Le Dictionnaire des Antiquités Grecques et Romaines de Daremberg et Saglio

Article SCYTALE

SCYTALE (Exu-t ÀTl). Il a été parlé, ailleurs, de la scytale prise dans une première acception de ce rnot, c'est-à-dire dans le sens de bâton [BACULUM] 1. Nous ne nous occuperons ici que de la scytale employée comme moyen de correspondance secrète. a ExuTâ 't1, /lagrum, loreum s. coriaceum », dit le Thesaurus, donnant ainsi très probablement l'étymologie du mot. A Sparte, la axutâkrl a un emploi et un sens particuliers ; elle sert officiellement à transmettre des dépêches secrètes. Les explications que les anciens nous en' ont données sont nombreuses; les plus complètes appartiennent à Plutarque 2 et à Aulu-Gelle 3. Les éphores font faire deux bâtons ayant même grosseur et même longueur, râclés et préparés de la même manière'; l'un de ces bâtons est remis au général qui part pour la guerre; l'autre reste entre les mains des éphores'. Lorsque les éphores veulent adresser au général un secret important, ils roulent autour du bâton une courroie assez minces ; ils ont bien soin de ne laisser aucun intervalle entre les bords de la courroie, de façon que celle-ci couvre toute la surface du bâton; ils écrivent ensuite transversalement aux bords de la courroie', les lignes allant d'un bout à l'autre ; ils déroulent alors la courroie empreinte de caractères et l'envoient au généra rai, qui est au courant du procédé. Ainsi déroulée, la courroie n'offre plus que des lettres tronquées et mutilées, des têtes et des queues de lettres ; elle peut tomber entre les mains de L'ennemi; il n'y pourrait rien entendre. Au contraire, le général à qui elle est envoyée, la roule autour de son bâton, de la façon qu'on lui a indiquées ; les caractères, en tournant, reviennent dans l'ordre où ils ont été tracés, et forment une lettre complète, facile à lire. Les autres explications qui nous sont parvenues sont plus abrégées, et moins claires°. Elles reproduisent toutes cette idée simple : si l'on écrit sur une bande assez VI11. mince, de cuir ou d'étoffe, roulée autour d'un objet cylindrique de faible grosseur, et qu'ensuite on déroule cette bande, l'écriture tracée devient absolument illisible à moins que de nouveau on ne roule avec soin la bande snr un corps cylindriquecomplètementsemblable au premier. Il peut, en effet, en être ainsi. L'écriture, tracée de cette façon, peut être à peu près illisible ; mais deux conditions sont nécessaires : 1" la bande doit ètre très étroite ; 2° les lettres ne doivent pas être écrites sur une seule ligne. De ces deux conditions, l'une est indiquée comme remplie. Plutarque dit que la bande est autour d'un bâton, y fera des circuits d'autant plus nombreux, d'autant plus étroits qu'elle sera elle-même plus étroite. Il s'en suivra que sur chaque circuit, le nombre des lettres sera très faible. L'idéal serait que chaque circuit ne portât qu'une lettre, qu'un fragment de lettre c'est précisément ce que dit Aulu-Gelle". La superposi fion des lignes n'est pas moins nécessaire ; elle a dti certainement être pratiquée. En effet, si la dépêche n'est écrite que sur une seule ligne, on constate que, lorsqu'on déroule la bande et qu'on la tient verticalement, l'écriture se lit très facilement, en ayant soin de commencer par le bas. La superposition crée une difficulté nouvelle des plus graves. La dépêche ne peut se lire que si l'on tonnait le nombre de circuits que décrit la bande c'est le problème qui consiste, en géométrie, à calculer le pas de l'hélice, problème qui est compliqué sans doute, mais qui est loin d'être insoluble. Il est à croire qu'avec des adversaires possédant des mathématiciens exercés, le système de correspondance secrète, adopté par les Lacédémoniens, n'aurait pas présenté toutes les garanties désirables 12. Nous devons supposer que, pour être portée au destinataire, la scytale était confiée à des hommes en qui on avait pleine confiance. C'est le cas pour Cinadon. Il n'appartenait pas à la classe des 'mimons' : mais il se disl.inguait par ses qualités physiques et morales 13. Aussi avait-il été chargé, plus d'une fois, de missions semblables 18. Cette façon d'envoyer des ordres secrets à des gens éloignés avait vivement frappé les anciens. Archiloque, le premier, fait allusion à la scytale"'. A Son tour, cette mention de la scytale par Archiloque avait éveillé l'attention des érudits ; Aristophane de Byzance avait même écrit un livre sur l'zyvuu.ivr, ax~TZ -r1 's, Pin dare, lui aussi, a parlé de la scytale. Dans la VI" Olympique il dit à Énée, son élève, sans doute : « Tu es le messager droit, la scytale des Muses à la belle chevelure 17 ». Cette ode, que Pindare avait composée à 1llG SCY 1 162 SF13 Thèbes, fut exécutée chez le vainqueur, Agésias de Syracuse. Cette exécution exigeait la présence d'un envoyé du poète, chargé de ses instructions. Pour la Vie Olympique, ce fut cet Énée ; Pindare le compare à la scytale. En effet, sans lui, l'exécution chorale et instrumentale aurait été impossible ; il connaît l'oeuvre entière du poète, non seulement la poésie, mais les airs de musique, les figures de danse ; il apporte ainsi un message dont lui seul a le secret: il fait fonction de scytale Certaines allusions, qui nous sont fournies à propos d'événements politiques, marquent aussi l'impression que la scytale avait produite sur les peuples amis ou rivaux de Sparte. « Avec une petite scytale, vous pourrez maintenant gouverner Thèbes n, disait Léontiade aux Spartiates, après qu'il leur eut livré sa patrie On retrouvait dans le secret de ces correspondances quelque chose de ce mystère, qui était un des moyens de gouvernement les plus usités à Sparte'. On a parfois cherché, mais sans raison suffisante, à retrouver la scytale sur des peintures de vases `. Au point de vue paléographique, il faut noter cet emploi de la courroie, du cuir, comme matière propre à recevoir l'écriture. Déjà, longtemps avant. l'invention du parchemin, les ôt f0ipcet sont mentionnées pour ce même emploi [DIPLITHERA, MEMBRANA] A l'époque classique, en effet, les menlbranae sont très usitées ; ces peaux préparées servent pour les brouillons. Plutarque, dans la 'description de la scytale, dit que la bande roulée autour du bâton était du papyrus ° ; il se trompe ; le papyrus aurait été trop fragile pour un tel service ; c'est une courroie, une sorte de parchemin dont usaient les Spartiates. Nous avons là-dessus le témoignage d'un poète comique contemporain d'Aristophane, Nicophron, qui avait pu voir lui-même des scytales 7. Certains auteurs, entre autres Aristote s, auraient parlé d'autres façons d'employer la scytale. On dit qu'on fendait le bâton en deux, et qu'on écrivailla dépêche au milieu ; ou bien qu'on envoyait la courroie par un messager, le bâton par tin autre 9 ; il est question aussi de la scytale comme moyen de prouver une dette10. ALBERT MsRnx.