Le Dictionnaire des Antiquités Grecques et Romaines de Daremberg et Saglio

Article SALSAMENTUM

aux conserves de légumes et de fruits le nom d'z),p.zïx; les Romains celui de sALGAMA; ils appelaient Tzpïeir, et salsamenta les conserves de viande et de poisson Tous les peuples anciens faisaient usage, dans leur alimentation, de viandes salées, préparées avec la chair d'animaux domestiques ou sauvages 2 [CUTABLA, p. 11571162]. Les Romains paraissent avoir eu beaucoup plus SAL 1023 SAL de goût que les Grecs pour ce genre de nourriture; ils appréciaient surtout le porc salé, qu'ils trouvaient très substantiel et facile à digérer Varron, Columelle, Apicius nous ont transmis la formule de différentes recettes pour le confectionner 2; Apicius recommande de ne le servir aux repas qu'après avoir pris la précaution de le dessaler en le faisant bouillir d'abord dans du lait, puis dans de l'eau3. On distinguait deux sortes de jambons, perna et petaso, la première fortement salée et fumée, la seconde moins salée et plus fine, mais peu susceptible de se conserver longtemps 4. Les meilleures salaisons de porc étaient celles que fabriquaient les peuples celtiques : dès l'époque républicaine, les Romains en faisaient venir de Gaule, Cisalpine 5 et Transalpine 6, des provisions considérables ; en particulier, les jambons de Belgique', notamment du pays des Ménapiens 6; ceux qu'expédiaient les Cantabres et les Cerretani du Nord de l'Espagne ou de la région de Bayonne' avaient une grande réputation ; Varron parle aussi de porcs envoyés de Lusitanie à Rome". Les poissons tenaient la première place dans la nourriture des Grecs [cIBArIA, p. 116`2]. Aussi le mot Tciptyoç et, par suite, le mot salsamentum étaient-ils pris le plus souvent avec un sens restreint, pour désigner uniquement le poisson salé. C'est sur cette catégorie de salaisons que nous sommes le mieux renseignés ". En principe, tout poisson, à la condition d'avoir une chair suffisamment épaisse et chargée de suc, mais sans excès12, pouvait être transformé en 'r ptyoç et l'on employait à cet usage les poissons des rivières et des étangs aussi bien que ceux de la mer13. Mais, en fait, les fabricants de salaisons ne se servaient guère que de ces derniers, et presque exclusivement d'esturgeons "et de thons d'espèces variées 15 (pelamys et thynnus 16, sarcla f7, coracynus ou saperdes 13, xEavpeik ou mugil ", scomber20, colias 21, lpxuvos'-2). Pour les préparer, ils les faisaient séjourner, plus ou moins longtemps, entiers ou en morceaux, dans des vases de terre ou des bassins cimentés remplis de saumure. On a découvert de nos jours sur les côtes d'Espagne et de Portugal les vestiges d'un certain nombre d'anciens établissements de fabrication; les plus intéressants sont situés dans la province de l'Algarve en Portugal; ils consistent en bassins rectangulaires de dimensions variables, longs de 1m,50 à 3m,90, larges de 1m,03 à 3m,55, profonds de 0m,79 à 1',85, disposés par séries le long de la plage ; des cannelures convexes, destinées à empêcher l'écoulement de la saumure, les renforçaient aux angles; une couche de ciment les revêtait à l'extérieur et à l'intérieur 23. Plusieurs localités du monde antique, une ville de Palestine 24, une bourgade du delta du Nil", un groupe d'îlots sur la côte de la Tripolitaine26, s'appelaient Tariclleae : elles devaient leur nom à l'existence de pareils établissements sur leur territoire. On distinguait les différentes sortes de Tt.ptyos d'après leur mode de préparation, leur degré de salaison, la nature des poissons avec lesquels elles étaient faites et la forme qu'elles affectaient. Le -c«p;'oç TJ,TÔv, fabriqué avec des poissons dont on avait enlevé les écailles, s'op salé, s'opposait à l'~IL11C4tyoç ou il a(V7lpoç 29, à moitié salé, et à l'àXpé7ta67roç30, légèrement salé. Les vap(y-l 7t(ova, salaisons grasses, s'opposaient aux maigres, Tap(yr1 ic7t(ova 3i ; toutes les espèces de poissons et toutes les parties du corps d'un même poisson n'étaient pas également grasses ni, par suite, également recherchées 32. On thon en conserve (c'était le meilleur des Tap(yr, 7t(ove) (n J.0.rIptyoc 35, le Tdpttioç fait avec les parties du thon les plus voisines de la tète ; o4ss 36, celui qui était fait avec les parties les plus voisines de la queue ; xritv(pea 37, un (;),usTâptyoç de qualité inférieure fait avec de gros pois au printemps avec de jeunes poissons, le meilleur des des salaisons de grands poissons débitées par morceaux de forme triangulaire, quadrangulaire ou cubique ; les TE(l.«y'rl, de petites tranches de poisson salé 40 ; les pteadvôpua, de longues tranches dorsales d'esturgeon ou de thon, salées et séchées, qui ressemblaient, disait-on, à des planches de chêne". Les principaux centres de production du vciptyos42 étaient les pays riverains du Pont-Euxin, qui approvisionnaient la Grèce, et l'Espagne méridionale, où se fournissaient les Romains. Chaque année, au printemps, des bandes épaisses de poissons migrateurs descendaient le long des côtes septentrionale, orientale et méridionale du Pont-Euxin, se dirigeant vers le Bosphore de Thrace ; les habitants du littoral faisaient des pêches fructueuses43 et salaient, pour les exporter, la majeure partie des esturgeons et des thons capturés [PIsca'rto], p. 491] ; les textes antiques mentionnent fréquemment les Tap(yrl IIovTtx«44. Au nord, il y avait des fabriques de salaisons à l'embouchure de tous les grands fleuves, Ister 65, Tyras 46, Bory SA L 1024 SAL sthène', Tanaïs 2. Olbia, à l'embouchure de l'Hypanis, paraît avoir été le plus important marché de 'r pryoç de toute la région 3 ; les sujets représentés sur quelquesunes de ses monnaies font allusion à ce commerce : on y voit au revers soit une tête de poisson accompagnée du mot oABIo 4, soit un aigle énlevant un poisson 5, ou les quatre rayons d'une roue avec, dans le champ, le mot APIX, abréviation de APlxos, forme dialectale pour Tp yoç (fig. 6052)5. De petits poissons en bronze (fig. 6053), esturgeons et thons, découverts à Olbia, servaient sans doute de jetons de distribution ou de monnaie locale; les uns, convexes des deux côtés, sont anépigraphes; les autres, plats sur l'une de leurs faces, portent quelques lettres, el' pour Oé(vvoç), 05(vvot), ou Ot(vvxiEç), eu(vviôE;), OT' pour oi,(paix), APIxo pour (T)pt'o(ç) 7. Plus à l'est, il faut citer encore, comme lieux de fabrication de salaisons, la Chersonèse Taurique et le Bosphore Cimmérien 8 avec les ports de Théodosie0 et de Panticapée ou Bosporus i0, Dioscurias en Colchide " ; au sud, la côte du pays des Chalybes ", Trapézonte13, Sinope", Amastris 10, Tieum et Héraclée du Pont 16, le Bosphore de Thrace 11 avec Chalcédoine f 8 et Byzance 19, la Propontide20, l'Hellespontn. Les salaisons de l'Espagne méridionale étaient encore plus renommées que celles du Pont-Euxin 22. L'industrie et le commerce des poissons salés contribuaient à enrichir les trois grands ports de Gadès 23, à l'entrée de l'Océan Atlantique ; de Malaca24 et de Carthagène 25, sur la mer Méditerranée, ainsi que les stations intermédiaires de Baelo et de Mellaria26, de Carteia et des Exetani'-7, aux abords du détroit des colonnes d'Hercule. Une partie des poissons préparés dans les ports espagnols étaient pêchés sur les côtes de la Maurétanie Tingitane; nous savons que les marins de Gadès descendaient dans l'Atlantique jusqu'à l'embouchure du fleuve Lixus 2B. C'est par Pouzzoles que le -ri olfoç d'Espagne entrait en Italie". En dehors du Pont-Euxin et de l'Espagne, tous les pays du monde antique possédaient des établissements de salaisons plus ou moins importants, dont les produits alimentaient la consommation locale et donnaient même lieu quelquefois à un certain commerce d'exportation. Les textes littéraires mentionnent notamment les'rxplys de Sardaigne, supérieurs à ceux du Pont-Euxin et aussi réputés que ceux d'Espagne30, de Sicile 31, de GrandeGrèce 32, d'Épire 33 de Macédoine", d'Asie Mineure", d'Égypte 36, peu estimés", et de Tripolitaine38. Les poissons salés étaient livrés au commerce dans des vases de terre de formes et de dimensions variables " que l'on désignait sous différents noms: 4tpopEiç40, Tap(/ouç xeprzµtx 41, xEpâµla Taplzrtprz b2 chez les Grecs, salsamentariae testae", salsamentarii cadi", vasa salsamentaria " à Rome ; on brisait le vase pour en retirer le poisson46, qu'on débitait enveloppé dans des feuilles de figuiers Æ7. En Grèce, les fabricants de Tapirr, s'appelaient Tapl/EUTX)" ; les commerçants qui les importaient, Taptzlro("; les marchands au détail, Tapty,o7rWÂalJ0; ceux qui vendaient en particulier de l't païov, (Lpalo7rWÀxt 51 ; ceux qui vendaient des TE p.Qu, Tel.t.IXco7r W),at 52 ; ils appartenaient tous aux basses classes" et ils étaient fort peu considérés " ; on tournait en ridicule à Athènes les fils du marchand de poisson salé Chaerephilos, qui avaient été faits citoyens en récompense des services rendus par leur père dans un moment de disette ". Chez les Romains, les salsamentarii " et les cetarii" étaient à la fois des fabricants et des marchands de salaisons; le nom des cetarii vient du mot grec x yrrlha, sous lequel on désignait, comme nous l'avons dit plus haut, une espèce grossière de Tpizoç faite avec de grands poissons. Le Totyoç de qualité commune ne coûtait pas cher ; un proverbe grec prétendait qu'on le payait une obole SAL 1025 SAL et son assaisonnement deux oboles'. Dans une comédie attique, un personnage se vantait d'avoir eu pour deux oboles un poisson salé de forte taille, capable de nourrir plusieurs hommes pendant trois jours 2. Il semble, d'après Athénée, qu'un plat de Txptyoç ordinaire, pour une seule personne, valait habituellement deux ou trois oboles' ; un morceau d'd pxiov, une oboles ; un morceau d't„µ0T4tyoç, cinq yaaxoeç (un peu plus d'une demiobole) 5 ; un morceau de xéi;ov , trois oboles °. En revanche, le prix des variétés les plus fines et les plus rares était très élevé'; Caton se plaignait que ses contemporains allassent jusqu'à donner trois cents Tzptyoç commun était en Grèce, comme le porc salé en Italie. la nourriture des petites gens, esclaves paysans f0, soldats en campagne ". Les gourmets, d'autre part, appréciaient beaucoup certaines sortes tout au moins de salaisons, qu'ils accommodaient à différentes sauces piquantes 12. On servait les Tapir, comme entrées ", et on les mangeait, en général, crus ", après les avoir fait tremper dans de l'eau douce", pour les dessaler, ou dans de l'eau de mer 'G, pour leur donner au contraire plus de goààt; on les assaisonnait, selon les cas, de moutarde, de vinaigre, d'huile, de MuHIA ". A chaque espèce de poisson convenait une préparation particulière 1". Le thon de Byzance était saupoudré de sel, arrosé d'huile fine, grillé, trempé dans la muria, et mangé chaud19 ; l't4aïov était frit à la poêle avec des herbes odorantes et des aromates, arrosé de vin blanc et d'huile; d'autres poissons salés devaient être frits dans la graisse, bouillis ou cuits sous la cendre Apicius et Cicéron vantent le tyrotarichunl ou tyrotaricha patina 21, mélange de poisson salé, d'ceufs durs, de foies de poulets et de fromage, bouilli à petit feu dans l'huile, arrosé de vin et d'hydromel, saupoudré de poivre et de cumin; le fco o.r pryoç était une soupe au poisson salé 22; enfin les anciens connaissaient le caviar, dont parle Diphile dans un passage cité par Athénée, mais ils ne paraissent pas en avoir fait grand usage 23. Le Tp,yoç, par suite de sa forte saveur et de sa causticité, servait aussi en médecine20. MAURICE BESNIER.