Le Dictionnaire des Antiquités Grecques et Romaines de Daremberg et Saglio

Article ANCORA

ANGORA ('Ayxupa, Evv ), ancre. Les historiens de l'antiquité, toujours très-curieux de préciser l'origine des inventions les plus simples, ont attribué celle de l'ancre aux peuples de l'Étrurie '. Mais cette allégation n'a d'autre valeur que de prouver la haute ancienneté des arts maritimes chez les Étrusques 2. Du moment où l'homme s'est aventuré sur les eaux, en mer comme en rivière, il a dû chercher un moyen de fixer son embarcation malgré le courant ou la tempête, et divers systèmes se sont naturellement produits en divers lieux à la fois. Dans le principe, l'ancre paraît n'avoir été qu'une lourde masse dont la pesanteur seule empêchait le mouvement du navire. C'étaient des tubes en bois où l'on avait coulé dli plomb, comme ceux que les Phéniciens vidèrent pour les remplir d'argent, à leur retour de Sicile 3, des vases remplis de sable et de cailloux °, ou simplement de grosses pierres, percées par le milieu et rattachées au navire avec des càbles. Le mot oévij, que l'on rencontre très-fréquemment dans Ilomère et qui exprime par une image des plus heureuses le repos du mouillage 5, désigne spécialement cette dernière espèce d'ancre. Arrien dit avoir vu dans le temple de la déesse du Phase, sur la rive du Pont-Euxin, quelques fragments de pierre de forme très-antique, ayant servi d'ancre aux époques les plus reculées de la marine grecque G. Plus tard on adopta le système des crocs de fer enfoncés dans la terre, ce qui présentait plus de résistance, et le nom d'âyxupa s'introduisit dans le langage. Dès le vc siècle avant l'ère chrétienne, ce terme nouveau avait remplacé l'antique Envi((, et la transformation devait déjà dater d'assez loin pour qu'Eschyle, dans ses Suppliantes', pût donner une «yxupa sans trop d'invraisemblance au vaisseau des fils d'Aegyptus. Si nous en croyons Pollux ces ancres n'eurent d'abord qu'une seule dent ou patte, ce qui leur valut le nom d'€-ropoorogsç. sur la pierre d'une bague ehrélienne ANC 267 -AND C'est l'ancre à un bras que nos marins appellent ancre borgne. Nous n'en avons pas de représentation graphique, mais la tradition s'en est conservée en Europe, et plusieurs peuplades sauvages emploient encore le même type. L'ancre à dcnx bras, âpsdarou.oç ou ...uip(eO),oç, a une origine fort douteuse. Pausanias en attribue l'invention à Midas, roi de Phrygie s, Pline a Eupal amas de Sicyone 10, et Strabon au philosophe scythe Anacharsis. Des images de ces ancres nous sont fournies par les vases peints, par les bas-reliefs et par les monnaies. Dans les plus anciens monuments, comme dans la figure 318 d'a près un vase '2, où l'on voit un marin levant ou jetant l'ancre, l'extrémité de la verge opposée aux bras est dépourvue de la barre transversale ou jas, comme on l'appelle aujourd'hui. On ne distingue pas non plus dans cette peinture les anneaux visibles dans une autre ancre (fig. 319) également d'après un vase peint 13, où Hercule est représenté saisissant cette ancre et s'en faisant une arme pour combattre Cyzique. L'anneau placé à l'extrémité supérieure de la verge, ou arganeau, servait, comme on le voit dans un bas-relief romain" (fig. 320), à passer le câble qui tenait l'ancre attachée; l'autre anneau, au point de jonction des deux bras, est presque toujours visible aussi dans les monuments. Quoique son véritable emploi ne soit pas sûrement constaté, il est permis de supposer, avec M. Jales, qu'il était destiné à recevoir l'extrémité de l'ovin, cordage dont l'autre bout, retenu à la surface de l'eau par un corps flottant, indiquait aux marins la situation précise (le l'ancre, Même après que l'addition de la barre transversale, ou jas, eut complété l'ancre à deux bras, telle qu'on la voit représentée (fig. 321) d'après un bas-relief de l'arc de triomphe d'Orange", sur de nombreuses monnaies ", sur des pierres gravées, et particulièrement sur de nombreux cachets qui paraissent avoir servi de symboles à des chrétiens 0, ou sculptées sur leurs tombeaux1'', etc., on semble avoir continué à faire en même temps usage (l'ancres qui en étaient dépourvues; car on en voit qui sont ainsi figurées clans le bas-relief déjà cité du musée du Ca pitole et dans d'autres monuments Les pattes N triangulairesà deux dents, en forme de fer de flèche, placées à l'extrémité des bras, furent, si toutefois on peut s'en rapporter aux types figurés dans les recueils'-', un dernier perfectionnement de l'ancre; on voit l'ancre représen tée avec ces dents (fig. 322). L'ancre était généralement suspendue à l'avant ou sur le flanc du bàtim en L", comme on le voit sur la colonne Trajane et dans un bas-relief trouvé à Narbonne w; mais le bas-relief déjà, cité du musée du Capitole, où l'ancre est figurée sus pendue à 1 aplustre d un bâtiment, et \fis d'autres témoignages prouvent "quo l'on attachait aussi les ancres à l'arrière. Comme aujourd'hui, les navires en avaient un plus ou moins grand nombre, suivant leur importance 'a. La plus solide de toutes, celle sur laquelle se fondait la dernière espérance des navigateurs, que nous appellerions l'ancre de miséricorde, portait le nom d'ancre sacrée iat , soc;e) `". Aussi disait-on, jeter l'ancre sacrée ((adula', é'ixupzv u t.le,,, pour exprimer que l'on recourait aux moyens suprêmes. L'expression lever l'ancre (aipty 2~ç n7xu 'u) pour dite a s'en aller t; avait passé de même dans le langage commun. E. Roseau.