Le Dictionnaire des Antiquités Grecques et Romaines de Daremberg et Saglio

Article RESCRIPTUM

RESCRIPTUM. I. Haut-Empire. Dès le début de l'Empire, tandis qu'à Rome on demande des consultations juridiques surtout aux juriconsultes qui ont le jus respondendi [PRUDENTIUM AUCTORITAS], dans les provinces les magistrats et les particuliers prennent l'habitude de consulter directement l'empereur. Des provinciaux, surtout des soldats, qui ont consulté un jurisconsulte, veulent souvent avoir en outre l'avis de l'empereur'. Les requêtes des particuliers s'appellent libelli, preces, supplicationes, en grec etVcac iç ; celles des fonctionnaires relationes, suggestiones, consultationes 3. La réponse de l'empereur a deux formes principales : c'est soit une lettre proprement dite, une epistula, et c'est la règle pour les fonctionnaires et les corps officiels [EPISTULIS (AB)] 4; soit une simple subscriptio, inscrite sur la requête elle-même des particuliers, sur le libellus'; de là sont venues les expressions libellus rescriptus et rescriptum'. Les rescrits que renferme le Code de Justinien, adressés par les empereurs, depuis Hadrien, aux particuliers, sont des subscriptiones et non des epistulae7. La réponse de l'empereur est une constitutio impériale ; elle n'est pas une loi proprement dite et n'a pas le caractère d'irrévocabilité de la loi, puisque c'est seulement à partir de Dioclétien que l'empereur a véritablement le pouvoir législatif; mais elle a, en vertu de la lex regia3, la même validité que les acta principis en général; et les jurisconsultes lui reconnaissent force de loi (vicem legis obtinet), quand, n'étant pas déterminée par des considérations de personnes, quand n'étant pas une constitutio personalis qui confère une immunité, un privilèges, elle applique le droit existant par voie d'interprétation f0. Elle échappe à ce titre à la cassation générale qui atteint les acta des empereurs dont la mémoire est condamnée parle Sénat". L'interprétation admise par l'empereur peut avoir une portée générale ; les jurisconsultes l'appellent alors constitutio generalis u ; mais le plus souvent elle ne fait que trancher un cas particulier, quelquefois en se référant à des opinions de jurisconsultes 13. Théoriquement, dans tous les cas, dès le début de l'Empire, et non pas seulement, comme on le dit à tort, depuis Hadrien 14, elle s'impose aux autres autorités10, En fait, elle n'a pas toujours cette influence prépondérante, car les empereurs ne se prononcent pas toujours dans le même sens 16 ; beaucoup de rescrits sont cités au même titre que de simples décisions de jurisconsultest7 et sont l'objet de critiques 13 ; faute de codification, beaucoup n'influent sur la pratique que par l'intermédiaire des jurisconsultes ou ne sont connus que par oui-dire 1°. Cependant les rescrits ont fini par faire prévaloir l'interprétation du prince et de ses conseillers, surtout depuis l'époque d'Hadrien où ils se multiplient et prennent un développement exceptionnel. Avant Hadrien, ils renferment surtout pour les particuliers, des concessions de privilèges, pour les magistrats des règlements administratifs20; quelques-uns cependant ont déjà trait au droit civil et au droit pénal21 et ils ont pu théoriquement intervenir dans des procès. A partir d'Hadrien, ils interviennent dans toutes les matières et surtout dans les procès. Hs acquièrent une importance capitale pour la formation de la jurisprudence, sur l'évolution du droit romain qu'ils modifient, surtout en matière criminelle, dans le sens de l'équité et de l'humanité et aussi sur sa diffusion dans les provinces, avant et même après l'édit de Caracalla: de nombreux rescrits sont applicables à tous les sujets sans exception 22 corrigent les erreurs commises par les nouveaux citoyens dans l'application du droit romain, surtout dans le monde oriental23 Le rescrit n'a de valeur qu'autant que l'exposition des faits, présentée par une des parties, est exacte. C'est donc au juge à s'en assurer; cette obligation est énoncée formellement ou sous-entendue". Quelquefois la partie ne soumet pas au juge un rescrit défavorable à sa cause2o. Quelquefois, au lieu de répondre directement au particulier, l'empereur envoie le rescrit au magistrat avec une copie de la requête et le charge d'examiner les faits Y6. Quelquefois le rescrit tranche le débat, comme un décret. On peut attaquer par l'appel un rescrit RES 8i5 RES envoyé à un magistrat, sauf si c'est un rescrit général'. La langue officielle des rescrits est le latin 2, sauf pour quelques-uns envoyés dans des provinces de langue grecque, la plupart à des assemblées provinciales ou à des villes3. Il a la forme d'une lettre' dont les différentes parties sont : en tête, le nom de l'empereur et celui du destinataire, soit au datif avec ou sans salutem, soit à l'accusatif avec ad' ; puis le texte ; ensuite la sutscriptio proprement dite, la signature de l'empereur de sa main, avec les mots scripsi ou rescripsi, vale e, le contre-seing de l'employé de la chancellerie qui a vérifié la conformité de l'acte avec la décision de l'empereur, exprimé par le mot recognovi ou par une expression analogue 7 ; enfin l'indication du jour de la signature impériale, précédée du mot data ou rescripta8. Dans les recueils juridiques les parties accessoires ont disparu ; il ne reste que la date généralement précédée de l'abréviation pp. (proposita) 9. Ce mot paraît indiquer une publication, un affichage officiel. Certains rescrits, en effet, ont été réellement affichés à Rome, au me siècle'0. L'affichage a-t-il encore lieu sous Dioclétien ", dans les différents lieux oit l'empereur ne fait souvent que passer ? C'est peu probable ; la date est peut-être celle de la signature et le mot proposita a pu être emprunté à tort au formulaire du Bas-Empire 12. La minute du rescrit reste probablement aux archives impériales dans les commentarii13, qui forment peut-être un volume par an ou tous les six mois " [COMMENTARIUM] l'original paraît avoir été généralement adressé aux particuliers ou quelquefois affiché ; on peut obtenir des copies soit de la minute soit de l'original, avec le sceau des témoins ". L'empereur est assisté dans l'examen des requêtes par son conseil [CONSILIUM PRiNCIPIS] et par les fonctionnaires de la chancellerie chargés de la rédaction des rescrits. Pour les réponses aux magistrats il y a l'AB EPISTULIS. Pour les réponses aux particuliers on connaît sous Tibère un affranchi a subscriptionibus ta ; il a été probablement remplacé sous Claude par l'a libellis qui a sans doute alors en même temps les fonctions d'a studiis ; plus tard l'a studiis fait probablement les recherches nécessaires [sTonus Al et l'a libellis a la rédaction ; aussi trouvons-nous dans cette dernière fonction beaucoup de jurisconsultes 18 [LIBELLIS (A)] ; au ine siècle intervient également l'a memoria 1 EPISTULIS (AB), p. 723-7241]. II. Bas-Empire. On distingue les adnotationes, annotations brèves, mises en marge de la requête, et les rescrits proprement dits 1'; ces derniers portent, comme les lois, en général, différents noms : lex, epistola, praeceptio, oraculum, responsum, sanctio, a/fatus principis, sacri apices, sacrae litterae, sacra auctoritas, beneficia specialia, indulgentia, indultum sacrum, sacra jussio20. Les rescrits adressés aux particuliers sont de plus en plus nombreux, surtout en matière administrative; mais, n'ayant pas de portée générale (sacra generalitas), ils ne figurent pas dans les codes. En matière judiciaire, ils renferment des indications qui lient le juge, toujours obligé d'ailleurs de vérifier les allégations, les preces 21; celui-ci les reçoit des demandeurs avec leurs requêtes et les communique aux défendeurs au moment de la titis denuntiatio ou même de la citation; les défendeurs peuvent prouver que les rescrits reposent sur de fausses affirmations (praescriptio mendaciorum), qu'ils ont été obtenus à tort (subreptio, obreptio) ; mais, autrement, le juge doit en tenir compte, ne pas en différer l'exécution , l'instance (contestalio) est commencée dès l'envoi de la requête à l'empereur; les rescrits peuvent être allégués par les héritiers et pour les héritiers; l'appel est impossible contre les rescrits, sauf s'ils ont seulement tranché une question préjudicielle. Ils ne sont valables en général, et surtout en matière fiscale et administrative, que s'ils sont conformes aux lois et à l'intérêt public 92. C'est le rôle des magistrats, et en particulier des préfets du prétoire, de faire prévaloir les lois propres contre les rescrits obtenus par la faveur, la corruption, la surprise, aux dépens du fisc, des curies, des corporations, des offices, en général du bien public 23 L'empereur exerçant maintenant directement le panvoir législatif, les rescrits adressés à des magistrats sont presque des lois; en matière judiciaire, ils ne sont cependant encore valables que pour le cas particulier, sauf s'ils sont conçus en termes généraux ou fixent expressément une règle générale 25. En matière administrative, émis compte réponses à des relationes ou suggestiones de magistrats, ils constituent des règlements de portée générale [RELATIO]. Ils peuvent être envoyés soit directement à un magistrat ou à tous les magistrats de la même catégorie 26, soit aux préfets du prétoire chargés ensuite de les leur transmettre. Ils sont, en général, affichés et portent les mêmes indications que les lois propres, la date de l'émission pour l'empereur du lieu de son séjour (data) 26, la date de la réception par le magistrat soit supérieur, soit inférieur (accepta)27, la date de l'affichage (proposita). L'affichage a lieu générale RES 846 RES ment dans la résidence du magistrat supérieur' et dans les principales localités de la province 2; il s'applique au texte de la loi et à l'instruction du magistrat supérieur, qui I'accompagne (edictum, programma, litterae, epistula) Pour la rédaction et la promulgation des rescrits, le rôle principal appartient au questeur du palais [QUAEsTOR, p. 800]. Cependant, à côté de lui fonctionnent encore les chefs des trois scrinia, le magister memoriae, le magister libellorum, et le magister epistolarum. Le premier' rédige et expédie les adnotationes, qui n'ont la valeur ni d'un rescrit ni d'une lettre; il répond également aux requêtes (preces) des particuliers avec la collaboration des deux autres chefs des bureaux probablement chargés de faire les recherches et le rapport ; le troisième répond aux requêtes des magistrats (consultationes) [RELATIO]. CH. LÉCRIVAIN.