Le Dictionnaire des Antiquités Grecques et Romaines de Daremberg et Saglio

Article ROMA

ROMA. Rome personnifiée ou déifiée. La plus ancienne représentation de Borna, comme personnification symbolique de l'État, apparaît au droit des premiers deniers de la République à partir de 269 av. J. C.; on la trouve presque sans interruption, et avec de légères variantes, entre 269 et 461 (fig. 5949, 5950). C'est un profil de femme casquée qui n'est pas sans analogie avec 1'Athéna Parthénos gravée sur les monnaies d'Athènes 2. Mais la figure de Borna est caractérisée par deux attributs essentiels : les ailes et le protome de griffon qui décorent le casque , ces deux motifs sont vraisemblablement empruntés à l'art étrusque 3 ; quelquefois les ailes sont remplacées par deux plumes 4 ; on trouve aussi deux étoiles sur le timbre du casques; enfin, souvent, la figure des deniers est parée de bijoux, pendants d'oreilles et colliers (fig. 5950). La forme du casque ROM 876 ROM varie peu Certains symboles figurés à côté de l'effigie, (une palme, une couronne de laurier 2, un épi, une corne d'abondance une image de la Victoire) 4, complètent l'allégorie de l'État. En gravant cette tête sur leurs monnaies, les Romains n'avaient aucunement l'idée de représenter Roma comme une divinité, mais seulement de créer un emblème de leur cité, sous les traits d'une femme armée, à l'exemple de tant de villes grecques'. Ce sont des peuples étrangers qui, par flatterie ou par reconnaissance, donnèrent à la personnification de Borna le caractère et les attributs d'une divinité. Le didrachme des Locriens qui a été souvent décrit présente au revers l'image de Rome couronnée par la Fidélité (IIlcTts) Rome est représentée sous les traits d'une femme vêtue du chiton long, assise sur un siège auquel un bouclier est appuyé et portant une épée suspendue à son flanc gauche; debout devant elle, la Fidélité lui place une couronne sur la tête (fig. 5951). Cette monnaie fut vraisemblablement frappée en 204 av. J.-C. pour remercier le Sénat romain de l'appui qu'il avait accordé à Locres opprimée par le préteur Q. Flaminius'. Le groupe locrien de Rome et de la Fidélité se rattache visiblement à toute une catégorie de monuments grecs représentant un peuple ou une divinité poliade couronnés par un autre peuple ou par une autre divinité 8 ; pour la première fois, Roma apparaît dans ce groupe avec ses attributs guerriers caractéristiques, le bouclier et le glaive; par son costume et sa pose, elle participe à la fois des trois types grecs de Pallas, de la Tyché et de l'Amazone qui concourront à former son image définitive; enfin, la cérémonie du couronnement lui confère un caractère divin. A partir de cette époque, on trouve sur les monnaies de la République romaine une image de Borna plus complète que la tête casquée des deniers et manifestement inspirée de la Roma locrienne : les types les plus intéressants sont Rome couronnant un trophée, home assise sur des armes, Rome couronnée par la Victoire, Rome et le Génie du peuple romain, Rome et l'Italie, Rome et Vénus 9. Lorsqu'en 196 Flamininus proclama aux jeux isthmiques le décret qui rendait la liberté à tous les Grecs d'Europe et d'Asie, les Chalcidiens d'Eubée, entre autres manifestations de reconnaissance, célébrèrent dans un même hymne le consul romain, la Bonne Foi des Ro mains (Il:vrtç `Posa.xftuv) et Rome elle-même associée comme divinité à Zeus fO. Un autel découvert à Gerace, l'ancienne Locres, était consacré, à la même époque, Jovi Optimo Maxima Dus Deabusque Immortalibus et Romae Aeternae". Enfin c'est en 195 que fut élevé à Smyrne le premier temple de Rome déesse 1e. L'exemple de Smyrne fut rapidement suivi par d'autres villes grecques : Alabanda en Carie consacra un temple et des jeux annuels à la ville de Rome" ; ces jeux, connus sous le nom de `Ptnuxïa14, se retrouvent dans plusieurs cités d'Asie Mineure, àMagnésie duMéandre 13, àLagina 16, et en Grèce, àAthènes, Égine, Mégare et d'autres villes [ROMAIA,. Quelquefois Roma est associée dans un culte commun à une autre divinité locale : à Hécate, à Zeus17, à la triade Zeus-Dionysos-Maron 18, Le peuple de Mélos dédie une statue d'airain et une couronne de bronze à Roma pour sa valeur et ses bienfaits » '9; en 163, les Rhodiens érigent dans un temple d'Athéna une statue du Peuple romain et instituent en l'honneur de Rome des jeux qui se célébraient tous les trois ans20 ; l'existence d'un prêtre de Borna est attestée à Éphèse, à Sardes'', à Sasoba 22, à Apamea 23, à Délos 2i, antérieurement à l'Empire. Les Lesbiens consacrent à 'Pen a Ntxotfdpos une statue d'or'', et les Lyciens, au Is siècle av. J.-C., offrent à Jupiter Capitolin et au peuple romain une statue de Rome 26. En même temps qu'ils divinisaient Rome, les Grecs donnaient à cette nouvelle déesse une histoire et une personnalité définie. La plus ancienne tradition relative à Roma, celle de l'historien Callias rapportée par Denys d'Ilalicarnasse27, la représente comme une Troyenne, femme de Latinus, mère de Romulus et de Remus 28. D'autres versions, conservées par Servius29, font de Roma une tille de Télémaque qui épouse Énée, une soeur de Latinus, une fille d'Évandre. ou une captive troyenne; selon Agathoclès de Babylone, Énée vint dans le Latium, accompagné de sa petite-fille Roma, fille d'Ascagne" De ces traditions contradictoires il faut retenir ce caractère commun : la croyance à l'existence d'une femme nommée lima, d'origine troyenne, qui aurait été la cause directe de l'installation des Troyens en Italie et qui serait devenue l'héroïne éponyme de la ville. Enfin, un texte littéraire important attribue à Borna une origine divine : l'hymne de la poétesse grecque Melinno, que nous a conservé Stobée 31, célèbre Rome, fille de Mars. Le nom de la ville et de l'héroïne dérive manifestement du grec force 52 ; le nom primitif de la ville aurait été Valentia, traduit en grec après l'arrivée d'Évandre 33, Sous l'Empire, le culte de Roma se développa et se régularisa. Les Romains comprirent les avantages qu'ils pouvaient retirer de ce culte éminemment politique et en favorisèrent l'extension. En 29 av. J.-C., un décret d'Octave permit aux villes d'Éphèse et de Nicée de con restaurées, représentent Rome de la tunique talaire et du manteau 52, ou vêtue du chiton court, avec une ceinture et un baudriero3, ou assise, portant comme attributs un sceptre 3", le globe du monde 55, une haste o6, l'égide 57. Sur les ROM sacrer des sanctuaires à Rome et à César'. Après l'apothéose d'Auguste, en IJ ap. J.-C., le culte commun, désormais officiel, s'adressera à I?onta et à l'empereur vivant, Romae et Augusto 2. Rome et l'empereur, ainsi associés. vont représenter la double formule politique et religieuse qui résume au sommet de l'Empire la puissance garante de la paix publique et de l'ordre établi'. Dans toutes les provinces de l'Empire on trouve de nombreux vestiges de ce culte : en Asie, les temples de Pergame', de Mylasa5, de Cyzique 6, d'Apollonie de Pisidie de Smyrne de Césarée' et d'Ancyre 10; des prêtres de Roma à Nysa", à Cymé12, à Assus13, à Alabanda's, à Bargylia'', à Aphrodisias 1G, à Thyatira", à Euménie" et à Sardes f0: en Grèce, les temples d'Athènes 20 et de Sparte" ; des prêtres à Gortyne "2, Thessalonique" et Olympie 2". Des prêtres de Rome et d'Auguste se rencontrent en Norique", en Pannonie 26, en Afrique 27, en Espagne 28 et en Bretagne". En Italie, Naples 30, Aquinium31, Potentia32, Surrentum03, Terracine3s, Nola36, Pola d'Istria '° et Trente 37 étaient des centres importants du nouveau culte. Enfin la Gaule possédait à Lyon un autel célèbre de Rome et d'Auguste, où se réunissaient régulièrement les délégués des trois provinces [AroTHEOsis, p. 324, fig. 387138. L'empereur Hadrien consacra définitivement et reconnut officiellement dans Rome même le culte qui s'adressait à l'État divinisé en faisant construire sur la Voie sacrée, près de l'arc de Titus, le temple de Rome et Vénus 3'. Le culte de la dea Borna, de Borna aeterna subsista jusqu'à ce que la Tyché de la nouvelle capitale, Constantinople, se substituât à la personnification divinisée de l'ancienne'''. Les représentations figurées de la déesse Rome deviennent sous l'Empire très nombreuses. On peut les ramener à deux types principaux : Borna guerrière, inspirée du type grec de l'Amazone, casquée, bottée, vêtue d'un chiton court qui laisse à découvert le sein droit, armée d'une haste et d'un bouclier; Borna pacifique, inspirée du type grec de Tyché, coiffée d'une couronne tourrelée, vêtue d'une tunique talaire, portant une corne d'abondance, un globe ou une Victoire. Ces deux représenta 877 ROM Dons symboliques de l'État alternent sur les monnaies impériales où on les rencontre très fréquemment, depuis Auguste jusqu'aux empereurs d'Orient (le la fin du Ive siècle; effigie, tête ou buste de Rome; Rome assise sur des armes" (fig. 5952) ou adossée aux sept collines''' (fig. 5953), Rome debouts"; Rome dans un temple" ; Rome unie à la Victoire56, à l'empereurs' ou à Constantinople 48. Les pierres gravées offrent de nombreuses variétés du type de Borna '9: sur le grand carnée de Vienne, la déesse est représentée aux côtés d'Au guste '0. La plus ancienne statue de la Fig. 5952. Rome déesse Rome a été trouvée à Dé los : elle est l'Geuvre du sculpteur Mélanos d'Athènes et remonte sans doute au Ier siècle av. J.-C.51. De nom breuses statues, d'une époque plus récente et fortement debout, casquée, vêtue bas-reliefs, notamment sur les reliefs à représentations historiques de l'époque impériale, la déesse est souvent figurée 58. Elle l'était déjà, semble-t-il, sur le fronton du deuxième temple du Capitole .achevé par Jules César [cAPITOLIUM, fig. 1147], ou sur celui du temple de Mars69; on la trouve sur la clef de voûte des arcs de Janus Quadrifrons, de Titus [FonNIx, fig. 3255], de Septime-Sévère et de Constantin. Un beau bas-relief de la villa Albani, provenant d'un monument triomphal de l'époque d'Hadrien, représente Rome assise sur des trophées, devant un temple et tenant une Victoire60; de ROM 878 ROM même sur un bas-relief où sont représentés plusieurs monuments de Rome, on voit un arc de triomphe sous la voûte duquel la déesse est figurée assise sur des armes'; sur d'autres bas-reliefs, Rome en Amazone assiste à un congiaire d'Antonin 2, à l'apothéose d'Antonin et de Faustine [APOTHEOSIS, fig. 390';, accueille Hadrien aux portes de la ville 4; sur l'arc de Titus, elle précède le char triomphal de l'empereur ; ; sur l'arc de Trajan, à Bénévent, elle assiste à un congiaire de Trajan et reçoit l'empereur au Capitole S; sur l'arc de Septime-Sévère, elle écoute les supplications des prisonniers barbares' ; sur l'arc de Constantin, elle précède Trajan rentrant victorieux de la guerre contre les Daces 3. Une peinture du palais Barberini, à Rome, représente Rome assise sur un trône richement décoré «fig. 5954); signalons seulement encore la mosaïque dite du prince Colonna, où la déesse armée contemple la louve allaitant les jumeaux 10, et plusieurs diptyques consulaires sur lesquels Rome est associée à Constantinople". E. MAYNIAL.