Le Dictionnaire des Antiquités Grecques et Romaines de Daremberg et Saglio

REPETUNDAE

REPETUNDAE (PECUNIAE). I. Origines. Ces mots désignent en droit romain les sommes reçues indûment par des magistrats ou des juges à l'occasion de leurs fonctions, à Rome, en Italie ou dans les provinces, et qui donnaient. lieu à une action en répétition au profit de ceux qui les avaient données. Sous cette forme de cadeau, la concussion ne tombait sous le coup d'aucune loi pénale et ne pouvait être atteinte que comme délit privé par une action civile, à moins que le magistrat délinquant ne fût accusé devant le peuple à sa sortie de charge. Après les conquêtes d'outre-mer, les abus de pouvoir, les exactions et les pillages des gouverneurs de provinces amenèrent l'intervention de plus en plus fréquente du Sénat. En 171 av. J.-C., il institua pour juger successivement trois anciens préteurs d'Espagne, selon les règles du procès civil, un tribunal de cinq récupérateurs pris dans son sein et présidés par un préteur spécial, en donnant aux plaignants des patrons sénatoriaux, parmi lesquels était Caton 1. 11 fit intenter toute une série d'autres procès analogues', et, plus tard, il continua souvent à prendre l'initiative de poursuites confiées à. des juges spéciaux, même après l'organisation de la procédure régulière 3. II. Lois. C'est seulement en 149 que commencèrent les mesures spéciales de répression qui allaient si profondément modifier le droit pénal de la République. Le tribun L. Calpurnius Piso fit voter la première loi de pecuniis repetundis, à la suite de laquelle fut probablement établie la première quaestio permanente, celle de pecuniis repetundis, présidée par le préteur pérégrin4. Vinrent ensuite la loi Junia, connue seulement de nom 3, une loi qui est probablement la loi Acilia, qu'on peut placer en 123-2'. et qui, portée sous l'influence de C. Gracchus, a transformé la réclamation civile en action pénale par l'établissement de la peine du double et créé probablement pour présider ce jury un préteur spécial ; la loi Servilia présentée probablement un peu avant 111 par le tribun C. Servilius Glaucia' et qui a dû avoir la même tendance que la précédente ; la loi de Sylla de 18, très importante, mais dont on ne sait presque rien, sinon qu'en changeant la composition du tribunal elle a probablement maintenu la procédure et les pénalités de RE P 838 -REP la loi Servilia ; enfin la loi de César, de 59, la lex Julia repetundarum ou de repetundis, qui, longue de plus de cent un chapitres, posait des règles détaillées, renforçait la pénalité et devait être sur cette matière le code en vigueur pendant tout l'Empire 2. Il n'y eut plus ensuite que des compléments de détail, des extensions à différents cas et surtout des modifications dans la pénalité. Les lois de la République furent impuissantes à arrêter les concussions et les pillages des gouverneurs 3. Les empereurs réussirent à les diminuer, surtout dans les provinces impériales, et au moins pendant les deux premiers siècles, par la sévérité de leur surveillance, par l'établissement de la poste et des traitements fixes, par la centralisation administrative et le contrôle des procurateurs, par le maintien en fonctions des gouverneurs impériaux pendant de longues années. Sous la République la loi avait surtout pour but la réclamation des sommes indûment versées. Sous l'Empire, la procédure devint surtout criminelle. III. Personnes poursuivies. Sous la République ce sont: les magistrats romains jusqu'aux tribuns légionnaires: les sénateurs, en tant que chargés de fonctions publiques, soit comme aides de magistrats, soit en raison de leurs votes au Sénat, soit surtout comme jurés, peutêtre déjà comme accusateurs dans un procès public' ; les fils des précédents, s'ils ont reçu de l'argent pendant la fonction de leurs pères ; quiconque exerce des fonctions ayant un caractère public 6. Les tentatives pour soumettre à la loi des chevaliers, surtout comme faisant partie de la suite des magistrats et comme jurés, les tribuns légionnaires, les praefecti, les scribes, les autres personnes de l'entourage des gouverneurs, restèrent sans résultat'. Sous l'Empire, la loi fut étendue à tous les membres de la cohors du gouverneur, aux offeciales à tous les accusateurs, dans les procès publics [PRAEVAHICATIO], aux avocats', aux juges, jurés et pédanés9, aux fonctionnaires impériaux de l'ordre équestre 10, aux provinciaux qui ont assisté des fonctionnaires" ; le mari fut rendu responsable de l'argent reçu par sa femme 12. IV. Prohibitions. La loi défend, en général, au magistrat de recevoir de l'argent (pecunias capere, cogere, conciliare)f3. Par conséquent: 1° Il ne doit recevoir aucun cadeau, sauf de ses proches'`. La loi n'excepte que les fournitures légales ; les présents de nourriture et autres objets qui n'enrichissent pas ; les xenia Il, dont le maximum a varié 16 et parait comporter sous l'Empire 10000 sesterces par an 17; les présents honorifiques, des tinés à perpétuer la mémoire du magistrat, mais dont le montant doit être, d'après la loi de Sylla, employé dans les cinq ans, sous peine d'être considéré comme cadeau interdit f8, En dehors de ces exceptions ", on ne tient compte de la bonne foi, ni du receveur, ni du donneur ; la loi poursuit tout contrat qui dissimule un cadeau; tout achat fait par un magistrat est censé cadeau et le vendeura le droit. de réclamer la chose sans rendre le prix20 ; elle peut être réclamée par le fisc ai la revendication légale n'a pas eu lieu dans les cinq ans 21, indépendamment des amendes tantôt du simple, tantôt du quadruple22. 2° Sauf dans les cas d'urgente nécessité u, le magistrat ne doit faire aucun acte commerciale" dans sa circonscription 2R, ne doit s'enrichir d'aucune manière 26. Il en est de même plus tard de ses subordonnés, de son office [oFFtCIALES, p. 158] 27. Dans la plupart des cas, la loi admet la réclamation de l'autre partie. 3° Il ne doit extorquer ni cadeaux, ni prestations, ni services quelconques par peur ou abus de pouvoir. Ce délit, qui n'est pas dans l'ancien droit, est, dès le 11e siècle ap. soit rattaché aux repetundae, soit traité comme délit spécial, comme concussion8; il se développe de plus en plus au Bas-Empire et explique en particulier les lois qui interdisent aux agents du pouvoir central, aux palatini, d'exercer des missions dans leur pays d'origine ou dans ceux où ils possèdent des biens29. 4° Il ne doit pas se laisser acheter à prix d'argent pour faire ou ne pas faire un acte. Le délit de corruption, compris auparavant dans la défense générale de recevoir de l'argent, fut précisé par la loi Julia qui énumère plusieurs cas, pour la nomination de juges jurés30, pour l'emprisonnement ou l'élargissement d'une personne31, pour un jugement, un témoignageS2, pour des actes administratifs, levée, logements de soldats, réception de travaux publics 33, remise d'impôts, de prestations 34 concession d'offices publics: sur ce dernier point les pénalités, cassation des achats, amendes 3s, n'ont pu empêcher la pratique courante du suffragium des sportulae, sommes payées aux possesseurs des offices, et la vénalité des charges est devenue presque la règle au Bas-Empire. En droit, le corrupteur peut réclamer l'argent versé. 5e Il ne doit pas s'enrichir par la création de nouveaux impôts 36, par la levée de l'or pour les couronnes [ADRUM CORONARIUM] u, par des augmentations arbitraires d'im REP 839 REP pôts, de taxes, de redevances, de sportulae, par des superexactiones de tout genre'. C'est l'abus le plus fréquent, que les empereurs n'ont cessé de combattre chez les fonctionnaires et surtout chez leurs subalternes [oFFICIUM, TRIBUTUM]. Il donne lieu régulièrement à réclamation de la part des personnes lésées. 6° Il ne doit pas prêter pour son propre compte l'argent de l'État'; ce délit rentre à la fois dans les repetundae et dans le péculat. 7° La loi a été étendue à quelques délits purement politiques, ainsi à l'entretien de navires de mer par un gouverneur ou un sénateur; au fait, pour un gouverneur, de sortir des limites de sa province, de renvoyer son légat avant son propre départ 3 ; et aussi au vol commis par un fonctionnaire`. V. Procédure. Sous la République, le citoyen demandeur emploie généralement le procès privé, devant le préteur urbain, sous la forme de la legis actio per condictionem, quoique, depuis la loi Acilia, il puisse aussi utiliser la quaestio spéciale, créée surtout pour les alliés et les sujets 3. C'est seulement sous l'Empire que cette dernière est utilisée par toutes les catégories d'individus. Conforme, en général, à celle des autres quaes nones [JUDICIA PUBLICA, p. 650-652], la procédure offre les particularités suivantes. Jusqu'à la loi Acilia, le dépôt de la plainte a lieu par la formule de la legis actio sacramento e, ensuite de la façon ordinaire. Sous la République, ce sont les avocats du demandeur ; sous l'Empire quelquefois, c'est le demandeur lui-même qui recherche les preuves Le procès a lieu soit devant l'ancienne quaestio, soit surtout devant le tribunal impérial ou le Sénat, soit devant les nouvelles juridictions des gouverneurs et des magistrats impériaux [JUDICIA PUBLICA, p. 6546o7]. On a maintenu la règle du procès privé que la condamnation doit porter sur une somme d'argent déterminée ; il y a donc deux sentences qui portent l'une sur la culpabilité, l'autre sur l'estimation du litige, titis aestimatio 3 ; c'est le même tribunal qui émet les deux sentences, sauf, sous l'Empire, devant le Sénat qui, après le jugement sur le fond ou l'aveu de l'accusé', confie l'estimation à des récupérateurs sénatoriaux. VI. Pénalités. L'estimation, d'abord simple condictio, a été d'abord égale à la somme reçue ; mais la loi Acilia l'a portée au double, comme pour le vol". Ce tarif a t-il été maintenu ou porté au quadruple? Nous ne pouvons nous prononcer"; on a plutôt le double, quoique cependant on trouve souvent la restitution du quadruple au Bas-Empire 12. Le simple va aux demandeurs, le reste au trésor. Avant la titis aestimatio, le condamné doit fournir des cautions établies d'après une estimation sommaire ; l'exécution appartient à l'Etat qui satisfait chacun des demandeurs; si le condamné ne peut fournir des cautions, il y a probablement vente de ses biens ; il en est de même s'il s'exile avant la condamnation73, ou s'il meurt au cours du procès, sans que ses héritiers demandent son héritage. L'action en restitution est admise pour le simple contre les héritiers pendant un an14, et, sans doute depuis la loi Servilia, contre les tiers de tous genres, même les créanciers payés, qui ont bénéficié des acquisitions illégales'. Outre la peine pécuniaire, la condamnation ne comporte d'abord, probablement depuis la loi Servilia, que l'infamie 16 et, au début de l'Empire, certaines incapacités telles que l'exclusion des charges et des sacerdoces, du Sénat, des jurys, du métier d'avocat, du droit d'être témoin En outre, l'impossibilité où est souvent le condamné de restituer les sommes énormes qui sont en jeu, a pour conséquence l'exil et la perte des droits civiques 13. Mais dès la fin du le'' siècle ap. J.-C., à la condamnation pécuniaire se joignent beaucoup d'autres peines arbitraires, relégation à temps, exil, déportation, confiscation des biens et même, au Bas-Empire, la