QUINQUATRUS. Telle est la forme primitive du mot qui désignait à Rome deux fêtes sans doute très anciennes et que l'opinion populaire aux temps historiques mettait en rapport avec le culte de Minerve. Mais on trouve aussi chez les auteurs quinquatres, quinquatria et quiquats'iae . Atrus, c'est Varron qui nous l'apprend, est une terminologie étrusque des nombres ordinaux ; d'autre part, la fête elle-même et la corporation des joueurs de flûte qui en étaient les principaux bénéficiaires, étaient originaires d'Etrurie : quinquatt'us aurait signifié le cinquième jour (après les Ides) 2, Cependant, dès l'an 168 av. J-C., -nous le savons par un texte formel, la fête durait cinq jours entiers et tous les auteurs entendent par Quinquatries une fête de cinq jours; le nombre cinq et par suite le cinquième jour étaient consacrés è Minerve3. L'une de ces fêtes, ainsi appelée parce qu'elle avait réellement cette durée, se célébrait du 9 au 23 mars inclus; c'étaient les Quinquatries Majeures ; elles concordaient avec la dédicace d'un sanctuaire élevé è Minerve, soit la chapelle de Mincira Capta sur le mont Coelius, soit le temple de Minerve in Aventino, de beaucoup le plus célèbre . Elles tombaient dans une période de l'année où le vieux calendrier multipliait les cérémonies en l'honneur de Mars, considéré comme le dieu de la nature printanière qu'on honorait d'abord en compagnie de Nerio ou
Neriéné, divinité sabellique 5. La notion exacte de celle-ci se perdit rapidement, ce qui la fit identifier avec Minerve, laquelle dès lors confisqua la fête è son profit °. Il est probable qu'à l'origine ces Quinquatries étaient simplement un ensemble de cérémonies et de réjouissances destinées è fêter l'équinoxe du printemps7. Les anciens s'en sont avisés eux-mêmes; et quant aux modernes il en est qui expliquent l'intervention de Minerve et sa substitution au couple de Mars-Nerio, parce qu'elle aussi était considérée, du moins chez les Grecs, comme une personnification de l'atmosphère, partageant avec Jupiter l'attribut de la foudre et de l'égide8.
Aux temps historiques, on célébrait le premier jour la naissance de la déesse9 ; c'était sans doute en souvenir de la translation è Rome par Camille de la statue enlevée au temple de Faléries, puis installée dans le sanctuaire érigé sur le mont Coelius, où la déesse était invoquée sous le vocable de Capta". Ovide, qui a consacré è la fête une description détaillée, donne de ce vocable quatre interprétations différentes
deux seulement ont de l'intérêt. Ou Capta serait identique è Captiva, ce qui rappellerait la conquête de Faléries et l'annexion de sa divinité protectrice; ou il faudrait y voir Capita, ce qui signifierait la divinité de l'intelligence. Le caractère de la fête serait en faveur de cette interprétation, mais ce n'est pas une raison pour qu'on ne préfère pas la première 11, C'est, en effet, aux Quinquatries de Mars que Minerve était honorée par les représentants des métiers d'art et d'habileté manuelle, par les femmes qui brodaient, tissaient et filaient, par les tisserands, les cordonniers, les ouvriers en cuir, par les médecins, les graveurs, les peintres, les sculpteurs, et, plus tard même, par les poètes ° Les foulons qui formaient à Rame un corps de métier très important en avaient fait leur fête patronale ; on trouve une allusion à ce fait dans un fragment de vieux poète comique, et Pline cite un tableau célèbre du peintre Simus, représentant un atelier de foulons livrés aux réjouissances spéciales de cette fête '. Enfin, avec ces Quinquatries du mois de mars, oit l'on honorait Minerve, concordait la rentrée des classes, ce qui en faisait la fête des écoliers et de leurs maîtres. Ceux-là apportaient des offrandes à la déesse pour qu'elle bénît leur travail; ceux-ci escomptaient, ce jour-là, le paiement de leur maigre salaire qui s'appelait Minerval". Horace, ayant à définir un court temps de répit et de réjouissances, rappelle les Quinquatries des écoliers; d'autres poètes insinuent que les maîtres avaient grand'
QUI 803 -.es QUI
peine à se faire payer alors leur dû, ou se moquent des ambitions que cette époque faisait concevoir aux parents, en retour d'une rétribution toujours payée à contre-coeur, si modique qu'elle fût'On célébrait aussi les Quinquatries, un peu comme les Saturnales, au foyer de la famille; Auguste écrit à Tibère qu'on les a passées au Palatin, fort agréablement, en jouant aux dés ; et Néron s'en fait un prétexte pour inviter sa mère à les fêter avec lui à Baïes, afin de mieux organiser le crime qui faillit coûter à celle-ci la vie au retour
A l'origine et assez avant dans l'histoire, la fête avait un caractère éminemment pacifique; elle excluait toute immolation sanglante et ne comportait que des offrandes simples, des fleurs, des gâteaux, du selOvide, cependant, qui était né le 20 mars, en pleine période des Quinquatries, mentionne des combats de gladiateurs, dont l'introduction devait être toute récente ; pour les justifier, il s'en réfère à la nature guerrière de la déesse 4. Cet élément et d'autres tout aussi populaires, comme les distributions d'argent et de blé, se développèrent sous l'Empire. Sur les monnaies de Néron, de Titus, de Nerva, on peut voir l'empereur assis sur une estrade et présidant au congiarium; des attributs de Minerve ou son image rappellent qu'il s'agit des Quinquatries6. Enfin, Domitien, qui professait pour Minerve une dévotion tapageuse, les célèbre magnifiquement dans sa villa d'Albe. Il avait, pour y pourvoir, institué un collège spécial ; ceux des membres que désignait le sort organisaient au cirque des chasses somptueuses, des spectacles au théâtre et aussi des concours de poésie et d'art oratoires. Quintilien ne manque pas, dans l'éloge dithyrambique qu'il fait de cet empereur, d'exalter son intimité avec Minerve, déesse des beaux-arts'. Le forum, qui devait porter le nom de Nerva et qui était l'oeuvre de Domitien, fut, par lui, mis sous la protection de Minerve et le temple qu'il y éleva à la déesse déposséda, sans doute sous son règne, celui du mont Coelius, pour la célébration dans un cadre plus pompeux des Quinquatries
Le cinquième jour de la fête nous ramène à ses lointaines origines et lui restitue son caractère primitif : on l'appelait le jour de tubilustrium 9; c'est-à-dire qu'on procédait à la lustration des flûtes et des trompettes qui servaient aux usages sacerdotaux. Cette opération, au cours de laquelle on immolait un agneau, avait pour théâtre un local appelé atrium sutorium, que Mommsen croit pouvoir identifier avec l'atrium Minervae situé près du forumf0; nous avons vu que les ouvriers en cuir avaient leur place marquée dans la célébration des Quinquatries". A la cérémonie du tubilustrium étaient particulièrement intéressés les tubicines sacrorum populi romani12, lesquels sont distincts des musiciens ordi
naires que nous allons voir figurer aux Quinquatries de juin; ceux-là sont de véritables prêtres, viri speciosi, dont le rôle consistait à accompagner sur leurs instruments les processions et les danses des prêtres Saliens, auxquelles prenaient part aussi les pontifes et les tribuns des Celeres 13. En ce jour du 23 mars, avait lieu la troisième grande procession en l'honneur du dieu et la purification des instruments en formait la conclusion. La coïncidence des dates et la participation des musiciens expliquent comment une cérémonie qui rentrait dans le culte de Mars finit par passer sous le patronage de Minerve'".
C'étaient là les Quinquatries appelées majores, à raison de leur plus grande durée, de leur pompe plus variée et de leur signification plus générale. Par une assimilation de caractère populaire, plus erronée encore que celle qui, au cours des âges, modifia la nature des premières, on appela minores ou Jninusculae celles que le calendrier fixe au 13 juin, c'est-à-dire au jour même des Ides''. Leur nom véritable fut vraisemblablement Idus Juniae qu'elles portent quelquefois et elles ne duraient que trois jours 's ; le chiffre cinq n'y est donc pour rien, mais la déesse Minerve en est également l'objet. Elles étaient à proprement parler la fête spéciale de la corporation des tibicines et elles coïncidaient avec la dédicace du temple de Minerve in 4ventino Si cette fête devint presque aussi populaire que l'autre, c'est qu'elle était l'occasion de réjouissances bruyantes auxquelles la foule prenait part, sans y être d'ailleurs religieusement intéressée; et si, outre les joueurs de flûte qui sacris publicis praesto sunt, on y peut associer les histriones et même les scribae, c'est-à-dire les acteurs et les poètes dont les plus anciens jouaient eux-mêmes leurs pièces, c'est parce que Livius Andronicus composa en 207, pour célébrer la victoire de Sena, un poème lyrique chanté par un choeur, dans une cérémonie publique, et qu'il reçut en récompense, pour lui et sa corporation, le droit de se réunir au temple de M inerve et sans doute celui de prendre des repas au Capitole, sous le patronage de Jupiter Epulo 1 ". Rien ne prouve, cependant, que ces deux corporations des acteurs et des poètes aient jamais pris part aux exhibitions carnavalesques des tibicines, pendant les Quinquatries de Juin [TIBJCENj. En 311 av. J.-C., les censeurs Appius Clandius, celui-ci connu pour son rigorisme, et L. Plautins crurent devoir les interdire. Ovide, dans un morceau confus et tronqué des Fastes, Tite-Live dans un récit court et pittoresque, racontent la grève qui s'ensuivit, l'exil volontaire de la confrérie à Tibur et les démarches faites pour la ramener, afin que les cérémonies saintes et les funérailles pussent être célébrées suivant le rite 19. Les censeurs, en effet, crurent devoir capituler, pour conserver au peuple sa fête carnavalesque et aux
QUI
siècles suivants, et jusqu'aux temps de l'Empire, nous le voyons figurer au programme de beaucoup d'autres fêtes citons : les Panathénées'', les Éleusinia 13, les Amphiaraia d'Oropos les Ilérakleia de Chalcis", les Érotidia de Thespies 13, les Asklépieia d'Épidaure ', un concours anonyme de Pltiionte 17, les Apollonia de Délos
les Halieia de Rhodes 12, les l-Iéraia de Samos les liérakleia d'lasos2t, les Dionvsia de Téos, les Ilékatésia de Stratonicée'°, les Théogamia de Nysé, les Claria de Colophon, les Arctségésia d'Halicarnasse, les Apollonia de Mp'ndos, les Leukopltrvneia de 11lagnésie 23, une fête
d'Aphrodisias tes Olympia de Cvzique °, une fête de Nicomédie, les Pvtllia de Chalcédoine et de Périnthe, les Sébasta de Byzance, les Romaia de Pergame 20, les Actia de Nicopolis, les Sébasta de Néapolis u, etc. Dans plusieurs de ces fêtes existèrent des concours de pentathie
distincts pour les les 77Cti'€; et les à'i'iveIot.
Il. Nature des exercices. Une dizaine de documents anciens 28, dont une épigramme de Simonide, énumèrent comme parties composantes du pentathle le saut, la course, le jet du disque, le jet du javelot, la lutte. Cinq ou six autres textes 29, tous dérivés de la même source 30, omettent le javelot et nomment à sa place le pugilat. Deux autres SI mentionnent le pugilat et omettent le saut. Un" remplace le saut par le pancrace. Nous sommes donc en présence de quatre énumérations différentes. Mais les trois dernières ne méritent aucun crédit'3; contenues dans des textes de basse époque, elles sont probablement conjecturales; l'une d'elles semble déduite d'un passage du chant VIII de l'Odyssée (voir '120-130), où il ne s'agit pas du pentathle Au contraire, la liste donnée par Simonide et d'autres bons auteurs trouve sa confirmation dans ce qui nous est raconté de quelques concours en particulier: ainsi Tisaménos dElide, avant d'être vaincu Lt la lutte par Itiéronymos d'Andros, avait triomphé, dit Pausanias u, dans les épreuves du saut et de la course; Automèdès dePhlionte, chanté par Bacchylide 30, a lancé avec succès le disque et le javelot, et il a eu le dessus à la lutte, etc. 32, Des cinq exercices du pentathie, deux, la lutte et le jeu du disque, étaient réputés des exercices pénibles (xpoLç) ; les trois autres, des exercices faciles (xocot) 38,
III. Ordre des exercices. Les textes anciens où sont énumérés les cinq exercices du pentathle ne les énumèrent pas dans un ordre constant. Quelques-uns, ceux
QUI 80!»
tibicines toute licence de s'exhiber pendant trois jours, ivres le plus souvent et travestis'. Un denier de la gens Pla;itia, portant au droit un masque, au revers une image de l'Aurore sur son char, rappelle ces déguisements et la ruse des Tiburtins qui, de grand matin, ramenèrent à Rome sur des chars les fugitifs endormis par l'ivresse °. Des inscriptions consacrent la permanence des privilèges que la confrérie partagea sans doute avec les histrions3. Quant aux poètes, ils se contentèrent, depuis Livius, et pour peu de temps encore, de tenir leurs réunions au temple de Minerve sur lAventin, sans se mêler jamais àdes cortèges incompatibles avec leur dignité'. J.-A. HILD.