Le Dictionnaire des Antiquités Grecques et Romaines de Daremberg et Saglio

Article PRODIGIA

PRODIGIA (Tépxrx). Phénomènes ou incidents quelconques, dont la cause supposée était une action directe et voulue de quelque divinité, et destinés à révéler (prodere, prodicere) l'intention de cette divinité. L'idée de révélation, avertissement impliquant d'ordinaire une menace pour un avenir prochain, apparaît dans tous les termes latins, à peu près synonymes, entre lesquels les érudits anciens et modernes ont vainement cherché à introduire des nuances fixes : ostentum de ostendere; monstrum de monstrare ou 7nonere; portentum de portendere. L'usage courant, comme le constate Servius, ignorait ces finesses et employait indifféremment l'une ou l'autl'e de ces expressions'. Prodigia étant resté le terme le plus générique, il est d'autant plus difficile d'en limiter le sens. Un prodige est essentiellement un accident fortuit, mais n'est pas nécessairement un phénomène contre nature, comme l'espèce appelée d'ordinaire monstrum. Il suffit qu'il soit inaccoutumé 2 et attire l'attention par quelque particularité étrange ou effrayante [DIVINATIO, p. `296-7). Comme l'omen dont il n'est pas toujours facile de le distinguer, le prodigium peut être accepté (suscipere prodigium) ou tenu pour négligeable. Aussi arrivait-il que des prodiges d'abord méconnus se renouvelaient, sous forme identique ou différente, et qu'on les reconnaissait tels à cette insistance, En règle générale, l'omen se tire d'un incident insignifiant en soi et ne s'adresse qu'à un individu; l'avertissement contenu dans le prodige s'impose par le caractère anormal du fait et s'adresse à une collectivité. Nous n'avons, du reste, à nous occuper que des prodiges dits publics (publica), reconnus par l'autorité romaine, le Sénat en l'espèce, comme intéressant la société tout entière, en raison soit de leur nature (pestes, tremblements de terre, éruptions volcaniques, naissances monstrueuses), soit du fait qu'ils ont apparu dans un lieu public. La question était tranchée ici par un principe de bon sens, à savoir que le prodige survenu en un lieu donné était adressé au propriétaire3. Les Pontifes [PONTIFICES] étaient seuls compétents pour proposer au Sénat de décider si le prodige devait être accepté par l'État et pour indiquer les mesures à prendre. De ces mesures, l'une était facultative, l'autre obligatoire. Les Pontifes pouvaient ou bien se déclarer suffisamment renseignés par la tradition sur le sens du prodige et se charger de la procuration sans plus ample examen; ou bien renvoyer pour interprétation, soit le plus souvent aux haruspices [HARUSPICES], soit, dans les cas inquiétants aux livres sibyllins [DUUMVIR! s. F.]. L'interprétation, portant sur les causes passées ou les pronostics visant l'avenir, suggérait alors les remedia, les cérémonies expiatoires et propitiatoires dont l'ensemble constituait la « procuration » [PROCURATlo], obligatoire dans tous les dans le droit attique, sur le point de savoir si la prodigalité pouvait être considérée comme une cause suffisante d'interdiction ou de demi-interdiction. Nous serions cependant assez disposé à admettre l'affirmative. En effet, le législateur se préoccupe avant tout d'empêcher la dissipation du patrimoine : tel est le but direct de la PARANOIAS DIKC. Bien que le prodigue ne soit pas, à proprement parler, un dément, peut-être les Athéniens ontils, de même que les Romains, envisagé la prodigalité comme une sorte de folie relative aux biens, de telle sorte qu'il n'y ait pas lieu de distinguer entre les prodigues et les fous'. Nous admettons d'autant plus la prodigalité comme une cause d'interdiction, que le législateur athénien, lorsqu'il s'agit de la DOKIMASIA, assimile XEY.sXwXdrEÇ 2, et déclare les uns et les autres incapables d'exercer les fonctions publiques. Le droit attique, en autorisant l'interdiction des prodigues, n'aurait point été le seul en Grèce, car Périandre aurait, dit-on, établi une institution semblable à Corinthe En admettant d'ailleurs que le prodigue puisse être interdit, il nous semble que l'on devrait faire une distinction semblable à celle que consacrait la loi romaine et n'autoriser l'interdiction comme prodigues que de ceux qui dissipaient les biens provenant de la succession ab intestat de leur père, rit 7zarptlla, riun7c,x. Quant aux biens qu'un citoyen avait acquis par son travail ou qui provenaient d'un étranger, leur dissipation ne privait en rien ses héritiers d'une chose sur laquelle ils eussent dû compter et elle ne pouvait être une cause d'interdiction. Au surplus, le prodigue ne saurait ètre dépouillé de la gestion de son patrimoine sans une décision du tribunal portant interdiction 4. DROIT ROMAIN. A ROme, la loi des XII Tables considérait comme prodigues ceux qui dissipaient follement les biens provenant de la succession ab intestat du père ou de l'aïeul paternel, bona paterna avitaque'. Ces biens sont considérés comme un dépôt qui doit rester dans la famille civile et que leur possesseur ne peut nequitia disperdere. La prodigalité consiste en conséquence à dissiper les biens patrimoniaux contrairement à PRO 668 PRO l'équité, et de manière à ce qu'ils ne soient plus suffisants pour satisfaire aux besoins de la famille. L'interdiction du prodigue est, en effet, subordonnée à la condition qu'il ait des enfants qui vont se trouver dans le besoin, et elle a pour but de protéger ces enfants contre le mauvais usage que leur père ferait de ses biens patrimoniaux. L'interdiction est prononcée par le préteur et elle a pour effet de placer le prodigue sous la tutelle légitime de ses agnats, ou, sans doute, à leur défaut, sous celle des gentiles. A l'époque classique, cette mesure subit deux importantes modifications. Tout d'abord, la notion de la prodigalité a été élargie. On ne se préoccupe plus seulement du seul intérêt de la famille civile, mais aussi de celui du prodigue et même de l'intérêt de la société tout entière. Aussi ne recherche-t-on plus la provenance des biens dissipés et toute distinction est abolie entre les biens patrimoniaux et les acquêts. Par suite, sont désormais pourvus d'un curateur pour cause de prodigalité : q° non plus seulement les ingénus, mais encore les affranchis, qui, fondant une famille, ne pouvaient avoir de biens paterna; 2° les enfants émancipés ; 3° les enfants nés hors mariage ; P° enfin tous ceux qui dissipent leurs biens, quelle qu'en soit la provenance'. La curatelle des prodigues ne s'ouvre d'ailleurs, comme autrefois, que par un décret du magistrat, le préteur à home, le gouverneur dans les provinces, car la prodigalité n'est point, comme la folie, une cause naturelle d'incapacité. L'incapacité du prodigue est, d'autre part, limitée, conformément à la distinction suivante. a. Le prodigue est assimilé au ficriosus et, dès lors. absolument incapable pour les actes susceptibles d'entraîner une diminution de son patrimoine'. Ainsi il ne peut consentir aucune aliénation ', ni faire un testament'. Il ne peut non plus contracter aucune obligation valable, ni civile, ni même naturelle 3. Mais, de même que le furiosus, il peut se trouver obligé sans sa volonté, comme au cas d'indivision ou à la suite d'une gestion d'affaires'. b. Lem odigue demeure, au contraire, capable de faire tous les actes susceptibles d'améliorer sa condition. Ainsi ii peut acquérir, stipuler; il peut même accepter une succession', car, malgré les charges que cette acceptation peut entraîner, il n'y a guère à craindre que le prodigue accepte une hérédité mauvaise pour satisfaire ses passions. Le curateur a pour mission de gérer les biens du prodigue. Quand il est nécessaire de faire, pour les intérêts de l'incapable, un acte qui lui est interdit, cet acte, suivant les uns, doit être accompli par le curateur seul, suivant d'autres, par le prodigue assisté de son curateur. En tout cas, le curateur doit rendre compte de sa gestion quand ses fonctions prennent fin [cuRA'roR] L'incapacité du prodigue, créée par un décret du magistrat, ne doit logiquement prendre fin que par un décret de main-levée de l'interdiction. Néanmoins un texte d'Ulpien, suspect d'ailleurs d'interpolation, déclare que ia curatelle cesse de plein droit dès que le prodigue s'est amendé et sans qu'il intervienne un nouveau décret pour lever l'interdictions. FiEAOCl1FT.