Le Dictionnaire des Antiquités Grecques et Romaines de Daremberg et Saglio

Article RHAPSODUS

RHAPSODES (`Pa,nwi6ç). L'étymologie et, par suite, la signification originelle du mot xl4dc 6ç sont objet de controverse ' . Mais une chose certaine, c'est qu'à l'époque historique ce terme désigne spécialement les chanteurs de poésies épiques'. Toutefois le rhapsode ne doit pas être confondu avec l'aède primitif'. Il en diffère par plusieurs traits. D'abord par la date : le rhapsode n'apparait qu'à une époque relativement récente, où la production épique est tarie. De cette première différence en découle une seconde: tandis que, généralement, l'aède était poète en même temps que chanteur, le rhapsode n'est plus que l'interprète des oeuvres du passé. Une autre nouveauté, de moindre importance, c'est que le rhapsode n'accompagne plus ses chants des sons de la phorminx. En raison des progrès accomplis par l'art musical, cet accompagnement pauvre et grêle avait fini sans doute par paraître ridicule: on l'avait supprimé. Mais, par tous les autres traits, le rhapsode est le successeur de l'aède. Comme l'aède, il est nomade, et va de ville en ville, de fête en fête; car c'est, pour lui, une nécessité de renouveler incessamment son public. Comme l'aède, le rhapsode récite, non des poèmes entiers, mais des épisodes détachés qui n'ont d'autre lien que la communauté du sujet .rerwv i wv otlo(, dit Pindare) 4. Les rhapsodes ont été les propagateurs de la poésie homérique à travers tout le monde grec. Hérodote mentionne, au vie siècle, à Sicyone des concours de rhapsodes, que le tyran Clisthène abolit 5. Bientôt il n'y eut, pour ainsi dire, pas une ville grecque qui n'admit dans le programme de ses fêtes un concours de ce genre'. Même en pays dorien, ces récitations, après quelque résistance, s'introduisirent à Sparte, en Crète, à Cyrène, à Syracuse, etc.'. Mais les concours rhapsodiques les plus mémorables, et par l'intervention officielle de l'État et par l'influence qu'ils eurent sur la constitution du texte écrit des poèmes homériques, ce sont ceux d'Athènes. D'un témoignage, à la vérité assez obscur, de Diogène Laerce5, il paraît résulter que Solon imposa à ces concours un règlement public. Primitivement on avait laissé les rhapsodes libres de choisir dans l'Iliade et dans l'Odyssée les morceaux qui leur convenaient et de les réciter dans l'ordre qui leur plaisait. Solon les obligea à une succession régulière, « de telle sorte que chacun d'eux commençât au point où le précédent s'était arrêté' )). Cela revient à dire que les deux épopées devaient être chantées d'un bout à l'autre, sans transposition, ni lacune. Mais un tel règlement n'était évidemment applicable qu'à la condition qu'on possédât un texte officiel de l'Iliade et de l'Odyssée. C'est ce que comprit Pisistrate : il chargea, dit-on, une commission spéciale d'établir le texte authentique des poèmes homériques 10. Cette commission convoqua sans doute les meilleurs rhapsodes et écrivit sous leur dictée : son travail personnel se borna à attribuer à ces épisodes détachés une suite régulière, et à supprimer ou à concilier les divergences. C'est à cet exemplaire officiel d'Homère que les rhapsodes, dans leurs récitations, durent désormais se conformer. Après Pisistrate, son fils Hipparque prescrivit que les poèmes homériques seraient récités dans toute leur étendue par les rhapsodes aux Panathénées : usage qui subsistait encore au Ive siècle [PANATRENAIA, p. 308] ". Sur les conditions extérieures et sur la mise enscè ne de ces représentations rhapsodiques, l'Ion de Platon nous a conservé des détails intéressants. Le rhapsode se présentait au public en grand appareil [CITRAROEDUS, p. 1216], vêtu d'une robe éclatante, la tête RHE 862 RHE ceinte d'une couronne d'or, et récitait du haut d'une tribune (civwlev ârb'ro (ir(3xtos)'. Sa déclamation passionnée, sa mimique expressive faisaient, dit Platon, frémir et pleurer les vingt mille spectateurs assemblés 2. La rhapsodique de cette époque est vraiment,comme l'impliquent, du reste, plusieurs expressions d'Aristote3, une partie de l'hypocritique. Par d'autres côtés aussi, notamment par leur vanité et leur sottise, les rhapsodes méritaient d'être comparés aux comédiens Entendu de cette façon dramatique, l'art des rhapsodes continua à se produire sur les théâtres, bien au delà de l'époque classique, à la cour des Ptolémées et jusqu'à l'époque romaine'. O. NAVARRE.