Le Dictionnaire des Antiquités Grecques et Romaines de Daremberg et Saglio

Article RHYTON

RIIYTON (`PuTdv). Vase à boire. Le mot ne semble pas être entré dans l'usage avant le Ive siècle : il est employé par Démosthène', par les poètes de la ComédieNouvelle2. Dans les inscriptions on ne le rencontre pas avant l'époque des Ptolémées 3. On a même pu croire, d'après un passage d'Athénée`, que cet ustensile avait paru pour la première fois sous le règne de Ptolémée Philadelphe (nue siècle) et qu'il fut alors donné comme attribut aux statues de la reine Arsinoé'; mais le contexte fait comprendre qu'il s'agit d'une grande corne d'abondance double (l(xasx;), que le célèbre constructeur et mécanicien Ctésihios avait machinée comme un rhyton à vin et un instrument de musique, peut-être une sorte d'orgue hydraulique [IIYDRAULUS, p. 3151'. Nous avons indiqué plus haut combien fréquemment la corne à boire s'est confondue avec la corne d'abondance [CORxUCOPIA, p. 1514, 1516,'. Ce qui est indubitable, c'est que le rhyton, vase à boire, existait depuis fort longtemps, mais il portait un autre nom, comme le note d'ailleurs Athénée ; on l'appelait KÉRAs 7; dans les inscriptions on trouve x€pxs, pour exprimer la forme en corne, et rcposop.-i, quand le rhyton est décoré d'une tête d'animal Le terme éos'ra est équivalent à dur«'. Les monuments, dont quelques-uns remontent à la plus haute antiquité, nous permettent de retracer avec plus de précision l'histoire de ce vase et l'évolution qui amena du simple xipeç au u'rdv plus compliqué et plus orné. Chez beaucoup de peuples primitifs, on a donné aux vases une forme animale ou humaine, non pas tant par instinct artistique et décoratif que par désir de multiplier autour de l'homme les images des êtres utiles, sou R.pI Y 866 RHY mis à son autorité et nécessaires à son existence': c'est pourquoi tant de vases, dans l'l:gypte préhistorique 2, à Chypre', en Troade', en Crète et à Mycènes', affectent soit des formes féminines, soit des formes animales. Parmi ces animaux, les bêtes à cornes domestiques, boeufs, béliers, jouent un rôle important. La corne, en effet, a pour les primitifs une importance toute particulière. Elle est une matière première pour toutes sortes d'objets mobiliers [CORNU]. Elle offre aussi, par sa cavité intérieure qu'il est facile de régulariser et d'approfondir, un récipient naturel pour les liquides. Enfin, par sa forme pointue, elle a une vertu magique spéciale, la pointe ayant le pouvoir d'écarter les mauvaises influences [CLAVUS, FASCINUM] 6. Aussi, de bonne heure, on voit la corne isolée, détachée du corps de l'animal, prendre une valeur à la fois pratique et religieuse'. Dès la période préhellénique, les potiers de la Troade 8, de Chvpre9, de Crète et de Milo1', des régions mycéniennes ", imitent dans l'argile la forme du x€pas attestant ainsi les qualités qu'on attribuait à cet objet. On en connaît aussi en pierre sculptée et ciselée, de cette époque très ancienne (fig. 5943)12. On voit alors se former et se développer parallèlement deux catégories de vases à boire, les vases en forme de cornets et les vases plastiques à tètes d'animaux. Mais, sous l'influence des idées artistiques et décoratives, ces derniers gagnent de plus en plus la faveur du public. Ce sont eux surtout que recueillera et propagera le monde grec classique ; ce sont eux auxquels l'archéologie moderne attribue de préférence le nom de rhytons. En réalité, on devrait réserver ce mot aux vases construits de la façon que décrivait Dorothéos de Sidon : le puvdv est semblable au xépas, mais il est percé par le bas ; de cette ouverture jaillit un mince jet de liquide que l'on boit en mettant la bouche par-dessous ; de là le nom de rhyton, ànô Tes F'] ecns (ou , couler ; pénis, écoulement)'?. Toutefois l'étude des monuments nous montre que ni les cornets, ni les rhytons ne sont tous soumis à une règle stricte S'il est vrai qu'en général on devait boire dans le r.Épx; comme dans un verre, en appliquant ses lèvres à l'orifice supérieur 16, on constate aussi que certains cornets sont munis d'un trou à la partie inférieure, pour l'écoulement du liquide'°. Et, d'autre part, il s'en faut que tous les rhytons ou têtes d'animaux soient pourvus d'une ouverture pratiquée dans la bouche de la bête, pour l'écoulement du vin'l. 11 n'y a pas de règle à poser à ce sujet. Ce qui subsiste, c'est qu'entre le xÉpas et le évtdv, malgré les différences extérieures de formes, la parenté est toujours restée étroite; que le second est une simple dérivation et comme une complication du premier. Ce qui prouve encore que le xECaç est le premier en date, c'est. qu'il est donné par tradition, dans l'imagerie religieuse, à Dionysos et à ses suivants (fig. 682,689) t7, tandis qu'on ne voit jamais, ou très rarement, le pucdv entre leurs mains ". Celui-ci est devenu surtout un ustensile familier des banquets et un divertissement par l'adresse qu'exigeait la façon de s'en servir " ; il n'a plus du tout, à l'âge classique, le caractère d'un vase primitif et l'on s'efforce, au contraire, de l'enrichir de toutes sortes d'ornements. La capacité du vase pouvait atteindre un et même deux chois (de 3à6 titres et demi) 20 Dans le matériel très nombreux des xépa'ca et des puTâ nous signalerons, par ordre chronologique, quelquesuns des spécimens les plus typiques. Nous avons cité déjà les cornets d'argile peinte fabriqués à l'époque préhellénique et rappelé que les fouilles de Crète ont exhumé de magnifiques vases en pierre, cannelés ou sculptés (fig. 5943), qui ont la même forme et dont les anses devaient être rapportées en une matière différente, peut-être en métal; l'extrémité étant percée d'un trou, ce sont de véritables rhytons2t. C'est un grand cornet de ce genre que porte le jeune homme représenté sur une des plus célèbres fresques du palais de Minos z2. On a déjà remarqué que sur une des peintures du tombeau égyptien de Rekhmara les tributaires du Pharaon, sans doute des Crétois, apportent des vases où figure le même RHY 867 RHI' cornet à boire'. D'autre part, les rhytons en forme d'animaux ou de têtes d'animaux ne sont pas moins anciens (fig. 5944) et le taureau y joue un rôle prépondérant2. A l'époque du style géométrique, les deux catégories 3 subsistent, mais, à partir des vue et vie siècles, c'est dans tout le monde grec une floraison considérable de ayo-rou.x en têtes d'animaux de tout genre, et le kéras proprement dit devient moins fréquent, tout en restant en usage 4. La catégorie des vases à forme humaine et animale est alors une branche importante de l'industrie céramique, non seulement pour les récipients à boire (fig. 1130, 1131), mais aussi pour les flacons à huile et à odeurs ' [UNGUENTARIUM] ; dans le mobilier de table comme dans celui de toilette persiste l'idée superstitieuse très ancienne, qu'il faut multiplier dans la maison les formes protectrices et les porte-bonheur représentés par certaines figures d'animaux ou de divinités. En Étrurie, les vases dérivés du kéras affectent souvent des formes bizarres et compliquées oit domine la figure hu maine s. De l'époque classique, notamment du ve siècle, nous avons conservé beaucoup de rhytons, dont quelques-uns sont de véritables chefs-d'oeuvre de l'art industriel. Panofka leur a consacré autrefois une dissertation spéciale' et tous les grands musées possèdent aujourd'hui de beaux spécimens de cette catégorie'; nous en donnons comme exemple un vase à tête de cheval du musée du Louvre (fig. 5945), d'un réalisme pittoresque ; il offre cette particularité assez rare d'être muni d'un pied'. Ordinairement les oTx et xipxTo. ont le désavantage de ne pas pouvoir se poser debout sur la table ; on les y plaçait couchés sur le côté10. Mais on les voit aussi disposés sur des supports (Ilro7élp.syV, 7-.Epl6zeX(ç) qui les maintiennent verticalement''. Les peintures de vases et les fresques nous montrent l'emploi de ces vases dans les banquets. Mais, s'il est vrai que la façon de boire « à la régalade », en recevant directement le jet de vin dans la bouche, est plusieurs fois représentée, par exemple sur un vase grec à figures rouges (fig. 5946) f2 et sur des fresques pompéiennes 13, on remarque encore plus fréquemment que le vin du rhyton débouché était reçu dans une phiale afin de boire plus commodément, et cette observation accentue le caractère de jeu et de divertissement que le rhyton devait avoir pris à l'époque classique. D'après les textes, il y avait aussi des rhytons S(xpouva, probablement composés de deux cornes accouplées, dans lesquelles on pouvait mettre des liquides différents, le liquide s'écoulant à la base par une double ouverture ". un double jet du même banquet. liquide que devaient recevoir deux personnes à la fois 'n. Le kéras, ou simple corne, était encore en usage à la fin du ve siècle; on voit, sur un des grands sarcophages de Sidon, un serviteur verser le contenu d'une eenochoé dans un vase à boire de ce genret7. Les formes les plus diverses ont été données à l'extrémité décorée du rhyton: têtes de taureau, de bélier, de cheval ou de mulet, de biche, de lion, d'aigle, de griffon, etc.18. Les textes et les inscriptions s'accordent à signaler la variété de ces décorations plastiques : TpayÉaxlpoç, etc.10 Les vases d'argile peinte qui nous ont été conservés ne sont d'ailleurs que les imitations d'une vaisselle plus belle et plus riche, en métal précieux2l : il est question dans les textes et les inscriptions de xépzTz en argent ou aux embouchures dorées 22. De ce mobilier opulent nous avons gardé de très intéressants spécimens, comme les rhytons d'argent et de bronze, à têtes de bouquetins, conservés au Louvre", la magnifique série des rhytons d'or et d'argent du musée de RIC 868 RIP Saint-Pétersbourg (fig. 5947 et 5948)', celui de Tarente au musée de Trieste 2, celui de Sofia etc. A l'époque romaine le rhyton, transformé en un meuble colossal, exécuté en marbre et rehaussé de toutes sortes d'ornements, décore les riches villas où il servait de bouche de fontaine [FONS, p. 1236]' : on connaît un beau vase de ce genre (fig. 3157) signé par l'artiste Pontios °, et le Louvre possède aussi plusieurs de ces grandes cornes de marbre qui participent à la fois de la cornucopia et du a'rôv 6. Sous la forme ordinaire, il figure très souvent dans des fresques, statuettes, de bronze reliefs, etc., comme attribut classique des dieux Lares (fig. 4343 à 4351)'. Le mot grec avait passé en latin sous la forme rhy-tium 3. Pendant toute la période romai ne et jusqu'à l'époque mérovingienne, on conserva l'habitude, chez les peuples barbares du nord et du centre de l'Europe, de boire dans des cornes'. On connaît un très beau x€car, de verre bleu trouvé dans un tombeau ostrogoth". E. PO'FIIER.