Le Dictionnaire des Antiquités Grecques et Romaines de Daremberg et Saglio

Article SEXTULA

SEXTULA. Monnaie de compte romaine valant 1/6 de l'once ou 1/72 de l'as [As]. Elle se marque par le sigle e : il y avait aussi une dimidia sextuia ou duella qui se marquait 22 '. F. LENONMANT, l'histoire des religions grecque et romaine, de question plus complexe et, à certains égards, plus décevante que celle des Sibylles et des oracles qui se recommandent de leur nom. On ne sera pas surpris si, à cette place, nous négligeons un certain nombre de problèmes qui ont défrayé l'érudition depuis le xvm° siècle, et si nous retenons ceux-là. seuls qui intéressent la science positive de l'antiquité classique. Un article spécial ayant traité (le la magistrature sacerdotale qui, à Rome, fut chargée de la garde et de la consultation des livres Sibyllins (neuSVJSt, n, 2, p. 4.26-442 ], nous pourrons borner notre tache à l'historique des Sibylles et à quelques faits nouveaux qui, mis en lumière au cours de ces vingt dernières années, ont permis ou de redresser des erreurs ou de compléter des résultats (lignes d'une attention particulière. 1. Origine et nature des Sibylles. Il n'est question des Sibylles, soit explicitement, soit sous forme d'allusion, ni chez Homère et Hésiode, ni chez aucun écrivain grec ant,érieurementà la fin du vi"siècle avant notre ère'. Pour Homère, le fait est d'autant plus digne de remarque que les traditions postérieures, auxquelles il est impossible de refuser un fondement historique, font remonter l'origine des Sibylles aux temps mêmes de la guerre de Troie et qu'elles placent leur berceau dans la région du mont Ida. Bien plus, c'est dans certains poèmes homériques, dans le vingtième chant de l'Iliade dont cette SIB 1288 SIB partie est postérieure à Homère, et dans l'Hymne homerigac à Aphrodite qui est, plus récent encore, qu'il faudrait chercher les premières traces des prophéties Sibyllines'. C'est la Sibylle du mont Ida qui aurait annoncé la future grandeur de la race des Aenéades, et sous son inspiralion que les Ilomérides lui auraient donné place dans l'Iliade et dans les hymnes. Mais cotnrne toutes les prophéties que l'évènement vérifie, celle-là a été composée après coup ; d'ailleurs, le temps viendra où elle perdra son caractère hellénique pour s'appliquer aux faits légendaires de Rome'. Nous avons donc là un premier spécimen, en partie double, de l'usage que la politique, l'histoire et la poésie, à qui la politique donne son mot d'ordre, font du nom et de l'autorité des Sibylles. Ni le véritable Homère ni les poètes qui lui ont succédé n'y sont pour rien : le silence absolu des lettres grecques jusqu'au temps de Platon en est une preuve suffisante. A défaut d'un texte assez reculé pour qu'on puisse dater dTlomère la tradition de la Sibylle, on a tenté de se rabattre sur l'exptication étymologique du nom et sur celle de l'idée qu'il confirme'. Mais la linguistique qui, dans les questions d'origine, apporte souvent de précieuses lumières, s'est déclarée impuissante ou n'a fourni, en ce qui concerne l'origine des Sibylles, que des explications sans portée. « Il n'y a pas d'étymologie grecque probable pour 2'féu),),a, ce qui ne veut pas dire qu'il ne soit pas grec, les mots de cette langue qui sont d'origine obscure étant nombreux... En somme, la linguistique sur toute cette question ne peut guère fournir que des données négatives, en opposant son veto à des étymologies anciennes et modernes lancées à la légère''. » Elle fournit aussi des solutions impossibles à vérifier, lorsque chez Klausen, qui a démesurément étendu la question ries Sibylles en l'embrouillant, elle suppose que leur nom est à rapporter à quelque idiome asiatiques. Mais si le nom de la Sibylle est par lui-même obscur, l'idée générale de l'être qu'il désigne est des plus répandues, puisqu'elle est commune à tous les peuples de race indo-germanique et que toutes les religions primitives de cette race nous en offrent des personnifications : c'est l'idée de la femme douée de la vertu prophétique, à raison de sa nature sensible, plus propre par conséquent que celle de l'homme à entrer en rapport direct avec l'esprit divin et à en dérober la science : divinitas et quv'dam coelitunt societas nobilissima ex feminis in Sibylla fuit °. Pour les Grecs, il est établi que dans le culte dorien d'Apollon, les femmes sont devenues, de très bonne heure, les interprètes du dieu, et en vertu de la considération où la race tenait leur sexe en général, et à cause de l'aptitude souvent constatée de la nature féminine pour le délire extatique [1)10'INATIO, onnett.i-M'. C'est ainsi que l'on cite, comme prophétesses attachées au culte d'Apollon, Manto à Ismène età Claros, laquelle dans la légende postérieure est une Pythie identique à Daphné et devient la Sibylle thébaine' ; Cassandra à'fhynlhraea, dont Ilomère ignore encore les facultés divinatoires, mais qui par Pindare déjà est appelée la o Vierge prophétique n et dont les prédictions sombres et farouches ont le caractère même qui sera celui des Sibylles °. Eschyle, qui ignore la Sibylle, dans la scène fameuse de l'Agamentnon où il fait dialoguer Cassandra avec le choeur, lui prête le langage et l'altitude délirante qui seront ceux des Sibylles1°. Si au lieu de comparer celles-ci avec les héroïnes de la légende qui ont possédé le don de prophétie, on les rapproche des Pythies de Delphes, lesquelles sont dans l'histoire les plus anciennes d'entre les prêtresses inspirées par Apollon, les ressemblances ne sont pas moins frappantes. En fait, il n'y a pas de différence, à l'origine, entre les Pythies et les Sibylles; quand sous l'influence de causes diverses dont il sera question plus loin, celles ci deviennent devant l'opinion gréco-romaine les prophétesses par excellence, le nom de Sibylle servira à désigner, suivant la définition des lexicographes et des grammairiens, toute vierge, toute femme à qui les dieux ont accordé le don de prophétie". Cependant, le nom même de Sibylle n'apparaît pour la première fois que dans un texte d'lléraclite d'Ephèse, qui nous a été conservé par Plutarque. Le philosophe parlant des prophéties de la Pythie dit que le dieu de Delphes ne dévoile ni ne dérobe aux hommes l'avenir, mais qu'il fournit des indices pour les conjecturer; et, à ce sujet, il dépeint, dans le style heurté et obscur qui Iui est habituel '2 « la Sibylle qui d'une bouche délirante profère des oracles sans, joie, sans ornement, sans parfums, que sa voix fait résonner pour mille années sous l'influence du dieu.» Ce témoignage, dont l'authenticité est difficilement contestable'', n'est guère postérieur aux dernières années de la royauté romaine, au temps, par conséquent, où la légende mentionne les premiers rapports de Rome, personnifiée par Tarquin le Tyran, avec la Sibylle qui y aurait apporté les livres mystérieux de la destinée Mais en Grèce cette Sibylle unique va rester la seule connue jusqu'aux temps d'Alexandre le Grand, et connue dans les conditions telles que ni la poésie, ni l'histoire, ni l'art n'ajoutent rien à la description sommaire dont nous sommes redevables à Héraclite. Si l'on remarque que Hérodote dont le goût pour les légendes pittoresques et les manifestations variées de la superstition est notoire, VIII 162 1289 SIH ne parle nulle part de la Sibylle, alors que l'occasion s'en offrit souvent à lui, on peut affirmer que cette personnification féminine de l'esprit, prophétique dut rester confinée pendant un siècle et demi dans des centres de médiocre renom et considérée par l'opinion comme un produit importé de quelque culte étranger. C'est., d'ailleurs, avec ces dispositions qu'en parle Aristophane, dont laVer'Ve aime à s'exercersur les eruyances superstitieuses. Le verbe iltôunÂt`xv qu'il a forgé, lui sert pour désigner les divagations du vieux Minos, au cours de la guerre du l'éloponèse, période où, comme plus tard chez les Romains pendant les guerres Puniques, les désastres répétés orientèrent les esprits vers une religiosité maladive'. Lamèlne nuance se retrouve dans la comédie de la Paix : après une allusion assez énigmatique à l'autorité d'Jiomère en matière de prescriptions pieuses, qu'un personnage semble contester au nom de la Sibylle, quand le moment est venu de partager les viandes du sacrifice, le partisan de la tradition antique engage le novateur à manger la Sibylle, c'est-à-dire à se contenter de viande creuse La croyance à la Sibylle est bien pour A.risl.ophane de l'ordre des supers Li Lions absurdes et ridicules. Cependant, la philosophie de son temps, qui n'a, pas les mêmes raisons de polémique, en parle avec une considération relative par la bouche de Platon". Pour celui-ci, la Sibylle est, avec la Pythie de Delphes et les prêtresses de Dodone, au nombre des prophétesses inspirées qui déchirent les voiles de l'avenir. En même temps qu'il l'associe à ces figures de la religion officielle, il nomme Rakis, un clireslnologue de sexe masculin dont l'autorité fut si grande que sa personnalité se multiplia, chaque pays voulant en avoir un qui lui appartint en propre'. Le plus éminent, qui engendra les autres, était Bidcis de Béotie dont les oracles furent, célèbres durant, les guerres Médiques, de même que les oracles des frères Marcii devaient l'être dans Rouie au Letnps des guerres avec Carthage'. Son existence était purement mythique et on le disait instruit par les nymphes ; question de sexe mise à part, les Bakides et les Sibylles, qui vont se mulLiplier comme eux, sont des produits semblables de l'imagination religieuse que surexcitent les événements extraordinaires a. C'est chez Aristote que nous les retrouvons associés, au pluriel cette fois les uns et les autres ; et le philosophe interprète leur faculté prophétique ou plutôt leur prétention à cette faculté, par une complexion morbide' ; en même temps, un de ses disciples immédiats nous apprend que la première Sibylle est contemporaine de Solon et de Cyrus'. De tous ces écrivains, le seul dont on puisse conjecturer qu'il avu et fréquenté une Sibylle est I-Iéraclite. C'est qu'Ephèse d'où le philosophe est originaire est située dans la région où la légende et l'histoire phi cent le berceau de la plus ancienne Sibylle. Mais avant d'aborder ce point, il est possible, en nous aidant, de témoignages plus récents, de définir d'une façon plus précise et l'être de toutes les Sibylles en général et les conditions dans lesquelles s'est éveillée et exercée leur faculté, prophétique. Un de leurs historiens récents a pu dire qu'elles sont a une des créations les plus originales et les plus nobles du sentiment religieux en Grèce " e. Dans la série des ares forgés par l'imagination mythique, elles occupent une place à part: elles ne sont pas des divinités honorées d'un culte; et quoique, à certains points de vue, elles rappellent les Nymphes et les Muses, soit pour leurs origines, soit pour leurs fonctions 1', elles ne sont pas non plus des héroïnes mêlées aux légendes locales et apparentl'es aux rois et aux fondateurs de cités; moins encore des l'ennnes mortelles, simples prêtresses à la façon des Pythies ou des nnFlionez.r, bien qu'elles rendent comme elles des oracles ou qu'elles soient attachées au service de quelque sanctuaire". Si elles tiennent à la fois des héroïne-s rattachées à l'humanité par leur descendance et des prêtresses qui ne perdent pas le caractère humain en exerçant une fonction sacrée, elles diffèrent d'elles parce( que, comme les dieux eux-mêmes, elles paraissent agir et prophétiser en dehors des conditions de la durée, échapper aux lois de la naissance et de la mort et exister par elfes-mêmes, en vertu de leur tache surnaLurelle t'. En un mot, elles sont les personnifications féminines de la science qui pénètre l'avenir par une communication constante avec la science des dieux. Tout en se multipliant, grâce aux rivalités d'influence des milieux oit s'exerce leur action, elles sont partout la représentation du mimé inc pouvoir, comme si toutes ensemble elles n'étaient que la même voyante recréée sur divers points, par la puissance du dieu dont elles relèvent el, qui les prolonge ou les expatrie, sans pour cela les remplacer jamais. Les mythologues qui, dans un besoin d'ordre sel ('n Li tique, leur ont fabriqué des généalogies et qui les ont fait voyager partout où se rencontrent dos oracles, n'onL pas réussi à effacer ce caractère universel de leur type 1". Parties de l'unité, elles y retournent dans l'opinion de leurs fidèles ; la Sibylle de Cumes qui chez Virgile clèL le cycle des Sibylles gréco-romaines à la fin du ter siècle avant notre ère, est identique à la Sibylle la plus anciennement connue qu'a dépeinte Héraclite, comme elle est identique Lia vieille femme inspirée qui vend ses prédictions au dernier des Tarquins. Cependant, pour qu'une figure de Sibylle surgisse sur quelque point donné du monde ancien, certaines conditions de milieu ont été nécessaires : Klausen a vu piste lorsqu'il a montré que l'être des Sibylles et le caractère de leurs oracles s'expliquent partout en vertu des mêmes SIB .1290 SIB phénomènes de la nature et par la présence, dans les lieux où ces phénomènes se rencontrent, d'un culte d'Apollon La mère mythique de la plus ancienne des Sibylles est Hydolé, c'est-à-dire une nymphe. Ses prophéthies sont la voix des eaux qui coulent et celle des vents qui s'engouffrent dans le creux des récifs et des cavernes, dont la résonnance prend dans certains cas comme une articulation de paroles intelligibles 2. Et les oracles se fixent dans l'assemblage varié des feuilles d'arbre emportées à l'aventure et qui tendent à former coulure une sorte de document écrit, jusqu'à ce que les causes qui l'ont produit le dispersent à nouveau pour l'anéantir Voilà les premiers éléments de la divination par les Sibylles, ce qui en explique l'infinie variété, le mystère et l'inconsistance. Il y en a un autre qui n'a pas été moins bien relevé par lilausen : c'est la nature volcanique, ignée du sol, où l'esprit prophétique opère par une sorte de communication avec le feu intérieur. La terre aride et rougeâtre, les émanations sulfureuses se retrouvent dans la plupart des lieux où l'imagination plaçait un oracle Sibyllin; c'est le cas pour Gergis et Marpesoss en Troade, pour Érythrée d'Ionie, pour Cumes et même pour la Sibylle apocryphe de Tibur en Italie 4. Cette coexistence des rochers à l'aspect fantastique et sinistre, de l'eau qui coule souterraine avec de sourds mugissements et enfin des phénomènes volcaniques est, d'ailleurs, en harmonie avec la physionomie même de la Sibylle qui en est l'interprète. Celle-ci nous est présentée partout comme une femme d'âge indéterminé, au tempérament sauvage, emporté et triste, qui se confine dans une inflexible virginité Et ses oracles n'ont besoin d'aucun appareil cultuel comme ceux de Delphes et des temples élevés à Apollon dans les milieux civilisés ; la science de l'avenir passe directement, sans aucun intermédiaire factice, dans celle de l'être surnaturel qui la communique aux hommes ". Enfin, cette science est généralement subordonnée à quelque événement funeste ou terrifiant, soit qu'elle l'annonce simplement, soit qu'elle suggère le moyen d'en conjurer les conséquences 7. Comment la Sibylle qu'Iléraclite a rencontrée au vie siècle dans l'lonie asiatique, au voisinage d'Ephèse, s'est-elle répandue en se multipliant à travers le monde hellénique pour aborder sans doute, plusieurs siècles avant, par l'émigration ionienne, à Cumes d'Italie? Cotte diffusion est un des exemples les plus frappants de la faculté qu'ont, non pas seulement les croyances, mais les personnifications mythiques, de se reproduire à la faveur des migrations de peuples 8, partout où ceux-ci vont fonder une nouvelle patries. Mais tandis que les héros dont le type le phis frappant est Énée que la légende fait vivre et mourir dans le même temps sur des rivages divers, n'ont qu'une existence fabuleuse, malgré les efforts tentés par leurs adorateurs pour leur en donner une historique 10, les Sibylles coexistent réellement plusieurs, sans que leur personnalité voyage, par le seul fait de la diffusion du culte dont elles sont les ministres et des oracles qui sont l'attrait principal de ce culte. Lorsqu'on remonte des Sibylles les plus récentes vers celle qui ale point de départ le plus lointain, on aboutit à une femme dont l'action prophétique s'est exercée non loin de Troie, dans une région où Hérodote nous apprend que la royauté de Priarn a survécu après la ruine de la ville et dont le centre le plus important est la ville forte de Gergis ou Gergithe, dans les forêts de l'Ida. Cette ville possédait un temple d'Apollon et un oracle interprété par une Sibylle". Un peu plus au nord se trouvait un bourg, situé dans un lieu sauvage, du nom de Marpessos, qui partagea avec la ville l'honneur d'avoir abrité ou cette même Sibylle ou une prophétesse analogue 12. Les habitants de la région entretenaient, dès la plus haute antiquité, des relations avec la ville de Cyméd'Eolie, dont les émigrants colonisèrent au xie siècle av. J.-C. la ville de Cumes sur le golfe de Naples, y transportant avec eux le culte d'Apollon et les oracles de la Sibylle 13. Et comme Gergithe avait partagé sa prophétesse avec Marpessos, Cymé devait retrouver la sienne à Érythrée, située plus au sud sur le golfe Herméen, voisine, d'autre part, de Colophon et d'Ephèse où l'on signale également une Sibylle 14. Toutes les traditions concordent ainsi à faire du pays qui borde l'Hellespont et la mer Egée, depuis Ilion et Alexandrie de Troade jusqu'à Ephèse et à l'île de Samos, le berceau des oracles mis sous le nom des Sibylles, pour les rattacher à une première Sibylle qui serait originaire de Gergithe t3. La priorité de cette Sibylle Marpésienne ou Troyenne, appelée Hérophilé, fut disputée au cours des âges par Erythrée, colonie ionienne 1t ; en 76 av. J.-C., c'est en effet SI13 1291 SIlI à Erythrée et à Samos, île voisine, que le Sénat et les Décemvirs S. F. allèrent chercher de préférence le pur esprit de la prophétie Sibylline'. Gergithe, d'ailleurs, à cette époque, n'était plus qu'une humble bourgade plus délaissée encore qu'Ilion et beaucoup moins connue'. Il s'était produit pour la Sibylle un phénomène analogue à celui qui avait multiplié les prétentions des villes (l'Asie Mineure à l'honneur d'avoir enfanté Ilomère 3. Colophon qui possédait un oracle que l'on consultait par le moyen de l'eau et une Sibylle qui buvait l'inspiration à la source sacrée, revendiquait, elle aussi, une priorité fondée sur la renommée de son culte ; et Colophon avait pour rivale Samos oit prophétisait une Sibylle nommée Phyto 4. On a conjecturé avec raison que la tête de femme à l'expression grave qui figure, avec les emblèmes du laurier et de la lyre, sur certaines monnaies de Colophon, représente la Sibylle. Dans tous ces lieux existait un culte célèbre d'Apollon, et les légendes locales faisaient de leur Sibylle ou la fille ou la soeur ou même l'amante du dieu II était inévitable que les Sibylles, dans tout l'attrait de leur nouveauté, tendissent à se substituer dans les temples d'Apollon, par toute la Grèce, aux prêtresses traditionnelles qui y rendaient des oracles. Du moins cette substitution est-elle un des faits saillants de l'histoire des Sibylles, telle qu'elle s'établit au déclin du paganisme, au gré de la fantaisie des Périégètes et sous l'influence duphilosophisme religieux'. Il est probable qu'à Claros, à Samos, à Délos, où l'on signale des Sibylles, celles-ci n'ont été que les remplaçantes, plus nominales que réelles, des anciennes Pythies ; du moins à Delphes, c'est ainsi que se passèrent les choses'. La Pythie y fut un jour identifiée avec la Sibylle ; on disait que comme telle, elle buvait l'eau de la fontaine de Castalie jaillissant du rocher en face du Bouleutérion; et l'on racontait que née avant la guerre de Troie, elle avait rendu des oracles dont Homère aurait accueilli les vers dans ses poèmes. Et quand la Sibylle se fut ainsi installées au centre par excellence du culte d'Apollon, la légende delphique s'attacha à établir la priorité de la Pythie sur la Sibylle qui avait pris sa place ; celle-ci ne fut plus que la néocore d'Apollon Sminthien, dans le sanctuaire duquel on montrait son tombeau. Une colonne s'y élevait, témoignant par une inscription des services qu'elle avait rendus au dieu; tout auprès étaient érigées une statue d'Hermès, dieu de la persuasion, et les images des Nymphes dont la Sibylle avait été la compagne 9. Mais qu'il s'agisse du rayonnement de la religion Sibylline en Troade et dans les villes de l'Ionie asiatique ou que nous la suivions sur le continent grec, où, d'ailleurs, elle n'a joui que d'une médiocre faveur, c'est sa parenté avec le culte d'Apollon, jointe à son caractère mystérieux et étrange, qui explique sa diffusion. A ces témoignages d'ordre littéraire et qui seraient plus démonstratifs s'ils étaient contemporains des faits et des légendes qu'ils expriment, nous pouvons joindre quelques monnaies, elles-mêmes d'une époque relativement récente, qui affirment la popularité des Sibylles, dans les centres oit elles peuvent revendiquer la plus haute antiquité. La plus ancienne de ces monnaies est sans doute celle de Gergithe de Mysie, bourg distinct de Gergithe de Phrygie où nous avons rencontré la première Sibylle et où, d'ailleurs, au témoignage de Pldegon de Tralles, on avait aussi frappé des monnaies à son effigie. Celle de Mysie porte au droit une figure de femme (quelques interprètes y ont vu une tête d'Apollon) qui frappe par son expression grave et même irritée; au revers, il y a une image de Sphinx, qu'on a interprétée comme un symbole de prophétie funeste ou de châtiment consécutif à une violation des prescriptions de la Sibylle (fig. 6391)10. La sphynx elle-même est appelée chez Sophocle, la vierge prophétique aux ongles crochus et l'on a conjecturé,avcc raison semble t-il, que son type farouche a dit fournir des traits à celui de la Sibylle''. A Érythrée nous trouvons une mon naie dont le droit représente une fig. G392. _La Sibylle tète de femme aux cheveux hérissés, a'frythréc. auxtraits irrités, le revers un flambeau allumé (fig.6392)1'. De même provenance et plus intéressante est la monnaie qui montre une femme assise sur un rocher, le hautdu corps nu, la tête en partie voilée par la draperie qui enveloppeles jambes, la main droite levée dans un geste de persuasion que l'on peut interpréter par un geste de vaticination ; l'exergue mentionne la bgmvota des colons de Chio qui s'étaient établis à Erythrée (fig. 6393) 13. Ces représentations, avec celles de Colophon et d'Alexandrie en Troade plus haut citées, ont toutes le même caractère indéterminé, quant à l'identité de la Sibylle. On en peut dire autant d'une monnaie de Cumes où figurent, en plus de la tête de femme, soit un oiseau aquatique, soit un crabe sur un coquillage''. L'interprétation par la Sibylle est cependant probable pour toutes, les attributs et la provenance suggérant, plus 1?92 sin encore que la tete elle-même, l'idée de la vierge prop11e1 jrlrie. tgais s'il fallait une preuve que la personnalité de la Sibylle n'a obtenu que très tard, eu Grèce, la renornnrée officielle, la rareté et le vague de ces représentations, les seules connues jusqu'à présent, suffiraient'. H. LA SIBYLLE DE CUMES. Il est question d'elle pour la prerjt're fois dams le traité (le Mirrlbilibll.e, qui porte le nom d'Aristote. Mais ce traité n'est pas d'Aristote; il a dlî être composé au plus tôt vers l'an 240 av..I.-C. « On montre à Cumes, y est-il dit, une chambre souterraine où habite la Sibylle de Cumes qui y rendait des oracles; on raconte que née à une époque très reculée et. restée vierge, elle y résida durant de longues années. Les unes la prenaient pour la Sibylle d'Eryl.hrée; d'autres, qui habitent l'Italie, la considèrent. comme étant de Cumes ; d'autres encore l'appelaient« 114elanh'raeea ». Ce dernier nom de Sibylle est connu de Lycophron qui la fait originaire du mont Ida'. Si vague qu'il soit, le témoignage des i!Jirabilia est intéressant, d'abord en ce qu'il parle de la Sibylle de Cumes comme d'une figure légendaire à placer dans un passé lointain, ensuite parce qu'il la rattache au berceau historique des premières Sibylles, c'est-à-dire à Erythrée, alors que, sous le nom de Melanh;raera, on la faisait aussi remonter à la Troade même qui fut leur berceau mythique: c'est-à-dire qu'elle se confondrait avec la Sibylle Troyenne'. Et enfin l'auteur se refère, non à des traditions helléniques, ruais au témoignage des Italiens en personne, ce qui suffirait avec (l'autres particularités du même traité, à en rapporter la composition à une époque relativement récente, dans tous les cas postérieure à Aristote°. Si nous rappelons que Cumes fut fondée par une colonie venue d'Eolie en l'an 10110 av. ,I. C„ peut-être en passant. par Chalcis et Erétrie d'Eubée où existait également. une bourgade nommée Cymé' ; qu'elle édifia sur le golfe de Naples le temple d'Apollon Zosférios dont la légende attribuait, la fondation à Dédale lui-mêmeil est légitime de considérer la Sibylle de Cumes, autant du moins qu'il est permis d'appliquer la notion du temps à un être fabuleux, comme contemporaine des plus anciennes prophétesses, telles qu'on les peut conjecturer aux confins les plus reculés de l'histoire légendaire en Asie Mineure, De toutes les Sibylles connues, celle-ci va devenir, dans le monde soumis àl'influence de Rome, la plus célèbre, grtïce à la, fable d'l née, fondateur d'une royauté troyenne dans le Latium. Le témoignage des ilfirabilia nous (lit tout ce qu'il est possible d'en savoir antérieurement aux guerres Puniques: mais on racontait à Rome que, vers la fin du règne de Tarquin le Superbe, une vieille femme d'allure mrslérieuse vint offrir au roi un recueil d'oracles et qu'à partir de ce temps, ceux de cos oracles qu'il se décida à acquérir. furent déposés au Capitole, dans le temple de Jupi ter, parmi les monuments officiels du culte romain Comme la garde en fut confiée à un sacerdoce spécial, celui des tri rtvrtu st( lus l'ACICNDIS, institué à cet effet et en fonction dès los débuts de la République, il n'est pas téméraire d'affirmer qu'à l'époque même où lléraclite décrivait la Sibylle unique de l'Ionie, Rome la connut sous los mêmes traits et avec les mêmes prérogatives, soit par Cumes et à la faveur de la propagation du cul te d'Apollon', soit par \gylla et Caeré d'Etrurie qui, dans le même temps, entretenaient des relations avec Delphes où la Sibylle (l'lonie s'était alors acclimatée Cependant, les auteurs latins de la tin du mire siècle av. J.-C., comme Naevius, suivi de près par les annalistes C. Acilius Glabrio, Volcatius et Calpurnius Pison, ne connaissaient encore cette Sibylle que sous le nom de C'immérienne, en la localisant dans la même région volcanique que la Cuméenne des Dlirabilia et de la légende postérieure d'Enée 10. Le mystère géographique que cache cette dualité et qui fut consacré par le poème de Naevius sur la première guerre Punique, prouve qu'à Rome même la Sibylle du golfe de Naples n'était pas encore celle du temple de Cumes ; et si les annalistes ont adopté d'abord la Cimmerienne de préférence, c'est qu'ils entendaient prouver gn'ils avaient lu l'historien grec Ephore, lequel localisait les Cimmériens de 1'Odrssee dans les parages du lac Avernc, et leur attribuait un oracle en rapport avec l'aspect terrifiant du paysage i1. Lorsqu'on s'avisa ensuite que Cumes possédait un temple vénérable d'Apollon, où sans doute prophétisait une Sibylle, toute la réalité personnelle passa à cette dernière ; pour simplifier les choses on raconta qu'Énée avait enterré sa rivale Cimméricone dans file de ProchyLe f2. C'est d'après cette légende, ainsi mise au point par une science à la fois subtile et puérile, que Virgile corrigea Naevius et donna à la Sibylle de Cumes son rôle définitif qui fit d'elle la Sibylle par excellence, figure d'un relief puissant que n'eut jamais aucune Sibylle d'origine hellénique"". La rivalité de Rome et de Carthage, qui donne aux premiers chants de l'Enéide une signification d'histoire générale, a été par Virgile empruntée à Naevius. Mais, éclairé par les événements des deux siècles écoulés, Virgile y pub ajouter celle de la prédestination mystérieuse qui avait conduit home à la domination univer BIB 1293 SIB selle et accompli l'arrêt des destinées chantées par les Sibylles ras la personnalité d'Auguste, descendant d Inné l' et. favori de A'émus en même temps que d'Apollon'. I ,a légende du héros Iroyen, abordant sur les côtes de l'llespérie, avait été recueillie par le Sicilien Stésichore au cours du vie siècle Naevius, peut-être en suivant 1 hicfnrien'rimée, le Iii milerrir dans la région volcanique du golfe de Naples dont le sol devenait l'entrée du séjour des morts, dont les grottes oit s'engouffraient, avec bruit les vents et les eaux étaient tin sanctuaire fout indiqué pour les oracles de la Sibylle : jamais encore la divination, dont celle-ci était le ministre, n'avait trouvé de théritre plus approprié à sa nature et à sa fonction'. La célébrité de cette Sibylle est en grande partie l'ouvre de Virgile. Appelée Dêino par les uns, par les autres Démophilé, nom rappelant Ilérophilé qui désigne la Sibylle d'Erythrée, elle se change chez Virgile en Deiphobé et devient fille do Glaucus, lequel n'est pas sûrement Glaucus le Marin, mais plus probablement Glaucus le fils de Minos ; sa mère est la magicienne Circé 4. Son être purement fabuleux se précise sous la plume du poète qui idéalise en le décrivant les traits d'une légende de caractère populaire. Elle est la femme qui prophétise par énigmes, n'a point d'âge déterminé, à peine une généalogie, jamais de descendance. Cependant elle est vieille parce que la vieillesse est symbole de sagesse et d'expérience ; son allure a quelque chose de farouche et d'emporté Le poète la compare à une cavale que dompte Apollon par le frein et par l'aiguillon pour la rendre docile à son souffle inspirateur. Dans l'opinion des hommes, elle a recu du dieu un nombre d'années égal à celui des grains de sable quo sa main ramasse sur la grève. Immortelle à la, facon de Titllon, jusqu'à se dégoûter du don de l'immortalité, elle est bientôt si décrépite qu'il n'existe plus de son être matériel qu'une voix sortant comme un souffle d'un résidu de corps sans force et sans ligure'. On la montre aux curieux dans une ampoule et quand les enfants lui demandent: Sibylle, que veux-tu? elle répond: je veux mourir! Si une autre prophétesse prend sa place dans la grotte où se rendent les oracles, on ne cherche à savoir ni qui elle est, ni d'où elle vient; l'on préfère croire qu'à travers les siècles, c'est la même voix qui prophétise toujours'. Mais Virgile ne parait pas avoir connu à Cumes de Sibylle sous les traits d'un être réel ; l'art déployé par lui dans l'Églogue à Million et dans les parties justement célèbres de l'Énéide, oit la prophétie Sibylline rattache la dynastie d'Auguste à la royauté de Priam en Asie, a eu une influence pré dominante sur l'opinion du monde gréco-romain à partir du Je' siècle. La part énorme faite aux oracles Sibyllins dans les conflits religieux du temps jusqu'en plein moyen âge eût été bien réduite, si l'1'n(7ide n'avait fait de la prophétesse, jusqu'alors figure indécise, une grande figure épiques. Cependant, si à Homo même les oracles cnntinnent à refiler en honneur jusqu'à la chute définitive (lu paganisme officiel [onaeuramr, nous savons qu'au début du GVu siècle celui deCurnes a depuis longtemps cessé de fonctionner. Dans le traité, faussement attribué à Justin, de la Cohorlatio ad Gentes, est, racontée une visite faite aux lieux illustrés par Virgile''. La grolle fameuse ne rend plus d'oracles; il n'y a même plus de consultation par les sorts, c'est-à-dire par les feuilles de palmier marquées de caractères mystérieux et que chacun, à défaut de la Sibylle, interprétait à sa guise. Aujourd'hui, au pied du rocher où s'élevaient la ville de Cumes et le temple d'Apollon, on montre la caverne : horrendaeque procul secrete S'ibyllae, antrum inimane; mais rien n'est moins sûr que cette identification. Les éruptions volcaniques des années 73 et 79 av. J.-C. ont dû modifier profondément l'état des lieux et ce qui, sur la foi de l'Énéide, nous est présenté comme l'ancienne demeure de la Sibylle, n'est, suivant toute vraisemblance, que la ruine d'un chemin creux qui menait à Baies IIL LES DERVICHES S1BYLLES. A cité des Sibylles dont, nous venons de raconter l'histoire et qui ont toutes ce caractère commun de nous être connues par un texte et des monuments assez anciens pour que leur existence légendaire et leur origine païenne soient hors de doute, il en est d'autres qui ont été inventées dans des temps relativement récents et assimilées aux premières, soit par des rivalités d'influence religieuse, soit uniquement par la fantaisie des archéologues, des théologiens et des I'(riégètes. La plupart de celles-ci n'ont pour la science des antiquités qu'un intérêt médiocre; d'antres, à cause des oracles mis sous leur nom, trouvent place surfont dans l'histoire des idées religieuses au déclin du paganisme et dans les conflits d'opinions philosophiques et de croyances pieuses qui, jusqu'au triomphe du Christianisme, ont agité le monde ancien'. Si nous récapitulons, non dans l'ordre chronologique qui nous échappe, mais suivant les seules données numériques, les divers canons des Sibylles connues, nous constatons que parties de l'unité avec Héraclite, elles sont plusieurs en Grèce à peu près deux siècles plus tard; Aristote les nomme ainsi en compagnie des Bakides. L'unité a des partisans encore plus tard, alors Slll 129/p SID que circulent des listes plus ou moins chargées' ; Pausanias cite des prophéties de la Sibylle unique sur un tremblemenl de terre à Rhodes, sur les deux Philippes de Macédoine, sur la défaite des Athéniens à Aegos Polamos(.1elle-ri à côté d'un oracle attribué à Musée), et sur un combat près de Thyrea entre Lacédéuioniens et Argiens. Mais ailleurs, il parle d'Ilérophilé comme de la plus ancienne, et il la fait voyager de Marpessos à Samos, à Claros, à Colophon, à Délos et à Delphes, qui pour d'autres avaient des Sibylles spéciales; il connaît également, avec les Sibylles d'Erythrée et de Cumes, une Sibylle Égyptienne, une Babylonienne, une Hébraïque: sa tendance cependant est de ramener Lentes ces figures à l'unité Un auteur du ve siècle de notre ère, sur la foi de témoignages plus anciens, en admet deux, celle de Gergithe qu'il nomme Hérophilé et celle d'Erythrée qui aurait émigré à Cumes et qu'il appelle Sylnnzachia . Puis nous voyons varier leur nombre de trois à dix et même à douze, sans qu'il soit possible, pour la plupart d'entre elles, de préciser ou leur origine ou leur filiation. On devine seulement que les chiffres les plus forts sont le résultat d'une systématisation par des auteurs soucieux de n'en omettre aucune'' ; et quant à leur existence, plus nominale que réelle, elle s'explique par le besoin, dans certains milieux, de se créer une influence religieuse sans emprunter la Sibylle du voisin 5. Le canon le plus digne d'être connu est celui de Varron, parce qu'il fixe, sans doute avec exactitude, les idées de la science gréco-romaine à la fin de la République. I1 comporte dix noms cités sans ordre ni logique, ni chronologique, comme il convient dans une matière oà tout est incertitude et arbitraire': Sibylles Persique, Libyenne, Delphique, Cimmérienne, Erylhréenne, Samienne, Cu méenne, IIellespontique, Phrygienne, Tiburl.ine. De ce nombre, sept reviennent aux pays de Grèce et d'Orient, trois à l'Italie. Elien en connaît dix également mais n'en nomme que quatre, celles d'Erythrée, de Samos, d'Égypte et de Sardes en Lydie ; Clément d'Alexandrie se borne à quatre qu'il choisit parmi celles, plus nombreuses, qui avaient cours de son temps; elles ont, comme celles de Pausanias, une signification synthétique : la Persique, 1'Erythréenne, l'Égyptienne et l'Italique. Le canon le plus étendu, conçu avec la préoccupation d'égaler le nombre des Sibylles à celui des Apôtres, est celui du Chronicon Pascale, compilation assez érudite de science ethnographique rédigée au xe siècle ; elle en admet douze, dont les dix du canon Varronien et en plus les Sibylles Judaïque et Rhodienne Cependant il y aurait lieu de compléter ces momenclatures par d'autres Sibylles encore, parmi lesquelles il en est d'intéressantes. Ainsi la Sicilienne n'est nommée nulle pari chez les ailleurs qui ont fait des classifications ; et l'on sait que la commission qui fut chargée de reconstituer les oracles brùlés en 83 av. J.-C. au Capitole, en fit rechercher mélne en Sicile. Cette ile eut, en ell'et, sa sibylle, comme la Sardaigne eut la sienne 5; le sanctuaire de la première était au promontoire de Lilybée où l'on montrait son tombeau et où subsistèrent, jusqu'au moyen âge, des superstitions qui continuaient le culte d'Apollon 9. Des monnaies de Lilybée à l'effigie de ce dieu avec l'emblème du serpent et du gryphon témoignent en faveur d'un oracle ; et comme nous sommes voisins du mont Erys où s'élevait un des temples les plus célèbres de Vénus Aénéade, ou retrouve l'association d'idées et de croyances qui, dans le Latium, acclimata la légende d'Énée arrivé de Troie sous la conduite de sa mère et d'Apollon", Une Sibylle exclusivement latine est celle de Tibur qui n'était anciennement qu'une nymphe locale, Albunea, personnification d'une source d'eau sulfureuse qui donna lieu à un oracle. Cette nymphe fut, sur le tard, par l'effet de la popularité générale des Sibylles, identifiée avec ces dernières13, Mais les poètes du règne d'Auguste ont réservé le nom de Sibylle à celle de Cumes et maintenu à Albunea son caractère latin. Lattante qui la met au nombre des Sibylles, raconte, d'après Varron, qu'on trouva sa statue portée sur les eaux de l'Anio et qu'elle tenait dans la main le livre contenant ses oracles. Ce recueil fut admis, comme ceux des Sibylles et des frères ,larcii, parmi les documents officiels de la religion romaineln. Suida,s la nomme la dixième dans le canon des Sibylles reconnues de son temps. On pourrait relever, même chez les poètes du temps d'Auguste, à plus forte raison dans les écrits des antiquaires et des mythographes, d'autres identifications avec le type Sibyllin des nombreuses personnalités féminines qui, dans le culte romain, possédaient la faculté divinatoire ; mais ce sont là des inventions restées sans écho dans l'imagination populaire 14. A. plus forte raison, faut-il rejeter les hypothèses de certains modernes qui ont transformé en Sibylles les Carmentae, Egeria, Mephitis méme, et en général les Nymphes prophétiques de Grèce et d'Italie ". Dans la Grèce proprement dite, les Sibylles n'ont pas la fréquence (lue nous constatons en Asie Mineure, dans les colonies ioniennes de la mer Egée et de la mer Tyrrhénéenne. Nous avons cité plus haut une tentative d'absorption de la Pythie de Delphes par une Sibylle venue d'Asie, et aussi une Sibylle qui à Délos aurait composé des hymnes en l'honneur d'Apollon Ir". Du même genre, mais encore S1B 1295 S1B moins certaine, est la Sibylle de Dodone qu'on peut identifier avec Plraennis, fille d'un roi de Chaonie, qui vivait au me siècle avant notre ère et dont Pausanias qui, d'ailleurs, ne lui donne pas le nom de Sibylle, cite quelques oracles versifiés'. Toutes ces figures sont trop vagues et leur histoire trop incertaine pour qu'il y ait intérêt à y insister ici. La seule qui mérite une mention est la dernière, que Virgile a dit connaître puisqu'il profite du séjour d'l née en Épire, où il se rencontre avec Ilélénus, pour préparer la rencontre du héros avec la Sibylle de Cumes C'est au déclin seulement des religions grecque et romaine, alors que la faveur des oracles nouveaux amène le discrédit de la divination traditionnelle, qu'un fait remonter les Sibylles au delà du temps d'Homère'. Alors non seulement les pratiques auxquelles les Sibylles président, mais les textes dans lesquels on cherche l'expression de leur savoir, sont considérés comme antérieurs à la poésie épique, et celle-ci comme une sorte d'émanation de leur sagesse. Cette opinion fut plus tard exploitée par les apologètes chrétiens qui, se faisant de cette antiquité prétendue un argument contre le paganisme, présentaient les Sibylles comme contemporaines du déluge et disaient qu'Homère avait plagié leurs oracles dans ses poèmes L'influence juive à Alexandrie inventa une Sibylle qui de babylonienne devint chaldéenne et judaïque; on la donnait comme la femme d'un fils de Noé et on lui prêtait des prédictions relatives à la tour de Babel, aux victoires d'Alexandre le Grand et plus tard à la venue du Messie. Quelques-uns l'identifiaient avec Sabba ou Sambelhe, la reine fameuse de Saba qui fut la confidente lointaine de Salomon et sa conseillère'. Ce qui appropriait le type de la Sibylle à cette survivance, inventée pour le besoin d'un temps de polémiques aussi confuses qu'universelles, ce fut le caractère indépendant de leurs prophéties qui se prêtaient à l'expression de toutes les croyances, de toutes les formes du philosophisme religieux'. Elles étaient venues en Grèce durant la période obscure que Lobeck définissait, en l'appelant le temps où les philosophes poétisaient, où les poètes faisaient de la philosophie ; où, comme, au-dessus d'une région enveloppée de nuages, les sommets seuls émergeaient, tandis que le sol et les fondations se dérobaient aux regards 7. La sagesse des premières Sibylles, fille équivoque de l'épopée primitive, fut un de ces sommets c'est par là qu'elle survécut au paganisme d'où elle était issue et qu'elle put maintenir jusqu'en plein moyen tige une autorité facile à exploiter au profit des croyances nouvelles. Sous un nom qui se prêtait à toutes les noue veautés, parce que jamais il n'avait servi à étayer les croyances anciennes et que souvent il était entré en conflit avec elles, les oracles de la Sibylle, ou détournés de leur signification par une exégèse tendancieuse, ou fabriqués après l'événement par des écrivains anonymes, servirent pendant près de cinq siècles à combattre le paganisme avec ses propres armes comme ils avaient servi à Rome, depuis le temps de Tarquin, à le défendre en le transformant 9. Cette nouvelle popularité des Sibylles a laissé des traces nombreuses dans les écrits des apologètes, aussi bien pour l'Église d'Orient que pour celle de Rome. IV. LIVRES SIBYLLINS. On cherche vainemenl dans toute la littérature grecque, antérieurement à l'influence romaine, un seul témoignage affirmant l'existence dans quelque sanctuaire célèbre par une Sibylle, d'un recueil écrit d'oracles, conservés comme un trésor sacré et transmis sous cette forme à la postérité 10. Si les Sibylles helléniques sont des personnalités mythiques, il est naturel que leurs prédictions n'aient élé que « des bruits et des voix » confiés à la tradition orale et tout aussitôt déformés par elle. Tous les vers sibyllins cités par les écrivains grecs jusqu'à la fin du 1"r siècle de notre ère (ils sont d'ailleurs peu nombreux) sont de ce genre''; et quanta ceux que l'on peut par conjecture, ainsi que nous l'avons fait nous même, rattacher aux llomérides qui ont chanté Énée dans le voisinage des plus ancienssanctuaires Sibyllins, ils ne suffisent pas pour créer un genre et fonder cette affirmation : o que la chresrnologie Sibylline est la soeur cadette de l'épopée72»: une soeur de ce genre n'a jamais existé. A Rome seulement nous trouverons des textes précis, dont l'origine et l'histoire peuvent être scientifiquement, établies ; mais ces textes ne sont pas ceux que la légende attribuait aux Sibylles en personne, à celles de l'Ionie asiatique ou de Cumes, et qui, après l'incendie où périt le plus ancien recueil, furent restitués par une commission spéciale, puis considérés jusqu'au ve siècle de notre ère comme un des plus anciens monuments de la religion nationale". De ceux-là nous ne possédons pas un seul vers authentique, comme M. Bouché-Leclercq en a fait justement la remarque 34. Tous les auteurs de la basse latinité les mentionnent, sans d'ailleurs en indiquer la provenance; général ement le recueil en est désigné par le terme de libri fatales, livres de la destinée 13. C'est une question controversée, s'ils vinrent à Rome par les ports d'Étrurie ou par la colonie ionienne de Cames en Campanie. La vraisemblance historique est pour la première SIB 1296 SIB solution, les suggestions mythologiques et littéraires rendent la seconde plus séduisante'. Diels, (lui a apporté récemment dans ce problème des lumières nouvelles, remarque avec raison que les cités grecques défendaient avec un soin jaloux le trésor de leurs tradilions religieuses, en particulier celui de leurs oracles Continent croire que Cumes se soit dépouillée des siens au profit de Rome, malgré les bons rapports que le dernier Tarquin entretenait avec le roi Aristodème 3? Bien mieux, si Cumes a eu une Sibylle, il est formellement cons!alé que la divination de celle-ci opérait au jour le jour, et que jamais dans le sanctuaire d'Apollon n'a été formé un recueil de ses oracles 4. Pausanias qui mentionne le fait n'aurait pas manqué d'ajouter que le recueil de Curnes avait élé un beau jour transféré ailleurs. Il est plus naturel de supposer que les Pilai fatales déposés par Tarquin au Capitole, il les tenait d'une supercherie analogue à celle qui multiplia le Palladium dans un grand nombre de cités grecques ou italiques, à la faveur de quelque légende imaginée exprès '. Quelle que soit leur provenance, ils existaient déjà c'iit le les années 136 et 131, dates pour lesquelles l'histoire conserve le souvenir de consultations Sibyllines à Rome, par les soins et sous le contrôle des Duunzvri Sacrés l''aciendis, institués à cet ell'et [ni uiiivln11 6. Quant aux, consultations ultérieures et aux modifications que subit ce sacerdoce, on en trouvera l'historique ailleurs Remarquons seulement avec Diels qu'un oracle conservé par l'hlégon de Tralles, oracle relatif à des événements des années 207 et 129 av. J.-C., recommande (comme d'ailleurs aussi le célèbre oracle relatif aux Jeux séculaires de l'an 17) d'accomplir certaines cérémonies suivant le rite achéen : 'AÏaïaTi T .è 'Ëpô6iv, A('laivo rila. Une expression de ce genre exclut que cet oracle soit venu de Cumes, puisqu'elle suppose, chez celui qui l'a employée, la connaissance du rilas Roman as et de la différence qui existe entre les deux, ce qui, de la part des Guinéens, est absolument invraisemblable e. Les auteurs de la fin de la République, Varron, Denys d'IIalicarnasse, Tite-Live, qui usent des oracles, en les considérant comme le répertoire secret des destinées de Rome, ne connaissent que par ouï-dire l'ancien recueil. Brûlé dans l'incendie du Capitole en l'an 83 av. J.-C.'3, il avait été rétabli, sur l'initiative du Sénat, par une commission spéciale qui avait cherché les textes aux sources, à Érythrée, à Samos, à Troie, en Afrique môme et en Sicile, ainsi que dans les colonies grecques d'Italie tu. Dans quelle mesure cette nouvelle rédaction reproduisait-elle l'ancienne, il est difficile de le savoir; Varron, qui n'a pu connaître la première, considérait la seconde comme une reproduction 1 Varr. ap. Serv. ad 4en. VI, 36; ibid. 321 et 72; Lact. I, 6, Il et 14; Dion. ILd. IV, 62, 7; Cie. Divin. I, 18, 34; Soli.. ll, 76, etc. Virgile et les poètes après lui tiennent pour Cumes Eml. IV, 4; Drop. I, 1, 49; Lucan. V, 183; VI, 21e. -2 II. Miels, (Ili. cil. p. 80, cite l'histoire du vol d'oracles par Cléo d'après il. Mnellcr, /limier, I, p. 322. a pans. X, 12, 8. Dion. Hal. I, 60; cf. Flauseu, Op. rit. p. 146; Miels, p. 91 rappelle aussi l'existence légendaire de la luuiq ne du Christ revendiquée par vingt villes difl'éreu les. 6 La première connsellal,on bol orique ruent constatée est de 462 av. J.-C., 'l'. Liv. 111 ; 10.7: libri per o ri ., c. rep 992, 2; et le texte de l'oracle chez Diels, p. 112, .es 16. 9 linon, Ital. IV, 62, 6; X, 2; 11, 5, 16; Dio Cass. LIV, 17; l,act. 1, 6, t3; cf. Fe nestella ap. l,acl. Lnel. I, 6, 11, 14; de ira dei, 22, 6; Dion. Ital. Luc. cil. fidèle". Mais l'ingéniosité avec laquelle le collège des Quindecimvirs, aidé par les jurisconsultes officiels et orienté par la volonté impériale, opéra plus Lard, donne à penser qu'antérieurement déjà les interprètes des livres Sibyllins ne se gênaient pas pour y introduire, sous la pression des événements et l'influence des pouvoirs publics, des prescriptions et des idées auxquelles l'inspiration Sibyllin; était étrangère'. L'ambassade (.11(1rgée de la reconstitution des oracles est contemporaine, à quelques années près, du témoignage d'Alexandre Polyltistor qui vint à Rome vers cette époque comme prisonnier de guerre et qui signale, parmi les oracles circulant alors, des traces de traditions juives et babyloniennes, comme la construction de la tour de Babel el, la confusion des langues. Cependant, ces oracles ne figuraient pas dans le recueil officiellement adopté après l'an 76 ; il est établi que jusqu'à Pausanias, c'est-à-dire jusqu'à la fin du I" siècle de l'ère chrétienne, les livres Sibyllins, soit ceux qui étaient conservés au Capitole, soit ceux qui sous Auguste émigrèrent au temple d'Apollon Palatin, ne renfermaient rien qui ne fût purement païen 13. Pour le surplus, il est impossible de décider si le premier recueil détruit dans l'incendie vint à Rogue de Cumes ou, par les ports d'Étrurie, des centres ioniens de la divination Sibylline. A Rome, la question des Livres Sibyllins a pour point de départ la légende de la vieille femme qui vint offrir à Tarquin le Superbe des recueils mystérieux où étaient déposés les secrets de la Destinée 1'`. On dira plus Lard, quand l'Enéide aura consacré la renommée des Sibylles en général et donné une réalité plastique à celle de Cumes, que ces prophéties étaient rédigées sur des feuilles de palmier el même qu'elles étaient sous la forme de cent discours ou à peu près "'. Servius explique ainsi les cent portes et avenues par lesquelles passent les paroles de la Sibylle, avant d'arriver à la caverne où on la consulte. Bien avant Virgile on disait de ces oracles qu'ils étaient dépourvus d'art, durs d'expression et de sens énigmatique : on leur prêtait une origine qui se perdait dans la nuit des temps, ce que signifiait aussi le grand age des Sibylles 1e. Ceux qui étaient conservés à Rome étaient rédigés en grec et, pour aider à leur interprétation, le Sénat avait adjoint aux Décemvirs des traducteurs versés dans cette langue. Lorsque les livres de l'ancienne collection périrent par l'incendie de l'an 83, c'est dans les pays grecs, où les Sibylles avaient exercé leur science divinatoire, qu'on recueillit les éléments de leur restitution 19. De tous ces faits ressort que si la vénération, d'ailleurs habilement entretenue par les pouvoirs publics, dont les I, 14, 8, qui cite Ennius. 13 Palis. X,12, 8. 14 Dion. Hal. IV, 62; Van.. ap. Lacs. 1, 6, 10 sq.; Sorv. ad Aen. VI, 72; Aul. Oeil. 1, 10; Dio Cass. III, 444; VI, 74 (où l'auteur invoque le témoignage de Varron). Plus tard on eu cite rédigés sur lin; Claud. Bell. Gel. 232; Synunach. Fine. IV, 3i. l,e palmier n'a jamais dia figurer que par hasard dans la lluru du golfe de Naples. 16 V. le texte d'Héraclite, l'hnt. Pyth. or. 6; pour des oracles plus récents, v, Miels, p. 64: il y a peu de vers grecs aussi difficiles zn comprendre que cous de ces oracles. Lisait], Geber I:ns/ehuny, eue. p. 9, s'exclame sur la beaulé, la vigueur du langage de codants; ceux-là [Mime sont déparés par des fautes grossières; cl'. A'olxm:nn. Ife ma. Sitpll~p. 10, et Dicls, Op, cit. p. 57 sq. 17 Ce recueil, drp, se au Capitole r .. st'Ont en l'ail 761, emportait .r millier de vers; tous ceux que nous possédons, soit de nome, soit d'ailleurs (v. Pans. X, 12, passim) sont en hexamètres; cf. l'ib. Ii, 5, 16; pour le surplus, v. Vacr. Ling. lat. Vll, 88; Zonal.. Vll, ii; et Nicbuhr, Puern. Gcsch. I, n. 1123. SIB 1297 SIB livres dits Sibyllins étaient entourés, s'imposai à ta foule, leur autorité religieuse, aux yeux des esprits éclairés, était sujette à caution. Et l'on voit, en effet, qu'elle fut plus d'une fois contestée. La meilleure preuve nous en est fournie par Cicéron qui, dans son traité de la Divination, parle des Livres Sibyllins avec un scepticisme voisin du persiflage'. Pour lui, les prophéties et les recommandations, toujours de circonstance, que le Sénat faisait tirer de ces livres, n'avaient rien de commun avec l'inspiration délirante d'une Sibylle ; mais elles étaient I«puvre d'un faussaire habile qui s'arrangeait pour faire paraître comme prédits des événements déjà arrivés, et cela en supprimant toute indication précise d'hommes et d'époques. Nous savons que les livres étaient, à l'origine, l'objet d'un secret rigoureux; et la tradition, qui remonte à leurs débuts, raconte qu'une divulgation fut alors punie de la peine des parricides'-. Mais dans la suite, ce secret n'était, plus qu'un lointain souvenir; quand le collège fut porté à dix membres (369 av. J. C.) et que les fonctions en furent devenues, par part égale, accessibles aux plébéiens et aux patriciens, le secret était chose impossible. Des oracles primitifs il n'est jamais question, et pour le surplus, les solennels destins du Peuple romain n'eurent plus rien de mystérieux pour personne ". On les consultait, non sur cc qui arriverait dans un avenir plus ou moins éloigné, opération toujours hasardeuse et (lui, répétée, aurait bien vite compromis l'autorité de cette pratique religieuse, mais sur les remèdes à apporter aux maux présents, sur les procédés d'expiation et de purification que réclamaient les fléaux et les prodiges. Et surtout on y cherchait, sous le coup des malheurs publics, des raisons pour se rassurer et prendre confiance dans un meilleur avenir'. Il s'agissait généralement de savoir à quelles divinités il fallait de préférence avoir recours, par quelles cérémonies il y avait chance de les apaiser et d'obtenir leur protection. Ces prescriptions étaient tirées, par une interprétation laborieuse, du texte retourné en tous sens des oracles anciens; et alors le commentaire qui était l'oeuvre, du collège prenait place à côté des vieux textes, dans le trésor sacré du Capitole. Commentaires et textes devenaient, en certains cas, l'objet d'une formelle divulgations. Règle générale, c'était l'intérêt politique qui, interprété par le Sénat sous la République et plus tard à la volonté de l'Empereur, décidait de l'usage qu'il convenait d'en faire au regard du peuple Au plus fort des troubles de l'an 87 av. J.•C., le Sénat ordonna qu'on porterait a la connaissance des citoyens l'oracle Sibyllin qui recommandait, pour rendre la sécurité à la ville, d'en l'aire sortir le dictateur Cinna avec six tribuns du peuple qui y entretenaient le désordre'. En l'an 54, ce fut un conflit de politique extérieure qu'on tenta d'apaiser par le même moyen; mais cette fois il suscita les protestations et les plaisanteries des esprits indépendants s. Caton, alors VIII. tribun du peuple, avait divulgué le texte d'un oracle, évidemment obtenu sur commande, qui poussait à la réintégration dans son royaume d'Égypte de PtoléméeAulélès chassé par ses sujets. ITn fait plus ancien et tout aussi caractéristique est celui de Manlius Vulson s'apprêtant à franchir le Taurus (187 av. J.-C.) et à qui ses lieutenants, moins ardents, durent rappeler l'oracle Sibyllin qui, sous peine d'une défaite, interdisait aux Romains de passer cette limite', Au cours de la conjuration de Catilina, nous voyons l'oracle au service d'une ambition particulière qui, d'ailleurs, s'en trouva mal. P. Lentulus Sure n'était entré dans le complot que parce que la Sibylle avait promis à un troisième membre de la gens Cornelia (les deux premiers avaient été Sylla et Cinna), la domination sur Rome10. Enfin nous savons que la célébration des Jeux Séculaires, sous Auguste, donna lieu à tout un travail de jurisconsultes et de prêtres, en collaboration avec l'Empereur et avec le collège des Quindecemvirs, pour la fixation de la date et du dispositif des jeux et que les décisions demandées à la Sibylle furent communiquées au public'. Tous ces faits donnent à l'histoire de la divination sibylline à Rome un caractère de précision qui fait totalement défaut à celle des centres helléniques d'où elle était issue. C'est qu'au lieu de reposer sur l'inspiration d'une personnalité légendaire, livrée à la science individuelle et toujours contestable, cette divination y est l'ceuvre d'un sacerdoce fortement organisé, placé sous le contrôle du Sénat, mis en mouvement par lui pour des cas définis et subordonnés à l'intérêt public12. Si ce collège délient le recueil des oracles anciens dont le mystère fait son prestige devant l'opinion, il s'en sert à sa guise : il les sollicite en vue d'un résultat prévu, que la raison d'État a jugé le meilleur; il les interprète à la lumière des besoins présents et de la politique du Sénat. Ce n'est donc plus de la divination, ni libre comme celle des anciennes Sibylles, ni orientée vers l'idéal d'un culte ou d'un sanctuaire en renom, comme celle des Pythies, mais une forme supérieure d'influence, exploitée par la plus haute autorité de la République, sous le nom, toujours respecté parce que mystérieux, de la Sibylle". Les documents qui nous permettent, en quelque sorte, de prendre sur le fait ces procédés de consultation savamment machinée sont, avec l'oracle relatif aux Jeux Séculaires de l'an 17 et contemporain de ces jeux, les deux fragments d'oracles, en tout soixante-dix vers, que nous a conservés Plilégon de Tralles et qui ont été étudiés avec une érudition aussi judicieuse que solide par Diels dans ses Sibyllinisc/te Blaetter71. Au point de vue du fond, ils ont ceci de particulier qu'ils sont (l'inspiration purement paienne, différant en cela des poésies sibyllines qui eurent cours dès la fin du siècle avant l'ère chrétienne, où l'on relève des traces de spéculations néoplatoniciennes de croyances messianiques, en attendant les rêveries millénaires et bien d'autres. En ce qui concerne la forme, 163 SIB 1.298 SIB on constate que la langue et la versification y sont rudes et incorrectes; les images heurtées et incohérentes, la pensée obscure jusqu'à en devenir inintelligible'. Il n'y apas de fragments de poésie religieuse en langue grecque qui soient d'interprétation plus laborieuse et qui laissent plus de détails indécis. Enfin ces soixante-dix vers offrent cette particularité (ils sont les seuls dans ce cas) d'être compliqués par l'emploi de l'acrostiche : or Cicéron dans un passage du de Divinatione qui a fortement exercé la sagacité des commentateurs et des traducteurs, signale précisément, comme une des caractéristiques de la poésie sibylline, l'emploi de 'acrostiche'. Ce procédé, fort en honneur dans la poésie latine de l'époque carlovingienne et, de la scolastique., ne remonte pas au delà des débuts de la poésie alexandrine. Les deux oracles conservés par Phlégon de Tralles et édités par Diels qui en a ingénieusement restitué les lacunes, ont réalisé le tour de force d'un acrostiche poursuivi sur des morceaux entiers, dont l'un compte encore trente vers intacts et l'autre quarante. Dans ce dernier, en acceptant la restitution de Diels pour les deux vers qui ont péri, nous obtenons à l'aide des lettres initiales, un hexamètre complet et un incomplet dont voici le sens : « (sous Coules sortes de formes nous menace le malheur); celui qui échappe àl'un et qui fier sur son coursier rentre chez lui, tombera bientôt dans une nouvelle infortune. Mais alors encore (la Sibylle vous indiquera le remède si vous avec c'on/iance){ ». Si nous rapprochons ces acrostiches du témoignage controversé de Cicéron sur la forme de la poésie sibylline, nous (lirons avec Diels que ce témoignage pourrait étre plus clair, mais qu'il devient ainsi suffisamment intelligible : nous constatons, en effet, que l'initiale de chaque vers forme le cadre de la consultation entière et qu'il y a là un moyen de garantir le texte tout entier contre les tentatives d'altération'. Le même auteur a démontré que ces deux oracles ont dû être composés (le préambule dont les a accompagnés Phlégon de Tralles nous l'apprend d'ailleurs) à l'occasion d'un prodige (naissance d'un hermaphrodite) qui en l'an '207, c'est-à-dire dans la période où les désastres de la seconde guerre Punique avaient attiré sur home connue Ime épidémie de superstition' qu'ils ont dû être rédigés par les interprètes hellénisants qui faisaient régulierement, partie du collège des Décemvirs et qu'enfin ces morceaux, dans leur expression littéraire, par l'emploi des formules graves et ampoulées, présentent tous les caractères que les auteurs anciens ont relevés dans la poésie sibylline. Ils concordent, d'autre part, avec les nombreux passages où Tite-Live, historien des guerres l'uniques, raconte, d'après les sources officielles, les prodiges survenus, les cérémonies expiatoires et les conjurations prescrites par les livres Sibyllins. Ces oracles nés 1 en l'année 125 av. J.-C., marquée par les événements les plus funestes et les signes les plus terrifiants (elle est celle des tentatives faites par les Gracques contre l'ordre public), ont reçu une application nouvelle de la part des Décemvirs, qui les accommodèrent aux malheurs présents'. L'un et l'autre renferment des détails qui ne pouvaient être `exploités que par un auteur pénétré des idées religieuses de Rome et qui, tout en les rédigeant dans la langue grecque, a dû penser en Romain. Ainsi la prière à Perséphone que l'on supplie de ne pas quitter son peuple devant la menace d'une guerre, est une allusion transparente à la pratique romaine de l'evocatio'. Ainsi également la recommandation d'accomplir les cérémonies : àtaïoT, Mu yraeco, serait absurde dans la bouche d'un compatriote des Sibylles d'Ionie'. On peut voir chez Diels que cet auteur d'oracles, travaillant au nom et sous la suggestion du collège tout entier, connaissait mieux la différence des deux rites grec et romain que les finesses de la langue et de la versification grecque. Convient-il d'accepter la conjecture qui, choisissant entre trois membres connus du collège, Papirius Manse, Cornelius Lentulus et Cornelius !tutus Sibylla., se décide finalement à ne désigner ni l'un ni l'autre, mais cite comme auteur probable Fabius Pictor l'annaliste qui, à cause de son savoir, fut après le désastre de Cannes envoyé à Delphes consulter l'oracle de la Pythie et qui, pour cette même raison, devait sembler tout désigné pour rédiger à Rome celui que réclamaient des circonstances critiques '? Il me parait plus plausible d'en faire honneur à ce Cornelius Rufus qui aurait reçu à cette occasion le cognomen significatif de Sibylla. Quel qu'en ait été d'ailleurs l'auteur, ces oracles, rapprochés de celui qui prélude aux Jeux Séculaires de l'an 17 et qui prête à des observations analogues, sous la réserve qu'il ne s'est pas astreint à l'acrostiche, portent nettement le caractère du milieu et du temps où ils ont été composés. S'ils reproduisent, dans une certaine mesure, la forme sans charme, sans appre't et sans fard, qui d'après Héraclite était celle des anciennes Sibylles, ils ont reçu l'empreinte des croyances romaines; ils s'inspirent de préoccupations politiques et sociales qui réclament des remèdes exceptionnels. Finalement, ils démontrent que la divination confiée au collège des Décemvirs opère peut-être suivant des procédés que nous ignorons, sur des textes transmis, mais que le plus souvent ces textes sont fabriqués, sous la pression des circonstances, d'après les indications pieuses données par le Sénat. On voit, par tout ce qui s'est passé à Rome depuis l'introduction des livres Sibyllins, avec quelle facilité les oracles se prêtaient à des altérations et à des interpolations de toute sorte. Mais ce n'est pas seulement entre SIB 1299 -SIB les mains d'un sacerdoce régulier qu'ils étaient ainsi grossis ou. modifiés au gré des circonstances ; on peut, mémo dire que c'est à Rome que ces abus étaient le moins sensibles et que l'esprit de l'institution des Décemvirs était de se servir des oracles, ainsi que le dira Cicéron : ad deponendas potins quant ad suscipiendas reliriones'. Il en était tout autrement dans le monde hellénique; la divination Sibylline y était redevable de son succès à. son indépendance vis-à-vis de la divination et des cultes réguliers. En rapport avec la religion d'Apollon, mais livrée, en vertu de ses origines, à l'arbitraire des prédictions individuelles, elle devenait la grande ressource de tous les novateurs en matière religieuse ; et comme ses premières manifestations étaient aussi clairsemées que dépourvues de dogmatisme, elles s'ouvrirent d'elles-mèmes aux additions et aux déformations les plus imprévues. De là toute une littérature religieuse qui s'élabora à partir du ne siècle' avant notre ère, recul une impulsion puissante du conflit des systèmes philosophiques et des croyances monothéistes au déclin du paganisme, et fi ni 1. par constituer, toujours sous le nom de livres Sibyllins, un instrument de prosélytisme et de polémique contre le paganisme vieillissant'. 1l y eut alors, comme nous l'avons montré plus haut, des Sibylles chaldéenne et babylonienne qui furent confisquées et annihilées par la Sibylle Judaïque; et celle-ci aboutit à une Sibylle chrétienne, chacune pour sa part, selon l'esprit de la religion dont elle était l'interprète, rendant des oracles qui furent exploités, jusqu'à l'aurore du moyen âge, pour le triomphe des croyances rivales *. Dans ce fatras, où les recherches de l'érudition moderne n'ont pas réussi encore à faire la lumière, les interpolations et les altérations successives sont d'autant plus difficiles à saisir qu'elles ont été le plus souvent pratiquées de bonne foi ; les prédictions mêmes, faites après l'événement et à coup sûr, donnent à certaines parties une apparence d'autorité qui fit illusion aux premiers lecteurs. Comme l'a justement remarqué Klausen °, ii ne saurait même être question de les traiter de supercheries, leurs auteurs étant eux-rnemes les victimes d.'une illusion naïve et inconsciente. Il nous suffira de mentionner sommairement ces recueils qui sans doute ne livreront jamais le secret de leurs origines diverses, à peine celui de leur influence sur l'opinion. Ils furent en honneur parmi les apologètes et les Pères des Églises d'Orient et d'Occident, jusqu'au temps où le christianisme eut réduit au silence la sagesse païenne. Composés en grec, ils renferment des parties (lui remontent à l'an 170 av. J.-C., et Ies plus récentes sont de l'époque de Lattante, du v° siècle". Il est impossible de conjecturer dans quelle mesure ce qui est arrivé jusqu'à nous correspond à la réalité des temps où le mélange incohérent en a été composé, et par quelles phases il a évolné avant de revèt.ii'la forme ou nous le voyons aujourd'hui Une chose est certaine, c'est que ces livres Sibyllins ne s'adressaient pas aux païens et qu'ils n'avaient pas pour auteurs des païens; l'intelligence, à plus forte raison le goût de la tradition païenne, y fait défaut. Si Lattante les traite encore avec respect 6, en les faisant servir à la défense de la religion révélée, saint Ambroise et Saint. Augustin, qui le suivent, à un demi-siècle de distance, font bon marché de leur autorité ; et mème le dernier admet que les prophéties Sibyllines qui font allusion à la naissance du Christ ont été fabriquées par des chrétiens°. Il en avait été tout autrement dans l'Église d'Orient où saint Justin, Clément d'Alexandrie, Athénagore, Théophile s'en étaient servis de confiance dans leurs polémiques avec les païens; Origène seul et saint Irénée s'étaient montrés sceptiques i0. Le discours prononcé par l'empereur Constantin au Concile de Nicée potin la définition du dogme de la Trinité, discours dont Eusèbe, qui le rapporte dans son histoire. fut sans doute l'auteur, en appelle à l'autorité de la Sibylle d'Erythrée, à la. I1'° Églogue de Virgile, toute pénétrée de l'esprit messianique, et au témoignage de Cicéron sur les Sibylles en général, pour persuader à l'auditoire que la naissance du Christ figurait dans leurs prophéties et que seuls les incrédules pouvaient dire de ces prédictions ou qu'elles avaient été arrangées après coup, ou qu'elles avaient un autre sens 11. Combien plus avisé avait été le poète Prudence qui célèbre la défaveur, dont l'esprit, nouveau frappait la sagesse sibylline, avec un emportement lyrique rappelant pour le ton celui d'lléraclite 1''. a I1 n'y a plus de fanatique qui, hors d'haleine et l'étame aux lèvres, déroule les destinées à l'aide des livres Sibyllins ; et Cumes pleure la fin de ses oracles ». Nous touchons au temps où les derniers écrivains païens vont exhaler leurs doléances sur la destruction officielle par le Consul Stilicon des oracles conservés à Rome, en assimilant ce crime au meurtre d'Agrippine par sou ails Néron: a Quand il a aboli ces gages donnés par le destin à la durée éternelle de l'Empire, Stilicon a frappé la mère du monde; Néron n'avait assassine que la sienne. » au cours de cette étude, quelques monnaies originaires d'Asie-Mineure et de Cumes que l'on peut considérer comme frappées à l'effigie de la Sibylle. Leur intérèt est dépassé de beaucoup par celui d'une monnaie au nom de Lucius Manlius Torquatus, triumvir monétaire vers l'an 54 av. J.-C.1`. Elles représentent au droit une tète SIC 1300 SIC de femme â l'expression grave, dans un cadre formé de deux guirlandes de laurier; l'exergue porte le nom de la Sibylle; au revers figure un trépied encadré de deux étoiles rappelant, l'un le culte d'Apollon, les autres l'astre qui conduisit Énée de la Troade vers l'llespérie (fig. 6394) 1. En fait, cette monnaie, frappée dans une période où la divination sibylline est â Rome plus populaire que jamais, est le seul monument ancien qui nous apporte avec certitude une représentation de la Sibylle. Rome, cependant, en connaissait d'autres ; nous trouvons en effet, chez Pline l'Ancien 2, la mention de trois statues élevées près de la tribune aux harangues sur le forum et représentant la Sibylle; elles auraient été placées l'une par S. Pacuvius Talurus, édile, les deux autres par M. Messala. Pline, qui ne les a certainement connues que par la tradition, les considère, avec celle de l'augure Attus Navius, comme les plus anciennes qui existent et il semble les faire remonter, sinon à l'époque des rois, du moins aux premiers temps de la République. Elles n'ont certainement rien de commun avec deux statues en marbre dénommées Sibylles dans les collections où elles figurent, sans que ni leur attitude, ni leurs attributs autorisent à leur donner ce nom 3. Une figure signalée par Robert sur des fresques (le Pompéi°et qui, pour l'une au moins, paraît couronnée de laurier, correspondrait davantage e l'idée que nous nous faisons de la Sibylle. ,L-A. Iln.o.