Le Dictionnaire des Antiquités Grecques et Romaines de Daremberg et Saglio

Article RES

RES. Les choses (res) sont tout ce qui existe dans la nature. Mais le droit ne s'occupe des choses qu'en tant qu'elles peuvent procurer aux personnes une utilité quelconque et former l'objet d'un droit. Ainsi considérées, les choses peuvent être l'objet de nombreuses divisions, soit d'après leurs caractères intrinsèques, soit d'après leur condition juridique. Nous allons indiquer à cet égard les divisions les plus importantes, soit dans le droit grec, soit dans le droit romain. DROIT GREC. Le droit grec n'a pas approfondi, comme le droit romain, les divisions dont les choses sont susceptibles. On rencontre toutefois en Grèce, à côté de certaines divisions inconnues des jurisconsultes romains, les principales classifications des choses admises à Rome. Les divisions que nous allons parcourir, d'après les documents qui nous sont parvenus sont celles des biens : 1° en meubles et immeubles ; 2° biens ostensibles et inostensi bles ; 3° biens productifs et improductifs ;40 propres et acquets ; 5° choses publiques ; 6° choses sacrées ; 7° choses in commet-do ou extra commercium. 1° Meubles et immeubles. La division des choses en mobilières ou immobilières, qui domine la plupart des législations modernes, où elle présente un intérêt juridique considérable, n'a guère dans le droit grec, comme du reste dans le droit romain, qu'une importance de fait. Aussi les sources ne la signalent-elles jamais d'une manière principale et se bornent-elles toujours à l'indiquer par occasion. Il est assez difficile d'abord de savoir ce que l'on considérait à Athènes comme biens immeubles, par opposition aux meubles [voir BONA t]. On s'est demandé, d'autre part, si le droit attique a connu ce que nous nommons les immeubles par destination, c'est-à-dire les objets qui, tout en étant meubles de leur nature, sont fictivement immobilisés en raison du lien qui les unit à l'immeuble dont ils sont l'accessoire et à l'exploitation duquel ils sont destinés, comme les instruments de culture, les bestiaux. La solution négative nous paraît plus conforme aux textes, et notamment aux différentes définitions que les lexicographes' donnent des meubles'. L'intérêt pratique de la distinction des biens en meubles et immeubles ne paraît pas considérable à Athènes, du moins à l'époque classique. Peut-être existait-il au point de vue de l'usucapion, mais l'existence de cette institution est elle-même fort incertaine dans le droit attique [usuCAPIO]. On peut seulement conjecturer que l'action en revendication des meubles était soumise à une prescription plus courte que l'action en revendication des immeubles'. Le seul intérêt vraiment sérieux de notre distinction a trait à la publicité des ventes. Les formalités prescrites à cet égard par la loi attique ne concernent, en principe, que les immeubles et certains auteurs ont même voulu les limiter absolument aux immeubles La propriété foncière avait, toutefois, en Grèce, une importance de fait bien supérieure à celle de la propriété romaines. Il fut même un temps où la condition juridique des immeubles était profondément différente de celle des meubles, à savoir sous le régime de la propriété familiale, quand la loi prohibait le contrat de vente. L'indisponibilité qui frappait les immeubles ne s'étendait point alors aux meubles, sinon la vie économique aurait été complètement paralysée. Mais cette importance relative de la propriété immobilière dut disparaître peu à. peu avec le développement du commerce et de l'industrie. Le législateur athénien semble, néanmoins, avoir considéré les meubles comme une vilis possessio relativement aux immeubles. C'est vraisemblablement sous l'influence de cette idée que la loi attique obligeait le tuteuràréaliser toute la fortune mobilière du mineur pour la placer en immeubles 7. 2° Biens ostensibles et inostensibles. Cette distinction a été précédemment étudiée [APIIAN$s]. 3° Biens productifs et improductifs. Nous avons également exposé la signification de cette distinction [BONA]. Elle ne, présente guère d'ailleurs qu'un intérêt de fait, notamment à propos des comptes de tutelle'. 4° Biens propres et acquets. Il est difficile de savoir si, en Grèce, la coutume primitive connaissait cette distinction des biens. Mais elle ne tarda pas à s'introduire dès que le sentiment individualiste eut pénétré dans les moeurs. On considéra qu'il était juste de reconnaître à l'individu le droit de disposer librement des biens qui lui provenaient non de sa famille, mais de son travail et de son industrie. Les propres, ou biens héréditaires (.r 7ra'rpita, tix =traita) continuèrent à faire corps avec la famille et à demeurer indivis et inaliénables; RES 841 RES mais les acquets devinrent disponibles. Ce patrimoine familial, qui ne se démembre jamais et qui passe intact d'une génération à l'autre, c'est, dans les cités doriennes, à Sparte et en Crète, le x),iiooc'. Le morcellement en est interdit soit par vente, soit par testament. Quant aux acquets, au contraire, les pouvoirs de leur possesseur s'élargissent chaque jour davantage. L'indisponibilité des propres, qui finit toutefois par disparaître, se maintint beaucoup plus longtemps dans les lois doriennes que dans celles des autres cités grecques, notamment que dans les cités ioniennes. La loi athénienne, du moins après les réformes de Solon, ne connaît plus de différence entre les propres et les acquets : les uns et les autres sont également disponibles entre les mains de leur propriétaire. Il reste cependant, soit dans le droit public, soit dans le droit privé, certaines traces de l'ancienne distinction et de l'indisponibilité des propres. Ainsi celui qui dissipe ses propres, T«•tca pi , est frappé de certaines incapacités, et, lors de la docimasie [DOKIMASIA], il est assimilé à celui qui s'est prostitué ou qui a maltraité ses parents 2, et le prodigue est exclu des fonctions publiques 3. D'autre part, celui qui dissipe ses biens paternels, peut, à Athènes, être frappé d'interdiction 4. Mais, à notre avis du moins, il n'existe, au point de vue de la transmission des biens aux enfants, aucune différence entre les propres et les acquets 5. 5° Choses publiques. Les choses de cette catégorie c'est-à-dire celles qui appartiennent à l'État ou aux subdivisions de l'État, se divisent, dans notre droit moderne, en deux grandes catégories, suivant qu'elles font partie de ce que l'on nomme le domaine public ou qu'elles appartiennent au domaine privé. Cette distinction parait inconnue dans le droit grec, où tous les biens domaniaux semblent avoir le même caractère ; ils sont soumis aux mêmes règles, et il n'existe entre eux qu'une différence de fait provenant de la diversité de la destination °. Abstraction faite des biens que nous rangeons aujourd'hui dans le domaine public, les biens domaniaux, en Grèce, provenaient à l'État de différentes sources. Ils se composaient d'abord de terres réservées lors de la fondation de la cité et demeurées dans l'indivision'. Une autre source, et fort importante, du domaine de l'État, c'est, dans les cités grecques, la confiscation 3 [DEMIOPRATA]. Par contre, l'État en Grèce ne s'enrichit point, comme aujourd'hui, au moyen des successions en déshérence9. Mais si l'État n'héritait pas, il était apte à recevoir des donations et des legs et, à ce titre, il recueillait parfois des sommes importantes 10. Le domaine de l'État peut enfin s'accroître par l'effet d'acquisitions réalisées par l'État lui-même avec ses revenus ou avec les sommes provenant des ressources extraordinaires 11 Il n'y avait aucune différence, quant à leur condition juridique, entre les divers éléments dont se composait le domaine de l'État. En conséquence, tous les biens domaniaux étaient aliénables directement ou indirectement12. L'aliénation régulièrement consentie des biens VIII. de l'État se distinguait même des aliénations ordinaires en ce qu'elle conférait à l'acquéreur un droit irrévocable, et à l'abri de toutes chances d'éviction totale ou partielle, purgeant ainsi tous les droits réels existant sur la chose, si légitimes qu'ils pussent être, et notamment celui du véritable propriétaire dont la chose aurait été indûment comprise dans la vente effectuée par les agents de l'État13. Les intéressés, dont les droits sont ainsi mis en péril, ne peuvent s'adresser qu'à l'État, soit pour empêcher l'aliénation, si elle n'a pas encore été effectuée, soit peutêtre aussi pour lui réclamer des dommages-intérêts, si l'adjudication est consommée'`. Les biens domaniaux peuvent être également l'objet d'une affectation hypothécaire". Le domaine de l'État était protégé de diverses manières contre les tentatives d'usurpation dont il pouvait être l'objet de la part des particuliers. Ainsi la cité prenait soin de faire planter des ipot autour de ses propriétés. A Athènes, les démarques avaient probablement pour mission de dénoncer les empiétements commis au préjudice de la cité. De temps en temps, on instituait, soit à Athènes, soit dans les autres cités grecques, des magistrats spéciaux chargés de rechercher les biens usurpés au détriment soit du domaine sacré, soit du domaine de l'État 16. On cherchait, d'autre part, à prévenir les usurpations par les conséquences rigoureuses de l'action en revendication intentée par l'État. Enfin le vol des choses domaniales est sévèrement réprimé au moyen de la ypaprl xao7rret ls ocfwv yprftt.ârwv" [tiopÈ, p. 828]. 6° Choses sacrées. La propriété sacrée, qui a une importance considérable dans le droit hellénique, provient de sources différentes. Elle a été constituée d'abord par les libéralités de l'État. Ainsi, lorsqu'on fondait une ville, etcette règle était encore suivie dans la fondation des colonies athéniennes au ter siècle avant notre ère, l'usage était de mettre à part des terres pour les dieux à la garde de qui on confiait la cité f8. On réservait également aux dieux une part soit dans le butin, soit dans les confscationsf9. Les libéralités des particuliers n'étaient pas une source moins importante de la propriété sacrée 20. Enfin le domaine sacré pouvait s'augmenter des acquisitions réalisées par les dieux eux-mêmes, soit avec les capitaux qui leur avaient été donnés, soit avec les économies faites sur leurs revenus21. Quant à la condition des res sacrae, à leur administration, elles ont été précédemment exposées [DONARIUM]. A côté des res sacrae, le droit grec paraît avoir admis, comme le droit romain2', desres religiosae. Les tombeaux des Grecs semblent, en effet, avoir été l'objet d'une réglementation analogue à celle qui existait à Rome. Ils formaient l'objet d'une sorte de propriété de famille, qui ne pouvait être employée à un autre usage que celui de donner la sépulture aux membres de la famille. La protection en avait été spécialement assurée par une loi de Solon 23, et l'on rencontre dans le droit grec, à une époque 106 RES 842 RES toutefois assez récente, une action -rutLéo)pu/(aç donnée contre ceux qui violaient des tombeaux pour les piller'. Le droit grec admet d'ailleurs, comme le droit romain, un jus sepulcri, conférant aux parents du défunt une servitude de passage sur les fonds voisins pour se rendre au tombeau afin d'y accomplir les rites funèbres a. 7° Choses in commercio ou extra commercium. La division des choses fondée sur le fait qu'elles sont ou non dans le commerce, présente son intérêt principal en matière de vente (venditio). Cette division n'offre, dans le droit attique, qu'un intérêt relativement minime. DROIT ROMAIN. Parmi les divisions des choses données par les jurisconsultes romains, celle qui occupe la première place est celle des res in patrimonio et res extra patrimonium 3. Les choses dans le patrimoine sont celles qui sont sous la propriété privée d'une personne ou tout au moins qui sont susceptibles de s'y trouver. Les choses hors du patrimoine sont celles que leur nature même rend insusceptibles d'appropriation individuelle, ou celles qui, bien que susceptibles de cette appropriation, ne peuvent, par des raisons d'ordre religieux ou d'ordre public, appartenir à un particulier. 1. REs IN PATRIMONIO. Les choses in patrimonio sont elles-mêmes susceptibles de plusieurs divisions importantes: 1° res corporales et incorporales ; 2° res mancipi et res nec mancipi; 3° meubles et immeubles; 4° res quae pondere, numero mensurave constant ; 5° genera et species; 6° res quae usu consumuntur; 7° choses principales et choses accessoires; 8° choses simples et choses composées, et choses collectives. 1° Res corporales et res incorporales. Les choses corporelles sont celles qui ont une existence matérielle, que l'on peut voir ou toucher, quae tangi possunt4, que, d'une manière générale, on peut percevoir à l'aide des sens, comme un animal, un esclave, un fonds de terre. Les choses incorporelles sont, au contraire, celles qui n'ont pas d'existence ; ce sont des abstractions, des droits quae in jure consistunt', que sans doute l'intelligence saisit, mais qui échappent à nos sens. Tels sont, d'après Gains et Justinien, les droits d'usufruit et d'usage, les servitudes prédiales, les créances ou obligations, les héréditésjacentes. Logiquement, le plus important des droits, celui de propriété, devrait être compris parmi les choses incorporelles, car, comme les autres précités, jure consistit. Mais les Romains en ont fait une chose corporelle, et cela par une confusion assez naturelle entre le substratum du droit, son objet et le droit lui-même Les autres droits, moins complets ou moins immédiats que le droit de propriété, se distinguent plus facilement de la chose matérielle à l'occasion de laquelle ils s'exercent. L'intérêt pratique de la distinction des choses en corporelles ou incorporelles, c'est que les premières peuvent faire l'objet d'un droit de propriété et d'une possession [rossESSlo], tandis que les secondes ne le peuvent pas'. 2° Res mancipi et nec mancipi. La portée et l'intérêt de cette distinction ont été ailleurs examinés [MANCIPIUM]. 3° Meubles et immeubles. Les meubles (res mobiles, res se moventes) sont les choses qui se meuvent par ellesmêmes, comme les esclaves et les animaux ou celles qui sont susceptibles d'être déplacées sous l'action d'une force extérieure, comme un livre ou une table. Les immeubles (res soli, praedia, fundi) sont les choses non susceptibles d'être déplacées, comme le sol et tout ce qui fait corps avec lui, c'est-à-dire les maisons, les plantations 7. Sans avoir, dans le droit romain, la même importance que dans le droit germanique ou dans notre ancien droit français, la distinction des choses mobilières et immobilières n'est pas àRome dénuée d'intérêt pratique. Ainsi: a) l'usucapion s'accomplit par le délai de deux ans pour les immeubles, d'un an pour les autres choses [USUCArID] b), les interdits uti possidetis, unde vi, quod vi aut clam, sont spéciaux aux immeubles; la possession des meubles est protégée spécialement par l'interdit utrubi [INTERDICTUM] ; e) le vol n'est possible que pour les meubles [FURTUM] ; d) les immeubles dotaux sont seuls inalié La division des choses en mobilières et immobilières ne se confond nullement avec celle des res mancipi et nec mancipi, car parmi les res mancipi figurent à la fois des meubles et des immeubles. Toutefois, à partir du moment où cette dernière division disparut, comme ayant cessé d'être en harmonie avec les transformations économiques de la société romaine, la distinction en meubles et en immeubles joua à peu près le même rôle, c'est-àdire qu'elle partagea les biens en deux classes, ceux auxquels on attachait une grande valeur, les immeubles, et ceux de moindre valeur, les meubles. C'est avec ce caractère qu'elle s'est perpétuée à travers l'ancien droit jusqu'au code Napoléon, encore rédigé sous l'empire de l'adage res mobiles, res viles. 4° Res quae pondere, nurnero, mensurave constant. Ces choses sont celles qui s'apprécient au poids, au nombre ou à la mesure, comme les pièces de monnaie, l'huile, le blé, le vin : on les appelle aussi des quantités A ces choses on oppose celles qui s'apprécient d'après leur individualité, comme une maison, un tableau, et que l'on nomme des corps certains. Dans les usages du commerce, les choses de la première catégorie peuvent, en général, se remplacer les unes par les autres, chacune dans son espèce. La division en question présente de l'intérêt à plusieurs points de vue : a) le mutuum ne peut avoir pour objet que des choses quae pondere ... constant [MUTUUM], tandis que le commodat a toujours pour objet des choses considérées dans leur individualité [COMMODATUM]; b) le dépôt est régulier ou irrégulier, suivant qu'il a pour objet des corps certains ou des quantités [DEPOSITUM]; e) la restitution de la dot est soumise à des règles différentes selon qu'elle s'applique à des quantités ou à des corps cer 5° Genera. Species. Cette division des choses en genera, c'est-à-dire en choses considérées seulement au point de vue du groupe auquel elles appartiennent, ou en species, c'est-à-dire en choses individuellement visées, dépend de l'intention des parties qui traitent relativement à ces choses. L'intérêt de cette division se présente au point de vue de la libération du débiteur. Le débiteur d'une species ou corps certain est libéré interitu rei, tandis que le débiteur d'un genre est soumis à la règle genera non pereunt. Nous observerons d'ailleurs que cette division ne se confond pas avec la précédente.-Ainsi R ES -81.3RES une chose quae pondere... constat peut être envisagée in specie : tel le vin qui se trouve dans un cellier'. 6° Res quae usu consumunlur. Ces choses, que l'on oppose à celles qui sont susceptibles d'un usage répété, comprennent en général les choses qui se pèsent, se comptent ou se mesurent. Mais il y a aussi des choses que l'on vend au nombre, comme les moutons d'un troupeau, et qui ne se consomment pas par le premier usage. L'intérêt pratique de la distinction se présente en matière d'usufruit : ce droit ne peut être établi sur les choses qui se consomment primo use" [USUSFRUCTUS]. 7° Choses principales, choses accessoires. Les choses accessoires, qui sont toujours de minime valeur, ne rendent de services à l'homme que par l'intermédiaire d'une autre chose ou par leur union à une autre chose, qui en est la chose principale : telles sont les clefs d'une maison, les tuiles posées sur une toiture. L'intérêt pratique de cette division c'est que les actes juridiques conclus pour la chose principale sont, à moins de convention contraire, applicables de plein droit à la chose accessoire ; ainsi la vente ou le legs de la chose principale comprend la vente ou le legs de la chose accessoire'. 8° Choses simples et composées collectives. Une chose simple est celle qui est faite d'un tout homogène, comme un esclave, une poutre, une pierre précieuse. Une chose composée (universitas rerum cohcerentium) est formée de parties hétérogènes, mais adhérentes entre elles, comme un édifice, un navire, une armoire. Enfin les choses collectives (universitas rerum distantium) sont composées de plusieurs choses demeurées indépendantes, et qui ne sont instituées en unité que par leur distinction commune, comme un troupeau'. L'intérêt pratique de la distinction, c'est que si l'une des choses qui sont entrées dans la composition d'une autre appartient à un tiers, celui-ci ne pourra pas la revendiquer, si la chose est adhérente au corpus, tandis qu'il en aura le droit s'il ne s'agit que d'une universitas facti G. trois catégories : res divini juris, res communes et res publicae. 1° Les res divini juris sont celles qui ne peuvent appartenir à des particuliers en raison des droits supérieurs que les dieux ont sur elles : on leur oppose alors les res humani juris'. Les res divini juris se subdivisent elles-mêmes en res sacrae, religiosae, sanctae. Les res sacrae sont les choses consacrées aux dii superi, c'est-à-dire aux divinités autres que les dieux mânes : tels sont les bois sacrés, les sanctuaires de tout genre, les statues des dieux, les trésors des temples, et plus tard, après l'avènement du christianisme, les choses consacrées à Dieu. Leur affectation (consecratio) aux dieux ne peut résulter de la simple volonté d'un particulier; elle implique une intervention du pouvoir civil et une cérémonie religieuse. Leur désaffectation (profanatio) résulte d'une cérémonie religieuse inverse'. Les res sacrae sont hors du commerce et absolument inaliénables. Toute violation d'une res sacra est d'ailleurs punie sévèrement, sous le nom de sacrilège'. A l'époque chrétienne, Justinien autorisa l'aliénation des res sacrae dans certains cas exceptionnels, notamment pour racheter des captifs'. Les res religiosae sont les choses consacrées aux dii inferi, c'est-à-dire aux dieux mânes, divinités propres à chaque famille. Elles consistent, en définitive, dans les tombeaux et dans le terrain où ils sont élevés; aussi leur notion survécut-elle à la disparition du culte des mânes 10. A la différence des res sacrae, la volonté d'un particulier peut faire une res religiosa, à certaines conditions toutefois. Il faut notamment une inhumation réelle, ce qui exclut les cénotaphes ; il faut aussi que l'inhumation ait été faite à perpétuité et que le terrain puisse légalement recevoir une inhumation". Ce qui devient d'ailleurs religieux, ce n'est pas l'ensemble du terrain, mais seulement la place abandonnée au mort et son tombeau 12. D'autre part, le caractère religieux, quoique perpétuel en principe, peut s'effacer par l'enlèvement du cadavre ". Les res religiosae, bien que hors du commerce et inaliénables, donnent lieu à un véritable droit privé connu sous le nom de jus sepulcri. Ce droit emporte notamment, au profit de celui qui le possède, le droit d'obtenir, moyennant indemnité, un chemin d'accès au tombeau, lorsque celui-ci est enclavé dans le terrain d'autrui ; il comporte aussi la faculté de léguer le jus mortuum inferendi ". La violation des res religiosae n'est pas poursuivie, comme celle des res sacrae, par voie d'action criminelle, mais par une action entraînant l'infamie et une peine pécuniaire, l'action de sepulcro violato ". Les res sanctae, qui ne sont divini juris, d'après Justinien, qu'en un certain sens (quodam modo), car elles ne sont la propriété d'aucune divinité déterminée, sont les choses que l'on a voulu protéger contre les entreprises des particuliers, comme les portes et les murs des villes, les bornes des champs ". Aussi des peines sévères étaientelles portées contre les violateurs des choses saintesf7. '2° Les res communes sont les choses dont la propriété n'est à personne et dont l'usage est commun à tous les hommes, comme l'air, l'eau courante, la mer ". La nature même de ces choses est exclusive de toute appropriation individuelle, d'où résulte la liberté de la pêche et de la navigation ". Les Romains considèrent également comme communs les rivages de la mer, qui sont une dépendance de celle-ci. On peut, toutefois, y élever une construction avec l'autorisation du préteur, qui doit examiner si l'intérêt de la navigation n'a pas à en souffrir 20. La construction appartient à celui qui l'a édifiée ; mais si elle est détruite, le sol du rivage redevient commun 2f 3° Les res publicae sont encore des choses dont l'usage est commun à tous, mais, à la différence des choses communes proprement dites, elles sont considérées comme appartenant au peuple romain envisagée comme personne morale, comme rager publicus [AGER PuBLICUS], les servi publici. Les res publicae comprennent, au sens large, aussi bien ce qu'on appelle aujourd'hui le domaine privé que le domaine public de l'État. Mais, au sens étroit, ce sont par excellence les biens constituant le domaine public, biens qui ne peuvent appartenir à aucun parti RES -8%4RES culier parce qu'ils sont affectés à l'usage public, comme les places et voies publiques, les ports, les fleuves, les bains publies, les théâtres, les gymnases. La libre jouissance de ces biens par le public est, comme celle des choses communes, protégée par l'action d'injures' [INJURIA]. A côté de ces res publicae, il en est d'autres que l'on qualifie aussi de ce nom, mais qui sont plus spécialement res universitatis, c'est-à-dire qui appartiennent à des personnes morales telles que les cités, les corporations. Parmi ces res universitatis, on peut en distinguer de deux sortes, celles qui sont dans le domaine privé de la personne morale, et celles qui sont dans son domaine public : ces dernières comprennent les choses qui, par leur destination, échappent à l'appropriation individuelle et sont affectées à l'usage commun de tous les membres de la cité, comme le théâtre, le stade, les bains publics2. Le citoyen empêché d'en jouir a encore l'action d'in