Le Dictionnaire des Antiquités Grecques et Romaines de Daremberg et Saglio

Article SERICUM

SER 1252 SER Le commerce d'exportation, lui aussi, a commencé très lard. Le ver à soie des mûriers de l'Inde, auquel fait allusion le Ramayana, appartient à une espèce à cocons jaunes, bien différente du ver à cocons blancs de la Chine septentrionale'. Les Égyptiens et les Hébreux ignoraient les soieries 2. D'après Tertullien et Procope les vêtements nationaux des Mèdes, que décrivaient déjà IIérodote et Xénophon, étaient des robes de soie' ; mais il ne devait pas en être ainsi dès l'origine ; la soie fut sans doute substituée tardivement à la laine, sans que l'on changeât la forme et la coupe caractéristiques de ces vêtements . Le premier auteur classique qui parle des cocons du bombyx et des tissus qu'on en tire est Aristote, dans un passage peu clair et probablement mutilé de son histoire des animaux', qu'a reproduit Pline l'Ancien° ; le nom du bombyx rappelle celui du vase à boire appelé o oêui,tiç ou iiop êtiari [ROMRYL1os1 et fait allusion à la forme des cocons. Il faut attendre le siècle d'Auguste pour trouver chez les écrivains grecs et latins des textes explicites sur l'usage des soieries 7. A côté des sericae vestes proprement dites, importées d'Extrême-Orient, les anciens désignaient sous les noms ou moins analogues, qui venaient d'autres régions'. Les premières étaient fabriquées surtout en Assyrie"; on se servait pour les tisser de la substance que secrètent différentes espèces inférieures de bombyx", à l'état sauvage ou domestiquées", dont les cocons, au lieu de se laisser dévider comme ceux des bombyx mori de Chine, devaient être raclés au peignet2; la matière textile ainsi obtenue 13, grisâtre ou jaunâtre, n'avait pas la blancheur éclatante de la soie véritable. Les bombycinae vestes n'ont paru pour la première fois dans le monde romain qu'à la fin de la République ou au début de l'Empire ; Properce" et Juvénal" les citent; Martial, à plusieurs reprises, vante leur légèreté et leur transparence". Les auteurs d'époque postérieure qui les mentionnent les opposent nettement aux sericae vestes, plus fines et plus brillantes". Les coae vestes ne sont autre chose que les bombycinae fabriquées particulièrement dans Pile de Cos"; elles étaient faites, elles aussi, avec une matière textile tirée du bombyx ; les indications d'Aristote, qui déjà les signale 19, et les détails que donne ensuite Pline l'Ancien" ne laissent aucun doute sur ce point; toute la question est de savoir si l'on utilisait dans les manufactures de Gos une matière brute importée d'Asie ou. au contraire, les secrétions d'ut bombyx indigène 21 ; la seconde hypothèse est de beaucoup plus vraisemblable. On appréciait surtout ces étoffes. au moins dans certains milieux, à cause de leur extrême transparence; elles voilaient à peine les formes du corps; les moralistes s'en indignentV2; les poètes nous apprennent, en outre, qu'elles étaient très peu épaisses23, qu'on les teignait souvent de pourpre" ou qu'on y appliquait des broderies d'or25, et enfin qu'elles coûtaient très cher". Ce qu'il y a de plus remarquable, c'est que tous les textes qui les concernent, sauf celui d'Aristote '27, appartiennent à la même époque: le temps d'Auguste et des premiers empereurs ; après Pline, aucun auteur ne prononce même plus leur nom 2'. Elles semblent avoir entièrement disparu du monde romain à partir de la fin du ter siècle de notre ère, c'est-à-dire précisément à partir du moment oit la mode des soieries chinoises achevait de s'imposer à l'Occident; les étoffes de Gos ont moins bien supporté encore que les autres bombycinae vestes la concurrence écrasante des sericae. Sur la nature de la vraie soie blanche d'ExtrêmeOrient, les Grecs et les Romains n'ont eu, jusqu'au temps de Justinien, que des notions très imparfaites. En général, ils ne se doutaient pas qu'elle était extraite, comme le tissu des bombycinae et des coae vestes, des cocons d'un bombyx. La plupart des auteurs la croyaient d'origine végétale ; les uns y voyaient une sorte de byssus tirée de l'écorce des arbres", les autres un duvet recueilli comme le coton, sur les feuilles'''. Pausanias le premier déclare que la soie des Sères est le produit, non pas d'une plante, mais d'un ver ; il décrit les soins minutieux dont on entoure ce ver pour assurer sa croissance, ainsi que les mues successives qu'il subit 31 ; après lui, quelques écrivains chrétiens ont rappelé incidemment avec mépris que les soieries magnifiques dont s'enorgueillissaient les riches étaient dues au travail misérable d'un ver. La soie chinoise a été importée dans le monde romain de trois façons: d'abord et surtout sous forme d'étoffes de soierie, ôOdvta cvptx«32, sericae vestes" ; puis sous forme de fils, v=Gxa rrrletxévsericum nema 3j, enfin sons forme de soie grège, matière brute non encore préparée pour la teinture et le tissage, p-éTaça.36 ou melaxa S7. SER 1253 SER Au i' et au ne siècle, à la suite des progrès momentanés de la domination chinoise dans la direction de l'Occident aux contins de la Scythie d'Asie, le grand marché de la soie était le pays des Issédons (Turkestan chinois), avec les deux villes frontières d'lssédon Serica (Khotan) et d'Issédon Scythica (Kachgar) ; c'est là qu'aboutissait la route des négociants chinois, venus des pays producteurs du nord (Chan-toung, Chen-si et Chan-si), aux environs de leur capitale, Sera metropolis (Si-ngan-fou); c'est de là que partaient les deux princi de l'intermédiaire des Parthes ; Maes fit reconnaître toutes les étapes et relever exactement les distances; Ptolémée a eu communication de son rapport et s'en est inspiré' ; le point de départ des caravanes était, auprès d'Issédon Scytltica, le lieu dit de la Tour de pierre, d'où il fallait encore sept mois de voyage pour gagner la capi tale des Sères; la route traversait le pays montagneux des Comedae, s'infléchissait vers le sud pour passer à Bactres, puis à Hecatompylos et aux Portes Caspiennes ; elle traversait la Médie et l'Assyrie avant de rejoindre pales routes vers le bassin méditerranéen, suivies d'abord par les négociants orientaux, babyloniens, syriens ou égyptiens', puis par les négociants grecs (fig. 6370) '. La route de l'Indus est décrite déjà dans le Périple de la nier) rythre'e 2, rédigé par un Grec d'Alexandrie àla fin du règne de Néron: les marchandises étaient dirigées sur la ville de Minnagara, entrepôt de l'intérieur et embarquées à Barbaricon pour les ports babyloniens du golfe Persique et les ports égyptiens de la mer Rouge. La route de l'Euphrate fut explorée au ne siècle par un marchand de Syrie nommé Maes Titianus, qui essaya de nouer des relations directes avec l'Asie centrale en s'affranchissant l'Euphrate. Ptolémée connaît une autre route de la soie, celle du Gange', qui aboutissait au marché de Palibothra et qui se rattachait par le fleuve Bautisos et le pays des Bau Me (Thibetoriental), non pas àla Sera metropolis du nord, mais aux provinces occidentales de la Chine (Szé-tclfouen), oit la sériciculture était aussi très développée à cette date. Une quatrième route, toute maritime, est indiquée par Pausanias: pour lui la soie vient de l'île Seria, au fond de la mer Erythrée, à l'embouchure du fleuve Sera ; il veut parler évidemment du Tonkin et du delta du fleuve Rouge, où Ptolémée plaçait le peuple des Sinae, voisin des Sères, avec leur port de SER 1254, SER Cattigara' ; d'après les documents chinois, en l'année 166 de notre ère, une ambassade envoyée par le roi de Tatsin (l'Empereur romain) aurait abordé au Ji-nan (Tonkin) ; il s'agit très certainement d'une tentative analogue à celle de Maes Titianus, faite, sans aucun caractère officiel, par des négociants sujets de Rome, habitant la Syrie ou l'Egypte, pour ouvrir de nouveaux débouchés au commerce de la soie : juste à ce moment, les guerres de Rome avec les Parthes et le recul de la Chine vers l'Est compromettaient la prospérité du marché des Issédons et des routes de l'Euphrate et de l'Indus. Une seconde ambassade est mentionnée en 226. Ces premiers essais de relations maritimes entre IaC!fine et l'Occident n'ont pu donner naissance à un courant suivi d'échanges et les autres routes restèrentseulesfréquentées jusqu'au moyen âge'. Le terme général sous lequel on désignait au début les vêtements de soie dans le monde romain était celui de sericae vestes. Dès le 1cr siècle de notre ère, ces vêtements furent très recherchés à Rome par les femmes et tout particulièrement par les princesses de la famille impériale3; une inscription nous fait connaître, sous le règne d'Auguste, le nom dune esclave de Marcella, Thymele, qui était siricaria c'est-à-dire chargée du soin de sa garde-robe de sericae vestes. Les hommes ne tardèrent pas à porter, eux aussi, des robes de soie ; sous le règne de Tibère, en l'an 16, un sénatus-consulte leur interdit vainement d'en faire usage'; Caligula parut luimême en public avec un pareil costume'. On se servait également de la soie pour faire des couvertures et des coussins'. Les marchands de soieries s'appelaient sericarii1 ou siricarii9, negotiantes10 ou negotiatores" sericarii, en grec or,ptxcrcoto(12 ou atp-tixsp ot 13 ; beaucoup d'entre eux étaient d'origine orientale, syrienne1' ou juive". Les institores gentmarum sericarumgue vestium que mentionne Sénèque 16 faisaient le commerce de détail et le colportage. Il ne semble pas que les étoffes qui avaient cours en Occident avant le me siècle fussent entièrement en soie. Selon toute apparence, tant que l'on n'importa pas régulièrement en Europe les fils de soie non tissés et la soie grège, les tissus chinois furent traités comme une matière première, et retravaillés à leur arrivée : ils subissaient l'opération du parfilage, qui permettait de dissocier les fils de soie et ensuite de les teindre et de les tisser à nouveau, en y mêlant du lin ou du coton ; on obtenait ainsi des étoffes à la fois moins chères et moins lourdes 1l. C'est seulement au me siècle qu'il est question de vêtements entièrement en soie, holosericae vestes, auxquels s'opposent les vêtements de demi-soie, les sericae vestes de l'époque précédente, appelées désor mais, pour éviter toute confusion. subsericae ou tramasericae vestes, dans lesquelles la trame seule du tissu est en soie et la chaîne en une autre matière, lin ou laine'"D'après l'Histoire Auguste, Elagabal serait le premier qui ait porté à Rome une holoserica ventis 19; ses successeurs se refusèrent à suivre son exemple20; l'empereur Tacite interdit même ce costume aux hommes21. En revanche, et bien que la soie valût alors son pesant d'or 22, l'emploi des subsericae vestes se répandit de plus en plus, aussi bien parmi les hommes que parmi les femmes23 ; les empereurs en faisaient des distributions, àl'occa.sion des jeux et des représentations théâtrales ou musicales 24L'édit de Dioclétien sur le maximum, en 301, témoigne des progrès du luxe et de la faveur que rencontraient alors les holosericae et subsericae vestes; il est question de ces vêtements dans cinq chapitres différents de l'édit. On faisait en soie et en demi-soie des dalmatiques d'hommes et de femmes et des vêtements de dessous à bande de pourpre ou sans bande25; ces derniers étaient ornés souvent de broderies, exécutées par les plumarii°6; les barbaricarii appliquaient sur la soie des broderies d'or plus ou moins fines: leur salaire, estimé à la tâche, variait selon la qualité du travail". Dans l'édit, le a-Etpttt ptos, sericarius, est l'artisan qui tisse la soie; il est payé à la journée; celui qui fabrique des subsericae vestes et celui qui fabrique des holosericae vestes unies touchent vingtcinq deniers par jour, celui qui tisse les holosericae vestes à carreaux, scutulatae2", quarante deniers29. En 301, le prix maximum de la livre de soie blanche, c'est-à-dire d'origine chinoise, était fixé à douze mille deniers 39. Les ouvriers qui procédaient au moulinage des écheveaux de soie importés d'Asie, c'est-à-dire qui déroulaient les pelotes embrouillées pour les retisser, gagnaient soixante-quatre deniers par livre". On teignait la soie en pourpre ; la livre de soie grège teinte avec la pourpre de la meilleure qualité (blatta), la seule que l'on utilisât dans ce cas, la tiErXW)uirT-t) 32, ne coûtait pas moins de cent cinquante mille deniers la livre; la soie pourpre valait douze fois et demie plus cher que la soie blanche et trois fois plus cher que la meilleure laine pourpre; d'autre part, on ajoutait des bordures et des bandes de pourpre aux vestes holosericae et subsericae33. Malgré l'élévation des prix, la soie blanche ou pourpre continua sous le Bas-Empire à tenir une place de plus en plus grande dans l'habillement des anciens3't. Ammien Marcellin prétend que même les gens de médiocre condition l'avaient adoptée"; il signale, sous le règne de l'empereur Julien, le développement croissant de l'industrie et du commerce de la soie 36. Au temps de Sym SER 1255 SER maque ce ne sont plus seulement des subsericae vestes', mais aussi des holosericae que l'on distribue aux jeux2; Macarius note que les courtisanes portent des b)wavptxz'. D'après saint Jérôme, ceux qui ne se servent pas de vêtements de soie sont regardés comme des moines 4. C'est en vain que les Pères de l'Église protestaient contre cet engouement; les Gaulois et les Barbares eux-mêmes partageaient le goût des Romains et des Byzantins. La loi de 383, qui défend aux mimes de porter des sigillata serica et des soieries brodées d'or, leur permet le port des soieries unies et n'impose aucune restriction aux autres femmes 9. Les empereurs exploitaient à leur propre bénéfice les penchants de leurs sujets; une série de lois réserva expressément aux ateliers ou gynécées impériaux l'industrie de la soie, exercée maintenant, à côté des sericarii, par les holosericopratae et les metaxarii 7 : à partir de 369 les gynécées ont seuls le droit de fabriquer les étoffes tissées d'or et de soie 8 ; en 406, Arcadius exige qu'on leur livre à l'avenir toute la soie grège et toute la soie teinte en pourpre qui entreront dans l'Empire 9 ; en 424, Théodose Il interdit aux particuliers de fabriquer des vêtements de soie et ordonne d'apporter au Trésor tous ceux qui existent déjà '6. La main mise de l'État et les complications extérieures firent naître, pendant le règne de Justinien, une crise très grave 11. Les guerres entre l'Empire et la Perse arrêtèrent l'importation des matières premières; les soieries devinrent extrêmement rares et atteignirent des prix considérables ; Justinien crut pouvoir fixer d'office leur valeur maxima à 8 sous d'or la livre. Les marchands renoncèrent à un commerce qui les ruinait; ceux de Tyr et de Béryte fermèrent Ieurs magasins, et beaucoup d'entre eux s'expatrièrent en Perse, tandis que le connes largitionziln, de qui dépendaient les ateliers impériaux et qui n'était pas tenu d'observer le tarif maximum, vendait la soie teinte ordinaire jusqu'à 6 sous d'or l'once, soit 72 sous d'or la livre, et la soie pourpre quatre fois plus cher. L'introduction à Constantinople de la culture du ver à soie du mûrier à cocons blancs vint heureusement, peu de temps après, mettre un terme à cette situation difficile et ouvrir une ère nouvelle dans l'histoire de la