Le Dictionnaire des Antiquités Grecques et Romaines de Daremberg et Saglio

Article PYGMAEI

PYGMAEI (IIu.iuyYot). Les traditions relatives aux Pygmées remontent plus haut, en Grèce, que les poèmes homériques : l'auteur de l'Iliade mentionne ces nains comme un peuple bien connu, qui vit sur les bords du fleuve Océan, occupé à des luttes incessantes contre ses ennemis héréditaires, les grues'. La même légende se retrouve chez les plus anciens historiens : un fragment d'Hécatée nous montre les Pygmées usant de bizarres stratagèmes pour défendre leurs moissons contre les grues, s'affublant de cornes, se déguisant en béliers, faisant sonner des castagnettes 2. Hérodote cite en passant les Pygmées 3, et, de plus, il atteste, d'après une source cyrénéenne, l'existence de tribus de nains sur le cours supérieur du Nil'. Mais c'est surtout à l'époque alexandrine que se précisent les informations'. A partir de cette époque, on les fait vivre principalement en deux contrées, l'Inde et l'Afrique équatoriale, que les conquêtes d'Alexandre et les expéditions des rois grecs PYG 783 PY G d'Égypte avaient fait connaître. Dès la fin du v" siècle, d'ailleurs, la présence des nains dans l'Inde avait été affirmée par Ctésias, médecin grec d'Artaxerxès Mnémon : Au milieu de l'Inde, dit-il, vivent des hommes noirs qu'on nomme Pygmées... ils sont tout petits, les plus grands ont deux coudées, la plupart une coudée et demi seulement ' », Sur les nains de l'Afrique équatoriale, pays mêmes où les anciens plaçaient leurs Pygmées, Ies explorateurs contemporains ont constaté la présence de nombreuses tribus de nains. Plusieurs groupes isolés de ces petits hommes ont été rencontrés dans l'Inde monts Vindhya et Beloutchistan) et mème en Océanie (presqu'île de Malacca, Malaisie, Mélanésie". Mais c'est en Afrique surtout qu'ils abondent. ll y a, à l'heure actuelle, Aristote n'est pas moins catégorique : « Il y a, dit-il, dans les marais situés au sud de l'Égypte et d'où sort le Nil, une race de petits hommes qui vivent dans des trous.2 » A l'époque romaine, non seulement ces traditions survivent, mais on place des nains dans toutes les contrées, fréquentées par les vols de grues, en Éthiopie. en Inde, en Carie, en Thrace et jusqu'à Thulé'. Enfin, au vi° siècle ap. J.-C., le voyage d'un certain Nonnosos, ambassadeur de Justinien chez les Éthiopiens, vint renouveler et raviver la croyance aux Pygmées ; il raconta que, dans une île voisine de la côte orientale d'Afrique, il avait rencontré une tribu de ces nains En résumé, on voit donc que l'antiquité tout entière jusqu'aux approches du moyen âge 3 a cru à la réalité des Pygmées. Parmi tous les savants grecs et romains, un seul avait nettement, et à plusieurs reprises, révoqué en doute leur existence : c'est le géographe Strabon 6. Chez les modernes, c'est l'opinion sceptique de Strabon qui a presque unanimement prévalu jusqu'à nos jours. Les uns ont vu dans l'histoire des Pygmées une pure fiction poétique 7: d'autres, parmi lesquels Buffon a, ont identifié les prétendus nains avec les singes anthropoïdes de l'Afrique. Mais aujourd'hui le problème semble définitivement tranché dans le sens de l'affirmative. Dans les quatre régions de ce continent, où la présence de tribus naines a été constatée: 1° Haut-Nil et région forestière des grands lacs 10, avec groupes épars dans le bassin du Congo ; 22 Afrique australe ; 32 ouest du Congo français et Kameroun"; 4° enfin, Afrique orientale, au sud de l'Abyssinie13. 11 n'est pas étonnant que les Grecs aient connu ces nains dès l'âge homérique'`. D'une part. en effet, les relations de l'Égypte avec les pays du Haut-Nil semblent s'etre de bonne heure éten dues fort loin e'. De plus, il est aujourd'hui prouvé (lue bien longtemps avant l'Iliade, les Égyptiens étaient en rapports avec les peuples helléniques de la côte d'Asie et des lies1". C'est donc, très vraisemblablement, par la vallée du Nil que sont parvenues aux aèdes ioniens, les premières traditions sur les Pygmées de l'Éthiopie. Mais ce n'est pas seulement la communauté d'habitat qui autorise à identifier les Pygmées antiques avec les nains modernes. La taille, les caractères physiques, certains détails d'accoutrement viennent encore à l'appui de cette assimilation. Ainsi les nains de Stanley ", comme ceux de Ctésias S6 n'ont parfois que 92 centimètres de hauteur. La plupart sont des nègres, laids et grotesques": c1µ6: uni nio o:, dit Ctésias20, Ils sont velus, « au point qu'en les caressant on croirait toucher une fourrure '. (Stanley) 21, PYL PYT « tellement qu'ils s'enveloppent de leurs poils comme d'un vêlement » (Ctêsias) . Enfin, il n'est pas jusqu'à la fable de leurs combats contre les grues qui ne puisse être expliquée comme la généralisation arbitraire d'un fait réel. Hérodote nous montre, en effet, les Éthiopiens taisant la chasse aux grues, dont ils utilisaient la peau pour se fabriquer des boucliers'. Et, de nos jours encore, les négrille de l'Afrique équatoriale sont en lutte continuelle contre les grands volatiles aquatiques qui pillent leurs bananeraies et leurs maïs . La représentation des Pygmées est un motif fréquent dans l'art antique. On les retrouve sur les monuments figurés de toute espèce, fresques, vases peints, figurines de terre cuite et de bronze, bas-reliefs, pierres gravées , ordinairement bataillant ; car ils avaient l'humeur belliqueuse. Ils attaquèrent, disait-on, Hercule pendant son sommeil [HERCULES, p. '100j°. Le plus souvent, ils combattent contre des grues, plus rarement contre d'autres animaux. Le plus ancien monument où on rencontre l'image des Pygmées est sans doute le vase François (Vie siècle) où, dans une des frises, on les voit les uns à pied, les autres à cheval sur des boucs, affrontant, armés de bàtons et de frondes [fig. 5901; FUNDA, fig. 3330), des bataillons de grues. Ce sont ici des hommes de très petite taille, d'ailleurs bien proportionnés; mais, en général, les artistes se sont plu à leur donner l'aspect de nains comiques (fig. 590)3. Ce caractère se marque de plus en plus dans les oeuvres exécutées sous l'influence alexandrine et lorsqu'il fut de mode, comme on le voit dans les peintures pompéiennes, de représenter des scènes de tout genre où les personnages sont, au lieu d'hommes et de femmes, des Amours, des Psychés ou simplement des enfants, on eut aussi l'idée d'y introduire des figures de Pygmées qui donnent un aspect caricatural même à des sujets sérieux et quelquefois tragiques °. O. NAVARRE.