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SALIT. Les Saliens sont au premier rang des confréries ou sodalités sacerdotales qui, dans l'organisme du culte de Rome, sont chargées d'accomplir certains rites pour le bien de l'État tout entier. Ils se partagent ces fonctions avec les I.UPEACI, les AHVALES FRATRES, les SODALES TITII et les FETIALES' ; ils l'emportent sur eux en importance, non seulement parce qu'ils sont les ministres de Mars, dieu fondateur de la cité, mais parce que le culte auquel ils président devait être, dès les commencements de Rome, le lien le plus puissant des communes, d'abord indépendantes, puis groupées dans une cité unique autour du Capitole 2.
1. Origines, organisation. L'histoire légendaire rapporte l'institution des Saliens au roi Numa, comme elle lui attribue la création des Flamines, du collège des Vestales et généralement toute l'organisation de la vieille religion des Romains3. Les témoignages les plus dignes de foi, parce qu'ils sont confirmés par les actes mêmes du culte et par les vocables portant la marque d'une vénérable antiquité, prouvent que leur origine est antérieure à la période dite du synoecisme, c'est-à-dire de l'unification de Rome sous l'autorité de ses rois 4. Comme celle des Luperques, leur corporation se présente à nous sous la forme de deux confréries distinctes et semblables ; mais tandis que la dualité des premiers s'explique par leur origine gentilice ', celle des Saliens tient à des raisons nationales. L'une des confréries représente la religion de Mars Gradivus, telle que la pratiquaient les habitants du Palatin et du Cermalus, qui furent des Latins 6 ; et l'autre, cette même religion chez les Sabins de la Colline, qui honoraient Mars sous le vocable de Quirinus. Ce dernier vocable passa à une partie du quartier peuplé par eux, ainsi qu'à la confrérie même des Saliens Sabelliques'. Il y eut donc des Salii Palatini et des Salii Quirinales ou Collini ; et même ceux-ci, dans la langue rituelle, étaient désignés sous le nom de Agonenses ou Agonales, parce que le 17 mars on célébrait, au sanctuaire de Quirinus, une cérémonie que les Annales des Pontifes appelaient Agonium Martiale ou Agonia °. Ce collège des Saliens du Quirinal ne jouit jamais de la même considération que celui du Palatin, ce qui démontre pour sa part que l'élément latin eut dans l'action religieuse, politique et militaire de Rome, une influence prépondérante dès l'origine 10. Quand il est question plus tard des
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tique de leurs origines ne s'était pas perdu encore'.
Les deux collèges des Saliens comptaient chacun douze membres, tout comme le collège des Arvales, ceux des Luperques et des Flamines minores. Ce chiffre a été expliqué par des raisons astronomiques; il correspondrait à celui des mois de l'année et il serait symbolisé dans la légende par les douze boucliers, l'un tombé du ciel, les autres fabriqués sur ce modèle 10. Ambrosch nous semble plus dans la vérité des choses en l'expliquant par des considérations politiques, c'est-à-dire par la division de l'ancienne Rome en un certain nombre de quartiers qui auraient fourni aux corporations sacerdotales un nombre égal de représentants". Les douze membres de chaque collège restèrent longtemps de famille patricienne; ils étaient, à ce point de vue, sur le même rang que le Rex Sacroruni et que les Flamines, choisis également parmi les Patriciens 1'. Les Saliens devaient de plus, au moment de leur choix, être patrimi et matrimi, c'est-à-dire nés de père et de mère vivants, mariés par confarreatio 13. Enfin, ils pouvaient être recrutés parmi de tout jeunes gens, sans doute après qu'ils avaient revêtu la toge virile ; l'exemple de MarcAurèle qui fut choisi à l'âge de huit ans est unique et s'explique par sa qualité de César ". Jusqu'à la fin de la République, le recrutement se faisait par cooptation ; sous l'Empire, il y a des exemples de Saliens nommés sur la désignation du prince, mais rien ne démontre qu'antérieurement le Grand Pontife ait exercé un pouvoir analogue 1J.
En principe, la dignité de Salien (saliatus) était conférée pour la vie t 6 ; mais il arrivait dans la pratique que les obligations en étaient difficilement conciliables ou avec les grandes magistratures électives, préture et consulat, ou avec les fonctions du flaminicat et du pontificat : pour ces circonstances était prévue une exauguratio. Les Fastes des Saliens du Palatin nous offrent trois cas où il est procédé par cooptation au remplacement de confrères, l'un décédé, d'autres élevés à la dignité de flamine, de pontife et d'augure, un autre encore nommé consul La preuve que les devoirs du Salien pouvaient se trouver en conflit avec des charges ou civiles ou militaires, nous est fournie par le cas de Scipion l'Africain qui, en 190 av. J.-C., comme légat de son frère en Asie, fut contraint à une inaction militaire de plusieurs jours, parce que sa qualité de Salien l'obligeait à respecter les fêtes de sa confrérie 1e. On peut même remarquer que, pour la même raison, le sacerdoce salien fut le seul que
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Saliens sans épithète, il faut presque toujours penser à ceux du Palatin, de beaucoup les plus notoires '. La légende mème fait, d'ailleurs, des autres une copie des premiers. Ils auraient été institués par le roi Tullus, sous le coup des préoccupations que causa la guerre avec Albe ; et, en même temps, aurait été édifié sur le Quirinal un sanctuaire à Pat'or et à Pallor, divinités symboliques qui rappellent les daemons oeïN.oç et lidàoç d'Hésiode 2; un commentateur de Virgile va même jusqu'à appeler les nouveaux Saliens Pavorii et Pallorii, expressions qui ne se retrouvent nulle part ailleurs 3.
Les Saliens sont redevables de leur appellation à l'acte principal du culte dont ils sont les ministres, à la danse sacrée qu'ils exécutent publiquement en l'honneur de Mars durant le mois qui porte son nom'. Cette danse et le collège des Saliens ont leur légende, dont le caractère naïf garantit l'antiquité. Dans la période même où ils s'offrent en spectacle à la piété des Romains, tombait la
fête des EQUIHIUA ou ECURRJA, courses de chars orga
nisées au Champ de Mars, qui reçurent dans la suite le nom de Mamuralia 5. Mamurius, surnommé Veturius, est un forgeron divin qui, à la prière du roi Numa, fabriqua, sur le modèle d'un engin tombé du ciel ou mystérieusement déposé dans la Regia, onze boucliers absolument semblables qui furent appelés ancilia et conservés dès lors, avec un soin religieux, comme un des gages de la future grandeur de Rome'. En réalité, Mamurius est le prototype du prêtre salien et très probablement une incarnation populaire du dieu Mars luimême ; la procession au cours de laquelle le collège tout entier accomplit ses rites, commémore, en l'idéalisant, l'aventure qui lui a valu cet honneur Son nom figure parmi ceux des divinités qui sont invoquées dans les chants propres aux Saliens. Une statue élevée entre le Capitoliurn Vetus et le temple de Quirinus reproduisait son image 8. Nous renvoyons aux mythologues de profession et aux folkloristes pour l'interprétation du nom et des réjouissances populaires qui, à côté des Equirria, rappelaient les aventures du héros. Disons simplement qu'un personnage accoutré de peaux de bête était expulsé de la ville à coups de bâton par la foule et que cet usage se retrouve encore aujourd'hui en divers lieux, dans les démonstrations qui ont pour objet de chasser, de brûler même et d'enterrer en effigie le bonhomme Carnaval. Aelius Stilo, aux débuts du ier siècle avant notre ère, expliquait par ces pratiques les cérémonies publiques des Saliens ; au déclin du paganisme, ce sens rus
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les empereurs n'aient pas cru devoir revêtir, comme ils le firent, à l'occasion, de tous les autres'. Il arrivait cependant que d'éminents personnages refusassent de quitter le collège, après avoir obtenu des dignités et des fonctions qui invitaient à l'exauguratio. Appius Claudius voulut jusqu'à la fin de sa vie remplir ses fonctions de Salien et, tout vieux déjà, comptait comme un titre d'honneur, la persistance à se distinguer parmi ses confrères en qualité de danseur sacré. Furius Bibaculus, nommé préteur, resta Salien à la requête de son père et remplit toutes les fonctions de ce sacerdoce, même celle de danser en public2. En fait, s'il y a des cas de dispense, il dépendait de l'intéressé de les faire valoir.
Nous avons dit qu'on pouvait entrer jeune dans la confrérie ; celle-ci se partageait même en deux classes, celle des Juniores et celle des Seniores ; on n'est pas fixé sur la limite d'âge. Le rituel des prières, des chants et des danses étant assez compliqué, il était important que l'on s'y façonnât de bonne heure ; et les anciens enseignaient la tradition aux nouveaux venus3. Virgile, qui a mêlé les Saliens au culte d'Hercule, les partage en deux choeurs : l'un des jeunes, l'autre des anciens ; un grammairien du Ive siècle, épiloguant sur les qualités du mètre spondaïque que le roi Numa aurait appelé pontifical, nous parle de jeunes Saliens qui se livrent aux danses sacrées et, sur un rythme grave, chantent les dieux Indigètes4.
Trois dignitaires présidaient aux actes et aux chants de la confrérie ; c'étaient, probablement, dans l'ordre ascendant, d'abord le praesul, coryphée de la danse, puis le vates, coryphée du chant; finalement le magister, qui est le maitre de la confrérie chargé de régler le détail de l'administration intérieure, de l'organisation des fêtes, de l'admission et de l'exauguratio des membres. C'est, du moins, dans cet ordre que les cite l'historien de MarcAurèle, en faisant remarquer que le prince remplit ces dignités successivement et qu'il eut, comme magister, à admettre et à exaugurer un grand nombre de confrères ; nous avons dit que lui-même entra dans le collège à huit ans et, sans doute, il n'usa point de la dispense après être parvenu à l'Empire 5. Toutefois, la danse sacrée étant, aux yeux du public, la fonction principale du Salien, c'est le praesul, mot qui signifie danseur en premier, qui fut le personnage le plus en vue 6. Il est impossible de ne pas tenir compte de l'ingénieuse interprétation qu'on a donnée du mot consul, la seule en définitive qui satisfasse aux règles de la linguistique et à, la nature des faits : il signifierait confrère de danse dans le choeur des Saliens. Par là, il nous ramène aux temps où les deux confréries du Palatin et du Quirinal préludaient par la danse sacrée, et à l'entrée en campagne des deux contingents au mois de Mars, et à leur retour triomphal au mois d'octobre : les deux chefs auraient été redevables de leur nom au rôle qui leur était dévolu dans
les cérémonies en l'honneur du dieu des armées'.
Les recherches du folklore ont établi que la danse guerrière à la façon des Saliens était pratiquée dans l'antiquité gréco-romaine pour obtenir la protection de divinités solaires, Apollon, Hercule, Jupiter, Mars, et que la même coutume se retrouve chez un grand nombre de peuples appartenant à la race indo-germanique 3. C'est généralement vers l'équinoxe du printemps, c'est-à-dire dans la saison où les armées se mettaient en campagne, après que la terre a reçu les semences des futures récoltes, que cet acte de religion nationale était célébré. Les historiens grecs des institutions romaines n'ont pas manqué de souligner la ressemblance que la danse des Saliens offrait avec celle des Curètes en Crète et à Éphèse, laquelle s'adressait à Zeus enfant ou à Apollon'. Nous en retrouvons d'analogues chez les Celtes et les Germains de l'antiquité et, dans les temps modernes, parmi les populations rurales des pays italiques, slaves, romans et germaniques : partout ces danses s'inspirent de préoccupations à la fois guerrières et champêtres 10. Chez les Romains, la pénétration de ces deux ordres de sentiments est si intime qu'on a pu, avec une égale vraisemblance, faire des Saliens une confrérie agricole fournissant un pendant aux Arvales ou une corporation exclusivement militaire ". C'est cette dernière opinion qui, aujourd'hui, tend à prévaloir, alors que l'autre a été bien longtemps en honneur. Wissowa et, àsa suite, Helbig ont démontré tant par des faits d'ordre général que par l'étude des attributs et des cérémonies propres aux Saliens, que l'institution même de cette confrérie est d'un temps où le Romain a dépouillé le caractère primitif du berger el où il se présente devant. nous avec l'allure du guerrier combattant 12. Les cérémonies auxquelles les Saliens président sont accomplies pour le salut de l'armée et leurs attributs sont déterminés (nous en,fournirons plus loin la preuve) par l'armement dont les patriciens faisaient usage dans l'Italie centrale au Ixe siècle avant notre ère. D'aussi loin que la tradition permet de se faire une opinion raisonnée, a pu dire Wissowa, Mars n'a jamais été pour les Romains que le dieu de la guerre ; et s'il est en même temps le protecteur des champs, ce n'est pas tant pour en assurer la récolte que pour en écarter les ravages de l'ennemi en armesf3. Les Saliens, qui sont ses ministres, dira à son tour Helbig, officient originairement comme les représentants sacerdotaux du contingent des citoyens qui avaient les pleins droits politiques; et c'est pour cela que Denys les a définis : les ministres chargés de célébrer les divinités guerrières16
Ce qui prouve l'importance de leurs fonctions, c'est que nous ne les rencontrons pas seulement à Rome, mais dans diverses villes du Latium et qu'elles s'adaptent, dans certains cas, à d'autres cultes que celui de Mars. Une note de Servius, qui est, d'ailleurs, un mélange assez
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incohérent de fables helléniques et de traditions nationales, signale des Saliens à Tibur, qui les aurait connus antérieurement à Rome Ils y étaient au service d'Hercule, vénéré sous le vocable de Victor et d'Invictus, c'est-à-dire envisagé comme un dieu guerrier. C'est cette tradition que Virgile a transplantée à. Rome même 2, quand il nous montre les Arcadiens d'Évandre fêtant, à l'arrivée d'Énée, Hercule auprès de l'Ara Maxima. Les ministres du dieu sont des Saliens qui, la tête couronnée de feuillage de peuplier, évoluent autour de l'autel en chantant. Le même auteur cite des Saliens à Veïes, ville étrusque où leur collège aurait été organisé par un roi ancien du nom de Morrius Ceux de Tibur fonctionnent encore aux temps historiques, et il en est de même, comme le prouvent des inscriptions, à. Albe, à Lavinium, à Tusculum, à Anagnia, villes du Latium D'autres plus lointaines, situées dans le Nord de l'Italie, Brixia, Opitergium, Patavium, Ticinum, Vérone, pouvaient les avoir reçus de Rome ou transformés, à l'imitation des collèges du Palatin et du Quirinal, en sacerdoces locaux 5. Tel est aussi le cas de Sagonte en Espagne qui, sous la domination romaine, possédait un collège de Saliens, avec une organisation qui semble calquée sur celle de la
métropole En revanche, il faut dénier toute valeur scientifique aux élucubrations anciennes qui tendent à faire des Saliens de Rome une implantation d'origine grecque, soit qu'on les rattache au culte des Cabires de Samothrace, soit qu'on les présente comme les ministres de celui des Pénates qu'Énée aurait apportés de Troie en Italie°. On a transformé les Saliens en ministres des Lares publics, identifiés avec Picus et Faunus au sanctuaire de la Regia 8.
II. Culte.De même que le culte de Mars fut un des liens qui unirent entre elles les diverses peuplades de l'Italie centrale sous l'hégémonie de Rome, ainsi laCuria, où les Saliens gardaient les boucliers sacrés, doit être considérée comme le centre religieux de leur fédération
Cette Curia est un local distinct du Sacrarium Ma.rtis, aussi souvent cité qu'elle parce que les Saliens y officiaient, et, pour cette raison, confondu avec elle, tant à cause du mot sacrarium qui se prête à qualifier tous les édifices du culte, qu'à cause de l'expression arma a ncilia par laquelle les calendriers désignent, tantôt les boucliers seuls en vertu d'une apposition, tantôt séparément les lances et les boucliers t0. La Curia Saliorum, située sur le Palatin, était la résidence des Salii Palatini et l'arsenal des ancilia. Il s'y trouvait aussi une statue de Mars armé de la lance, puis une relique vénérable, le lituus ou bâton augural de Romulus". C'est dans ce sanctuaire que les Saliens, aux dates rituelles, etle général
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en chef, lors d'une entrée en campagne, allaient faire résonner les boucliers (commovere arma ancilia) et toucher la lance du dieu en l'interpellant : Mars, vigila12 Le Sacrarium Marlis n'étant pas un édifice distinct, mais une chapelle de la Regia, Mars n'y avait ni statue, ni boucliers; mais on y déposait les lances sacrées qui avaient également leur rôle et dans les cérémonies des Saliens et dans les préliminaires d'une déclaration de guerre. César y était allé dormir au début de la lutte contre Pompée, et il y fut réveillé par le bruit des lances qui s'entrechoquèrent miraculeusement13. Là aussi intervenaient des Vierges Saliennes, prêtresses d'occasion, dont le caractère est mal connu, mais dont on sait qu'elles assistaient le Grand Pontife en compagnie des Saliens pour l'oblation d'un sacrifice ; elles étaient alors vêtues du paludamentum, manteau militaire, et, comme les Saliens eux-mêmes, coiffées de l'apex 14. Le sacrarium de la Regia et la Curia Saliorum appartenaient originairement à la confrérie du Palatin; celle du Quirinal avait sa Curia propre, très vraisemblablement une annexe du temple de Quirinus, au sommet de la Colline. Denys, en la désignant par le terme de iapo fu%xxlov, indique qu'on y devait conserver d'autres objets vénérables servant au culte du Mars Quirinus 16. Enfin, rappelons les sanctuaires qui, au dire de Tite-Live, auraient été élevés à Pavor et à Pallor par Tullus Hostilius, quand il créa la confrérie des Saliens du Quirinal; si ces sanctuaires ont jamais existé, il est impossible d'en découvrir des traces16
Aux temps historiques, il n'est question que d'un groupe de fêtes, célébrées en l'honneur de Mars par les Saliens, sans que l'on distingue, à ce point de vue, les deux confréries. Il est probable que certaines cérémonies leur étaient communes, tant à la Curia Saliorum que dans la chapelle de la Regia ; si, ensuite, elles se sont séparées (mais nous n'en savons rien au juste), ce devait être pour se partager l'itinéraire des processions suivant leurs quartiers respectifsf7. Ces fêtes se célébraient en mars et en octobre ; celles du printemps sont de beaucoup les plus importantes, puisqu'elles s'étendent sur un mois presque entier 's; celles d'automne sont une rapide conclusion qui tient dans une seule journée, celle de l'Armilustrium's. Les premières avaient pour objet de mettre en mouvement (movere) les armes et les boucliers: les secondes de les rendre au repos (condere). La légende fixant au 1"P mars le miracle de l'ancfle tombé des nues aux pieds de Numa, c'est ce jour-làque commence la fonction pieuse des Saliens. Ils vont à la Curia du Palatin invoquer Mars et tirer de leur réduit les douze boucliers ; de là, ils se rendent à la Regia, assister au sacrifice offert par le Grand Pontife en compagnie des Vierges Saliennes
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et s'assurer des lances qui devaient compléter leur armement 1. Les calendriers désignent ce jour par Feriae Martis ou Natalis Martis 2 ; la première manifestation publique du collège ne devait avoir lieu que huit jours plus tard, le 9 mars, qui, dans les calendriers, figure sous la rubrique : arma ancilia movent, et qui marque en réalité l'ouverture des processions par la ville 3. Dans l'intervalle du ter au 9 mars, tombait la fête des Matronalia qui, à partir de l'an 375 U. C., jouit d'une popularité considérable 4. Les fêtes en l'honneur de Mars continuent ensuite pendant une quinzaine. Polybe s'est. donc trompé en donnant aux cérémonies des Saliens une durée de trente jours. La procession, qui est l'acte capital de leur culte, semble s'être déroulée pendant dix jours au plus, du 9 au 19 mars, date des Quinquatries [QUINQUATRUS] ; et c'est le 24 que figure au calendrier le dernier épisode de la fête; ce jour-là, le Rex sacrorum mettait fin aux cérémonies en déclarant close la série des jours reliyiosi ouverte le ter mars Quant aux détails de l'organisation, les témoignages anciens manquent de précision ; seule la procession qui mettait la ville en rumeur paraît avoir frappé les imaginations.
Comme celle des ARCEI, dont les stations nous sont connues, et celle des LUPERC1, dont nous savons le parcours, la procession des Saliens devait suivre un itinéraire déterminé. Elle était coupée par des haltes dans une même journée et s'arrêtait chaque soir dans un édifice aménagé à cet effet. Du moins, une inscription de l'an 382 de notre ère parle des mansiones « bâties par les anciens pour la garde des armes sacrées et qui, tombant en ruines de vétusté, parce qu'on s'en était désintéressé, avaient été réparées aux frais des Pontifes» . Aux haltes de la journée était donné à la foule le spectacle de la danse sacrée et les Saliens chantaient leurs hymnes, sans doute en offrant un sacrifice s. Une de ces haltes avait sûrement lieu sur le Comitium et l'on peut conjecturer qu'il y en eut une au Capitole 9, et une autre sur le pont Sublicius 30 ; il devait y en avoir beaucoup d'autres. La procession impliquait le concours des grands sacerdoces et celui de la cavalerie des Juniores commandée par le tribun des Celeres l' ; un bas-relief nous en a peut-être conservé une représentation réduite. Elle s'ouvre par trois hommes portant une corbeille; suivent quatre joueurs de trompettes et, derrière eux, cinq Saliens de taille plus petite (sans doute la section des Juniores); le cortège est fermé par six
jeunes filles portant des encensoirs, dans lesquelles il est permis de voir les Vierges Saliennes".
Les auteurs latins qui parlent de la danse des Saliens emploient tous le terme de tripudium en le relevant par l'expression plus générale de saltatus. Tite-Live et Tacite recourent au même mot pour les danses des soldats barbares, l'un des Espagnols, l'autre des Germains 13. Le rythme en était des plus élémentaires et rustiques ; Sénèque le compare avec les mouvements des foulons pilant sous leurs pieds les étoffes dans la cuve ; Catulle, qui y fait allusion, semble insinuer qu'il mettait la solidité du pont Sublicius à une dure épreuve f4. Mais Lucien, peu coutumier de respect religieux, l'appelle la plus majestueuse et la plus sainte des danses, et dit qu'elle est exécutée par les plus illustres des Romains en l'honneur du dieu guerrier '5 [SALTATIO]. Nous avons vu que des personnages de la plus haute gravité tenaient à honneur d'y figurer jusqu'à un âge très avancé ifi. Corssen croit que le tripudium, en général, et celui des Saliens, en particulier, se dansait sur le rythme anapestique, qui suppose trois mouvements : les deux premiers brefs, frappés par un pied, le troisième égal en durée aux deux autres, ce qui constituait une sorte de repos sur l'autre pied S7. Il résulte d'un passage de Verrius Flaccus, qui s'est documenté dans les Fastes des Saliens, que le coryphée de la danse (praesul) danse la figure en solo et que le collège fait la reprise, d'abord par les jeunes et les anciens séparément, puis par tous ensemble" 8 ; c'est ce que signifie le vers du satirique Lucilius : « Quand le praesul a dansé, il faut que la confrérie danse à son tour de même. » L'évolution du choeur devait se faire autour de l'autel du sacrifice 10, et les danseurs frappaient les boucliers avec la lance, leur chant, accompagné par les trompettes, contribuant à scander le rythme de la danse. Il n'est pas douteux que ce rythme fut en rapport avec celui du vers national des Latins, le vers saturnien, sur lequel il semble que le chant des Saliens, comme celui des Arvales, ait été composé20. D'autre part, les termes de antruare et de redantruare, employés par Verrius Flaccus pour désigner les figures de la danse des Saliens, rattachent cette danse au ludus trojanus, qui n'est troyen que par une corruption du mot [TROJAE LUDUS], et le carrousel des jeunes Latins que Virgile a idéalisé dans l'Énéide trouve son pendant dans la danse sacrée des Saliens2t.
Il est difficile de savoir ce que furent les mansiones dans lesquelles, chaque soir, les Saliens déposaient, pour
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la nuit, les armes sacrées et tout l'attirail de la procession, ce qui suppose que le lendemain ils partaient de là pour une station nouvelle. Wissowa suppose que des locaux quelconques étaient aménagés pour la circonstance' ; avec l'extension du périmètre de la ville, le retour à la Curie du Palatin eût imposé au collège des fatigues excessives ou contraint à négliger certains quartiers éloignés. C'est dans ces mansiones que les membres de la confrérie prenaient, après la tâche accomplie, un somptueux repas 2. Les repas des confréries et des sacerdoces sont cités fréquemment comme des modèles de luxe gastronomique. Augures, Pontifes, Arvales s'en offraient d'aussi plantureux que ceux des Saliens et tous ensemble méritèrent de passer en proverbe'.
Si la danse des Saliens a frappé l'imagination des foules, leurs chants ont attiré de très bonne heure l'attention des érudits; ils constituaient, en effet, un des plus anciens monuments de la langue nationale 6. A ce titre, il fut très fidèlement transmis à travers les âges; mais il devint de très bonne heure inintelligible, même aux prêtres qui en avaient la garde. Dès la fin du ue siècle avant notre ère, le savant Aelius Stilo sentit le besoin d'en écrire un commentaire qui devint lui-même obscur pour les écrivains de la fin de la République. L'oeuvre fut mise à contribution par Varron et par Verrius Flaccus ; les fragments que nous possédons du chant, grâce aux abréviateurs de ce dernier, sont à ramener à cette source. Les linguistes modernes n'en ont guère déterminé que le sens général et quelques expressions isolées Ces chants des Saliens étaient appelés axamenta, mot qu'on explique de diverses manières, soit qu'on le rattache à axis, rouleau sur lequel ils auraient été écrits, soit qu'on fasse du verbe axare un synonyme ou de agere au sens sacré ou de invocare : dans ce dernier cas, axamenta serait très semblable à indigitamenta7. L'examen des fragments a permis d'établir que ces chants étaient une sorte de litanies, invocations sommaires où l'on ne trouve guère que des noms de divinités avec les vocables rituels. On rencontre ceux de Mars Gradivus, de Mars Quirinus, de Janus Quirinus, de Jupiter Lucetius, de Saturne, de Minerve, de Junon, de Diane, de Liber, de Salus, de Concordia, de Pax et celui du forgeron divin Mamurius Veturius 8. Macrobe remarque que Vénus seule parmi les dieux célestes n'y avait pas trouvé place'. Plus tard, on y accueillit les noms des empereurs (le premier qui obtint cet honneur fut Auguste) et des princes de la famille impériale10. lin passage fort discuté de Verrius Flaccus a permis d'y distinguer des invocations aux divinités en
particulier et d'autres qui s'adressaient à elles d'une façon collective 11. Mais ce n'est que dans un sentiment de chauvinisme littéraire que Cicéron, parlant de ces vénérables restes de la poésie nationale, a pu se hasarder à dire : « que l'élément artistique n'a pas été négligé dans le culte ni par Numa lui-même, souverain très éclairé, ni par les vieux Romains, ainsi que le prouvent les lyres et les cithares dans les festins, avec les vers des Saliens dans le culte 12 »
A côté des textes sacrés de prières et d'invocations qui étaient pour les membres du collège un objet d'études difficiles, il existait, pour chacune des sodalités du Palatin et du Quirinal, des livres rituels où étaient consignés tous les détails relatifs à la pratique du culte. Comme les Arvales, ils avaient leurs Fastes, sorte de journal qui fixait les faits intéressants de leurhistoire13, Il n'est pas douteux que les deux collèges, tout en collaborant aux mêmes fêtes, restèrent indépendants l'un de l'autre jusqu'au déclin du paganisme et qu'ils réussirent à garder la marque distinctive de leurs origines 14. Les Fastes, dont nous avons des fragments qui vont de 170 à 202 ap. J.-C., sont ceux des Saliens du Palatin. Les réparations faites aux mansiones en 382, sous le règne de Gratien et de Valentinien II, prouvent que les danses des Saliens se maintinrent,comme la course des Luperques (condamnée par le pape Gélase en 494), jusqu'en plein christianisme officiel, à raison de leur caractère de distraction populaire 10.
III. Attributs. La description, d'ailleurs très sommaire, que Tite-Live nous a léguée des manifestations publiques du culte des Saliens, nous montre les membres de la confrérie du Palatin, vêtus d'une tunique de couleur bigarrée et, par-dessus la tunique, d'un couvrepoitrine en métal; c'est dans cette tenue qu'ils sortent les armes tombées du ciel qu'on nomme ancilia, et qu'ils les portent par la ville en chantant des hymnes accompagnés de danses à trois temps et de gesticulations pieuses (cum tripudiis solemnique saltatu) 16. A ces attributs, il faut joindre une coiffure spéciale, une lance et une épée dont il est question ailleurs ou qui sont figurées sur des monuments 17. M. Helbig y a compris encore le ceinturon, la chaussure et jusqu'au char de guerre 93. Ces derniers attributs ne peuvent être restitués que par conjecture et ne sont pas particuliers aux Saliens.
La pièce la plus importante est le bouclier, non pas seulement à cause de la légende qui en a fait la raison d'être de la confrérie 19, mais à cause de sa forme qui le distingue de tous les autres engins de même ordre. Le
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nom d'ancile, qui lui est particulier, a été expliqué très naturellement par Varron et Vendus Flaccus; ils l'ont défini a un bouclier court dont t'ovale est échancré de chaque côté dans la partie médiane », ce qui fait que les parties inférieures et supérieures sont de diamètre sensiblement plus fort que celle du milieu 1. Seul Ovide, dont l'exactitude technique ne fut nulle part la qualité dominante, l'a décrit autrement, cela en vertu d'une étymologie erronée2. Son erreur a été partagée, dans une certaine mesure, par Plutarque, qui assimile l'ancile au bouclier thrace (7téXTrq), lequel est échancré à la partie supérieure et rond par ailleurs [cLiaEus, p. 127] 3. Pour Ovide, l'ancile est un ovale parfait et sans angle (ab omni parte recisum), alors que pour les antiquaires de son temps il est : recisum utrimque, découpé de chaque côté. Les monuments figurés ne confirment que cette dernière définition; en effet, les monnaies du règne de Domitien, sur lesquelles on a cru reconnaître des Saliens coiffés de l'apex et portant le bouclier rond, représentent les hérauts chargés de proclamer les Jeux séculaires, avec lesquels les Saliens n'ont rien de commun 4 ; et il n'y a aucun fond à faire, pour la question des ancilia de Rome, sur deux bas-reliefs, l'un d'Anagnia, l'autre rapporté par hypothèse à Tibur, où l'on a voulu reconnaître des Saliens armés du bouclier rond L'ancile, bouclier échancré, est l'attribut de la Junon de Lanuvium figurée sur des deniers de la gens Procilia, sous la réserve que l'échancrure est arrondie aux bords (fig. 6043) 6, et de la gens Cornificia (fig. 6044) 7 ; et le Picus de Laurente, que décrit Virgile d'après une statue archaïque, devait porter au bras gauche un bouclier identique, appelé, d'ailleurs, ancile par le poète, la main droite tenant le bâton augural'. Picus était, de plus, vêtu de la trabea, ce qui contribue à lui donner de tous points l'allure d'un Salien. Cette trabea, qui n'est qu'une variété de la toge aux plus anciens temps, est le costume réservé aux citoyens qui occupaient dans l'État une situation éminente, sacerdoce ou magistrature 9. Elle différait de la toge en ce que sur le fond blanc du vêtement se détachaient des bandes de couleur, dans l'espèce, de pourpre, et en ce qu'elle était moins ample que la toge des âges postérieurs [TRABEA]. Par là, elle était plus appropriée à un rôle actif de combattant ou de danseur, ce qui devait en faire l'habillement propre aux Chevaliers et aux Saliens 70 ; mais revenons à l'ancile. Le plus ancien spécimen connu nous est donné (fig. 6045) par une sardoine, aujourd'hui à Florence, qui porte en caractères étrusques le nom d'Attius et au-dessous le terme de sens douteux : alce. Attius est sans doute le nom du
propriétaire qui, sur son cachet, avait fait graver l'emblème de sa dignité sacerdotale 11. M. Helbig suppose qu'il la rernplissait dans quelque colonie romaine ou latine établie dans
une ville où l'alphabet étrusque était encore en honneur et oit fonctionnait un collège de Saliens analogue à celui de Rome ; il est très possible que la sardoine remonte au Ive siècle avant notre ère. Un cachet
en cornaline, de style moins archaïque, fournit à la gemme de Florence un curieux pendant (fig. 6046), tant pour la forme
des boucliers que pour la manière dont ils sont portés 72. Échancrés sur les bords comme celui de la Junon de Lanuvium, ils sont suspendus au nombre de cinq, par
des courroies, à une longue perche qui repose à chaque extrémité sur les épaules de deux hommes, lesquels ne sont pas sûrement des Saliens ; le costume même invite à ne pas les considérer comme tels. Les personnages gravés sur la sardoine sont vêtus de tuniques courtes tirées sur l'occiput et de courts manteaux serrés; ceux de la cornaline ont des cuirasses en cuir et des casques de type attique. Quoique nous sachions par des témoignages formels que les Saliens eux-mêmes portaient ainsi les ancilia suspendus à des courroiesi3,les personnages de nos pierres gravées sont à interpréter par un texte de Denys, où il est dit que, dans cette fonction, des serviteurs spéciaux (Û7r4pérat, ministri, apparitores) se substituaient parfois aux membres du collège". Les boucliers qui figurent sur les deux gemmes ont ceci de particulier qu'ils donnent l'impression de véritables armes de défense, travaillées solidement, d'une seule pièce.
Il n'en est plus de même de ceux qui sont représentes sur des monnaies, l'une du règne d'Auguste, portant le nom de Licinius Publius Stolon (fig. 6047), l'autre d'Antonin le Pieux (fig. 6048); lesancilia y ont un caractère plu
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tôt décoratif'. Au lieu d'être taillés dans une seule pièce, ils semblent formés de trois pièces assemblées ; celle du milieu est ovale, les deux autres affectent la forme d'un disque que le graveur a tourné en ornement. M. Helbig remarque que la curie des Saliens fut incendiée à diverses fois, la dernière en 36 av. J.-C., c'est-àdire dix-neuf ans environ avant la frappe du denier de Licinius Stolon 2 ; que les anciens boucliers ont dû périr dans le désastre et que les nouveaux ont dû être fabriqués sur un modèle nouveau, mais le même auteur observe ailleurs que les Romains, foncièrement conservateurs en tout ce qui se rapportait au culte, ne devaient pas changer d'une façon radicale un attribut de leurs prêtres 3; il vaut donc mieux admettre une fantaisie d'artistes monétaires qui s'en sont permis bien d'autres.
Sous une influence qui, sans doute, n'avait pas encore pris conscience d'elle-même, et qui laisse subsister dans tous les accessoires du culte des Saliens le caractère national (M. Helbig s'empresse de constater qu'ils ne trouvent aucune analogie dans le culte hellénique), les ancilia et, avec eux, toutes les parties de l'équipement militaire des Saliens offrent des ressemblances frappantes et difficilement dues au hasard avec les objets analogues de l'art mycénien. On dirait que l'ancile naquit d'une modification apportée au bouclier des soldats de Mycènes 4. Les dimensions en sont plus petites ; elles correspondent auscutumbreve, dont la longueur ne dépassait pas 75 centimètres, et qui descendait parfois à 60'.
Nous ignorons ce que fut au juste l'aeneum pectoris tegumen, ce qui veut dire le couvre-poitrine en bronze, qui complétait l'armure défensive des Saliens, au dire de Tite-Live°. Il est évident que l'historien n'aurait pas employé cette périphrase pour désigner la cuirasse ; celle-ci ne vint, d'ailleurs, en Italie qu'au cours du vat siècle, importée par les Grecs qui l'avaient adoptée au siècle précédent'. Le tegumen était plutôt la pièce dont les légionnaires se servaient environ cinq siècles plus tard, afin de protéger le thorax et que Polybe décrit sous le nom de xxoôtoliaxxov, que les auteurs latins nommèrent pectoralia9. Elle était de bronze, épousait la forme du corps et était assez résistante pour amortir un coup de lance ou d'épée. M. Helbig en a étudié quelques spécimens (fig. 6049), beaucoup plus anciens que Polybe, puisqu'ils ont été découverts dans des tombes à puits, des tombes à fosse étrusques et dans les tombe ad arca qui furent trouvées à Rome sur l'Esquilin, monuments qui remontent à une période rapprochée de celle où fut fixé l'équipement des Saliens'. Plus récent, mais de destination identique, est le pectoral du guerrier
italien, vêtu de cuir que représente un tombeau de Paestumf0. Avec M. Helbig, nous pouvons rappeler encore, d'après une urne étrusque représentant le mythe de Troïols,
la broche en forme de rosette qui couvre le sternum d'un guerrier en défense; cette broche est soutenue par une courroie dont la partie supérieure estrepliée autour des épaules du guerrier et dont les extrémités inférieures disparaissent sous la ceinture (fig. 6050) ".
Comme aucun mo-nument ne nous
donne la représentation totale d'un
Salien sous son équipement, c'est par conjecture seulement que nous pouvons interpréter ainsi l'aeneum tegumen que leur prête Tite-Live.
La coiffure des Saliens dans l'exercice de leurs fonctions, était le pileus haut, de forme conique, que les Grecs nommaient xu.pGxca 12. Elle devait se fixer à la tête par une jugulaire qui l'empêchait de vaciller pendant la danse, à plus forte raison de tomber, ce qui eût constitué un mauvais présage 13 La calotte n'était pas de bronze, comme le dit à tort Plutarque, mais de cuir ou de grosse laine, renforcée seulement par des cercles en bronze qui formaient ornementf4; l'analogie
avec le casque mycénien n'est pas moins frappante que pour le bouclier. Le pileus se terminait à la partie supérieure par l'apex, insigne distinctif des coiffures sacerdotales, particulièrement de celles des (lamines
Le denier de Licinius Stolon, où elle forme trophée avec une paire d'ancilia, et la cornaline qui représente deux guerriers portant les cinq ancilia suspendus à une perche, nous en donnent une image assez complète. Le soldat qui marche en tête tient dans la main gauche, par la jugulaire, la coiffure conique qui se termine en apex. Sur le denier, on distingue nettement l'anneau qui rattache cet appendice à la calotte du casque16. Nous renvoyons au travail très documenté de
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M. Helbig pour tout ce qui explique, à l'aide des casques étrusques et mycéniens et par les vestiges d'un équipement guerrier étrusque, dont le casque est ici reproduit (fig. 60b1), la matière et l'agencement de la coiffure des Saliens, laquelle fut celle de la milice patricienne au temps de la royauté'.
Nous avons dit que les Saliens scandaientleur danse en frappant sur leurs boucliers suspendus au bras gauche; Denys dit qu'ils frappaient ou avec une lance ou avec une baguette qu'ils
tenaient de la main droite 2. Il va de soi que la longue lance des guerriers mycéniens ne convenait guère à cet usage ; l'hésitation même de Denys, à défaut de monuments figurés, nous invite à chercher cet accessoire parmi les types de lance courte, de préférence dans celui de la fiesta para que nous trouvons reproduite sur un denier de la gens Arria et qui affecte plutôt la forme d'une forte baguette terminée par une houle'. Une arme plus pesante et plus longue n'aurait guère convenu à la danse qui était l'acte par excellence du culte public des Saliens. M. Helbig a démontré, d'autre part, que ceux-ci portaient en plus l'épée, que cette épée était courte et que c'est seulement aux plus anciens temps que les guerriers, soit grecs, soit romains, disposaient simultanément de la lance et de l'épée. Cette dernière faisait partie de l'équipement des patriciens capables de porter les armes et elle passa à ce titre dans celui de leurs représentants sacerdotaux'.
Une remarque qui a son importance, puisqu'elle trouve sa place dans l'historique même des armées romaines, c'est que ces prêtres, personnifications sacrées de l'esprit militaire, sont des fantassins, et que si, au cours des siècles, des pelotons de cavalerie escortaient leurs processions comme ils prenaient part à la course des Luperques autour du Palatin', l'origine même de la cavalerie est postérieure à celle des grandes confréries religieuses. Ceci concorde avec le fait qu'il était défendu au flamine de Jupiter de monter à cheval'. Aussi, sur les monuments de style archaïque exécutés en Italie, n'y a-t-il pas d'exemple certain d'un soldat cavalier
Nous revenons ainsi, par l'examen des attributs et du rôle actif des Saliens dans le culte, au point de départ même de leur institution. Ils sont par définition, pour le Palatin, les ministres de Mars Gradivus, c'est-à-dire du
dieu qui s'élance à grands pas dans la bataille 4 et, pour le Quirinal, ceux du Mars Quirinus, le divin portelance3, tous les deux figurés avec persistance comme le type idéal du soldat qui combat à pied, plus rarement du haut d'un char de guerre". Le guerrier primitif de Rome, celui (lui est contemporain de l'organisation religieuse de la cité oit ses aspirations et ses exercices tiennent déjà une place prédominante, est le fantassin". Concluons sur la parole même par laquelle l'archéologue dont nous venons de résumer les recherches a terminé l'oeuvre qui a si heureusement renouvelé et élargi le problème du sacerdoce militaire : « Le pas ferme et rythmique avec lequel les guerriers latins marchaient à la rencontre de l'ennemi, a laissé son reflet idéalisé dans la danse des Saliens l2. » J.-A. HILD.