminaires de l'action en revendication et qu'elles sont plutôt des voies d'exécution'. On a voulu, d'autre part, faire jouer à la 'dix?! s;oéXv,ç [ExoULÈS DIKÈ] le rôle de l'interdit unde vi pour protéger le possesseur contre une dépossession violente. Mais cette application de l'action précitée est elle-même fort contestable'. On peut donc dire que la possession, quelque régulière qu'elle puisse paraître, n'est, dans le droit attique, l'objet d'aucune protection semblable à celle qu'assurent nos actions possessoires. Un des principaux intérêts de l'exercice des actions possessoires ne se rencontre point, du reste, dans le droit attique, à savoir l'avantage que, chez nous, comme à Rome, procure au possesseur sa situation de défendeur dans l'action en revendication. En effet, à notre avis du moins, dans la diadicasie qui sert à trancher, à Athènes, les procès de propriété, les deux parties sont mises sur le même pied au point de vue de la preuve, et le possesseur est tenu, aussi bien que son adversaire, de produire ses titres à la possession de la chose litigieuse e. Aussi, selon nous, le législateur ne s'est-il point préoccupé de l'attribution de la possession à l'un des plaideurs en ce qui concerne la question de preuve. Tout ce que l'on peut admettre, c'est que, s'il y avait lieu au règlement du possessoire dans l'action en revendication, c'était uniquement en ce qui concerne les avantages que pouvait procurer la possession de la chose pendant l'instance'. La possession peut, il est vrai, présenter certains avantages, même au point de vue de l'action en revendication, mais ces avantages sont d'ordre tout à fait secondaire à côté de ceux que le droit romain classique reconnaît au possesseur dans la question de preuve. Le seul vraiment sérieux, c'est que, dans le cas où aucune des deux parties n'arrive à démontrer la supériorité de ses titres sur ceux de son adversaire, le juge doit naturellement se prononcer en faveur du possesseur. La possession, qui n'offre qu'un intérêt minime dans la procédure, ne peut, d'autre part, fonder la propriété par sa prolongation pendant un certain temps. L'institution de l'usucapion ou prescription acquisitive semble, en effet, être demeurée étrangère au droit attique [useCAPIO]. La possession n'a point enfin, à Athènes, l'importance qu'elle possède au point de vue de la tradition, dont elle est la base, car la tradition n'est point admise dans le droit attique comme un mode spécial d'acquisition'. DROIT ROMAIN. En droit romain, le mot possessio, dérivé de pedis sedes, suivant Labéon et Paul', et plus probablement de posse, pouvoir, désignait, dans son sens propre, la puissance physique sur un objet matériel, jointe à l'intention d'en disposer exclusivement à son profit, anienus sibi habendi 6. Cependant les jurisconsultes romains distinguaient plusieurs espèces de possession. Le simple pouvoir qui met une chose à notre disposition, quand nous en avons conscience, se nommait nuda detentio ou s'exprimait par les périphrases esse in possessione, corporaliter vdl naturaliter tanturn possidere 9. Il supposait l'absence de l'animus sibi habendi et n'était protégé par aucune voie de droit 10. Le locataire, le dépositaire, l'usufruitier, le commodataire avaient cette détention ou possession purement naturellell. Au contraire, celui qui possédait comme créancier gagiste, ou même en vertu de la convention particulière appelée precarium 12, et tous autres qui possédaient pro suo, avaient une possession véritable (possidert), garantie par les interdits prétoriens -INTERDIGTUM] et que l'on a nommée pour ce motif possessio ad interdicta. Enfin celui qui, outre la possession, avait justa causa et bond POS --603 --POS fides relativement à une chose matérielle susceptible d'usucapion [usucsrto], était dit posséder civiliter et sa possession prenait le nom de possessio civilis. En effet, elle pouvait lui procurer non seulement les interdits, mais encore l'acquisition des fruits perçus de bonne foi et le conduire à la propriété romaine par la possession prolongée pendant le temps requis par la loi des Douze Tables t. Il faut observer d'ailleurs que tout possesseur pro suo a le rôle de défendeur dans l'action en revendication et que même le simple détenteur peut user de l'exception de dol pour obtenir, par voie de rétention, les indemnités légitimes qui peuvent lui être dues par le propriétaire, son créancier, par exemple en qualité de commodant2. Nous allons indiquer, d'après la théorie des jurisconsultes romains, comment s'acquiert, se conserve et se perd la possession ad interdicta, car ce que nous dirons de celle-ci seravrai a fortiori de la possession civilis qui suppose seulement certaines conditions supplémentaires, comme la justa causa, la bona (ides, etc. 1. Acquisition de la possession. La possession s'acquiert animo et corpore c'est-à-dire par la réunion de deux éléments, l'un matériel, l'obtention du pouvoir physique sur la chose, l'autre intellectuel, l'intention d'en disposer pour soi, animas sibi habendi. Le corpus suppose que tout obstacle à notre libre action sur l'objet est levé et implique l'existence d'une chose matérielle susceptible de possession Du reste, pour avoir le corpus, il n'est pas nécessaire de se mettre en contact, par une appréhension complète, avec tous les points matériels de l'objet possédé'. La possibilité acquise d'agir sur l'objet suffisait pleinement, par quelque moyen qu'elle fût obtenue sans qu'il y ait lieu de recourir à des fictions de tradition symbolique [rRADITIO :. L'animus possidendi ou sibi habendi consiste dans la pensée bien arrêtée de se comporter comme propriétaire. Mais il n'implique point nécessairement la croyance que l'on est propriétaire, ni même l'intention ou l'espérance de le devenir. De là, entre les possesseurs, la distinction des possesseurs de bonne foi et des possesseurs de mauvaise foi'. Quant au point de savoir si le fait et l'intention doivent exister chez la personne même qui veut acquérir la possession, il faut distinguer. II est nécessaire que le possesseur ait lui-même l'animas domini, mais le fait de la détention peut être exercé par un tiers au nom du possesseur Une personne peut donc acquérir et conserver la possession par le fait d'un tiers, pourvu qu'elle ait elle-même l'animais rem sibi habendi. En conséquence si, sur mon ordre, ou à mon su, une personne agissant en mon nom appréhende physiquement une chose, c'est comme si je l'eusse appréhendée moi-même. Mais de la nécessité d'un animas domini personnel au possesseur, il résulte que si un citoyen peut acquérir la possession par l'intermédiaire des personnes soumises à sa puissance et même d'une personne libre, c'est seulement à la condition qu'il en ait la volonté et qu'il soit instruit de la prise de possession ; c'est à cette condition seulement qu'il est réputé avoir l'animus domini. Des raisons de nécessité pratiques firent toutefois admettre plusieurs exceptions au principe. 1° Ainsi d'abord le chef defamille peut acquérir, même à son insu, la possession des choses qui entrent dans le pécule de son esclave ou de son enfant en puissance, car on ne peut pas raisonnablement exigér du père ou du maître qu'il s'enquière à chaque instant de la consistance du pécule, examinant tout ce qui y entre et tout ce qui en sort'. 2° On peut acquérir la possession par un mandataire, si l'on a soi-même l'animas domini, même avant d'avoir été informé de l'appréhension de la chose par le mandataire ". 3° Les personnes investies d'un pouvoir légal pour administrer les affaires d'autrui peuvent faire acquérir la possession à celui au nom de qui elles agissent. Il en est ainsi des tuteurs ou curateurs pour les personnes en tutelle ou en curatelle, des administrateurs pour la cité qu'ils représentent" Les conditions requises pour l'acquisition de la possession par l'intermédiaire d'un tiers sont simplifiées lorsque ce tiers se trouve déjà en possession de la chose. si, par exemple, un propriétaire veut donner la maison qu'il habite tout en se réservant la faculté d'y rester à titre de locataire, il suffira, pour faire acquérir la possession au locataire, d'une double manifestation de volonté, qualifiée par les interprètes de constant possessoire A l'inverse, un possesseur peut faire acquérir la possession de la chose à celui qui la détenait pour son compte, par exemple à titre de locataire, par une simple déclaration de volonté, qualifiée de tradition brevi manut3. Il. Conservation et perte de la possession. En principe, la possession se conserve par la persistance des mêmes conditions requises pour son acquisition, c'est-àdire l'animas et le corpus. Il n'est pas nécessaire toutefois de conserver ces deux éléments avec le même degré d'intensité, car t'eût été exiger l'impossible. En effet, la pensée du possesseur ne peut pas se reporter constamment sur la chose occupée : il suffit qu'il n'ait pas conçu une intention opposée, celle de ne plus posséder ou de détenir pour autrui ''°. Mais le sommeil, la folie, l'oubli même de l'objet possédé ne peuvent entraîner la perte de la possession'". De même, au point de vue du pouvoir physique, on se contente de la facilité pour celui qui avait pris possession d'agir de nouveau à son gré sur la chose ". Ainsi, je ne cesse pas de posséder un objet égaré, mais que de simples recherches doivent faire aiséisient retrouver ; il est encore réputé in custodia mea. Pareillement, je ne perds pas la possession d'un animal domestique ou apprivoisé, parce qu'il s'absente de chez moi, tant qu'il a l'habitude d'y revenir"De même encore, le propriétaire d'un fonds de terre n'en perd pas la possession par cela seul qu'il s'en écarte, ni même qu'il reste assez longtemps sans y revenir, si son absence s'explique par la nature du terrain et les usages locaux, si, par exemple, il s'agit de pâturages d'été ou d'hiver (caltas aestivi hibernique) que l'on a coutume d'abandonner pendant un semestrete. On admet même que ie propriétaire ne perd pas la possession de son immeuble par le seul fait qu'un tiers s'est, pendant son absence, installé sur ce bien à son insu (clam), s'il l'expulse dès qu'il apprend la chose 'g Par contre, la possession est perdue toutes les fois que, POS 6014 POS soit volontairement, soit involontairement, le possesseur ne se comporte plus sur la chose comme ferait un maître. Ainsi elle se perd corpore quand, par sa faute ou non, il ne fait pas acte de maître. Tel est le cas, pour une chose tombée dans le fleuve, quand il ne la retire pas immédiatement 1, pour un fonds de terre qu'il a laissé vacant par négligence et dont-il a été longtemps absente, ou bien pour un fonds de terre dont il a été dépouillé pendant son absence et qu'à son retour il a omis de reprendre Le possesseur peut, du reste, perdre à la fois l'animus et le corpus, comme dans le cas où la chose est matériellement détruite, dans celui où la chose a été l'objet d'une derelictio, c'est-à-dire de l'abandon de la détention matérielle, jointe à l'abdication de l'animus domini, ou bien encore lorsque le possesseur, voulant aliéner, livre la chose à un tiers qui, de son côté, veut acquérir 4. III. Complément de la théorie de la possession. Quasi possessio. Tout ce que nous venons de dire concerne la possession proprement dite, c'est-à-dire l'exercice de fait du pouvoir correspondantà la propriété, que les Romains confondaient, sous le nom de chose corporelle, avec son objet matériel. Au contraire, les autres droits réels étant regardés comme des choses incorporelles, les Romains n'admettaient pas que le pouvoir de fait correspondant à ces droits fût une possession véritable,car, disaien t-ils, la possession supposant le corpus, on ne peut posséder les choses incorporelles 5. Mais la pratique corrigea cette rigueur du droit en admettant une quasi-possessio des droits de servitude. Cette quasi-possession fut protégée par le préteur au moyen d'interdits appelés utiles" [INTERDICTUM] et même, dans certains cas, par des interdits spéciaux ou par une action réelle utile. Cette quasi-possession était, d'autre part, susceptible de produire avec le temps lapraescriptio longi temporis [PRAESCRIPTIO], au moins pour les servitudes autres que l'usufruit. Justinien permit d'acquérir longo tempore une servitude quelconque L. BEAUCHET. POSTILENA 1. Croupière, courroie qui passe sous la queue du cheval et que l'on fixe aux parties antérieures du harnais pour les empêcher de glisser en avant. On en peut voir l'image sur un très grand nombre de monuments où sont représentés des chevaux Elle est tantôt plus large, tantôt plus étroite et souvent ornée, comme